Le Destin du Kesjare XXV
-Un problème, capitaine? Demanda Yuriana en arrivant sur le pont, le lendemain matin.
-Malheureusement, oui. Nous entrons dans une zone très fréquentée par les pirates des îles, et j'ai peur pour notre sécurité. Il me faut le plus d'yeux possibles pour les détecter au plus tôt...
-Et si ils nous rattrapent?
-le Vent du Nord est un navire rapide, nous pourrons probablement les semer. Mais nous n'avons pas de force de défense suffisante pour résister à un assaut, c'est pourquoi j'ai besoin de tout le monde. Peux-tu demander à la Dragonicide si...
-Elle n'est pas en état de faire quoi que ce soit d'autre que vomir. Avoua Yuriana, et le capitaine Vangard ricana.
-La Dragonicide n'a pas le pied marin, on dirait. Bah... elle s'y fera en quelques jours. Probablement peu de temps avant que nous arrivions, cependant. En attendant, je vais demander à ce que Gretcha lui confectionne un petit remède.
La concernée leva les yeux vers son capitaine, et eut un regard entendu. C'était une femme massive, ses longs cheveux blonds hirsutes retenus en une queue de cheval derrière son visage rond. Elle semblait affable, mais également dangereuse; ses armes et la taille de ses bras laissaient imaginer la violence dont elle devait être capable.
Yuriana s'appuya au bastingage, et observa avec attention l'horizon. Tous les autres membres d'équipage - une douzaine, sans compter le capitaine - fixaient chacun une portion de l'immense étendue bleue leur faisant face. Péritès discutait au centre du pont avec l'un d'eux, un certain Ragnar, colosse à la chevelure plus rouge que rousse. Malgré les craintes du capitaine, pas une alerte ne fut donnée de la journée. Les marins finirent pas se réunir pour jouer aux dés ou aux osselets, se relayant pour la surveillance. Yuriana parvint à acquérir une certaine renommée par son adresse aux osselets, et par sa malchance aux dés. Ils s'amusèrent grandement pendant toute l'après midi, buvant de l'hydromel avec leurs rations marines, et la Guerrière d'Hel parvint même à tirer Kiine de sa retraite pour l'amener sur le pont, au milieu des matelots qu'elles commençaient maintenant à connaître. Ragnar était un homme bourru mais foncièrement gentil, et il semblait en pincer pour Gretcha - la guerrière d'Hel se demanda d'ailleurs si l'amour entre hommes et femmes était dirigé par d'autres règles que le sien en imaginant un tel couple. L'imposante guerrière blonde ignorait bien les avances maladroites du roux, et passait son temps à se moquer gentiment des plus jeunes des marins, Forräd et Dunsk, qui tentaient de se faire respecter malgré leur allure fluette bien ridicule en comparaison à celles de leur confrères. Olmaf, du haut de sa longue silhouette fine, avait quelque chose d'étrange, tout comme l'étaient ses mimiques un peu animales, mais Yuriana l'avait vu escalader les cordages plus vite que tout autre. Ada, elle, avait deux yeux d'un vert profond qui sautaient au visage de quiconque la regardait, et semblait se satisfaire de sa position de principal intérêt de toute la petite bande, bien qu'elle ait semblé frustrée de la réaction distante de Péritès lorsqu'elle lui avait jeté son plus beau regard. Sa hache laissait bien voir que, pas plus que les autres, elle ne devait être prise à la légère. Gail, son frère, était aussi laid que sa soeur était belle, mais avait ces petits yeux de souris qui font immédiatement penser à la sournoiserie. Ada l'attrapa deux fois à tenter de truquer les jeux, et lui fit faire plus d'une vingtaine de fois le tour du pont au pas de course, sur un pied, ou bien en rampant, dépendant de la gravité de la triche. Yuriana en vint à oublier tout le stress de sa mission, de ses responsabilités. Elle était simplement heureuse au milieu de cette joyeuse bande de Nordiques fêtards, lui rappelant les périodes moins dures de sa jeunesse, quand son rôle n'était pas encore là pour l'étouffer.
Elle se demanda si rester avec ces marins, à parcourir le monde sur les mers, ne seraient pas une bonne idée. Kiine n'aimerait probablement pas, cependant...
-Tiens... fit soudain Belgariv, le plus âgé, avec ses cheveux grisonnant et son air espiègle. L'air a changé. On dirait qu'on va avoir de l'orage, ce soir.
