Numinomachie XX
Elpa s'aplatit sur l'encolure de son cheval, espérant ne pas avoir été repérée, et dit signe à sa soeur d'en faire autant - bien que cela soit sans doute peu utile: les Reliques émettaient bien trop puissamment pour passer inaperçues à cette distance.
Mais Kiine ne réagit pas à l'injonction de sa soeur. Elle restait immobile, comme indécise. L'une des silhouette se leva. Elle était entre les nouvelles venues et le feu, et ses traits restaient donc plongés dans une obscurité opaque. Pourtant, Kiine mit pied à terre. Elle semblait hésitante, perdue, et cela se ressentit dans les irrégularités soudaines de son mantra d'ordinaire si calme. Elpa y perçut une avalanche d'émotions si variées qu'elle ne put en comprendre le sens, et leur intensité était telle qu'elle cilla. La puissance de sa soeur savait perturber la maîtrise d'Elpa, elle en faisait autant même pour Actée, et Kiine n'avait aucun contrôle là dessus, Elpa le savait bien. Pourtant, cette vague d'émotions pures qui traversa la guerrière eut l'effet d'une avalanche sur ses sens. Une avalanche où se mêlaient la chaleur du bonheur à la froideur de la rancoeur, et l'acidité d'une colère éteinte ayant laissé place au regret et à la tristesse... mais il y avait autre chose, dont Elpa ne parvenait pas à saisir la nature bien qu'elle l'ait déjà si souvent ressenti chez Actée, Kynareth, ou d'autres... noyée au milieu de toutes ces émotions, qu'Elpa savait si bien percevoir, la guerrière ressenti ce mélange chaleureux qu'elle n'avait jamais su nommer... elle compris cependant qu'elle ne se trouvait pas face à des ennemis.
Kiine s'élança en courant de la petite colline sur laquelle les trois chevaux attendaient sagement, broutant l'herbe sans prêter attention aux évènements, et la silhouette près du feu, toujours cachée dans la pénombre de la nuit, s'avança dans sa direction d'un pas rapide et fier. Les deux silhouette couraient chacune à la rencontre l'une de l'autre, et le bouillonnement de leurs mantras se mélangèrent, le rendant d'autant plus confus. La distance les séparant semblaient condamnée par le destin lui même à être réduite au néant, comme une fatalité inévitable... qui advint inévitablement lorsque Kiine se jeta dans les bras de Yuriana. Cette dernière amortit le choc en la faisant tournoyer et, tout en riant, la reposa sur le sol. Mais les bras de la fille de Kynareth restèrent solidement entouré autour du buste de son amie. La Guerrière d'Hel était prise de court. Avec sa maladresse habituelle, elle tenta de se défaire de cette emprise, avant de se faire rabrouer par une boule d'énergie aux cheveux blanc. Elles rirent ensemble, et leur rire cristallin sembla faire s'évaporer la misère du monde. Le silence pesant qui s'était abattu sur la plaine et la Taiga toute proche se leva. Le crépitement du feu sembla plus fort, le hululement d'une chouette retentit au loin, tandis que les crissements des rongeurs dans les hautes herbes et les buissons retentit.
Elpa descendit la colline d'un pas mesuré, tirant les trois chevaux par la bride, et les deux compagnons de voyage de Yuriana se précipitèrent pour l'amener près de feu et coucher le corps affaibli d'Actée auprès de ses crépitements. Elpa s'approcha ensuite du duo qui ricanait bêtement sans se lâcher, ignorant le regard gêné des deux guerriers, ou celui intrigué des imposants Fenrir qui somnolaient derrière leur maîtres.
-Yuriana. Appela Elpa, poussant celle ci à se défaire un peu brutalement de l'emprise de Kiine.
-Guerrière Elpa. Lui répondit la Guerrière d'Hel sur un ton très formel.
-Tu peux laisser tomber les formalités, je t'en prie, nous avons le même âge, et tu es au moins cent fois plus expérimentée que moi. Soupira Elpa.
-Cent fois? Plutôt mille... grimaça Kiine en glissant une main sur l'épaule de Yuriana. Tu verrai comme elle se bat! Je n'ai encore jamais réussi à la battre... mais ça viendra!
-Tu rêves. Gloussa Yuriana.
Elpa leva un sourcil. Elle n'avait vu la Guerrière d'Hel qu'à quelques courtes reprises durant le festival d'Himlen, mais, dans ses souvenirs, elle n'était pas du genre à glousser ainsi. Plutôt le type taciturne et pas très causant, ce qui, à beaucoup d'égards, ressemblait au caractère d'Elpa. Cette dernière soupira avant de continuer.
-Je n'en doute pas un instant, mais je suis fatiguée et je préférerai que tu me le montre une autre fois. Pour le moment, ce qui m'importe surtout, c'est...
D'un simple regard, Elpa et Yuriana se comprirent. Bien que gênée par Kiine s'appuyant sur son épaule et jouant avec des mèches de ses cheveux lâches, Yuriana parla.
-Nous ne pouvons compter sur aucun soutiens des deux camps. Exposa-t-elle, sans parvenir à cacher la timidité que lui faisait ressentir le toucher de son amie.
Cette dernière s'arrêta en entendant les mots de la guerrière brune. Elpa poussa un soupire qui se voulait exaspéré.
-Je n'en attendais pas moins d'Odin, mais j'aurais espéré une once de bon sens de la part de Père. Grogna-t-elle. Eh bien! Tant pis, nous ferons sans eux. Mais j'ose espérer qu'ils ne conterons pas sur notre aide quand tout cela sera fini. Bon, je vais le coucher, nous devons partir tôt demain et il est déjà tard. Je vois que vous avez pas mal de choses à vous dire, alors je vous laisse, mais ne veillez pas trop. Vous prenez le premier quart de garde.
La soeur de Kiine s'éloigna sans rien ajouter, et Yuriana ne put s'empêcher de la fixer longuement.
-Qu'est ce qu'il y a? Demanda Kiine.
-Hm? Oh, rien.
-Si, je vois bien qu'il y a quelque chose. C'est quoi? Dis moi. Alleeeeez...
-C'est bon, c'est bon... je trouve simplement qu'elle... a bien peu réagi en apprenant qu'Orgnar ne viendrait pas. Même toi, tu t'es figée.
-Elle n'est pas très honnête avec ses émotions... murmura Kiine. Je peux te garantir qu'elle bouillonne à l'intérieur.
-Et... toi? Est-ce que... euh... tu bouillonne à l'intérieur?
-Moi? J'imagine que je suis surtout attristée de voir que Père...
-Je ne parlais pas de ça.
Le regard de Yuriana était fuyant. Kiine comprit immédiatement où elle en venait, et détourna elle aussi le regard.
-Oh... eh bien... tu... bouillonnais beaucoup la dernière fois que nous nous sommes vues, toi aussi. Fit-elle remarquer.
-J'avais de plutôt bonne raison. Grommela Yuriana.
-Moi aussi, je te signale! S'exclama Kiine, outrée.
-Moins fort! Soupira Yuriana.
-Tu arrêtes de me parler du jour au lendemain, comme ça, simplement parce que je t'ai fait part de ma gêne quand à ton obsession de tout vouloir savoir à mon sujet!
-Me faire part? Tu m'as crié dessus sans prendre un instant en compte ce que je ressentais! Se défendit Yuriana.
-Parce que tu as pris en compte ce que, moi, je ressentais, peut être?
-Non. Fit froidement Yuriana. Je pensais que nous étions sans secret l'une pour l'autre, mais visiblement ce n'était pas le cas.
Le ton de Yuriana blessa Kiine, et la jeune fille repensa à leur séparation. Elle avait été soudaine, brutale, et emplie de colère et de ressentiment, le même qui rejaillissait à présent qu'elles étaient à nouveau confrontées. Pourtant... pendant toute leur séparation, Kiine avait pensé et repensé à toute cette histoire. Elle en voulait à son amie, bien sûr, mais cela ne l'avait pourtant pas ôtée de son esprit. Au contraire... elle avait imaginé mille scenarios pour leur retrouvailles, et avait simplement réalisé... à quel point elle lui manquait. Et elle ne voulait plus être en colère contre elle, elle voulait que cette querelle stupide s'achève. Mais leurs egos s'entrechoquaient, entraient en collision, et aucune n'avait la maturité de se calmer la première... Yuriana l'aurait sans doute eue avec quiconque d'autre. Mais, comme elle lui avait déjà dit, pas avec Kiine. Avec elle, elle ne se sentait pas enfermée. Et elle ne se sentait donc pas obligée de ravaler son ego, bien au contraire.
