Kiine galopa sur le dos d'Annsvir, brandissant sa longue lame incrustée de bois. Sanglante luisait d'une lueur rouge, tranchant sans la moindre hésitation dans la chair des ennemis se mettant en travers de son chemin. Ils étaient peu nombreux.

Les murs d'Arga n'avaient pas tenu très longtemps face à l'avancée Helienne. Les défenseurs résistaient par honneur, refusant de voir leur cité vaincue si facilement, mais c'était une résistance pour la forme, car tous savaient bien que les guerriers de la tribu ne pouvaient faire face seuls à une armée entière. On aurait pu s'attendre à des lamentations sur l'abandon de l'Empire; il n'en résonnait aucune. Les guerriers Nordiques n'étaient pas ainsi. Ils se battaient et mourraient pour défendre leur terre, avec ou sans soutiens des troupes impériales. C'était leur maison, après tout. Kiine se surprit à penser que les hautes longèrent qui bordaient les rues qu'elle traversait à toute vitesse ressemblaient beaucoup à celles ayant baigné son enfance, à la tribu de Kynareth. Elle pensa que celle ci n'était désormais plus si éloignée que cela, et se demanda si Elpa lui ferait face, ou lui ouvrirait ses portes quand elle s'y présenterai.

Un guerrier surgit d'une ruelle en brandissant une longue pique, et Kiine vint la briser d'un habile coup d'épée avant que l'épine métallique ne vienne mettre en danger Annsvir. L'homme fut immédiatement jeté aux griffes de Torgal, qui le déchiqueta sans état d'âme. Les deux loups étaient comme de la même meute, et cela se ressentait dans leur manière de combattre côte à côte. Cependant, Torgal restait impossible à monter par qui que ce soit. Il n'avait jamais accepté que Yuriana sur son dos, et ne semblait pas prêt à remettre cela en cause. Triss s'y était bien tentée, et l'avait regretté. Cette dernière était d'ailleurs située à quelques rues de sa cheffe de guerre adulée, en train de pourchasser un groupe de guerriers jusque dans une fermes, dont les habitants crièrent en les voyant entrer.

Aucun guerrier helien ne fut dupe. Un Nordique, quelque soit son âge où son métier, était un guerrier. Lorsque le meneur du peloton enfonça la porte, il évita en effet de peu le coup de hache fatal asséné par le père de famille. Ce dernier ne fut en conséquence pas épargné, pas plus que son fils et sa fille, également armés, et couvrant la fuite des guerriers. Ne resta que la mère, éclaboussée du sang de ses proches, prostrée dans un coin avec un regard mauvais. Triss déglutit. Quelques mois plus tôt, elle était celle qui avait ce regard alors que les Odiniens entraient chez elle. Elle les avaient trouvés immondes et inhumains, à l'époque, mais n'était-elle pas simplement à leur place désormais, à envahir la terre natale de ces familles? Heureusement pour la guerrière blonde, la violence des combats lui fit rapidement oublier ces tracas. C'est l'un des avantages des la guerre, quand on y pense; elle laisse place aux émotions plutôt qu'à la reflexion.

S'il en était autrement, chacun rentrerait chez soi pour prendre soin de ses proches.

***

-Nous avons capturé le chef Arnbjor, Dragonicide! Clama un guerrier en apercevant Kiine, chevauchant le long d'une rue.

-Très bien! Amenez le à la maison de tribu, je vous y rejoindrai. Et dites aux guerriers de cesser le combat: Arga est tombée.

-Mais il reste des poches de résistances.

-Il en restera toujours. Nous ne sommes pas venus exterminer tous les habitants de cette ville. Je ne suis pas Suriana.

-B-bien, Dragonicide.

Kiine s'amusa de la réaction du guerrier à ses mots. À peine une journée avait passé depuis son éclatante victoire sur la cheffe d'Hämnd, et les répercussions s'en faisaient déjà sentir. Le gros des troupes de la vaincue s'était rallié à elle, et déjà des émissaires de différentes tribus juraient leur soutien à la jeune femme. Ce simple combat, cette simple victoire, avait affolé la machine politique Helienne et avait bouleversé les rapports de force préexistants, plaçant la fille de Kynareth au sommet de la pyramide. Elle ne souhaitait aucunement ce pouvoir, comme elle l'avait déjà expliqué. Mais, comme l'avait prévu Suriana, on lui l'avait confié sans lui demander son avis.

Kiine arriva sans tarder à la maison de Tribu, devant laquelle était regroupé une grande partie des guerriers heliens, encore sur les nerfs, surveillant chaque route menant à la petite place de terre dominée par l'imposante longère de bois de la tribu. Devant elle, bien gardé par plusieurs soldats à l'allure patibulaire, se trouvait Arnbjorn. Le vieil homme à la peau hâlée et l'allure revêche ne semblait pas particulièrement heureux de la revoir.

-C'est ainsi que tu nous remercie du soutiens que nous vous avons apporté aux Rives Blanches, Dragonicide? Cracha-t-il.

Kiine descendit d'Annsvir pour venir fixer le vieil homme droit dans les yeux, face à face.

-Vous avez choisi de vous mettre en travers de ma route, Arnbjorn. Les Heliens non plus n'ont pas demandé à être envahis, et pourtant ils étaient les plus nombreux aux rives blanches. 

-Raison de plus pour qu'ils ne viennent pas en faire autant chez nous.

