Chapitre 3
Mishi était aux anges, sautillant de joie tout en guidant son nouveau compagnon jusqu'à chez elle. Elle était autant heureuse de s'être fait un ami – son tout premier, tout de même ! – que celui-ci soit un elfe. Même si c'était les êtres les plus communs du pays, se reproduisant aussi surement que des lapins, il était le premier que Mishi rencontrait. Plus aucun ne vivait dans les forêts, ou du moins, ils étaient très rares. Et celui-ci semblait être un solitaire.
La tête basse et les mains dans les poches de ses vêtements faits d'un mélange de toile et de feuilles étrange, il trainait derrière, toute son attention à ne pas écraser les fleurs sur son chemin. Ses longues oreilles s'agitaient aux moindres bruits, mais en dehors de ce détail, il paraissait totalement désintéressé de son environnement.
Mishi en savait peut-être très peu sur les elfes, mais elle était prête à affirmer que celui-là était bizarre. Il avait bien surgi de nulle part alors qu'elle nageait paisiblement dans le même lac qu'elle avait connu toute sa vie. D'où est-ce qu'il venait ? Était-il dans la région depuis tout ce temps ? Elle avait hâte de poser des questions, mais préférait ne pas le brusquer.
— Nous sommes presque arrivés, dit Mishi en se retournant vers l'elfe, marchant à reculons. Tu vas voir, c'est assez modeste... mais cozy.
Leerian leva ses yeux d'or vers elle, sans rien répondre. Il se contentait de la fixer d'un air un peu vide.
C'est à croire que son corps est inhabité, pensa soudain la sirène, parcourue d'un frisson. Est-ce que c'est moi qui le rends comme ça ?
— Plus qu'une petite minute, ajouta Mishi.
Il hocha la tête et baissa à nouveau les yeux. Mishi soupira, puis se remit à marcher droite.
C'est définitif. Il a une case en moins.
Elle était maintenant trop curieuse. Il fallait qu'elle pose au moins une question. Tant pis si elle le faisait fuir ; elle commençait à avoir envie de s'éloigner de lui, elle aussi.
— Alors, Leerian... Tu viens souvent par ici ?
— Non.
Non. Quelle réponse parfaitement développée !
— T'es en voyage, du coup ?
— Non... On m'a dit d'aller au sud.
— Ah ? Tu connais des gens ? D'autres elfes ? Ta famille ?
— Une pixie. Elle m'a dit...
Mishi tourna la tête dans sa direction, attendant la suite. Leerian s'était interrompu, mais il souriait maintenant. Un tout petit rictus, mais c'était déjà beaucoup mieux que ses airs marabouts qui ne semblaient plus le quitter.
— Qu'est-ce qu'elle a dit ?
Leerian prit une grande inspiration. Il n'avait pas l'habitude de se confier ; même s'il le voulait, il n'y avait que les pixies qui savaient toujours tout. Et de toute façon, elles se foutaient un peu de lui. Mais à quoi bon mentir, maintenant que le sujet était lancé ?
— Elle m'a dit que je trouverais quelque chose qui me remonterait le moral.
Les joues de l'elfe prirent aussitôt une teinte bien rouge. Il avait honte, c'était plus fort que lui, mais en même temps, il aimait bien avoir la possibilité de parler à quelqu'un. Même si Mishi n'en avait pas l'impression, Leerian était, comparé à ses humeurs maussades habituelles, d'une forme olympique.
Mishi préféra ne pas mentionner que, à ses yeux, il avait une tête de déterré. Elle ne pouvait pas savoir que c'était en partie la faute des retombées de la pleine lune de la veille, en partie sa vie de solitaire qui perdurait depuis plus de cinq ans.
— Oh, regarde ! dit-elle soudain, heureuse de changer de sujet. Nous sommes arrivés.
Leerian s'arrêta de marcher une fois aux côtés de la sirène. Devant eux, un chalet de rondin, semblant immense comparé à la cabane de Leerian, se dressait entre les arbres et les buissons. Il y avait même un perron bordé de fleur et deux rockingchairs en son centre. Un grand puits de pierre était un peu plus loin, et un lac artificiel de cinq mètres d'envergure était visible au loin.
