-ACTÉE! S'écria Kiine en se jetant sur la nymphe qui venait de s'écrouler en se tenant le bras.

-Sommes nous attaqués? Hurla une guerrière dans la colonne de l'armée Helienne qui traversait les plaines des Mines vers la Taiga d'Odin.

-Je ne crois pas! Répondit Yuriana d'un ton impérieux. Mais une femme vient de s'écrouler sans raison apparente. Appelez des soigneurs!

Pendant que Yuriana donnait ses ordres, Kiine avait eut le temps de d'approcher du corps tressautant de sa mère de substitution.

-Hé... Hé, Actée, qu'est ce qu'il se passe! Tu as mal? Au bras?

Mais Actée n'était pas vraiment là. Perdue dans les affres de sa connexion profonde et intime avec Kynareth, elle avait l'impression de ressentir la bataille comme si elle s'y trouvait, entrevoyant la violence du combat par intermittence mais sans avoir l'adrénaline où le mantra pour la protéger de la douleur qu'elle partageait avec sa moitié.

-Elle est... blessée au bras... réussit-elle tout de même à murmurer, incapable cependant de se résoudre à se retirer de l'étrange transe dans laquelle elle était plongée.

-Qui est blessée au bras? De qui parles tu? Actée! S'égosilla Kiine en la secouant.

-Eh, Kiine, arrête! La retint Yuriana en la prenant par l'épaule.

-Mais... mais...

-Contrôle toi!

Kiine prit deux grandes inspirations pour se calmer, comme elle l'avait appris. Elle contempla le corps inerte d'Actée entourée de trois guérisseurs, les yeux vides, incapable de comprendre ce qu'il se passait.

-Mmh... laissez-moi voir ça. Allez, ouste, vous me gênez! Tempêta Machika en boitillant à travers la petite foule de quelques guerriers qui s'était formée.

Lentement, elle passa sa main sur le front de la Nymphe, et ses sourcils se froncèrent. Elle attarda ses yeux sur le corps inerte, et finit par laisser apparaître un sourire victorieux - et édenté - lorsqu'elle entraperçut le pendentif autour du cou d'Actée.

-Elle est en pleine transe de Connexion... sa perception est mélangée avec celle de son âme soeur, quelque soit la distance les séparant, et ce grâce à ce médaillon porteur de la puissance de leur lien. Et ce lien, elle l'a avec Kynareth

-C-Comment le sais-tu, Machika? Demanda Yuriana, qui ne pouvait s'empêcher de douter, connaissant le long passé caché de la Nymphe.

-Parce que c'est moi qui leur ai appris la forge de mantra, pardi! Mais ce genre de lien peut être dangereux, puisque les deux âmes partagent tous leur sens, y compris la douleur. Seul les utilisateurs de mantra les plus expérimentés peuvent se libérer d'une transe comme celle-ci, mais pas de soucis, je sais comment le faire. Je vais...

-Attendez! L'arrêta Kiine.

Elle tourna son regard vers le visage neutre et calme de la Nymphe.

-Si elle n'a pas rompu cette transe, c'est... probablement qu'elle ne le veut pas.

Le regard de Machika exprima très clairement qu'elle désapprouvait, mais elle n'insista pas.

-Comme tu veux, petite! Mais retiens bien ce qu'il va se passer. Dans tous les cas, ce sera un bon apprentissage pour toi. Ajouta-t-elle, lugubre.

La colonne se remit en marche, Kiine prenant garde à maintenir la Nymphe en équilibre sur son immense Fenrir. Pendant de longues minutes, son corps était totalement inerte. Puis, soudain, elle commença à pousser des gémissements de douleur, qui se transformèrent bientôt hurlements.

-Actée, réveilles-toi! Lui hurla Kiine, paniquée.

-Regarde! S'exclama Yuriana en montrant le bras de la Nymphe, qui semblait brûler de lui même.

Les hurlements d'Actée s'arrêtèrent soudain. La Nymphe avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour fournir à son amante le soutient dont elle était capable. Elle n'était même pas sûre que son amour l'ai remarqué, toute prise par la bataille qu'elle était, mais Actée prit sur elle toute la douleur qu'elle put afin d'ôter ce fardeau à Kynareth dans le combat dantesque qu'elle venait de livrer contre le dragon. Cependant, la Nymphe avait atteint sa limite, tout comme Kynareth. Un flot de pensée et de sensation déferla dans l'esprit d'Actée alors que le deuxième dragon atterrit face à la Cheffe à la chevelure flamboyante. Tant d'images du temps passé ensemble, de la naissance de ses filles, de ses peines, de ses doutes, et finalement, de sa sensation finale: un amour éclatant, et une confiance absolue en la Nymphe. Comme un film défilant devant leur deux yeux, les deux femmes sentirent que le temps était venu. Conscientes de la présence de l'autre, elle profitèrent un instant de leur dernière embrassade mentale.

