Numinomachie VII
Actée semblait différente. Son habituelle gentillesse, sa voix calme et rassurante, son inquiétude maternelle... tout cela semblait avoir disparu derrière un voile. Ses yeux semblaient opaques, flous, c'était comme si elle ne voyait plus, et pourtant, lorsque Kiine vint à son chevet, elle tourna son regard vers elle et lui fit un sourire vide. Le coeur de la jeune femme se serra plus fort que jamais... la peur l'étreignait, pire, la terreur, à l'idée de perdre la deuxième personne la plus chère à son coeur sans rien pouvoir faire... Actée semblait absente, comme perdue dans un autre monde, et ce qu'elle y voyait ne devait pas être plaisant... pour autant, elle ressentait ce qui se passait autour d'elle, et pouvait interagir avec le monde... Kiine se rattacha tout de même à l'espoir ténu de retrouver la femme qui l'avait élevée, celle qui avait su apporter douceur et tendresse dans un foyer déchiré et désabusé.
Cet espoir vola en éclat dès les premiers mots de la nymphe.
-Tue les, Kiine... tue les tous... jusqu'au dernier.
-Actée... grands dieux, Actée, ne me laisse pas, toi aussi... je t'en supplie, reviens à la raison.
-J'ai toute la tête, Kiine... et c'est moi qui te supplie de faire ce que mes pauvres mains ne sont plus en mesure d'accomplir. De mener cette croisade contre ces impies, ces sous-êtres dont les pauvres mères doivent se tordre de honte, où qu'elles se trouvent! Que... le peste, le choléra, la nucive les emporte! Que l'abysse les dévore, eux et toute leur descendance!
-Actée...
-Ne... me regarde pas comme ça, Kiine... ne me regarde plus... je ne peux pas le supporter.
Le silence tomba sur la tente. Seules, elles étaient comme isolées du reste du monde, comme si l'exterieur avait disparu à jamais pour laisser ce qui semblait rester de leur petite famille, exsangues, se livrer à d'infâmes machination à la lumière des bougies.
-Je suis... une nymphe de saule. Finit par dire Actée. De saule pleureur. Nous sommes réputées pour avoir des destins bien tragiques et, hélas, il semble que fuir ne m'ai pas permis de déroger à la règle... j'ai fait de nombreuses choses abjectes dans ma vie, Kiine, plus que tu ne peux l'imaginer. J'ai tenté de me faire pardonner, de me pardonner, de me punir, mais il semble que ma punition soit enfin tombée... ce devrait être naturel, alors pourquoi... c'est... c'est trop! C'est une punition beaucoup trop lourde, Kiine... et je sais que... que quoi que tu fasse, tu ne pourra pas la ramener pour autant... je sais... que tout est vain...
Les larmes inondant le visage de la nymphe étaient pourtant portés par un visage vide, dénué de toute expression sinon une de profonde lassitude et fatigue. Kiine ne put retenir les sienne, mais tenta de continuer à parler.
-Tu... as tout vu, Actée?
-Oui... tout... comme si j'étais avec elle. Comme si chaque coup qui perçait sa chair me blessait...
-Et Elpa... fit-elle d'une voix tremblante. Sais-tu si elle est sauve?
L'hésitation de la nymphe fut éloquente.
-... Ky... elle ne l'aurait jamais laissée participer à la bataille. Je... pense qu'elle a dû la faire fuir, mais...
La gorge nouée, Actée ne put se résigner à prononcer les mots qui lui brûlaient la gorge et hantaient ses pensées. Kiine saisit la main d'Actée.
-Ne t'inquiète pas, Actée... je les vengerai. Tous! Tous autant qu'ils sont, qui sont morts sous les coups de ces foutus fils de pute. Mais... j'ai... je suis désolée... j'ai... besoin de savoir. Ce qu'il s'est passé. Je peux attendre, bien sûr, mais...
-Non, n'attendons pas. Plus le temps passera, et moins vif sera ce souvenir dans ma mémoire qui tentera de l'occulter. Mais... auparavant... il nous faut aller voir quelqu'un, Kiine. Quelqu'un pour nous aider à vaincre les dragons.
-une... telle personne existe?
-Personne... j'ignore si l'on peut appeler cela une personne. J'aurai souhaité ne jamais avoir rencontré sa route, et ne jamais la recroiser... notre monde recèle de forces terribles et anciennes, Kiine, bien antérieures au dragons ou aux hommes. Mais ces forces savent.