— Je t'avais dit, fit Mishi. C'est très modeste.
— Tu rigoles ? C'est magnifique ! Seulement...
Mishi leva les yeux vers son nouvel ami, le cœur gros. Seulement, oui, c'est vraiment très, très modeste.
— Quoi ? dit-elle dans un grognement.
— Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi une sirène vit dans une forêt.
Mishi soupira. Je ne pourrais pas lui cacher la vérité encore longtemps, de toute façon... Mais c'est sûr, il va s'enfuir.
— Assied-toi, je vais te le dire...
Elle montra les rockingchairs, mais Leerian se laissa tomber dans l'herbe, les jambes repliées sous lui. Mishi esquissa un sourire avant d'imiter sa posture. Elle s'installa en face de lui et, par précaution pour éviter qu'il ne parte en hurlant, lui prit les mains et les serra fort entre les siennes.
— C'est à cause de mon père. C'est... enfin, lui, c'est pas une sirène.
— Je m'en doute, rigola Leerian.
Le rire lui avait échappé. Il en resta même surpris. C'était tellement rare qu'il était joyeux au point d'en rire. La dernière fois, ses parents étaient encore en vie.
— Évidemment que tu t'en doutes, fit Mishi. Ça n'existe pas, des sirènes mâles. Ce que je veux dire, c'est que... la race de mon père...
— Hé, je ne suis pas un raciste, l'interrompit Leerian, outré de l'accusation. Il n'y a que les hommes qui sont assez cons pour l'être.
Mishi baissa les yeux. Leerian écarquilla les siens, ses pupilles de chat se rétrécissant en deux fentes verticales.
— Ton père est un homme ?
Mishi n'eut pas à répondre ; son silence parlait pour elle.
La bonne humeur de Leerian s'évapora aussitôt. Il se souvenait de ses parents, lui racontant des histoires avant de se coucher. Son père lui répétait souvent celle de la guerre entre les elfes et les hommes ; ceux-ci, frustrés de ne pas être la race dominante, s'étaient mis à tuer des elfes dans le seul but d'en diminuer la population. Ils avaient même presque réussi à tous les exterminer, jusqu'à ce que les djinns n'entrent dans le jeu. Ceux-ci, des êtres aux pouvoirs sans limites, avaient créé un univers parallèle et y avaient envoyé tous les hommes et leurs familles qui avaient pris part à ce carnage. Ils en avaient épargné quelques-uns – pourquoi, impossible de savoir ; les djinns avaient leurs propres logiques étranges – et ceux-ci se cachaient maintenant des elfes et autres humanoïdes.
Ça expliquait parfaitement pourquoi Mishi vivait au milieu de nulle part. Elle habitait avec son père.
— S'il te plait, laisse-lui une chance, dit Mishi. Je t'assure qu'il est très gentil.
Leerian ne répondit rien ; il sauta sur ses pieds et prit ses jambes à son coup.
— Leerian ! l'appela Mishi, en désespoir. S'il te plait !
Mishi sentit les larmes lui monter aux yeux. C'était qui, le raciste, maintenant ? Leerian avait fui alors qu'il n'avait encore jamais rencontré son père.
Et il avait bien été prêt à fuir quand il avait vu Mishi pour la première fois, aussi. Peur des hommes, et peur des sirènes. Moi qui croyais les elfes forts et courageux. Je suis vraiment tombé sur le plus nul de la bande !
En sept secondes exactement, Leerian avait déjà parcouru les cent mètres. Il s'arrêta et se cacha derrière un arbre, son cœur pompant à toute vitesse. Lui aussi, il sentait les larmes sur le point de déborder. Cette pixie m'a mené tout droit vers un meurtrier ! Est-ce qu'il va me traquer s'il sait maintenant que j'existe ? Est-ce que je dois fuir, quitter la forêt ?
Leerian baissa la tête, pouffa d'un petit rire aigu, puis leva les yeux vers les oiseaux dans le ciel. Mishi doit vraiment me prendre pour un nul.