-Il est un peu tard pour cela, Arnbjorn. La taiga d'Hel est en feu. Et le feu se propage très vite. J'aurai aimé te revoir dans de meilleures circonstances, je sais que ma mère te tenait en grand estime. J'imagine qu'Orgnar ne nous a guère laissé le choix. 

-Tu avais le choix, Dragonicide. Tu l'as eu, plus que personne. 

-C'est vrai. Et j'ai choisi de me battre aux côtés de ceux qui n'ont ni rompu leur promesse, ni fui leur responsabilités, ni usé de méthodes peu honorables pour éliminer leurs ennemis. J'irais chercher Orgnar jusqu'à Inam pour lui faire regretter ses crimes, s'il le faut. 

-Même si cela doit plonger cette terre dans une nouvelle guerre sanglante? Ne crois tu pas qu'elle en a assez subi durant les dernières années?

Kiine ne répondit pas. Elle s'éloigna avec un air digne, le regard grave, et fit face à ses troupes.

-GUERRIERS! La tribu d'Arga est tombée! La tribu de la fondatrice de la Taiga d'Hel! C'est non seulement une grande victoire, mais également un symbole! Elle nous ouvre la voie des Rives Blanches, elle nous ouvre la voie vers le coeur de l'Empire. Cette victoire, aujourd'hui, ouvre la voie vers notre victoire finale!

Kiine reprit son souffle. Les guerriers étaient accrochés à ses lèvres, buvant ses paroles avec une attention soutenue. Elle reprit en criant.

-AUJOURDH'HUI EST LE JOUR OU NOUS ENTRONS EN TAIGA D'ODIN! AUJOURD'HUI EST LE JOUR OU NOUS ENTRONS CHEZ NOS ENNEMIS! A PARTIR DE CE JOUR, ORGNAR ET SES SBIRES NOUS CRAINDRONS JUSQU'A CE QUE NOS LAMES TRANSPERCENT LEUR COEUR! QUE LES DIEUX CONTINUENT A NOUS ACCORDER LA VICTOIRE!

Une immense clameur secoua la place centrale de la tribu, faisant vibrer le sol et rugir les Fenrirs. La colonne de fumée s'élevant dans le ciel de la Taiga d'Odin envoyait un message clair aux tribus voisines: nous arrivons.

***

-Dragonicide... demanda Triss avec un air penaud, consciente qu'il n'était pas dans ses habitudes de questionner les choix de sa cheffe. Etes vous sûre que nous devons nous engager dans les Rives Blanches dès ce soir? 

-Oui. A l'extremité de cette vallée, nous saurons si notre combat va prendre fin sous peu, ou s'éterniser pendant de longs mois encore. 

-Vous... voulez vous rendre en Tribu de Kynareth? Voir votre sœur?

Kiine acquiesça en silence. Dans la pénombre de la nuit tombante, la colonne de guerriers avançaient en grognant et en se plaignant. Malgré le long repos dont ils avaient disposé avant la prise d'Arga, ils n'auraient pas pensé être forcés à repartir le lendemain de la prise de la tribu, et encore moins de nuit, à l'heure où les spectres de la Bataille des Rives Blanches seraient les plus forts. Cependant, les cheffes qui suivaient Kiine admirèrent la tactique de ce mouvement. Les troupes impériales ne s'attendraient pas à ce que la Dragonicide avance si rapidement après sa prise, et encore moins de nuit, les Nordique se battant, par principe, toujours de jour. La probabilité de rencontrer l'armée d'Orgnar était faible, et conférerait aux Heliens l'avantage certain de la surprise - à condition qu'aucun traître ne les aient prévenus. C'était une idée intelligente afin d'éviter une traversée en force des Rives Blanches, qui ferait disparaître l'avantage du nombre que possédaient les Heliens, et causerait de grandes pertes. Cependant, le danger reposait dans le fait que cette marche forcée au travers des monts de la Taiga d'Odin laisserait des troupes fatiguées et exsangues à la sortie de la vallée, si Orgnar les y attendait. C'était dangereux. Kiine le savait. 

Mais sa rage décuplée la poussait à aller de l'avant, à tenir debout malgré la fatigue et à se battre jusqu'au bout. Elle ne comprenait pas que ses hommes n'étaient pas dans le même état d'esprit qu'elle. C'était son grand point faible, celui qui pouvait tout lui faire perdre aussi rapidement qu'elle avait tout gagné... 

-J'irai voir Elpa. Dit-elle gravement. Je lui demanderai de se joindre à nous contre Orgnar.

-Je... ne connais pas votre soeur. Avança prudemment Triss. Mais il semble difficile de croire qu'elle... nous rejoigne aussi simplement. Elle l'aurait fait beaucoup plus tôt...

-Pas nécessairement. Elpa n'aime pas combattre. Elle est meilleure diplomate que guerrière. Mais si elle devait être forcée à choisir, jamais, au grand jamais elle ne choisirai de rejoindre le camp d'Orgnar.

-Comment pouvez vous en être aussi sûre?

Kiine leva les yeux vers le firmament parsemé d'étoiles. 

-Je hais Orgnar du plus profond de mon être. Pour autant, je ne me sens en rien obligée envers lui. C'est comme si je haïssais un étranger. Elpa... a une relation différente à notre père.

-Je ne comprends pas en quoi cela la pousserait à nous choisir... fit remarquer Triss.

-C'est simple. La haine d'Elpa envers notre père est bien plus grande que la mienne. Pour résumer, si elle pouvait le tuer à ma place elle le ferait sans hésiter.