Numinomachie XXIV
Le choc fut frontal et violent. Les troupes Draconistes, dans un hurlement sauvages, se jetèrent à l'assaut dès qu'elles entraperçurent les premières lignes de l'alliance hétéroclite qui les attendait d'un pied ferme. Et, pour la première fois, Kiine put les observer avec attention.
Ils étaient, pour la plupart, assez petits et épais, comme s'ils n'avaient jamais pu grandir comme le faisaient les petits guerriers de la Taigad'Odin. Mais, en dehors de cela, il ne semblaient pas si différents des habitants de ladite Taiga. Les guerriers portaient des armures hétéroclites, mélanges de bandes de cuir, de parties en acier, de jambières en bronze et, chez rare d'entre eux, des plastrons en fer. Leur cheveux étaient, en général, gardé courts, au contraire des Nordiques, mais ils portaient de longues barbes ébouriffées, dans lesquelles luisaient des gouttes de peinture de guerre qu'ils s'étaient étalé sur le visage. Quand à leurs yeux, ils étaient emplis de rage, de haine, qui semblait tout aussi profonde que celle des guerriers qui les attendaient, bien campés dans la vallée. Les haches vibraient dans l'air du jour, un vent puissant portait leur cris de guerre et le hurlement des cornes de guerre. C'était une charge violente, haineuse, de guerriers dont, pour beaucoup, ce devait être la première vraie, n'ayant combattu jusqu'ici que des tribus vidés de leur défenseurs.
Mais surtout, ils n'avaient jamais vu de Miniens de leur vie. Et les Dieux savent que, face à leurs formations, il est des choses à ne jamais faire. Charger droit dans le mur de lances et de bouclier qu'ils présentent, par exemple, ce que les premières vagues draconistes firent.
La première ligne vint s'empaler sur la formation Minienne, guidée par le rouge des longues capes des Minekorpiens, dont la froide efficacité parsemait les effectifs adverse. Cependant, bientôt, les lances se brisèrent sous la violence de l'impact, les boucliers se tordirent, les défenseurs chutèrent. Les Draconistes étaient peut être moins expérimentés, mais ils étaient hargneux.
Et nombreux. Très nombreux.
Une deuxième vague vint s'écraser sur les lances de moins en moins nombreuses des Miniens. Puis une troisième. Le sang giclait en première lignes, les cadavres s'accumulaient tout comme la poussière, flottant paresseusement au creux des Rives Blanches dans lesquelles le vent avait fini par se coucher. Les hoplites étaient épuisés, leur lourde armure ne leur permettant pas de se battre longtemps. Ils tentaient de profiter du peu de repos avant une nouvelle vague, et de leur position défensive qui leur permettait de rester immobiles. Pourtant, il était évident que la première ligne ne résisterait pas à la quatrième vague.
Les cheffes et les généraux hurlaient leurs ordres. Les troupes se déplaçaient dans un grand désordre pour y obéir, et chacun gardait un coin d'oeil rivé sur le ciel, dans lequel les grandes ailes noires du Dragon obscurcissaient régulièrement la lumière du soleil. Chacun savait que, quel que soit le sort de la bataille, il basculerait soudain dès l'instant où le monstre entrerait en jeu. Il fallait seulement que l'alliance soit avantagée lorsque cela arriverait.
Le monstre observait d'un oeil paresseux les mouvements de troupe des Nordiques et des Miniens. Il ne pouvait pas rater les groupes Odinien qui, discrètement, empruntait les chemins rocheux afin de contourner la grande armée Draconiste et la prendre à revers lorsqu'elle aurait engagé le vrai combat. Il sembla pourtant ne pas le prendre en compte, continuant à planer paresseusement dans le ciel de la Taiga d'Odin.
