Le feu est aspiré vers un coin de la pièce. Il ne faut qu'un battement de paupières pour que le responsable de ce miracle n'apparaisse: le vieil homme de la fontaine prédictive.

- Vous! Gronde mon amie.

- Toujours là où on l'attend, répond celui-ci, visiblement prêt à riposter.

- Vous ne devriez pas vous interposer entre un dragon et sa proie, siffle Émeraude, furieuse.

Un sourire étire les lèvres de cet homme mystérieux, une lueur de défi passe dans ses yeux.

- Justement, je me tient exactement devant ma proie. Tu n'es pas sans savoir que nous sommes également de bon protecteur envers notre famille?

   - Assez!

   Une voix puissante s'élève. L'ordre claque dans la pièce et aussitôt les attentions se reportent sur Sidia qui nous rejoins, vêtue d'une élégante robe longue en mousseline blanche et d'un haut chignons complexe.
   Elle se dresse, bien droite, son regard ne vacillant pas un instant face à nous. Un frisson parcours mon échine, sa présence impose le respect.
   L'homme d'une soixantaine d'années se penche dans une révérence et s'excuse, avant de revenir vers la souveraine dont le regard s'adoucît lorsqu'il plonge ses yeux dans les siens.
   Émeraude et moi même en faisons de même. Mais ma place n'est pas près de Sidia, aussi, je me met aux côté de ma belle Émeraude.

- Vulcain, tu ne devrais pas provoquer notre invitée en duel, réprimande la reine.

- Je sais majesté, mais c'est la deuxième fois que cette dragonne vous agresse.

- Que je vous agresse? rugit Émeraude.

Sidia lève une main en direction de la dragonne pour la stopper.

- Il me semble que celle qui mérite le plus d'être réprimandée reste Samia, qui semble avoir provoqué une fois de plus Alban, n'est-ce pas?

La reine a tourné son visage vers l'accusée qui se relève tout juste. Son expression est indéchiffrable, semblant tantôt pleine d'excuse, tantôt très mécontente.

- Nous avons été témoins de la scène, commence Fadir. Je suis désolé, Samia, mais notre reine a raison. Tu ne cesse jamais de le blesser dans tes paroles. Tu as peut-être parfois raison, mais la forme est tout aussi importante que le fond quand tu as quelque chose à dire.

   C'est la première fois que je vois cet homme, qui est d'ordinaire calme et sage, se mettre autant en avant. D'ailleurs l'intéressée elle-même, semble la plus surprise de son intervention et reste bouche bée devant ses compagnons. Tarik, quand à lui, reste les bras croisés sur sa poitrine, un soupire refermant cette parenthèse.
   C'est le prince, qui brise cet instant gênant le premier.

   - Allons mes amis, nous ne sommes pas réunis ici ce soir pour nous quereller, mais plutôt pour fêter cette première phase du tournois et passer un moment agréable.

   Son ton doux et chaleureux ramène une certaine sérénités entre nous, même si mon manque de sympathie envers Samia se creuse de plus en plus.
   Aussi, Ahmad nous invite à nous installer autour d'une large table ronde garnie de mets fins et délicats. Une petite attention nous est portée et chacun reçoit à sa place un petit paquet, une bourse en jute nouée de rafia rouge, dans laquelle se tient une petite cagnotte rondelette en or et pierre fines.
   Émeraude à les yeux qui pétilles face à ce butin qu'elle s'amuse à garder précieusement pour le jour où elle pourrait l'engloutir. Je constate en passant mon regard au dessus de la table, face à moi, en direction du fameux « vulcain », qu'il se comporte exactement de la même manière.
   Les grands plats disposés ça et la, fument encore et les rôtis, volailles, légumes et fruits frais sont alléchants. Aussi, je ne me fait pas prier et commence mon repas en tentant d'être le moins gourmand possible. Hélas, je me rend vite compte que mon assiette se remplie pour la troisième fois, ce qui me gêne, mais un rapide coup d'œil vers mes voisins de table me réconforte: je ne suis pas le seul à dévorer plutôt que déguster ce dîner.

   - C'est toi qui est en peinture près de la fontaine prédictive?

   La question de Emeraude coupe la tranquillité du repas. Peu de mots ont été échangés depuis que nous avons pris place autour de la table, aussi cette question tombe comme un couperet.

   - Tu me défies encore, gronde le doyen.

   - Je pense qu'il est temps de lui dire la vérité, tu ne penses pas, Vulcain?

   La voix douce de Sidia me rassure. Je n'ai pas envie de voir Emeraude se battre encore une fois ce soir.

   - Hummm, si tu en est certaine, alors je te suis ma reine, se contente de répondre celui dont l'identité n'est toujours pas révélée.

   - Dans ce cas, il me semble qu'une petite démonstration en plein air serait plus explicite que les mots. Je propose que nous finissions notre repas, puis nous rejoindront la cours de mes appartements privés, cela te convient-il?

   Vulcain acquiesce de la tête, puis jette un regard méfiant à Émeraude qui ne le quitte pas non plus du regard. Cependant, il ne semble pas y avoir de quiproquo, chacun souhaite protéger son proche.
   Face à l'attitude de la dragonne, je ne peux m'empêcher de saisir l'une de ses mains et de la presser entre mes doigts pour que son attention se reporte sur autre chose que ce vieil homme. D'ailleurs, je n'aime pas que l'on me materne, ni même que l'on me défende autant alors que la situation n'est pas si grave.

   - Émeraude, je t'en prie, arrête de le provoquer, ou ça risque de mal finir, je chuchote le plus discrètement possible à mon amie.

   Elle ne me répond pas et se contente de me lancer un regard pleins d'éclairs.
   Elle est tendue, trop à mon goût. Cette situation a le don de m'inquiéter au plus haut point.

   - Dépêchons-nous de finir dans ce cas, j'ai hâte de découvrir ce qui se cache ici.

    Émeraude ne mâche pas ses mots et cela semble agacer Vulcain qui semble bouillir de l'intérieur.
   S'en suit une joute à table, un jeu extrêmement puéril entre ce vieil homme et ma redoutable dragonne, à qui mangera son repas le plus vite.
   Cette scène a pour effet de couper l'appétit des convives et d'attirer un regard mécontent de la reine. D'ailleurs celle-ci m'adresse un coup d'œil et se radouci en voyant mon visage. Il faut dire que la situation m'atterre autant qu'elle et mon expression doit être équivalente à celle de mes compagnons: dégoûtée.