Chapitre 9
Le lendemain matin, Leerian fut le dernier à se réveiller. Lui qui était en général un lève-tôt avait à peine pu fermer l'œil de la nuit. C'était la faute de la lune qui, bien qu'elle ne fût qu'au trois quart pleine, avait toujours son effet hypnotisant sur lui. Elle était restée dans son champ de vision un long moment, et il avait passé autant de temps à la fixer, les yeux ronds et la bouche entrouverte, comme en transe. Il avait observé son déplacement lent et obsédant, jusqu'à ce qu'elle fût hors de vue. Alors seulement, il avait essayé de dormir. Et étrangement, l'insomnie avait pris le relai.
Leerian se réveilla seulement après avoir senti quelque chose contre son bras. C'était Danayelle qui lui donnait de légers coups de pied.
— Il va se lever, le prince déchu ?
Leerian grogna en se retournant sur le ventre. Danayelle haussa les épaules et s'éloigna, allant s'asseoir près du feu mort. Elle avait presque terminé de manger sa pomme en guise de petit déjeuner, et Mishi était dans le lac depuis une demi-heure déjà. Sous l'eau, celle-ci s'était attrapé quelques poissons à mains nues et les avait dévorés aussi surement qu'un piranha, n'y laissant que la tête, la colonne vertébrale et les organes. Il était plutôt difficile pour elle de mâcher et de retenir sa respiration en même temps, mais elle avait préféré faire un effort que d'offrir cette vision d'horreur aux elfes. Leerian était dégouté rien qu'à la voir manger un steak tout à fait ordinaire ; un poisson cru et encore frétillant entre ses doigts, il se serait probablement évanoui.
Danayelle avait terminé sa pomme et Mishi était ressortie du lac quand Leerian eut enfin la force de se mettre en position assise. Il regarda autour de lui, s'efforçant de se souvenir pourquoi il avait dormi sur l'herbe et non dans son lit. Et il se demandait surtout où était la bouilloire pour faire son thé.
— C'est trop mignon, comment tu as l'air complètement perdu, fit Mishi d'une voix douce.
Leerian leva les yeux vers elle, perplexe. Et ce fut seulement ensuite que l'idée lui revint et qu'il réalisa qu'il n'aura pas son thé matinal. Il grogna en frottant ses mains sur son visage, espérant se réveiller un peu, et sortit une pomme de ses affaires qu'il dévora rapidement. Il jeta le trognon au loin et, enfin, se leva et passa les bretelles de son sac sur ses épaules.
— Je suis prêt ! On peut repartir !
— Déjà ? s'exclama Mishi.
— Oui, déjà ! renchérit Danayelle qui s'était approchée à son tour. Si on ne traine pas, on pourra arriver à Yglas dès demain matin !
— Et après-demain, je serai de retour chez moi ! continua Leerian.
— Et moi, à l'Institut !
— Y'a que moi qui suis contente d'être là ? dit Mishi en faisant la moue.
— Oui, répondirent Leerian et Danayelle d'une seule voix.
Mishi soupira en levant les yeux au ciel. Elle commençait à avoir du mal à se faire une idée duquel, entre les deux elfes, était plus nul que l'autre. En tout cas, Leerian lui semblait moins désespérant maintenant qu'elle avait matière à comparer.
Sans lui permettre de répliquer, Danayelle s'était déjà mise à marcher, contournant le grand lac, Leerian sur ses talons. Mishi prit rapidement son sac, son carquois et son arc, passant le tout en bandoulière, et courut pour les rattraper.
— Toi, au moins, tu aurais pu m'attendre, grogna-t-elle en s'agrippant au bras de Leerian.
— Si je t'avais attendu, tu aurais pris ton temps.
— Ouais, logiquement !
Leerian sourit pour Mishi alors que celle-ci plissait les yeux. Danayelle, quelques pas devant, pouffa de rire, amusé du duo qu'elle s'était récoltée. Elle était bien heureuse de les avoir trouvés ; la route était tellement ennuyante, seule. Maintenant, c'était presque une partie de plaisir. Presque.
