XIII.
Sans doute
N'aurait-il
Pas dû
Agir
Seul.
Le Ciel hurle sa peine, déversant son déluge sur le monde. Dans la voiture, les doigts crispés sur le volant, HoSeok roule. Il n'a plus le temps d'attendre, ni celui d'hésiter, alors il enclenche les vitesses avec un visage de fer. Pendant des jours et des nuits de solitude, il a cherché et fouillé tout ce qu'il trouvait. Alors qu'il commençait à désespérer de trouver des indices sur le lieu où était retenu YoonGi, la première vidéo est arrivée. Avec elle, son lot de pleurs et de flagellation mentale quand il a vu le corps bleui de son amour, ses yeux en larmes et le sang trop sec.
Mais quand la cinquième lui est parvenue et qu'il s'est forcé à l'écouter, les doigts tremblants et les yeux mi-clos, il a entendu un détail si infime qu'il n'y croyait pas. Pourtant, il était vrai.
Une goutte qui tombe dans un rythme précis, avec un tintement familier, si familier aux oreilles d'HoSeok.
Le même tintement qui, quinze ans auparavant, était perceptible quand son père appelait depuis la capitale. HoSeok a pleuré si fort et remercié tellement son cerveau pour s'être souvenu de ce bruit si bas que SeokJin a été obligé de le prendre dans ses bras pour l'arrêter de crier son amour à tous les dieux qu'il connaissait.
Et depuis, il roule le bitume glacé, sans s'arrêter. Derrière lui, il voit la carrosserie rutilante des voitures de NamJoon et de TaeHyung. Il n'a pas voulu que SeokJin l'accompagne, parce qu'il préfère être seul pour écouter la voix de YoonGi sur son répondeur.
Le regard concentré sur les bandes grises, il ne regarde pas le défilé des paysages, ni celui des voitures, ni encore le ballet incessant des bornes de sécurité. Et quand il arrive devant l'entrepôt de son père, cinq heures plus tard, ses pieds fourmillent et ses mains sont devenues blanches.
Il se dresse sur les pierres de l'allée bordée d'arbres, le regard vague sur le bâtiment gris. Il entend les portières qui claquent dans le froid, à côté de sa voiture.
Il ne sent que légèrement la main de TaeHyung venir se poser sur son épaule, puis ses longs doigts la presser doucement avant qu'elle ne s'enlève. En revanche, il entend sa voix basse qui demande doucement :
« - Est-ce que ça va aller ? »
Il lui lance un sourire qu'il veut rassurant, mais il ne trompe personne. Ni ses joues mouillées, ni ses yeux rouges, ni ses mains spasmodiques ne peuvent prétendre que ça va aller.
Il lève un instant ses yeux vers les cieux, et cligne des paupières, éblouit par la lumière vive. L'équipe armée sort ses armes de grands sacs noirs. Quand les hommes cagoulés se placent rang derrière lui et que NamJoon arrive à sa hauteur, il s'avance d'un pas déterminé vers la porte de l'entrepôt.
Les pas sont cadencés dans son dos, JungKook respire fort, un peu en retrait pendant que sa main est emmêlée à celle de TaeHyung.
La porte n'est pas verrouillée, et elle s'ouvre dans un grincement sinistre sur une pièce vide. Les fenêtres sont couvertes d'une crasse si épaisse qu'elle empêche la lumière de passer, et seuls de faibles rayons éclairent partiellement le rez-de-chaussée. Les murs sont délabrés, des matelas sales de clochards jonchent le sol et des toiles d'araignées se déroulent du plafond.
HoSeok ressent une haine viscérale pour celui qui a forcé YoonGi à vivre dans ce taudis.
Les escaliers craquent sous ses pas, mais pas quand les hommes en noir se déplacent jusqu'au premier étage. Ils font des signes entre eux qu'HoSeok ne comprend pas, et soudain, il se sent étouffé sous son gilet pare-balles.
Il s'adosse au mur, pantelant contre la peinture qui se détache. Il suffoque, suant dans les vêtements de YoonGi. Il s'assoit au sol, soulevant la poussière puis enfonce sa tête entre ses genoux en fermant les paupières si fort qu'il voit des points lumineux.
Il inspire l'odeur masculine de YoonGi, caresse du bout du doigt le tissu et se relève quand il entend NamJoon l'appeler. Sa voix est chargée d'excitation et d'une appréhension qui la rend plus aigüe de d'ordinaire.
« - On a trouvé quelque chose, là-haut. Je pense que tu devrais venir voir.
- J'arrive. »
HoSeok se relève, encore un peu faible. NamJoon le soutient de ses bras forts et ils avancent ensemble jusqu'au deuxième étage. Là, ils retrouvent JungKook et TaeHyung penchés au dessus d'un tabouret. En face, il y a une caméra désactivée.
« - C'est ici qu'il filmait les vidéos.
- Mais sur certaines, YoonGi était allongé.
- JungKook, je pense qu'il y a une autre pièce. Et YoonGi y serait encore.
- Tu penses à quel endroit ?
- Je n'en sais rien...
- Réfléchis, HoSeok. Un détail, n'importe quoi qui aurait eu de l'importance pour ton père. »
HoSeok s'approche du mur et pose doucement sa main dessus. Il entend les voix des autres parler d'une chose qu'il n'écoute plus. Son esprit ressasse son passé, fouillant sa mémoire et examinant chaque recoin de ses souvenirs.
Mais il tâtonne à chercher une chose qu'il ne sait pas, et dès que son esprit croit saisir l'étincelle de la solution ; elle s'éteint aussi vite. Jusqu'à ce qu'une phrase ne s'impose dans sa tête.
« - Il y a des rats au sous-sol. »
Il se tourne avec la pâleur d'un damné, regardant d'un air ébahi les hommes de la pièce.
« - Qu'est-ce que tu as dit ?
- Qu'il y a des rats au sous-sol. »
HoSeok réagit plus vite qu'il ne l'aurait pensé, ignorant les cris stupéfaits des autres dans la pièce. Il sort de la petite salle, dévale les escaliers et se jette dans toutes les pièces qu'il rencontre. Il ouvre toutes les portes, frappe tous les murs et se prend tous les meubles poussiéreux.
Mais la douleur ne l'arrête pas.
Quand il parvient à ouvrir une porte qui débouche sur des escaliers sombres, ses mains deviennent fébriles. Les marches en béton sont irrégulières, et l'obscurité l'empêche de discerner les contours de la cinquième.
JungKook et NamJoon arrivent derrière lui, se pressant contre son dos pour voir ce qu'il y a dans les ténèbres.
HoSeok pose un doigt sur ses lèvres et laisse passer NamJoon devant lui. Il le voit dégainer son revolver, les bras tendus et la mâchoire serrée. JungKook brandit une lampe torche, puis fait signe à HoSeok de reculer derrière lui.
Et ils descendent, silencieux et se figeant au moindre bruit.
Bientôt, ils entendent les hommes cagoulés s'engager dans les escaliers à leur tour, dans quelques bruissements de tissus et peu de gestes. Ils parviennent à atteindre le sol bétonné sans trop d'encombres. HoSeok longe le mur du plat de sa paume, et actionne l'interrupteur quand il le trouve enfin.
Une lumière crue éclaire les recoins de la grande pièce, éclatant leurs pupilles dilatées. TaeHyung est le premier à s'avancer dedans, talonné par le brun. Il regarde dans tous les coins, cherche de tous les côtés, pourtant il ne voit pas la porte dérobée, cachée par une armoire.
C'est SeokJin qui marche lentement vers elle, les muscles des épaules tendus et les mains blanches contre son arme. Il pousse l'armoire, frôle le mur et presse le battant qui s'entrouvre dans un bruit sec. Il jette un regard aux hommes amassés sur les marches, puis s'engouffre dans le noir.
HoSeok se précipite pour marcher à ses côtés, le cœur anarchique et l'esprit oublié. Il ne pense qu'au visage de YoonGi et à la peur de le retrouver. Parce qu'il ne sait pas dans quel état il sera, et c'est ce qui lui fait le plus peur.
Il se fige brusquement lorsqu'il entend une voix, claire et distincte, hurler à l'aide. Il voit les épaules de SeokJin tressauter devant lui, éclairées par la lumière de la lampe torche.
Et la voix recommence, criant encore plus fort.
Alors, HoSeok court aussi vite qu'il le peut, encore une fois. Son cœur s'est arrêté quand il a entendu la voix de YoonGi l'appeler, chargée d'une douleur qui foudroie ses entrailles et fait jaillir ses tripes. Son corps haletant pénètre dans une salle aux murs décrépi, et les pleurs du devin résonnent encore plus violemment.
Mais ce sont ses hurlements à lui qui feront le plus de bruit quand il verra la vidéo projetée sur un des murs abimés, et que les mêmes cris que ceux de la séquence précédente tourneront dans sa tête ; vautours inlassables qui le guettent dans l'ombre.
Il se relève, aveuglé par une rage folle qui alimente sa haine la plus profonde.
Il a besoin de faire mal pour apaiser sa douleur.
Alors, il hurle à s'en casser la voix, à s'en briser la gorge et à faire saigner sa bouche. Il hurle à Jimin de se montrer, de lui rendre YoonGi, de le laisser, de putain de bordel de merde crever comme une merde parce que c'est tout ce que t'es, un putain de malade, hein t'es fou, Park, tu l'as toujours été, alors qu'est-ce que t'attends pour te montrer !
Mais ses mots s'étouffent entre ses lèvres quand il voit Park Jimin arriver, à côté de l'écran projeté. L'assassin se place lentement en face de lui, mais ses mouvements amples ne trompent pas HoSeok.
