Numinomachie VIII
L'atmosphère électrique n'échappa à personne lors du Conseil des Cheffes, le lendemain matin. Yuriana n'adressa pas un regard à Kiine, et se contenta de s'adresser à elle en utilisant des formules honorifiques et un registre formel saillant mal à la proximité bien connue de tous des deux femmes. Brandir un panneau où il serait écrit « nous nous sommes disputées » serait moins clair que ces simples indices comportementaux qui n'échappèrent évidemment à personne. Pire; l'humeur délétère des deux femmes se répandit comme un feu de forêt, leur grande puissance influençant largement l'humeur déjà échauffée des cheffes de clan suite à l'annonce qui venait d'être faite.
-Hors de question. Non. Certainement pas. Jamais de la vie je ne mettrai un seul pied dans cette foutue bibliothèque. Eructa Barida, cheffe de la tribu d'Njor.
-Personne ne t'as demandé d'y mettre les pieds. Fit remarquer Machika. Nous devons simplement y escorter Kiine et Actée.
-Mais enfin, doyenne! S'exclama Torunvis, cheffe de la tribu d'Erlengard. Tu sais aussi bien que nous que c'est un endroit maudit par le Chaos! Les érudits des mines peuvent bien dire ce qu'ils veulent, cet endroit abrite le mal.
-Et pourquoi devrions nous écouter les conseille de cette nymphe, une étrangère? Revint à la charge Barida. Nous sommes déjà bien loin de la Taiga d'Hel, nous sommes venus combattre les draconistes et retrouver nos maîtres, ainsi que donner une leçon à cette parvenue de Freya! Et maintenant, tu nous dis que nous devons bifurquer vers le sud, en territoire hostile des mines, pour aller consulter une bibliothèque? Nous ne sommes pas des foutus rats de librairie!
Une clameur accueillit les mots de la cheffe, preuve que son point de vue n'était clairement pas limité à elle seule. Elle bomba le torse, faisant ressortir ainsi son imposante poitrine enserrée comme possible au creux d'une armure de cuir lui ceignant les épaules, tandis que son visage bovin et cruel affichait un air satisfait.
-Cheffe Barida...
La voix calme de Yuriana se fit pourtant entendre par dessus le brouhaha qui régnait dans la tente, et attira l'attention de toutes. Il était rare qu'elle prenne la parole d'elle même, sans que son avis soi demandé, mais le ton particulier de la Guerrière d'Hel prévenait que la suite ne serait pas qu'une petite opposition sur un détail. Telle la mer se retirant au devant d'un ras de marée, la voix posée de Yuriana était électrique et recelait la menace que son énervement rendait palpable.
-Tiens tu à mener cette guerre toi même? Demanda Yuriana. Possède tu la moindre expérience en terme de chasse au dragon? Si tel est le cas, fais nous en part dans les plus brefs délais, et nous iront botter le cul aux draconistes avant de rentrer festoyer chez nous, là où tu pourra reprendre tes machinations afin de faire éliminer Machika. Sinon... eh bien, où crois qu'un tel savoir nous attende? Perché dans un arbre de la Taiga d'Odin, où nous la trouverons en chemin vers la bataille? Ou bien compte tu le sortir de ton cul sous nos yeux ébahis? Hein?
Un silence mortel retomba sous la tente. Visiblement, toutes les cheffes étaient choquées par les mots de Yuriana, et il en fallait beaucoup pour choquer des chefs nordique. Kiine posa un regard soutenu sur le visage de son amie, qui ne lui apporta pourtant pas la moindre attention, son air renfrogné encore plus marqué qu'à l'accoutumée.
-Bien! Reprit Machika, il me semble que la cheffe Barida ne possède pas d'information spécifiques à la chasse au dragon, et ne compte pas non plus nous faire contempler son fondement pour en trouver une. Il semble donc évident que nous devons nous rendre à Mines-sous-pont dans les plus brefs délais, et y trouver les informations dont nous avons besoin... bien qu'il me coûte de dire que cet endroit maudit puisse nous sauver la mise.
-Ô, Doyenne... demanda une voix qu'on avait encore point entendue, celle d'Arbjan, cheffe respectée de la tribu d'Ismir malgré son jeune âge. Pourquoi envoyer toutes nos troupes si loin au sud, quand un simple petit groupe suffirait et n'attirerait pas l'attention? Le temps presse, et il sera bien plus lent de faire avancer toute la colonne plutôt que de longer la Taiga d'Odin vers le nord comme nous le faisions jusqu'ici.
-C'est une bonne remarque. Dit Machika. La guerrière Kiine me l'a également faite avant le conseil, mais j'ai considéré que l'importance capitale de cette mission devait être prise en compte. Le temps presse, certes, mais il est important de ne pas séparer nos force et de venir peut être plus tard, mais mieux préparées, que de nous jeter dans la gueule du loup.
-Permets moi d'afficher mon désaccord. Insista la jeune cheffe. La situation dans les cités des mines n'est pas bien claire, et nous ne savons pas quel accueil il y sera fait d'une armée de Nordiques approchant de leur murs... ce serait peut être les prémices d'une bataille dont nous n'avons pas besoin.
-Nous ne sommes pas des suppots de l'Empire de Balta! Cracha Torunvis, tout en faisant se balancer ses longues nattes rousses.