*
Tous trois continuèrent de marcher pendant toute la journée, faisant quelques petites pauses pour manger et se reposer. Ils s'arrêtèrent dans une clairière pour y passer la nuit, et le lendemain matin, ils n'eurent qu'à faire une heure de plus avant d'arriver à la fin de la forêt.
Derrière eux, les grands arbres de Celeyste s'étendaient à perte de vue. Mais devant, il y avait une route de terre battue, allant de droite à gauche. Au-delà, des buissons et quelques arbustres solitaires. Au loin, ils apercevaient des habitations en bois, des maisons, des moulins. Un petit village semblant tout droit sorti du moyen-âge.
— À gauche de cette route, c'est Buragh, dit Danayelle, les yeux sur sa vieille carte. Et après Buragh, c'est Stanmore.
— Mon père est né à Buragh, signala Mishi. Il n'y a que des hommes, là-bas.
— J'espère qu'on n'a pas l'intention d'y aller, ajouta Leerian.
— À droite, continua Danayelle, il y a d'abord la métropole de Shanginthon... une grande ville qui ressemble beaucoup à Stanmore, mais en moins... technologique. Et tout au bout, jusqu'à la côte de la mer Moshad, il y a Winglon. Une autre ville qui doit faire à peu près la même taille.
— Tous ces noms ne m'entreront jamais dans le crâne, dit Leerian.
— Et enfin, droit devant... c'est Yglas.
— La conclusion de cette aventure épique...
— Épique ? répéta Mishi d'un ton sarcastique. Il ne s'est rien produit encore !
— Ça t'ennuie ?
— Oui !
Leerian lui tira la langue ; Mishi fit la grimace. Danayelle rangea la carte dans son sac et s'avança sur le chemin de terre battue, sortant définitivement de la forêt. Elle observait le petit village au loin. Aucune route ne semblait y mener ; il fallait passer à travers les buissons et les hautes herbes. Au moins trois-cents mètres l'en séparaient encore.
Sans attendre les deux autres qui se lançaient des grimaces en se bousculant comme des enfants, Danayelle s'élança vers Yglas. En la remarquant s'éloigner, Mishi courut pour la rattraper. Et Leerian courut à son tour pour rattraper Mishi. Il s'arrêta à mi-chemin et se retourna vers Celeyste, réalisant soudain que c'était la première fois de sa vie qu'il quittait la forêt. Il avait le cœur lourd, mais se ressaisit rapidement. J'y serai de retour en un rien de temps.
Puis il se remit à courir derrière l'elfe et la sirène.
En quelques petites minutes, ils furent sortis des buissons, débouchant sur une autre route de terre battue. Ils étaient maintenant dans le village d'Yglas, au centre précis du pays de Nyirdall. Des maisons de bois simples s'alignaient des deux côtés du chemin. En les observant, Mishi se fit la réflexion que les portes semblaient toutes taillées pour des gens très grands ; elles devaient bien faire dans les quatre mètres. Quelle sorte de personnes pouvaient atteindre cette taille ? Pas les hommes, encore moins les sirènes. Les elfes pouvaient facilement dépasser les deux mètres... mais jamais quatre !
— C'est un village de quoi, au juste ? demanda-t-elle.
Elle n'eut pas à attendre de réponse ; l'un de ses habitants venait de sortir de sa maison. Il était gigantesque. Mais ce qui la frappa le plus, ce fut sa peau verte, son crâne chauve et les énormes défenses de sanglier, de chaque côté de sa gueule.
— Un troll ? s'exclama Leerian.
— Tu as peur ?
— Non ! Je suis juste étonné.
Mishi posa ses poings sur ses hanches et se tourna pour faire face à Leerian.
— Tu as eu peur de moi, et pas de cette... chose ?
— Les trolls n'ont pas la réputation d'être cannibales, se défendit aussitôt Leerian.
— À Stanmore, beaucoup de policiers sont en fait des trolls, signala Danayelle. Ils sont rapides et anormalement forts. C'est un peu leur superpouvoir.
— Anormalement fort ? répéta Leerian. Celui-là a déjà des bras gros comme mon corps en entier.