-Peu importe avec quel diable je dois comploter pour acquérir plus de force! S'exclama Kiine, les visage toujours baigné de larme, mais désormais déformé par un atroce rictus de colère.
-Bien... alors... il nous faut nous rendre à Mine-sous-pont. Il existe là, en lisière de la forêt de Brocéliande, une vieille bâtisse que les anciens nomment la Bibliothèque, et les miniens la Kolpognosi... on dit que tout le savoir du monde y est entassé, pour qui a assez de temps pour le chercher au milieu des milliards de livres, parchemins, papyrus et stèles qu'elle renferme, et qui ne s'y perdrait pas pour ne jamais en trouver la sortie... ce que la légende oublie de raconter, évidemment, c'est le caractère peu... chaleureux de l'être qui la dirige.
Kiine acquiesça tout en séchant ses larmes, consciente pourtant que bientôt, de nouvelles viendraient inonder ses joues. Actée sembla s'installer plus confortablement, et ses yeux se perdirent dans le vague... elle prit une longue aspiration, semblable à celle d'un blessé lorsque la scie du chirurgien s'apprête à amputer l'un de ses membres. Puis, elle se lança dans le récit de la Bataille de la Tribu de Kynareth, sans omettre le moindre détail. Et, longtemps dans la nuit, les pleurs des deux femmes se mêlèrent.
***
Il faisait nuit noire. Bien haut, dans le firmament, luisaient les étoiles de la constellation d'Himlen. Perdue dans ses pensées, Yuriana observait les dessins imaginaires tracés dans le ciel par leurs ancêtres, et contant la victoire de la déesse sur les monstres primitifs, les Svörpen. Un bruissement attira son attention, mais elle fit mine de ne rien entendre. La Guerrière d'Hel avait ressenti l'arrivée de Kiine bien avant d'entendre le bruit de ses pas fouler les herbes sèches de cette région frontalière où l'acidité diminuante des sols de la Taiga laissait aux plantes une plus grande chance de se développer. Yuriana ne broncha pas non plus lorsque Kiine vint se coucher dans l'herbe à ses côtés, si proche d'elle que leur épaules étaient serrées l'une contre l'autre.
-Tu as parlé bien longtemps. Fit remarquer la Guerrière d'Hel.
-Je suis restée à son chevet jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Machika a dit que cela aiderait peut être à chasser mauvais rêves et esprits.
-Tu y crois?
-Pas vraiment...
-C'est compréhensible.
Un silence retomba. Yuriana reprit la parole.
-Et... de quoi avez vous parlé?
-Pourquoi devrai-je te dire ce que tu sais déjà? Tu as écouté toute notre conversation à l'extérieur de la tente, pas vrai?
Yuriana hésita à démentir, mais su que ce ne serait d'aucune utilité, et ne répondit donc pas.
-Sérieusement, Yu? Tu ne peux pas me laisser une seule seconde d'intimité avec ma mère? C'est si difficile? S'énerva Kiine.
-Je vous en ai laissé. Je suis partie quand elle a fini son récit, donc...
-Ne joues pas avec les mots! Je viens de te dire qu'après ça, je lui ai simplement tenu compagnie pour qu'elle s'endorme! Tu... tu... RHA!
La guerrière se saisit d'un caillou qu'elle projeta de toutes ses forces, et ce dernier disparu dans la noirceur de la nuit. Yuriana trouva l'énervement de son amie particulièrement mignon, mais elle ne lui avoua certainement pas.
-Je voulais t'éviter le supplice de devoir me répéter plus tard tout ce qu'elle t'a dit.
-Rien ne m'obligeai à te le répéter. Répondit froidement Kiine, désormais assise, et présentant seulement son dos plein d'herbe sèches à son amie. Tu ne peux juste pas t'empêcher de vouloir savoir le moindre détail concernant ma vie, c'est tout. Si tu avais eu la possibilité de la voir avant moi, je suis certaine que tu ne m'aurai pas raconté la moitié des choses que j'ai apprises par « peur pour moi ».
Yuriana ne dit rien, une nouvelle fois, simplement parce que Kiine avait vu juste, et que la Guerrière d'Hel avait réellement envisagé un moment cette possibilité.
-Réponds moi au lieu de fixer bêtement le ciel! S'énerva Kiine, en se retournant cette fois ci. Arrête de toujours fuir quand une discussion doit avoir lieu!