Pendant un instant, il avait presque réussi à oublier qu'entre lui et un homme, c'était lui, le plus dangereux. Parce qu'il était bien plus qu'un elfe ; une nuit sur trente, il devenait un loup-garou. En fin de compte, mourir serait un soulagement. Pourquoi je fuis comme ça ? S'il veut me tuer, qu'il le fasse.
Au loin, Mishi se leva enfin. Leerian avait fui comme une fusée ; il avait disparu alors qu'elle avait à peine eu le temps de bouger. Elle savait n'avoir aucune chance de le rattraper, les elfes étaient les êtres les plus rapides du pays. Et les sirènes, bien plus agiles dans l'eau que sur terre, étaient probablement les plus lentes. Elle regarda dans la direction qu'il avait prise, puis baissa les yeux et s'avança vers sa maison.
Elle n'avait fait que deux pas quand un bruit soudain la fit sursauter. Elle se retourna à nouveau et un petit cri aigu lui échappa, étonnée de voir Leerian tout juste derrière elle, les mains dans le dos et la tête basse. Il était revenu aussi vite qu'il était parti.
— Je suis désolé d'avoir eu peur. C'était méchant et idiot de ma part.
Mishi en fut tellement heureuse qu'elle le serra dans ses bras. Leerian demeura figé, les bras ballants et les sourcils en l'air.
— Alors tu es d'accord pour rencontrer mon père ?
— Ouais, s'il... ouais. Oui, je le suis.
Il ne semblait pas très convaincu, mais Mishi sauta sur sa chance. Elle le prit par la main et l'entraina vers la maison. Leerian se laissa faire, son cœur se remettant à battre douloureusement fort sous la peur qui montait. Je vais peut-être mourir aujourd'hui. Ce seront les cerfs autour de chez moi qui seront contents.
Mishi poussa la porte de bois et passa la première, trainant un Leerian qui s'efforçait de dompter sa panique.
— Papa ? T'es là ?
Alors que Mishi cherchait son parent des yeux, Leerian l'avait déjà repéré avec ses grandes oreilles. Il entendait un bruit très agaçant, lui rappelant un couteau contre une planche, ainsi qu'autre chose, un son plus.... Mouillé. Il n'avait pas hâte de découvrir de quoi il s'agissait.
Mishi lui fit traverser le petit salon, contenant un canapé et une bibliothèque de livre. Son regard accrocha le cadre sur le mur, représentant la carte du pays de Nyirdall. Il n'eut le temps que de reconnaitre la forêt Celeyste – sa forêt – que Mishi l'entrainait déjà vers la pièce suivante ; la cuisine. Il y découvrit rapidement l'origine du bruit de couteau ; un homme était là, envoyant de grands coups de lame contre les morceaux de viande rouge et sanglante. Il portait un tablier couvert d'éclaboussures, il en avait même un peu sur le visage, et ses mains en étaient pleines.
Leerian avait horreur du sang. Il en était totalement dégouté – encore plus qu'il savait trop bien le gout atroce qu'il avait. L'elfe eut à nouveau envie de s'enfuir, mais en reculant, il ne put que s'aplatir contre le mur derrière lui en glapissant. Mishi resserra sa main contre la sienne et se mit devant lui.
— Papa, range ton couteau, s'il te plait.
L'homme tourna les yeux vers eux. Leerian, son cœur battant atrocement dans sa poitrine, se cacha derrière la sirène. Son corps s'inondait de sueur tellement il était angoissé.
— Hey, petite, dit-il avec un sourire tendre. Tout va bien ? Qui est derrière toi ?
— Range ton couteau, papa, répéta Mishi, qui sentait la main de Leerian trembler dans la sienne. Tu lui fais peur.
Son père sembla enfin comprendre la situation. Leerian était bien caché derrière sa fille, mais il apercevait tout de même ses cheveux argentés et l'une de ses oreilles pointues. Un elfe.