-Ça, ils n'en auront rien à faire. Répondit simplement Arbjan. Tout comme il ne nous semble aucune différence entre des Miniens de Mines-sous-ponts, Peretikes ou Minakolphis, les habitants de la cité n'ont certainement pas connaissance de la différence entre Nordique d'Hel ou d'Odin. Pour eux, un Nordique est un Nordique, et c'est avant tout un envahisseur. Il me semble plus intelligent de mettre en oeuvre tout ce dont nous sommes capable pour augmenter nos chances de victoire, plutôt que de concentrer toutes nos forces sur une unique mission qui pourrait tout aussi bien s'avérer inutile...
-Que propose tu, dans ce cas? Demanda Machika.
-Je propose que la guerrière Kiine s'y rende seule en compagnie de sa nymphe de tutrice, car c'est d'elle qu'émane l'idée de cette mission. Quant au reste de nos troupes, il est temps que nous réfléchissions à les renforcer... seules, nous pouvons vaincre toute armée, mais privés de nos meilleurs maîtres et face à des dragons... il nous faudrait nouer des alliances.
-Un instant! S'exclama Kiine. Tout cela est bien beau, mais n'aurais tu pas oublier de mentionner la présence de Yuriana dans la mission qui me serait confiée? Elle est celle qui m'entraine, et...
-Et la principale voix diplomatique des Tribus d'Hel. La coupa Arbjan. Hors, il nous faut parlementer avec les forces en présence, et particulièrement avec les tribus de la Taiga d'Odin.
-Tu propose donc d'envoyer Yuriana en émissaire chez les deux camps qui se chamaillent pour la couronne, c'est cela? Demanda Machika.
Face à l'assentiment de la cheffe, Machika sembla réfléchir longuement, et un brouhaha commença à monter entre les cheffes. Finalement, la doyenne se tourna vers Yuriana.
-Qu'en pense-tu, Guerrière d'Hel?
Yuriana balaya l'assemblée d'un regard circulaire, et s'arrêta sur Kiine, une lueur de défi dans le regard.
-Je trouve cette idée excellente. J'irai voir les chefs des deux factions pour tenter de les ramener à la raison, ou tout du moins à notre cause.
-Mais... Yu, l'entrainement... protesta Kiine.
-Guerrière Kiine, il me semble pourtant que tu m'as très clairement indiqué en avoir assez que je m'insinue dans chaque aspect de ta vie, et tu as raison. Il n'est rien que je puisse t'apprendre que tu ne puisse apprendre seule, n'est ce pas? Alors ma présence à tes côtés est superflue, et j'ai d'autres obligations. Je pars immédiatement, et j'aimerai grandement que tu m'accompagne, Cheffe Arbjan, avec deux de tes meilleurs guerriers. Nous n'avons plus le temps d'attendre.
-Yuriana a bien résumé la situation, si l'on omet une certaine querelle insensée digne de gamines perdant leur dents de lait. Vociféra Machika. Allez, chacun sait ce qui lui reste à faire! Le temps n'est pas de notre côté.
En sortant de la tente, Kiine se précipita vers la partie du camp toute proche où était plantée la tente de Yuriana, qu'elle avait si souvent visitée durant les dernières semaines. Mais, comme annoncé durant le conseil, la Guerrière d'Hel avait déjà ensellé Torgal, son fidèle Fenrir, et n'attendait que ses compagnes pour prendre la route.
-Yu! L'interpella Kiine. Arrête cette folie, qu'est ce qui te prend?
-Je ne comprends pas ce que tu veux dire, Guerrière Kiine. Lui répondit froidement Yuriana. Je ne fais qu'appliquer ta propre demande: je place toute ma confiance en toi pour la réussite de ta mission. Et j'espère que tu en fais tout autant pour moi.
-Mais tu vas te rendre en plein territoire en guerre! Sans compter les draconistes qui rodent et dont on ne connait pas la position exacte! Et tu sais très bien qu'aucun des deux camps n'acceptera de nous aider, ils sont bien trop butés!
Yuriana se pencha alors de sa selle pour fixer Kiine dans les yeux, se tenant aux poils durs et longs du Loup Géant pour se maintenir sur lui.
-Voyons, Guerrière Kiine... je ne comprends pas pourquoi tu t'inquiètes. Tu devrais avoir plus confiance en moi, au lieu de tout garder pour toi.
Kiine se figea, et fronça profondément les sourcils. Les deux femmes se confrontèrent du regard pendant un long moment, si proche qu'elles auraient pu se toucher, su bouillonnantes de colère qu'on aurait pu les croire prêtes à se jeter à la gorge l'une de l'autre.
-Tu es une vraie enfant. Lâcha finalement Kiine. Et tu te comportes comme telle.
-Vraiment? Eh bien dans ce cas, nous sommes deux. Répondit Yuriana en détournant le regard.
Puis, sans un mot ni un regard de plus, elle engagea le pas au grand Fenrir blanc monté par Arbjan, accompagnée de deux grands guerriers montant leurs propres loups. Puis, sans plus de cérémonie, la petite délégation cria quelques ordre à leurs montures, et la meute s'élança dans la Taiga.
Pendant longtemps, Kiine resta immobile, comme figée au sol par une force surnaturelle, le regard fixé là où avait disparu la chevelure noire de Yuriana. Son esprit la maudissait de mille nom, reniait leur amitié jusqu'au premier jour, et pourtant, les seules paroles qui quittèrent ses lèvres furent:
« Reviens en vie... »
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