Kiine et Yuriana, revêtues de leur armure, attendaient toujours, proches des premières lignes. Elles savaient que les maîtres draconistes entreraient en jeu dès la première ligne percée, et comptaient bien ne pas laisser les leur à la merci des utilisateurs de mantra. Cependant, elles n'oubliaient pas leur rôle tout particulier dans la bataille. Elles surveillaient le grand dragon, et les pierres dressées sous lesquelles se trouvaient leur troupes. Il suffisait d'y attirer le Dragon... et d'espérer. Esperer que les monolithes tiendraient leur promesse, espérer qu'Actée maîtrise son pouvoir et celui des Reliques, espérer qu'avec cette aide, Kiine parviendrait tout de même à terrasser le Tyran Ailé. Beaucoup de choses reposaient sur l'espoir. Peut être trop pour que ce combat puisse être victorieux.
Les paroles du Logophage sembler résonner dans l'air, telle la menace sous jacente que chacun craignait. « Nous sommes à la fin d'une ère... »
Kiine refusait que ce soit le retour d'une ancienne. Alors, elle resserra sa prise sur son épée, et laissa exploser son mantra. Le Dragon cherchait un adversaire digne de le combattre? Elle allait se montrer à la hauteur des attentes placées en elle.
Mais surtout, elle allait venger tous ceux qui étaient tombés. Elle allait venger sa mère. Sa colère sourde résonnait dans le mantra par pulsations marquées, froides, violentes, terribles. Yuriana posa une main rassurante sur l'épaule de Kiine, mais celle ci l'en retira.
-La bataille n'est pas finie. Murmura-t-elle. Tu n'as plus besoin de me contenir, Yu. Aujourd'hui, toute la pression que j'ai accumulé doit se relâcher pour détruire mes ennemis. Nos ennemis.
-Je sais. Répondit la guerrière d'elle, dont le casque gravé d'un corbeau laissait glisser sa longue natte dans son dos. J'ai simplement peur que cela te détruise par la même occasion.
Kiine sourit.
-Je t'ai fait une promesse. Je la tiendrait. Mon honneur en dépend.
-Kiine... tu avais raison, c'est plus compliqué que je ne le pensais d'ignorer ces sentiments.
-Je sais.
À l'intensité du mantra de Kiine, s'ajouta alors celui de Yuriana, cascadant en vagues immenses sur tout le champ de bataille, inondant de sa puissance les environs. Les maîtres à proximité frémirent en le sentant. Les arbres ancestraux se plièrent en réaction. Et le Dragon bifurqua pour piquer vers les armées Nordiques. Son regard chercha au milieu de ces armées l'origine de ce mantra, la source de ce défi qui, il le savait, lui était lancé. Il dut les repérer, car, rasant la forêt d'armes levées dans sa direction en gestes désespérés pour se prémunir contre ce piqué , le Dragon remonta dans les cieux en poussant un rugissement terrible qui fit trembler, à son tour, les vallées des Rives Blanches. Son mantra brûlant et magmatique se déversa à la rencontre de ce défi, et, comme en réponse à l'injonction de leur maître, les troupes draconistes se jetèrent à l'assaut.
Toutes.
Une marée noire de corps humains se jeta à l'assaut de la vallée, hurlant, courant à perdre haleine, rugissant en réponse à leur maître, à l'assaut des premières lignes ennemies. Comme on l'attendait, la muraille Minienne craqua.
La mort et le chaos s'emparèrent alors des Rives Blanches.
***
-Actée?
-Oui, Elpa?
-Le Dragon semblait pouvoir sentir les Reliques à très grande distance... les maîtres draconistes le pourrons aussi. Ne risquent-ils pas de venir nous attaquer ici, quand ils attaqueront?
Actée leva un oeil vers les imposants monolithes, qui étaient comme d'immense pilier soutenant le lointain ciel nocturne.
-Non. Ce cercle a de nombreuses propriétés mystérieuses, dont celle d'étouffer le mantra de ce qui s'y trouve, lorsqu'il est activé. Et, pour s'activer, il a besoin de la puissance de Reliques. Plus il reçoit de Reliques, plus il est puissant... mais cette puissance est effrayante.