Kiine décida de tenter de se contrôler. Pour une fois. Et parce qu'après tout, elle avait vraiment réfléchi à tout cela. Et que reprendre au même point que deux semaines auparavant n'avait aucun sens.
-Tu pensais que nous n'avions pas de secret l'une pour l'autre, je pensais que tu me faisais pleinement confiance... c'est ainsi, Yuriana. Ça ne sert a rien de ressasser nos propres erreurs.
Yuriana, prête à repartir en criant, sembla stoppée par le soudain changement de ton de Kiine, qui en profita pour s'asseoir sur l'herbe humide.
-Tu sais... continua-t-elle tandis que Yuriana s'assit. Je t'en aurai parlé dans tous les cas. De ce qu'Actée m'a révélé sur la mort de ma mère...
Yuriana ne répondit pas, mais baissa les yeux en s'asseillant à côté de son amie.
-J'étais juste... terriblement... je me sentais mal, voilà. Le récit d'Actée était... très précis. Je... j'étais triste, en colère, je me sentais inutile... j'avais besoin de passer ma colère sur quelque chose, et... je crois que je t'ai aussi tenue pour responsable. J'ai pensé que si j'avais été à ses côtés, j'aurais pu faire quelque chose pour la sauver. Si je n'étais pas venue dans la Taiga d'Hel, si...
-Si tu ne m'avais pas rencontrée. Conclut Yuriana, d'une voix blanche.
Ce fut au tour de Kiine de ne pas répondre. Un long silence passa. Ce fut Yuriana qui reprit.
-Ne te fâche pas, mais... si tu avais été là bas... sur le plateau, ou à la tribu... tu n'aurai rien pu faire. Pire, tu aurai... probablement été... été...
La Guerrière d'Hel ne parvint pas à terminer sa phrase qui se noya dans sa gorge, et un frisson la parcourut. Kiine sourit.
-Tu es vraiment toujours en train de t'inquiéter pour moi, Yu... même au sujet des choses qui n'ont pas eu lieu.
La jeune guerrière releva les yeux vers la voute céleste, parcourue de quelques nuages, avant de reprendre.
-Mais oui... tu as raison. Si j'avais été à la bataille, j'aurai rejoins Död. Comme tous les autres. J'en ai bien conscience, maintenant. Mais à ce moment là... j'ai laissé les émotions l'emporter. Je... j'ai craqué. J'ai tout mis sur ton dos.
Yuriana sourit.
-J'ai bien vu. Et je t'en ai voulu pour ça. Mais j'ai réfléchi. J'ai beaucoup réfléchi. Et j'ai réalisé que... tu avais raison sur un point. Je me suis comportée comme une enfant. Je... j'ai toujours tout fait pour faire en sorte que tu tienne le coup malgré tout ce qui arrivait, pour que tu ne craques pas, justement. Et quand tu as commencé à craqué, au lieu d'être compréhensive, j'ai rendu les coups... j'ai fais passer mon ego avant ton bien être, avant... avant ce que tu ressentais. J'en ai pris conscience, et pourtant... pourtant je t'en voulais toujours. Et je me voulais de t'en vouloir. Alors, j'ai fui. Je t'ai dir des choses horribles. Je voulais que tu m'en veuilles, toi aussi. C'était... stupide.
Yuriana soupira. Kiine remarqua alors à quelle point la guerrière avait l'air épuisée. Ses beaux yeux sombres étaient soulignés par d'importantes cernes, sa peau était légèrement fripée, et ses yeux semblaient parfois fixer le vide.
-Laisse moi deviner... sourit Kiine. Tu t'es fait un sang d'encre à ce sujet pendant deux semaines. Et tu n'as pas pu t'empêcher de penser à où je me trouvais. Je me trompe?
-Bien sûr! S'indigna Yuriana. J'étais en mission, je n'avais pas la tête à ça.
Kiine fixa son amie dans les yeux, et celles ci soutint son regard un moment. Avant de s'avouer vaincue dans un soupir.
-D'accord, tu as raison... avoua-t-elle. J'avais l'impression d'être rongée de l'intérieur... quand j'ai appris quel genre d'endroit était cette Bibliothèque, qu'on parlait de soulèvements au Mines... j'y pensais tout le temps, c'étzit terrible! Je me suis maudite mille fois, en me disant que j'aurai dû y aller avec toi au lieu de jouer les diplomates!
Kiine décida de passer pour l'instant sous silence sa visite à Brocéliande, sa rencontre avec un Crépusculaire, sa visite dans un ancien temple du Chaos et sa fuite poursuivie par les Draconistes, avec un dragon en prime. Elle n'était pas sûre que Yuriana y survivrait.
-Tu as joué les diplomates sur un terrain en guerre civile. Fit remarquer Kiine. Tout ça aurait pu aussi mal tourner pour toi.
-Tu... t'es inquiétée pour moi?
-Pas... vraiment... avoua Kiine, un peu gênée. Dans mon esprit, même si un dragon se mettait sur ton chemin, tu en sortirai sans égratignures... mais tu m'as manqué, Yu. Beaucoup. Trop. Bien plus que ce à quoi je m'attendais.
Yuriana sourit.
-Ta confiance en moi semble absolue, mais je n'ai pas cette force, tu le sais. J'ai eu quelques bonnes frayeurs dans la Taiga d'Odin.
-Et moi, je ne suis pas si faible que ça. Nous avons dû faire un détour par Brocéliande, après tout...
Kiine s'attendait à tout, mais Yuriana se contenta de pousser un soupir légèrement tremblant.
-Je m'en suis doutée en vous voyant revenir avec ces Reliques... je crois que je te sous-estime un peu trop.
-Ça ne me déplais pas tant que ça... avoua Kiine. Savoir que tu pense à moi, que tu t'inquiètes, que tu seras toujours là pour me protéger et couvrir mes arrières... ça me fait... vraiment plaisir. Quoi que j'ai pu dire à ce moment. Tu es tellement forte, et tellement douce avec moi. Je me sens en sécurité quand tu es là.
-Moi aussi... avoua Yuriana. C'est... étrange. Quand tu pars, je passe mon temps à imaginer qu'il t'es arrivé des horreurs. Mais quand tu es là, je me sens apaisée. J'ai l'impression d'avoir un endroit où retourner... c'est même pour ça que j'ai décidé d'attendre que vous passiez ici. bizarre, non?
-Bizarre, oui... sourit Kiine avec un air détaché, mais son coeur venait de faire un bon dans sa poitrine.
Elle avait appris beaucoup pendant ce cour voyage. Sur les habitants de l'empire, sur le passé du monde, sur les horreurs de ce passé. Sur Actée, Elpa, mais surtout sur son corps, et sur elle même. Et il lui semblât que toutes ces nouvelles expériences l'aidaient à comprendre... qu'elles la guidaient vers une inévitable conclusion dont elle avait jusqu'ici ignoré la nature. Kiine se tourna pour observer le profil de Yuriana.
La guerrière fixait les étoiles debses yeux sombres, dans lesquelles celles ci se reflétaient, faisant briller son regard de mille feu, couronné par ses magnifiques long cils noirs. Son nez aquilin se découpait avec perfection sur le fond du ciel nocturne, ses lèvres charnues relevées en un léger sourire apaisé. Ses longs cheveux noirs comme le geais, parfaitement lisse, ondulaient dans le vent léger en provenance du sud. Ses bras entouraient ses genoux dans une position qui semblait si innocente et douce, mais également si vulnérable... Kiine savait qu'elle était la seule à jamais pouvoir observer un tel spectacle. Une oeuvre qui s'imprima au plus profond de son esprit, une beauté spectaculaire que la nuit sublimait.
Alors, elle comprit.
-Yu.
-Hm?
-Je vais te montrer un truc que m'a appris une amie à Mines-sous-pont.
Les yeux emplis d'étoiles se tournèrent vers Kiine pour plonger leur profond regard dans le sien.
D'une main, Kiine fit glisser un mèche rebelle de son amie derrière son oreille. Puis, avec douceur, elle vint déposer un doux baiser sur ses lèvres.
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