
Edith Scaron
1865, réunion.
C'était encore une de ces journées infernales, ou dans la plantation entière, le soleil s'acharnait, amenant avec lui la chaleur, les récoltes taries, les insectes, et surtout la soif. Les esclaves, la gorge sèche, tombaient tous sous le joug de cette affreuse sécheresse qui les prenait à la gorge un à un. Tous ces gens venaient d'Afrique, et tous ne connaissaient plus que l'oppression et les coups de fouet, mais ils se gardaient bien de se plaindre, les moindres mots était toujours accueillit par autant de coups de fouets de la part des gardiens.
Et pourtant, ces gens étaient censés être libres. Il auraient pu revendiquer leurs droits, ils auraient pu se révolter, il en avaient le droit, il n'y avait plus d'esclavage, depuis dix-sept ans, maintenant, mais ça, on s'était bien gardé de leurs dire. La plantation Desbassayns était bien trop habituée à la main d'œuvre gratuite et contrainte plutôt qu'à dépenser leur argent à l'investissement des machines, même si cela signifiait l'illégalité. De toutes façon, l'état fermait les yeux sur toutes ses traites illégales. Et c'était aux dépens de tous ses gens que l'on gardait en captivité.
Le moulin à sucre était désert à cette heure de la journée. C'était la cachette principale de ceux qui avaient réussi à échapper à la vigilance des gardiens, car celui en charge de l'installation passait ses journée à dormir comme une masse. Aussi, à l'intérieur du moulin se trouvait à cette heure-ci une petite fille d'à peine dix ans. Elle n'avait personne pour elle. Son père était l'esclavagiste de la plantation qui avait refusé catégoriquement d'accorder ne serait-ce qu'un regard à sa fille, qui, à ses yeux, n'était qu'une esclave de plus, née d'une maîtresse de plus, qui n'avait même pas survécu à l'accouchement. Elle était donc seule au monde. Elle n'avait le droit de parler à personne, comme tous les esclaves. Seul les gardiens lui adressaient la parole, et ce n'était que pour lui donner des ordres ou pour l'insulter. On pourrait s'attendre en la voyant, à voir une petite chose, brisée, frêle, soumise, le visage marqué par les coups, baigné de larmes, marchant péniblement, un membre en moins, la robe déchirée, l'échine pliée par les coups, une allégorie de la misère.
Et pourtant, non.
Malgré deux ou trois ecchymose, elle n'avait pas l'air d'une victime. Son visage ne reflétait pas émotion, et surtout pas une once de tristesse, quelques fois, éventuellement de la concentration, mais rien de plus. Elle avait très tôt appris les règles de survie les plus primordiales: ne jamais regarder les blancs dans les yeux et hocher la tête quand ils lui parlaient. Faire ce qu'on lui disait le plus vite possible, tout ça, c'était basique. Mais à la différence des autres esclaves, elle avait une autre règle à respecter. Un règle d'or, celle qui l'avait gardé en vie et relativement en bonne santé, répondre à toutes les questions qu'on lui posait le plus précisément que sa science lui permettait. Car, oui, elle savait la science, elle savait l'arithmétique, l'histoire et les langues. Nul ne savait pourquoi, mais elle savait tous cela. L'esclavagiste l'avait d'abord soupçonné d'aller voir un précepteur en cachette, mais après vaines recherches, cette pistes ne fut pas confirmé, et fut abandonnée. Alors à défaut de savoir l'origine de son intelligence surnaturelle, on l'exploitait. C'était toujours le même refrain, un gardien venait la chercher dans la plantation, il l'amenait dans un bureau où se trouvait l'esclavagiste, ce dernier lui posait des questions, comme « penses-tu que le produit des plantation pourrait doubler avec plus de main d'œuvre », ou « j'ai reçu un acheteur étranger, traduis ses paroles », ou bien « fait le compte des revenues de ce mois-ci. » après quoi, elle s'exécutait et il la congédiait. Elle était esclave, et n'obtenait de cela aucune contrepartie matérielle, mais les gardiens étaient moins sévères avec elle et fermait même les yeux sur ses absences au travail. Néanmoins, elle se gardait bien de réclamer sa liberté ou de sympathiser avec ses bourreaux, elle était esclave, elle ne l'oubliait pas. Mais elle avait fait une promesse à quelqu'un, du temps où elle était encore ce jeune duc d'Atlanta, elle avait juré de revenir en Autriche. Elle l'avait juré à ses deux amis, sur son lit de mort. Qu'elle devienne reine ou esclave, elle reviendrait. Et maintenant, elle se devait d'exécuter sa promesse, coût que coût. Alors, chaque jour, elle revenait dans le moulin à sucre à l'heure où personne n'y était. Sous la paille qui recouvrait le sol de la bâtisse, elle avait dessiné le plan complet de la plantation, avec toutes les failles de sécurité dont elle pouvait disposer, et chaque jours, elle revenait en ajouter de nouvelles avec une précision surprenante. Elle ne perdait pas espoir, en effet, personne, de sa petite vie ne lui avait dit, mais elle le savait: des esclaves avaient déjà réussi à s'enfuir. Toussaint Louverture, par exemple, entraînant avec la sienne la libération de plusieurs centaines de ses confrères, ou Mambo, qui était une mulâtre, comme elle. Ou encore Furcy Madeleine. Elle voulait ajouter son nom à cette liste, quitter cette enfer, retrouver l'Europe.