-Comment cela?
-Eh bien... ce cercle permet de rediriger la puissance des Reliques pour attaquer ou se défendre. Malgré leur puissance, toutes les Reliques n'ont pas d'utilité combative. La Couveuse, par exemple, permet de créer la vie, mais ne sert nullement à combattre. Le Cercle change cela. Il absorbe la puissance de la Relique et la confie à l'utilisateur du Cercle...
-Celui ci... ne reçoit-il pas trop de puissance? Demanda alors Elpa. Le pouvoir combiné de plusieurs Reliques... y a-t-il des corps assez puissants pour y résister?
-Il le faudra. Murmura simplement Actée pour toute réponse. Il y a des précédents.
-Mais tu ne sais pas si tu y arriveras! S'écria Elpa.
-J'y arriverai. J'ai communié avec les Reliques. J'ai étudié le fonctionnement du Cercle. Et j'ai... l'habitude de côtoyer des Reliques.
Un silence tomba. Elpa ne disait rien, mais Actée savait ce qu'elle pensait.
-Tu m'en veux toujours de vous avoir caché mon passé... dit-elle d'une voix attendrie.
Elpa détourna le regard.
-Tu m'as longtemps considérée comme une intruse. Continua-t-elle. Une étrangère qui lui volait ta mère, une sorcière qui avait chassé ton père.
-C'est faux!
-Pourtant, tu n'aurais pas tort... qu'est ce qui te dit que, si je n'avais pas été là, Kynareth serait encore en vie?
Elpa resta silencieuse, avant de dire.
-J'ai vu. Finit-elle par dire. J'ai vu les horreurs de Brocéliande. Les monstres surgis de l'imagination dérangée des Rois de la Nuit. Les humains modifiés par leurs expérimentations. Les spectres hurlant de ceux qui n'y avaient pas survécu. J'ai tout vu.
Elle fixa longuement Actée, qui soutint son regard.
-Tu as participé à ces horreurs. Pire, tu les as menées en tant que Reine. Pourtant... tu as été la seule à réaliser que ce que tu faisais n'était pas bien. Tu as détruit le danger que représentait crépuscule. Tu as été déchirée par la séparation avec ta Relique. Tu as cherché un moyen de te faire pardonner et, même si tu n'es pas parvenue à accomplir cette quête, tu es tombée... sur nous. Tu n'as pas remplacé Père, comme j'ai pu te le reprocher avant. C'est lui qui t'as amenée. C'est lui qui s'est estompé en te laissant derrière lui comme un vulgaire présent d'excuse. Tu as pris sa place, oui, mais uniquement parce qu'il n'était pas capable de l'assumer. Tu t'es occupée de nous. Tu t'es occupée de Maman. Ce que tu as pu être ou faire par le passé ne changera jamais ça. Et ceci... en est la preuve.
Elpa sortit sa hache, et en apprécia le manche dans lequel se mêlait le bois et l'acier, elle admira la magnifique lame ciselée, et elle fit refléter la lumière opaline de la lune sur son tranchant.
-Kynactis. Celle qui m'a sauvée la vie tant de fois. L'arme qui représente votre lien, votre amour, et celui que vous portez pour nous. Et ça... ça n'a pas de prix. Je ne t'en veux pas, Actée, même si j'avoue avoir du mal à me faire à l'idée de ton passé et de ton âge. Je suis surtout inquiète.
Le silence retomba sur la corniche. Actée s'assis au centre du Cercle des Pierres Dressées.
-Ils arrivent, pas vrai? Demanda-t-elle.
Elpa acquiesça.
-Je les sens. Murmura-t-elle. Ils attaqueront demain.
-Alors, reposons nous. Il nous faudra être prête à tout demain matin.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro