I.
Il aimerait se souvenir de tout,
mais il ne lui reste
que le
vide
de sa
Conscience.
Vingt et un janvier.
Hôpital de Séoul.
La femme se redresse sur sa chaise et ouvre son carnet. Elle note l'heure, la date et le nom du patient.
L'homme est immobile en face d'elle, mais il ne la regarde pas. Il voit loin derrière, à la recherche de son esprit vide.
« - Bonjour, HoSeok. Je suis le docteur Park. Est-ce que tu sais quel âge tu as ?
- Non. »
Il ferme les yeux quelques instants, pressent ses doigts sur ses paupières lourdes et ajoute :
« - Je ne savais même pas qu'HoSeok était mon nom jusqu'à ce qu'une infirmière m'appelle comme ça, tout à l'heure.
- Peux-tu me dire de quoi tu te souviens ?
- De rien, docteur. C'est juste noir dans ma tête. »
La femme écrit un court instant, puis regarde tristement l'adolescent.
Encore une vie gâchée, pense-t-elle.
Puis le jeune homme sort de la pièce sans fermer la porte.
Douze avril.
Train, cinquième wagon.
Le contrôleur rend son billet au jeune homme, puis disparait dans les allées. Quand il le voit passer dans l'autre wagon, HoSeok s'autorise à remettre ses écouteurs. La musique recommence, douce. Il s'absorbe dans le paysage qui défile, par-delà la fenêtre rayée. La vieille femme toussote, à sa droite. Elle le fait souvent, et quand HoSeok lui demande si elle va bien, au début du trajet, elle lui répond :
« - Ne t'inquiète pas, mon petit. Ce n'est pas un faible rhume qui viendra à bout de ma santé ! »
Alors, HoSeok ne dit plus rien. Et le train défile si vite que tout est brouillé.
Douze avril.
Gare de Mokpo.
« - Jung HoSeok ? »
Le jeune homme regarde un instant la femme qui vient de lui parler. Elle lisse son manteau de sa paume et abaisse l'écriteau qu'elle portait. Alors, il hoche la tête et s'incline devant elle en murmurant :
« - Oui, c'est moi. »
Ses cheveux virevoltent, elle s'agite et le relève d'un léger signe de la main. Elle se présente en le regardant dans les yeux.
« - Enchantée. Je m'appelle Lee Cho-Hee, je suis la propriétaire de l'appartement dans lequel vous allez loger. Vous m'avez eu au téléphone, il y a quelques jours.
- Je m'en souviens.
- Venez, je vais vous y conduire. »
Elle sourit, l'entraine hors de la gare, traverse une rue et rejoint le parking. HoSeok la suit de près, traînant sa valise. Il la pose dans le coffre ouvert, le referme et s'assied à l'avant, à côté de la femme. Elle démarre, puis la ville s'efface lentement. HoSeok regarde les champs verts qui s'étalent jusqu'à l'horizon. Il se sent bien dans le silence de l'habitacle, mais la vieille femme le brise.
« - Vous étiez de Séoul ?
- Je crois. »
Elle ne relève pas sa remarque étrange, ni ne détourne les yeux de la route.
« - Et pourquoi venez-vous à Mokpo ? La capitale doit être bien plus attrayante.
- J'avais besoin de changer d'air, de commencer une nouvelle vie. Et c'est une jolie ville. »
Elle hoche la tête, semble approuver. Puis, comme si le silence la gênait trop, elle continue de le questionner :
« - Vous aviez un métier, à Séoul ?
- Je suis traducteur.
- Oh. Quelle langue ? »
Elle parait surprise, change la position de ses mains sur le volant et tourne la tête vers lui. Quand elle voit qu'il ne la regarde pas, elle se concentre à nouveau sur la route en fronçant les sourcils. Alors, il répond tout bas :
« - L'anglais et le russe.
- Pourquoi le russe ? »
Il ne sait pas. Il veut juste qu'elle arrête avec ses questions. Il marmonne quand même :
« - Parce que j'aime la musique de Tchaïkovski.
- Qui est-ce ?
- Un compositeur russe. »
HoSeok réajuste les pans de sa veste et la femme se tait. Ses cheveux teintés laissent voir quelques mèches blanches, ses yeux sont ridés et ses lèvres fines n'ont plus vraiment de couleur.
Le silence sera religieux durant le reste du trajet.
Quinze avril.
Alentours de Mokpo.
HoSeok fait une dernière fois le tour de son appartement, un torchon à la main. Il a traqué chaque saleté dans chaque pièce, et tout est maintenant parfaitement propre. Il est satisfait de son nouveau domicile, car les pièces sont assez grandes, les murs sont beaux, le plafond aussi, et qu'il a une baie vitrée dans son salon.
Le jeune homme est fatigué, alors il se jette sur le canapé, les jambes lourdes et s'endort, las. Lorsqu'il se réveille, cinq heures plus tard, ses avant-bras sont griffés, et la table basse est recouverte de mots. Alors, sans prendre le temps de les lire, il les efface de son torchon humide.
HoSeok ne veut pas garder ces souvenirs inexistants dans sa nouvelle vie.
Il veut devenir un nouveau HoSeok, et se rebâtir une autre histoire.
HoSeok veut oublier ce dont il ne parvient pas à se souvenir.
vingt-quatre avril.
Alentours de Mokpo.
Dans le parc, les oiseaux ne chantent pas. La nuit devrait bientôt tomber et il regarde le crépuscule s'étendre jusqu'aux nuages. Il se sent seul, le jeune homme qui ne se connait pas. Il se sent triste, le jeune homme à la mémoire vide. Il se sent fatigué, le jeune homme sans famille.
HoSeok rentre quand l'obscurité devient trop vive.
Partout autour de lui subsistent le silence et les ténèbres.
Trente avril.
Alentours de Mokpo.
HoSeok traduit un nouveau livre, dans un café. Il boit un peu, puis tape sur le clavier de son ordinateur. Il n'avait pas envie de rester chez lui, après qu'il se soit réveillé avec des hématomes sur le torse et le miroir de sa salle de bain gribouillé. Alors, il est sortit prendre l'air, mêlant l'utile à l'agréable.
« - Excusez-moi, monsieur ? »
HoSeok relève la tête vers la jolie serveuse.
« - Oui ?
- Quelqu'un a déposé ça pour vous.
- Merci. »
Elle lui tend une enveloppe et repart ; il la regarde dépasser le comptoir puis traverser la porte de la cuisine. Le zinc de la table est froid contre sa peau. Il ouvre machinalement l'enveloppe et sors la lettre blanche. Quand il la prend entre ses doigts, une photo en sort. Un cliché de lui, jeune, avec un homme qui lui tient l'épaule et une femme assise à sa droite.
HoSeok la pose précautionneusement sur la table, à côté de son ordinateur.
Puis il lit la lettre, les mains moites.
« Monsieur Jung.
Vous ne me connaissez pas, moi non plus ; et pourtant nous pouvons nous être utiles.
Avant toute chose, je m'appelle Min YoonGi. J'ai hérité de facultés psychiques différentes des autres, aussi suis-je capable d'entrevoir, d'effleurer des morceaux de l'avenir. Je sais que c'est difficile à envisager et au mieux, à croire ; c'est pourquoi je vais vous demander de faire preuve de compréhension. Je ne suis pas fou, ni dangereux.
J'ai mis mes dons au service de la justice, et je contribue aux enquêtes les plus délicates, celles qu'on craint et qu'on n'ose pas rouvrir. Mais une des affaires sur laquelle mon équipe et mois travaillons nous pose de gros problèmes, et il s'avère que vous pourriez être l'élément fondamental sur laquelle repose cette enquête.
Je suis persuadé que vous avez été témoins de choses dans votre passé qui pourraient nous aider à découvrir qui sont les vrais coupables. Bien sûr, nous pourrons vous aider pour que vous retrouviez vos souvenirs.
N'avez-vous pas envie de connaître votre passé ?
Si oui, et que vous ne me prenez pas pour un taré psychotique, venez demain à la gendarmerie de Mokpo.
Bien à vous.
Min YoonGi, consultant extra-psychique. »
Il contemple la carte, sobre, noire, avec les lettres qui s'impriment en caractères blancs. Puis, il range la lettre, caresse sa cicatrice sous son pull.
Et quitte le café, tremblant et doutant de sa propre existence.
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