La bouche d'Actée chuchota doucement ces simples mots, alors que les larmes envahissaient ses joues dans un torrent inarrêtable.

Son hurlement déchira l'air, cisaillant les troncs autour d'elle alors que sa puissance endormie s'éveilla malgré elle dans l'infernale horreur de la perte, alors que les dernières flammes de l'âme de Kynareth disparut à tout jamais. Puis, ce fut le noir.

***

C'était terminé. Les derniers défenseurs de la tribu de Kynareth étaient en fuite ou gisaient misérablement au sol, noyé dans les mares formées par leur propre sang. Salbisav ôta son casque pour laisser le vent venir caresser sa chevelure, et soupira d'aise. Même l'odeur infecte de sueur, sang et chair en décomposition ne pouvait altérer son humeur... il avait enfin accompli ce que tant de ses successeurs avaient échoué à faire. Il avait mené son peuple dans un long exode vers les lointains Monts Glacés pour préparer leur revanche... il y avait trouvé les derniers dragons, y avait réduit à néant les habitants et s'était emparé de leur pouvoir. Il avait longuement infiltré l'Empire, semé les graînes de la discorde, et laisser le pays s'embraser pour permettre au sien d'attaquer, avant d'enfin exterminer les seuls renforts capables d'opposer une résistance à ses troupes. Les reste des armées Nordiques s'entredéchirait et ne disposaient pas du moindre manipulateur de mantra, et ils n'en feraient qu'une bouchée. La victoire était proche, il le sentait... ou en tout cas, il essayait de s'en convaincre. Car une petite part de lui même ressentait un léger malaise dans le mantra, comme un avertissement, qui se révéla d'autant plus puissant lorsqu'il regarda le cadavre fumant du Seigneur Fuxarem, le dragon qui avait été violemment tué par une simple humaine...

Cela était incompréhensible aux yeux du chef draconiste. Pour lui comme pour tout son peuple, les Dragons étaient égaux aux dieux maudits, et les combattaient pour offrir la vraie liberté à leurs fidèles. Il était tout simplement impensable qu'une simple mortelle ait pu venir à bout de l'un d'entre eux.

-Tu semble troublé, Chef Salbisav... gronda la terrible voix du dernier Dragon.

-Seigneur Numinex... s'inclina le traître.

-Ne laisse pas le doute envahir ton âme en cet instant de victoire. Répondit l'immense Tyran Celeste d'une voix sage. Fuxarem s'est montré faible, et c'est une erreur impardonnable pour un Seigneur du Ciel.

-Mais... Seigneur, cela signifie que...

-Que je suis le dernier représentant de mon espèce? Crois tu que mon espèce était plus sauvée quand nous n'étions que deux?

-N-Non, mais...

-Alors cesse de douter, Mortel! Rugit violemment le Dragon. Bientôt, les Dragons peupleront à nouveau les cieux, et rien ne nous en empêchera. C'est bien la seule chose qui te manque encore, Salbisav... la foi.

Le Dragon s'éleva dans une bourrasque, sans un seul regard pour la boucherie. Salbisav reprit lentement sa respiration. Il savait que s'il n'avait pas été d'une quelconque utilité, il serait déjà mort. La seule raison pour laquelle le Seigneur Numinex avait seulement daigné retenir son nom était le pouvoir qu'il avait acquis, cette maitrise de la glace si chèrement arrachée au peuple septentrional. Jamais n'avait-il senti en son maître Draconique le moindre respect pour lui ou pour ses guerriers. Les Humains n'étaient que des serviteurs destinés à servir à jamais les Seigneurs des Cieux, et seul Salbisav par sa puissance s'était élevé au dessus de la masse.

Jusqu'à cette femme. Kynareth. Elle seul avait été digne de l'attention du Seigneur Numinex, et elle seule en avait reçu un titre. Baissant les yeux vers l'endroit où la guerrière avait disparu à jamais, Salbisav se baissa pour s'emparer de sa hache. Elle était lourde, son manche brûlé, et sa lame abimée par des affrontements si violents que le mantra n'avait pas pu absorber tous les chocs. Mais surtout, elle émanait un mantra puissant et brûlant, comme si l'âme entière de la guerrière s'y était déversée. Salbisav eut un frisson, puis glissa la hache à sa ceinture.

Il se montrerait digne de la mission que ses maîtres lui avaient confiée. Digne d'arracher de ses propres mains la place que venait de prendre Kynareth dans l'esprit de son Dragon de Maître. Sans un autre regard pour le champ de bataille, Salbisav prit la tête des troupes pour les mener dans la Taiga d'Odin.