-Je ne veux pas me disputer avec toi... se défendit Yuriana.
-Tu ne veux jamais te disputer avec personne! Tu fais la dure à cuire, mais en ce qui concerne les mots et relations, c'est le néant. La faiblesse absolue.
Piquée au vif, Yuriana se releva d'un coup.
-Ne me parle pas de faiblesse alors que je te mets une raclée à chacun de nos entrainements. Lança-t-elle.
-Tu vois? Tout dans les poings, mais bien que dans les poings! Eh, pourquoi tu te lève? Ou vas-tu? J'en ai pas fini avec toi!
-J'étais inquiète, d'accord? Explosa Yuriana. Ça te va, tu es contente?
-Comment ça inquiète? Répondit Kiine, un peu prise de court par la soudaine éruption de son amie.
-Quoi « comment ça inquiète? »?? Tu ne te vois pas, Kiine? Tu ne te rends pas comptes à quel points tu as constamment l'air sur le point de craquer? Chaque matin je me réveille avec la peur de découvrir ta couche vide et un petit message m'indiquant que tu es partie prendre la tête des draconistes toute seule!
-J'ai promis de ne rien faire, Yu! Ta confiance en moi est donc si faible?
-Ça n'a rien à voir avec la confiance que j'ai en toi! Tu avais promis de ne rien faire tant qu'Actée n'était pas réveillée, et ce n'est plus le cas.
-Tu pensais que j'allais fuir comme une voleuse dès son réveil?? C'est ainsi que tu me perçois?
-Bien sûr que non, ne dis pas de sornette.
-Pourtant c'est ainsi que tu viens de me décrire! S'exclama Kiine.
-Je voulais en être sûre par moi même, c'est tout! Cria Yuriana, au comble de la colère au point que les ombres projetée par les étoiles semblaient se distordre autour d'elle.
-Et c'est bien le problème, Yu. Tu n'as aucune confiance en personne. Tu es tellement renfermée sur toi que tu ne fais confiance qu'à ton propre jugement. Es tu vraiment persuadée que tout le monde te mens tout le temps? Je pensais que tu avais dis que j'étais différente.
-Ça n'a rien à voir. J'ai parfaitement confiance en toi.
-Paroles. Tes actes en disent autrement.
-Très bien! Parfait! Eh bien puisque madame la baronne ne souhaite plus que je l'importune de ma modeste présence, qu'elle ne soit plus inquiétée: je ne l'embêterai plus! Nous verrons bien si mes inquiétudes ne sont qu'un « manque de confiance ».
-Arrête, Yu, c'est ridicule. Tu te comporte comme une enfant!
-Nous nous reverrons au conseil des cheffes, demain matin. J'ai ouïe dire que nous devions mettre le cap sur Mine-sous-pont d'urgence, mais peut être mes bonnes oreilles m'ont-elles trompées. Bonne nuit, Guerrière Kiine, fille d'Orgnar.
Cette ultime pique de la part de Yuriana montra à quel point elle connaissait Kiine, et à quel point elle avait voulu la blesser... car nulle personne plus que Yuriana savait à quelle point la jeune nordique haïssait qu'on la présente vis à vis de son père, et d'autant plus depuis que celui ci menait les troupes de Balta II au lieu de se consacrer au combat contre les draconistes... Kiine fut blessée par cet affront de la part de son amie au plus profond de son coeur, et, quand elle se recoucha dans l'herbe, bouillonnante de rage, elle regretta cependant la chaleur de la proximité de la guerrière d'Hel.
-Foutue tête de mûle... grommela-t-elle en plongeant ses yeux dans les étoiles, si lointaines.
Lui revint en tête une phrase imprimée au plus profond de son esprit. Elle entrouvrit les lèvres et la prononça, mais dans son esprit, la voix de sa mère se superposait à la sienne.
-Le danger vient toujours d'en haut... alors garde toujours les yeux rivés vers le ciel. Et si rien n'en descend pour tenter de prendre ta vie, alors seulement tu pourras contempler en paix la beauté du ciel étoilé que les Dieux nous ont offerts.
Une larme roula le long de sa joue, solitaire dans la fraicheur nocturne... peut être la dernière que ses yeux secs portaient encore.
-J'espère que tu es là haut, au milieu des étoiles, à chasser aux côtés d'Himlen, Maman... si tu n'y es pas, c'est que nulle personne au monde n'en est digne. Adieu... et merci.
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