Le troll en question, à une vingtaine de mètres d'eux, les avait remarqués. Toujours sur son balcon, il observait les intrus avec circonspection. Ils étaient là, à discuter, depuis trop longtemps à son gout.
— Je peux vous aider ? cria-t-il dans leur direction.
Les trois voyageurs s'arrêtèrent de comploter pour se retourner vers l'habitant du village. Danayelle s'avança au-devant de leur groupe et cria à son tour :
— Il parait qu'un mage se cache ici. On le cherche !
Le troll plissa ses petits yeux porcins. Il détaillait chacun d'entre eux ; il avait remarqué tout de suite qu'il avait affaire à deux elfes et une sirène. Mais c'était surtout Danayelle qui l'intéressait. Car, oui, il connaissait son nom et savait parfaitement qu'elle allait bientôt se pointer. Ce qu'il ignorait, en revanche, était qu'elle serait accompagnée. Il devait donc se la jouer plus finement que prévu.
Il descendit les marches de son balcon et s'avança de quelques mètres vers le groupe.
— Ah, le mage... bonne chance si vous réussissez à le faire sortir de chez lui. J'espère que vous avez une excellente raison de le chercher.
— Oh, oui ! fit Danayelle, confiante. Vous pourriez nous indiquer où il habite, s'il vous plait ?
— Bien sûr. Continuez tout droit pendant une minute ou deux, dit-il en pointant le doigt en direction de la route qui s'étendait derrière lui. C'est la seule maison avec un toit rouge, vous ne pourrez pas la manquer.
— Merci beaucoup, monsieur !
Accompagné d'un signe de main et d'un sourire poli, Danayelle se remit en marche. Mishi et Leerian la suivirent sans discuter, et tous deux levèrent les yeux vers le troll au moment de passer près de lui. Ils n'avaient jamais rencontré ces créatures avant aujourd'hui, et celui-là était plus impressionnant encore que ce qu'il s'était imaginé. Il était si grand que Leerian atteignait tout juste le début de son ventre, et sa peau verte semblait sèche comme s'il souffrait d'un eczéma extrême, lui rappelant les plaques de sable dans le désert. Il était chauve et, comme dernier détail, Leerian remarqua même que ses yeux brillaient d'une lueur rouge... aussi rouge que les siens quand il devenait loup-garou.
Leerian frissonna, parcouru d'un mauvais pressentiment. Il s'efforça de le cacher, mais Mishi l'avait vu, lui lançant un regard de côté. Normalement, elle se serait gentiment moquée. Mais elle n'était pas plus à l'aise que lui, même si elle préférait mourir que de l'avouer.
Danayelle, menant la marche, ne se doutait de rien. Elle était confiante, sautillant de joie à l'avance. Elle allait bientôt trouver la pierre magique tant convoitée ! Bientôt, elle serait la maitresse de sa télékinésie, ce ne serait plus l'inverse !
— Ah ! Ça y est ! s'exclama-t-elle en s'arrêtant devant la maison au toit rouge. Ce doit être ici.
Totalement focalisée sur la petite habitation de bois, elle n'avait pas remarqué que d'autres trolls, au loin, les observaient. Leerian, lui, les avait vus. La nervosité lui donnait chaud ; le soleil au-dessus de sa tête, aveuglant et torride, ne l'aidait pas.
— Danayelle...
— Oui, bon, je sais ! l'interrompit-elle en se retournant pour faire face à ses compagnons. Je traine un peu. Mais laissez-moi une seconde pour savourer cette victoire... et surtout, il faut que je reste calme, ou ce magnifique toit rouge va probablement nous tomber dessus aussitôt que je serais entrée.
Elle prit plusieurs grandes inspirations, fit un sourire à Leerian, puis se tourna vers la maison et s'avança enfin. Leerian et Mishi échangèrent un regard, puis suivirent la blonde à l'intérieur de la cabane.
Il était difficile d'imaginer, pour Danayelle, qu'un mage habitait cette maison. C'était beaucoup trop simplet à son gout, trop petit, alors même qu'elle était construite aux dimensions des trolls. Ils étaient entrés directement dans une cuisinette ; quelques meubles le long des murs, une table au milieu. Une porte ouverte laissait apercevoir une seconde pièce avec un lit de paille. Et c'était à peu près tout.