Il s'empressa de poser la lame dans l'évier et de retirer son tablier. Puis il se scotcha un sourire sur le visage, s'efforçant de paraître le plus inoffensif possible. La tête de Leerian dépassa enfin derrière l'épaule de Mishi, observant l'homme avec autant de curiosité que d'appréhension. Il avait des cheveux bruns, des yeux bleus, une barbe broussailleuse... et des oreilles rondes et courtes. Rien que des couleurs et des formes improbables pour un elfe.
— Papa, je te présente Leerian, dit Mishi avec une voix douce. Leerian, c'est mon père, Adan.
— Bonjour, Leerian, fit Adan en lui tendant sa main.
Leerian baissa le regard vers la main en question. Elle était couverte de sang. Adan la cacha derrière son dos en remarquant les lèvres de l'elfe se mettre à trembler.
— Dis bonjour, l'encouragea Mishi.
Leerian ouvrit la bouche, déglutit, la referma. Il ne s'était pas imaginé que ce serait si difficile.
Je suis ridicule ! se répétait-il en boucle, mais il était incapable de faire mieux. Il était terrorisé.
Adan s'éloigna et alla s'asseoir à l'une des chaises de la table, au centre de la pièce. Il croyait qu'être assis mettrait l'elfe en confiance ; s'il voulait attaquer, Leerian aurait le temps de fuir. Il n'en avait pas du tout l'intention, mais Leerian semblait convaincu du contraire.
— Je l'ai rencontré au lac, dit Mishi, qui commençait à angoisser elle aussi. Et je l'ai invité à la maison.
Elle eut envie d'ajouter quelque chose, mais se ravisa. La situation était déjà assez tendue comme ça. Mishi ne s'était pas imaginé que Leerian aurait peur à ce point de son père.
— Tu n'as aucune crainte à avoir, Leerian. Comme ma fille vient de le dire ; tu es notre invité.
Cela réconforta Leerian. Il ne savait pas pourquoi exactement, mais ça lui avait fait du bien à entendre. Il fit un pas de côté pour s'éloigner de sa cachette derrière Mishi, un seul, mais c'était déjà un début.
— Bon... bonjour, dit-il enfin, avec un peu de retard.
— Bonjour, répéta Adan en riant. Viens là, assieds-toi.
Leerian s'avança avec une infinie lenteur. Son cœur battait toujours à une cadence folle, il avait peur qu'il lui ressorte par la gorge. Mais il devait le faire, il devait s'asseoir à la même table qu'un homme. Simplement parce qu'il avait sa fierté.
Je peux le faire, je peux le faire, je peux le faire !
Leerian attrapa une chaise, la tira vers lui, posa ses fesses dessus. Il prit une grande inspiration, leva les yeux vers Adan en face de lui qui souriait gentiment, et les baissa à nouveau vers ses genoux.
Wow, quel courage, pensa Mishi avec sarcasme, désolée du spectacle. C'est définitivement l'elfe le plus nul qui puisse exister.
— Bon, c'est juste ça, dit Mishi. Je voulais seulement que vous vous rencontriez... Et te demander, papa, d'ajouter un peu de verdure au repas. Les elfes ne mangent pas de viande.
Leerian hocha vigoureusement la tête. Rien que savoir que de la chair d'animal mort trainait quelque part dans la même pièce que lui le répugnait.
Surtout, ça le rappelait cruellement qu'il avait tué un cerf la nuit derrière.
— C'est bon, Leerian, on va arrêter le supplice maintenant. Tu peux me suivre.
Leerian ne se fit pas prier, bondissant de sa chaise à une telle vitesse que celle-ci partit en arrière. Leerian se retourna aussitôt et l'attrapa avant qu'elle ne tombe et la remit en position, le tout en moins de deux secondes.
— Un elfe maladroit, on aura tout vu, fit Adan en riant. Attends, Leerian. Avant que tu ne repartes, je voudrais te parler. Tu peux l'attendre dehors, Mishi ?
Celle-ci observa tour à tour son père et son nouvel ami. Le premier semblait toujours aussi gentil et patient, alors que l'autre lui lançait un regard désespéré, signifiant clairement : « ne me laisse pas seul avec lui ! »
Elle avait confiance en tous les deux ; Adan était inoffensif, et Leerian, pour le peu qu'elle connaissait de lui, était du genre à s'enfuir plutôt qu'à attaquer. Personne ne risquait rien.