Il sait qu'il a touché la corde sensible. Son regard sombre, ses traits tirés et les veines saillantes de ses mains parlent pour lui.
« - Tu l'as tué, pas vrai ? »
Jimin ne répond pas, mais sa paupière tremble convulsivement.
« - Tu lui as fait du mal pour me punir ? Pour me rendre fou ? Pour me faire payer quelque chose que je n'ai décidé ?
- Sais-tu pourquoi vous êtes si intéressants ? »
Les sourcils d'HoSeok se froncent sans qu'il ne comprenne les mots de l'autre. Il ne répond pas, haletant dans le silence qui dure quelques instants, avant que l'autre reprenne :
« - Vos mots. Vous employez des mots très forts pour décrire des choses qui ne le sont pas. Tu m'as traité de fou, mais je ne le suis pas. Je suis simplement différent de toi, Jung.
- Vous allez me tuer pour ça ? Vous avez tué YoonGi parce qu'il parlait ?
- Non, non. Il n'est même pas mort, si tu veux savoir. »
HoSeok sent la pression redescendre le long de son dos pour s'évaporer contre le béton sale. Il est tellement soulagé, qu'il oublie la peur pendant quelques secondes. Avant que Park ne réponde, il entend la voix lointaine de NamJoon l'appeler. Mais il n'a pas le temps de lancer qu'il est là, avec le meurtrier, que Jimin reprend sa phrase.
« - Mais toi, je te tuerais. »
Et Jimin a un sourire immense qui mange son visage, et il sourit si fort, et il semble tellement heureux de faire du mal, que le souffle d'HoSeok s'évanouit dans sa poitrine.
« - Tu n'as pas besoin de le faire, Jimin.
- Si. Je dois faire plaisir à monsieur. »
Jimin chuchote si bas que l'autre n'entend pas. Il voit seulement ses lèvres bouger, puis l'assassin se redresse, avec une expression enjouée.
« - Dis-moi, Jung, comment veux-tu mourir ? »
Son sang se congèle dans ses veines, et il expire si violemment que ses poumons tressautent.
« - Je ne veux pas mourir, Jimin.
- Pourtant, je vais te tuer. Il n'y a pas de solution à notre problème. »
HoSeok recule jusqu'à ce dos ne rencontre le mur, et que ses genoux tressaillent. Il se sent pris au piège, là où la spirale de la violence se corse. Alors, il prie, il supplie, il attire l'attention de tous les dieux qu'il connait dans sa tête, pendant que le pas bestial de Jimin se rapproche de lui.
C'est quand une lame froide se pose sur la peau de sa gorge qu'il réagit. Sa poitrine se soulève violemment, et il pousse Jimin avec son coude en s'enfuyant vers la porte.
Il court. Ses chevilles craquent. La porte semble s'éloigner de lui à chaque pas qui la rapproche. Mais alors qu'il effleure la poignée du bout du doigt, une main le plaque violemment au sol. Son dos claque sur le béton froid, sa tête le heurte et il perd la vue quelques secondes.
Jimin le surmonte, avec son visage déformé par la rage, et par une expression plus profonde, comme de la tristesse. Une peine accablante qui fait fléchir ses épaules et crever sa conscience. Park le regarde avec la haine froide de celui qui a goutté au sang, et qui ne s'en lasse pas.
SeokJin l'appelle, un étage plus haut. Jimin pose une main calleuse sur sa bouche et se relève pour le trainer dans une pièce sombre.
HoSeok sanglote doucement et ses larmes glissent sur la paume de l'assassin.
Il entend vaguement des pas dans l'escalier, mais il croit rêver. Il se sent lourd et amorphe quand Park le laisse tomber contre l'angle d'un mur. Il essaye de se replier, la tête dans ses genoux, mais le meurtrier attrape ses cheveux pour le forcer à le regarder.
Il sourit devant son visage en larme, et le gifle deux fois. Puis, il caresse son nez sanglant, descend le long de sa mâchoire et griffe son cou.
HoSeok ressent la douleur qui explose sous sa peau à chaque frôlement. Et le sourire de l'autre qui s'accentue, ses yeux embués de larmes qui ruissellent sur ses joues maltraitées, et les hurlements de son corps, et les saignements de son cœur.
Et le visage de YoonGi, comme un havre de paix.
La lame revient, perfide dans son étreinte glacée qui l'enveloppe de peur. Elle longe son cou, la ligne de ses épaules, déchire sa joue et cueille l'hémoglobine pourpre qui s'écoule en longs fleuves douloureux.
Mais elle disparait, enfouie dans l'ombre.
Et Park sort à la place un long objet de mort métallique.
Il pose la crosse sur la tempe, lâche un rire franc et soupire quand il voit les membres tremblants de terreur d'HoSeok. Puis, il murmure si bas, que le condamné ne perçoit pas tous les mots entre ses sanglots.
« - Tu vas mourir comme ton père, Jung. Seul.»
Il n'y aura qu'un seul coup de feu qui déchirera la nuit.
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