— Allo ? Il y a quelqu'un ? dit Danayelle en regardant partout, sans trop oser s'aventurer dans la demeure d'un inconnu. Monsieur le mage ?
— Je crois qu'il n'y a personne, ici, fit Leerian.
— Ton mage est peut-être de sortie, ajouta Mishi.
Les murs tremblèrent sous la frustration montante de Danayelle. Elle serra les poings tout en s'efforçant de se ressaisir.
— Il est peut-être parti pisser, dit Leerian.
— Toujours plein de délicatesse, toi, fit Mishi avec une grimace.
— Quoi ? Les mages ne sont pas au-dessus des besoins primaires, pour ce que j'en sais.
Malgré la peur d'être impolie et de laisser une mauvaise première impression, Danayelle se risqua à s'aventurer dans la maison. Elle alla dans la pièce d'à côté alors que Mishi et Leerian restaient dans l'entrée. Leerian se retourna pour regarder dehors par la porte ouverte ; il aperçut plusieurs trolls qui les observaient en discutant entre eux. Ils chuchotaient en se couvrant la bouche ; Leerian était incapable de capter un seul mot de leur conversation. Mais il en était convaincu ; ils parlaient d'eux.
En moins d'une minute, Danayelle avait déjà fait le tour de la maison. Il n'y avait personne nulle part. Un verre sur l'un des comptoirs explosa quand elle passa à côté, mais elle garda la tête haute sans y prêter la moindre attention.
— OK, il n'est pas là. On reviendra plus tard, dit-elle d'une voix anormalement douce et posée. Ce n'est pas grave.
— Alors on peut partir d'ici ? demanda Leerian.
— Il n'y a rien qu'on peut faire de mieux pour l'instant...
Danayelle s'avança pour sortir de la maison en premier. Et dès qu'elle tourna le coin, disparaissant à la vue de Leerian, celui-ci l'entendit crier si fort qu'il en sursauta. Il courut jusqu'au balcon, Mishi sur ses talons. Danayelle était étendue au pied d'un troll, inconsciente. Ses cheveux blonds couvraient son visage.
— Que... pourquoi vous... bredouilla Leerian en levant un doigt vers son agresseur. Pourquoi...
Avant qu'il ne puisse faire une phrase un peu plus cohérente, un autre troll l'attrapa par les épaules et le plaqua contre lui, l'empêchant de bouger. Mishi eut droit au même sort une seconde plus tard.
L'un d'entre eux éclata d'un rire débile qui fit vibrer les oreilles sensibles de Leerian.
— Cette fille est dangereuse et on nous a chargé de la tuer, dit-il avec un grand sourire, exhibant ses défenses de sanglier. Alors c'est ce qu'on va faire !
Le troll s'avança jusqu'à Leerian et prit l'épée qui pendait à sa ceinture. Il observa la lame, impressionné, et la pointa vers Danayelle, étendue et impuissante sur le balcon de la petite maison.
Mishi sentait son cœur battre à toute vitesse. Elle qui souhaitait de l'aventure, elle ne s'était pas imaginé que les choses prendraient une tournure aussi dramatique.
— Non ! Arrêtez ! s'époumona Leerian tout en gigotant comme un vers en tentant d'échapper à la poigne du troll. Vous n'avez pas le droit !
Tous les trolls éclatèrent de rire à ses paroles. Celui qui avait l'épée la pointa vers Leerian, juste sous le menton. Il déglutit, s'efforçant d'ignorer l'argent qui, à deux centimètres de sa peau, le picotait désagréablement.
— Pourquoi on n'aurait pas le droit ? Tu te crois supérieur à celui qui nous a donné cet ordre ?
— Heu... je ne sais pas, marmonna Leerian, tremblant comme une feuille. Il vient de qui ?
— Ce n'est pas la question.
Le troll abaissa l'arme et se tourna à nouveau vers Danayelle. Il la prit par les cheveux et la souleva jusqu'à ce que ses pieds touchent à peine le sol. Celle-ci ouvrit des yeux vitreux en gémissant. Deux grosses larmes coulèrent sur ses joues.