— D'accord... Je suis juste à côté.
Elle fit un sourire tendre pour Leerian, mais son cœur se contracta douloureusement en remarquant qu'il s'était remis à trembler. Il reculait à nouveau vers le mur.
Mishi baissa la tête et sortit de la maison. Elle alla s'asseoir dans l'un des rockingchairs du balcon, les coudes sur les genoux, et observa la nature autour d'elle. Au départ, elle avait été tellement heureuse de rencontrer un elfe... mais elle avait vraiment tiré la courte paille avec celui-là. Elle cherchait un compagnon d'aventure pour quitter cette forêt ; Leerian avait peur de tout ce qu'il croisait.
Décidément, ce ne sont pas toutes les légendes qui sont véridiques, chez les elfes...
Dans la cuisine, Leerian faisait exactement ce que Mishi s'imaginait ; il angoissait. Se retrouver seul avec un homme n'avait pas du tout été dans ses plans. Il avait pensé à passer la journée de la même manière que chacune de celle de ces cinq dernières années – sauf les soirs de pleine lune - ; à marcher tranquillement dans la forêt, grignoter les baies qu'il trouvait et discuter de n'importe quoi avec les pixies. Et retourner se coucher dans sa petite cabane en bois pour mieux s'y remettre le lendemain.
Il n'était pas préparé psychologiquement à faire quelque chose de sa vie.
— N'aie pas peur, Leerian, commença Adan. Je veux juste parler d'homme à... à elfe. Rien de méchant. Je veux seulement savoir qui fréquente ma fille.
— On se connait depuis trente-cinq minutes, monsieur, fit Leerian en regardant partout, sauf le père de Mishi. On ne se fréquente pas.
— Non, bien sûr. Mais je prends mes précautions.
— Vous allez me menacer pour que je ne lui fasse pas de mal ? Ce n'est pas la peine. Je peux partir tout de suite...
— Non, Leerian ! s'exclama Adan, incapable de s'empêcher d'éclater de rire. Au contraire ; ma fille a besoin d'amis... et ils se font rares dans la région. Je suis heureux qu'elle t'ait trouvé.
Leerian hocha la tête. Une question lui brûlait les lèvres, mais il avait peur qu'elle soit malpolie. Et il avait envie de tout, sauf d'attiser la colère de l'homme.
Adan, pourtant, savait parfaitement à quoi il pensait. Il soupira et s'installa plus confortablement dans sa chaise.
— Tu te demandes pourquoi je prive ma fille d'une vie normale en la forçant à vivre recluse dans une si vaste forêt ? Détrompe-toi, je ne la force en rien. Je suis conscient qu'un jour, elle voudra voir le monde, nager dans l'océan et, je ne sais pas, devenir actrice à Stanmore, peut-être ? Je veux qu'elle ait la vie qu'elle a toujours voulue. Et elle l'a dit plusieurs fois ; elle veut partir, elle n'en a simplement pas le courage. Pas seule, en tout cas. Je serais bien allé avec elle, mais les hommes sont rarement acceptés... toi, tu étais prêt à fuir. Mais d'autres m'auraient attaqué sans scrupule. Et comment leur en vouloir ? Mes ancêtres ont presque décimé ta race, il y a plus de mille ans. Notre monde en porte encore les cicatrices.
Leerian baissa les yeux. Évidemment qu'il connaissait l'histoire. Les hommes avaient pris d'assaut la forêt Celeyste de tous les côtés. C'était pourquoi, aujourd'hui, plus aucun elfe n'y habitait... sauf lui.
— C'est logique...
— Oui, c'est logique. Mishi va donc probablement essayer de t'entrainer avec elle dans une aventure quelconque.
— Mais je ne veux pas quitter ma forêt, se défendit aussitôt Leerian.
— Est-ce qu'on va te forcer ? Bien sûr que non ! Alors, calme-toi.
Leerian obéit ; du moins, il s'y efforça. Mais son cœur battait toujours à toute vitesse.