À quand remontait la dernière fois qu'elle avait parlé à ses amis? qu'elle avait eu une amoureuse? Qu'elle avait tenu un crayon? Elle ne le savait pas, mais ce qu'elle savait, c'est que duc d'Atlanta ou esclave de la réunion, homme ou femme, vieillard ou gamine, blanche ou noire, elle retrouverait ses amis, elle retournerait à la cour des merveilles.
« EDITH! »
En sursautant, elle leva la tête de son croquis. Il ne lui fallut que quelques secondes pour rabattre de la paille sur son plan, se relever et courir hors du moulin. Les gardiens n'aimaient pas se faire attendre, et son « père » encore moins. L'homme qui l'avait appelé la trouva à une dizaine de mètre du moulin. Aussitôt qu'il l'a vit, Il descendit de son cheval et attrapa la fillette par le bras. Elle ne se débattit pas, elle avait l'habitude d'être traitée de la sorte, sans dire un mot, elle se laissa mener par le gardien jusqu'à la maison.
La demeure Desbassayns était magnifique, à l'extérieur comme à l'intérieur, mais les esclaves n'avaient pas le droit d'y entrer, excepté ceux qui étaient en charge de l'entretien de cette dernière. L'homme lâcha finalement le bras de la fillette quand ils arrivèrent au salon. Là, comme à son habitude, elle se dirigea vers l'esclavagiste qui était avachi contre le dossier de son fauteuil. Sa redingote parfaitement repassée et sa coiffure élégante jurait avec la robe sale et les cheveux en bataille de la fillette, pourtant, ils avaient le même sang. Mais ça, l'un s'en fichait comme de sa première conquête, et l'autre était répugnée à cette idée, mais comme chacune de ses émotion, elle n'en laissait rien paraître.
«La prochaine fois, j'aimerais me faire moins attendre, se plaint-il, enfin, bref! Monsieur O'Leary est arrivé des états-unies pour que je fasse affaire avec son patron, je ne comprend pas un mot de leur anglais! Traduis-moi ce qu'il veut me dire. »
En face de lui se tenait debout un homme, habillé assez modestement. Ce dernier était étonné de l'apparence de cette petite fille qui semblait étrangère à toute émotion. Il répéta ce qui venait de dire à l'esclavagiste, pensant ne pas avoir été entendu, mais à sa plus grande surprise, dés qu'il eut fermé la bouche, la petite fille ouvrit la sienne et dit en français tout ce qu'elle venait d'entendre. Après quoi, elle traduisit en anglais la réponse de l'esclavagiste et se retira comme si de rien n'était, sans dire un seul mot de plus. L'homme s'étonnait de voir qu'une si petite fille parlait avec un si bonne accent une langue que les petits blancs bien éduqués ne maîtrisait qu'assez tardivement.
Il aurait voulu lui poser des questions, mais il n'osa pas. En effet, il n'y avait désormais plus d'interprète qui puisse l'aider à se faire comprendre. On fit monter monsieur O'Leary dans sa chambre et son fils, Mara dans une autre. Ce dernier eut vent de l'existence de la si particulière esclave le soir même, quand son père lui en parla. Dés qu'il avait vu ses talents de langues pour une fillette si jeune, il avait immédiatement eu l'idée de la ramener dans la plantation de son patron. Le jeune garçon, qui devait avoir environ trois ans de plus que la petite esclave, avait décidé dés le lendemain d'aller voir cette petite si singulière.
***
Au petit matin, la chaleur était clémente. Enfaite, c'était le Meilleur moment de la journée pour les récolte. Pourtant, si tous les esclaves s'y activait déjà dés l'aube, ce n'était pas par choix. On les levait avant que le soleil n'apparaisse dans le ciel. C'était ce moment que la fillette choisissait pour travailler. La lumière faisait bien trop défaut dans le moulin pour continuer son plan. Et, puis, d'autres esclaves y étaient occupés à travailler le sucre.
« Eh, toi! »
Une voix en anglais la fit lever la tête de son travail. De l'autre côté de la grille de la plantation se tenait un garçon qui devait avoir treize ans tout au plus. Elle était habitué à ce que des gamins de la ville vienne l'embêter, mais jamais ils ne l'avait interpellé en anglais. Après s'être soigneusement assuré qu'il n'y avait pas de gardien, elle s'approcha de ce garçon.
-Je sais qui tu es, lui dit-elle dans un anglais parfait qui ne reflétait aucune émotion. Tu es Mara O'Leary, le fils de l'homme qui est arrivé hier.
-Bah, dit-donc! S'exclama le gamin, papa m'avait pas menti, t'es perspicace!
-Qu'est-ce que tu me veux?
-Ben, enfaite, c'est mon père qui m'envoie, il compte t'acheter pour son patron, on aurait besoin de ton aide pour que le vieux daigne se séparer de son interprète.
-Je ne suis pas une marchandise, répondit-elle.
-Quoi, ça t'a jamais parlé d'aller aux États-Unies? Tu t'y plairait, là-bas. C'est un pays sauvage et merveilleux, le paradis sur terre. Les gens y sont libres...
-Les hommes blancs et éduqués y sont libres, réctifia-t-elle. Pour les autres, c'est à peine si on les considère comme des gens.
-Eh, la noiraude, s'offusqua le gamin, comment tu peux parler de mon pays comme ça?!
-Parce que j'y suis déjà allé, j'ai même participé à la guerre de sécession, après mes études. »
Le gamin resta sans voix. Elle se moquait de lui, c'était certains, alors pourquoi avait-il la conviction qu'elle ne disait rien d'autre que la vérité?
-Je n'ai aucune attention de retourner aux États-unies, reprit-Elle. En revanche, je sais que des gens pourraient fortement vous récompenser si vous m'emmenez là où je veux me rendre, en Autriche.
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