Le troll posa l'épée contre la gorge de l'elfe. Un seul mouvement était nécessaire pour la tuer.
— Leerian, murmura Mishi à ses côtés. Prouve-leur que tu es... supérieur.
— Mais comment ? fit-il d'une petite voix aigüe.
— Dis la vérité.
Leerian inclina la tête, mais il avait compris ce qu'elle voulait dire. Comment les choses avaient-elles pu changer aussi rapidement ? Il n'y avait pas trente secondes, ils étaient tranquilles à chercher un mage... un mage qui, apparemment, n'avait jamais existé.
— Je vaux beaucoup plus que celui... celui ou celle qui vous a dit de la tuer, bredouilla Leerian. Parce que je suis... enfin, en quelque sorte... le roi de Celeyste.
Les cinq trolls qui les entouraient, y compris ceux qui se tenaient un peu plus loin, éclatèrent tous d'un énorme rire.
— C'est vrai, insista Leerian d'une voix qui montait atrocement dans les aigües. Je... je vous ordonne de nous lâcher ?
— Leerian, fit Mishi en s'efforçant de s'approcher de lui malgré le troll qui la tenait toujours solidement. Essaie au moins d'être un minimum convaincant. Montre-leur ta bague !
Leerian gémit en lui faisant des gros yeux. Donner le dernier cadeau de son père ? Risquer de le perdre à tout jamais ?
En avait-il le choix, de toute façon ? Celui qui retenait Danayelle par les cheveux, l'épée d'argent contre son cou, attendait patiemment que Leerian prouve, d'une manière ou d'une autre, qu'il disait la vérité. Même si c'était tout à fait invraisemblable, même s'il était prêt à accomplir un meurtre de sang froid en échange d'une jolie somme, le troll avait ses principes.
La bague de mes ancêtres, ou la vie d'une fille que je connais depuis deux jours et qui me tape sérieusement sur les nerfs ?
Il voulait choisir la bague. Il le voulait réellement. Mais malgré lui, Leerian plongea la main dans la poche de son pantalon, en ressortit le bijou en or serti d'une émeraude, et la leva à la vue de tous.
Aussitôt, les trolls arrêtèrent de rire en contemplant la pierre verte miroitant à la lumière du soleil comme une boule de feu dans le creux de sa paume. Même Danayelle, à moitié dans les vapes, eut un hoquet de stupéfaction.
— Et comment t'es-tu trouvé en possession d'un si magnifique objet ? demanda celui qui tenait Danayelle.
Il avait déjà abaissé l'épée.
— Mon père me l'a légué avant de mourir, murmura-t-il en détournant le regard.
Le troll pouffa à nouveau de rire. Il fut le seul, mais Leerian en fut tout de même profondément insulté. Il releva les yeux, d'où perçait une vive colère.
— Lâchez-la, maintenant.
Il lâcha Danayelle. Celle-ci s'écrasa lourdement au sol, s'aplatissant comme une crêpe aux pieds du géant vert.
— Relâchez-nous tous et laissez-nous repartir.
— Oh, ce ne sera pas aussi facile ! On vous a fait une si mauvaise impression... Roi Celeyste, ajouta le troll avec un sourire de travers. On va faire un grand diner, et vous êtes invités.
— Pas la peine...
— Vous êtes nos invités.
Comment contester quand un être qui faisait deux fois sa taille lui lançait un ordre ? Il pouvait bien rejouer la carte du roi autant qu'il le voulait, mais il était clair que le troll n'avait pas l'intention de les laisser filer aussi facilement.
Un autre troll prit Danayelle dans ses bras comme une poupée et l'entraina à nouveau à l'intérieur de la maison au toit rouge avant d'en ressortir. Ceux qui retenaient toujours Leerian et Mishi les poussèrent dans la même direction, et ils n'eurent pas d'autre choix que d'y entrer à leur tour. Aussitôt la porte passée, celle-ci se referma, les enfermant à l'intérieur.