— C'est tout ce que je voulais te dire, pour que tu saches dans quoi tu t'embarques. Tu peux retourner voir Mishi, maintenant. Et peu importe ta décision, reste gentil avec elle, d'accord ?
— D'accord...
Et Leerian sortit de la cuisine en un coup de vent qui ébouriffa les cheveux d'Adan. Celui-ci pouffa en se recoiffant. Il avait ce discours tout prêt pour le grand jour où Mishi se ferait enfin un ami ; il s'était tout de même attendu à tomber sur quelqu'un avec un peu plus de courage.
Je n'ai absolument aucun souci à me faire. Celui-là ne voudra jamais quitter Celeyste.
Dehors, Mishi en était venu à la même conclusion. Adieu, mes rêves de partir loin. Elle repensait aux histoires que lui racontait parfois sa mère sur leurs vastes pays, avant qu'elle ne meure prématurément. Elle en avait fait le tour, elle avait pratiquement tout vu. Elle avait rencontré son père lors de l'un de ses nombreux voyages, ils étaient rapidement tombés amoureux, et ils s'étaient cachés dans la forêt pour vivre leur petite vie tranquillement. Et Mishi en payait les frais.
— Salut.
Mishi sursauta en levant la tête. Leerian était à côté d'elle, comme apparu de nulle part. Pour une fois, c'est lui qui m'a fait peur.
— Ouah, je savais les elfes rapides, mais pas à ce point. Ou tu t'es carrément téléporté ?
— Non, fit Leerian avec un petit sourire. Juste rapide. Je n'ai aucun don.
Rien qu'une malédiction.
— Sinon, ça s'est bien passé, avec mon père ?
— Oui. Il n'a pas tenté de me tuer...
Mishi l'interrompit en pouffant de rire. Leerian fit la moue, insulté. Il continua, d'une voix plus forte :
— Il m'a dit que tu cherchais un compagnon pour quitter Celeyste. Et que tu vas essayer de me convaincre de partir avec toi.
Mishi fronça les sourcils. C'était la première fois que Leerian prenait un ton dur, presque méchant, et elle n'aimait pas ça. Elle se leva de sa chaise, se mettant face à son ami. Mishi était grande pour une sirène, et Leerian petit pour un elfe. Résultat, ils étaient tous les deux de la même taille, alors qu'ils se regardaient droit dans les yeux.
— Je n'ai pas l'intention de te convaincre de quoi que ce soit ! Je voulais juste te faire la proposition gentiment. Et de toute façon, c'est perdu d'avance. Tu es beaucoup trop peureux pour affronter le monde.
Leerian n'avait rien à répondre, parce qu'il le savait ; elle avait raison. Il n'avait pas envie de quitter la forêt, premièrement parce que c'était chez lui, deuxièmement parce qu'il avait effectivement peur. Mais pas pour lui ; pour les gens qu'il croiserait un soir de pleine lune.
— Elle arrive quand, la puberté chez les elfes ? Parce que ce serait pas du luxe que tu te fasses pousser une paire de couilles.
— Et toi, alors ? s'énerva Leerian en serrant les poings. C'est toi qui veux partir et qui n'en as pas le courage. Je n'ai rien à voir là-dedans !
Mishi lâcha un long soupir et s'assit à nouveau dans son rockingchair, s'avouant vaincue. Ils avaient raison tous les deux ; aucun n'avait plus de bravoure que l'autre.
— Très bien, fit Mishi à regret. Abandonnons le sujet. On reste amis ?
— Je sais pas. Tu viens d'insulter mes organes génitaux.
Mishi pouffa de rire, incapable de garder son sérieux. Leerian souriait aussi, même s'il s'efforçait de s'en empêcher. C'était plus fort que lui ; il aimait bien Mishi. Elle était la première amie qu'il n'avait jamais eue.
— Restons amis, se reprit Leerian. Ou plutôt ; devenons-le.
— Oui... Devenons amis.
L'elfe et sa sirène se serrèrent la main. Cette amitié avait drôlement commencé, et il était certain qu'elle allait drôlement continuer...
(Mishi en photo)
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