Et cet étrange moment fut terminé aussi rapidement qu'il avait commencé. Danayelle était étendue à même le sol, ses yeux papillonnants faiblement. Un bleu apparaissait progressivement sur son front. Leerian était frustré ; les trolls n'avaient pas pris sa bague, mais ils avaient tout de même gardé l'épée. Et en plus, il avait été obligé d'assumer, ne serait-ce qu'un peu, son ascendance qui lui faisait si honte.
Et il y avait Mishi, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés depuis déjà un bon petit moment, enfermé dans ses pensées. Elle avait écouté Leerian se proclamer roi ; elle croyait qu'il mentait, qu'il exagérait les faits. Mais elle avait rapidement compris qu'il disait la pure vérité, et ce qui l'avait choquée là-dedans, c'était en réalisant qu'il était orphelin. Bien sûr, Leerian n'avait jamais affirmé que ses parents étaient en vie, mais il n'avait jamais dit qu'ils étaient morts non plus. Et depuis combien de temps, surtout ? Était-il seul depuis autant d'années ?
— Leerian...
Celui-ci se retourna soudain vers Mishi. Son expression de colère fut aussitôt remplacée par l'inquiétude alors qu'il prenait son amie par les épaules.
— Mishi, bon sang, je suis désolé. J'ai eu peur, je suis... égoïste. Je ne pensais plus du tout à toi ! Est-ce qu'il t'a fait mal ?
Mishi sourit tendrement alors que l'elfe tâtait ses bras, repoussant ses longues mèches de cheveux noirs à la recherche de bleus.
— Tu t'en fais pour moi alors que Danayelle est à peine consciente derrière toi ? C'est du favoritisme, monsieur le roi.
Leerian lâcha aussitôt Mishi, grimaçant au titre qu'il venait de se prendre à la figure. Le prénom de Danayelle lui était passé loin au-dessus de la tête.
— Ne... Non. Ne m'appelle pas comme ça...
— Mais tu n'es pas un prince, pas vrai ?
Leerian détourna le regard en soupirant. Il alla s'asseoir près de Danayelle, qui se frottait le visage de ses paumes.
— Ça va, toi ?
— J'ai l'air d'aller bien ? marmonna-t-elle faiblement.
— Tu vois combien de doigts ? fit Mishi en s'approchant à son tour, levant deux doigts devant ses yeux.
— Euh...
Mishi abaissa la main. C'était clair pour tout le monde ; Danayelle n'était pas en état de tenter quoi que ce soit.
— Reste allongé, soupira Leerian. Et essaie de m'expliquer pourquoi quelqu'un aurait engagé les trolls pour te tuer.
— Mais je n'en ai pas la moindre idée... C'est le professeur qui m'a dit de venir ici. Il n'aurait jamais fait une chose pareille...
— Tu crois ?
La simple question refila la chair de poule à Danayelle. En grimaçant, elle se redressa et s'appuya contre le mur derrière elle. Elle s'efforçait de réfléchir, mais le coup qu'elle s'était pris sur la tête lui avait ramolli le cerveau.
— Peu importe si c'est lui ou non, et pourquoi, dit Mishi. Les trolls lui ont désobéi, grâce à Leerian.
Celui-ci baissa les yeux, la honte lui nouant la gorge. Remarquant son malaise, Mishi préféra tourner la conversation dans une autre direction.
— Dans le fond, ce n'est pas vraiment grave. Prends seulement le temps de t'en remettre un peu, Danayelle, et il te suffira d'exploser un mur de cette maison pour qu'on puisse tous s'enfuir !
Danayelle pouffa d'un petit rire acerbe.
— Tu crois que c'est si facile ? On ne serait pas dans cette situation si j'étais capable d'exploser un mur à la demande. Je peux toujours essayer, mais les possibilités que j'explose la maison tout entière, y compris les gens qui sont dedans, sont plutôt élevées.
— Je vote contre, répondit aussitôt Leerian. De toute façon, les trolls n'ont plus l'intention de la tuer ; sinon, ils l'auraient déjà fait. Il nous suffira d'aller à... à leur diner, si c'est ce qu'ils souhaitent. Ils nous laisseront repartir ensuite.
— Tu crois ? fit Mishi d'un ton dur.
— Je l'espère. Je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus, pour l'instant...
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