-Une tempête plutôt, oui. Maugréa le capitaine en vidant une outre de vin. Tu m'étonnes que les pirates soient restés au bercail... enfin! Ça ne change rien à nos plans! Nulle part où se cacher, de toute façon. Faites juste en sorte de bien vous accrocher, cette nuit, ça risque de secouer.
Yuriana hocha la tête pour signifier qu'elle avait compris. Kiine tira une tête d'enterrement. Et tout le monde rit de bon coeur.
***
-Du calme, Kiine, du calme. Faisait Yuriana, un peu plus tard en début de soirée. Bois, lentement. Avale bien tout.
Yuriana fit s'écouler lentement le liquide dans la bouche de la malade, qui grimaça distinctement. Le remède ne devait vraiment pas être bon.
-Tu veux me faire vomir encore plus? Gémit la Dragonicide.
-Arrête de te plaindre. Grogna la Guerrière d'Hel. C'est Gretcha, qui l'a préparé rien que pour toi. Tu iras d'ailleurs la remercier une fois que tu pourras marcher.
-La remercier pour une telle...
-Ne parles pas mal des remèdes de Gretcha. Plaisanta Forräd avec un air amusé, depuis la porte d'entrée de la petite chambre des deux femmes. Et finis le jusqu'à la dernière goutte. Tu n'as pas envie de la voir fâchée, crois moi.
Kiine bouda en terminant la cuillère. Forräd éclata de rire, et remonta sur le pont, laissant les deux jeunes femmes seules, à la lumière d'une bougie, seule lumière dans l'obscurité soudaine causée par l'accumulation de nuages au dessus du navire. L'ambiance semblait s'être un peu tendue au fil de la journée, alors que l'orage se faisait de plus en plus clair à l'horizon. Les marins grognaient et rechignaient, et se préparaient à le combattre. Yuriana espérait que le capitaine ne les envoyaient pas à la mort en piquant droit sous la noirceur tombée au dessus des flots infinis du Golfe du Pont.
-Vivement qu'on arrive... gémit Kiine. Je n'en peux plus de ce tangage...
-Vraiment? J'en viendrai à croire que j'aime bien ce petit bateau, moi.
-Pitié, Yu... ça, plus les Reliques en fond de cale, c'est juste deux problèmes de trop.
-Tu exagères... tu verras, tu regretteras ce bateau quand on arrivera.
Kiine resta silencieuse un moment, avant de dire.
-Tu hésites à retourner en Taiga d'Hel, pas vrai?
Yuriana choisit de ne pas mentir.
-Oui. J'ai peur pour les miens.
-Tu ne m'as jamais parlé des « tiens »... fit remarquer Kiine. Quand tu dis cela, ça semble s'étendre à tous les habitants de la Taiga, mais pourtant, tu dis tout le temps qu'elle n'est pas unie.
-Je suppose que je parles des gens que j'aime, de ceux qui m'ont soutenue et accueillie dans les moments difficiles.
-Comme qui? Machika?
-Machika... oh, elle en fait partie. Mais cette vieille peau m'en a fait baver! Elle a été la professeure de la précédente guerrière d'Hel, alors lorsque j'ai été choisie pour devenir la nouvelle, elle s'est assurée que j'étais à la hauteur.
-Mais... avant ça? Comment étais ta famille? Ta mère, par exemple? Tu ne m'as quasiment jamais parlé d'elle...
Yuriana sembla s'assombrir.
-Je... n'aime pas beaucoup parler de cette période.
-Mais nous nous sommes jurées de tout nous dire, tu te souviens?
La Guerrière d'Hel sembla hésiter, puis soupira.
-Je... suis la fille d'Algis, une guerrière somme toute assez banale. Ma mère n'a jamais été très proche de moi ou de ma soeur, alors... j'imagine que je n'ai jamais été très proche ou très attachée à elle. Et cela d'autant plus que... elle... était partisane des idées d'Hämnd.
-T-tu veux dire qu'elle tuait les hommes?
-Non, bien sûr que non. Elle n'était pas issue de cette tribu, mais... elle n'a jamais caché être en accord avec cette doctrine. Elle s'est toujours vantée d'être née de l'amour de deux femmes, et donc de ne rien devoir aux « mâles ». Elle racontait qu'elle m'avait eue avec une Déesse, Yuri, Eda tutélaire des femmes et dont le culte est souvent détourné par Hämnd. J'avoue que je n'ai jamais su si c'était vrai, ou si c'était un simple moyen pour elle de se justifier dans ses croyances envers la doctrine d'Hämnd. Elle ne voulait pas non plus que nous voyions d'hommes. Alors... quand on était encore jeunes, elle a choisi de quitter notre tribu pour rejoindre l'une de celles appliquant cette pensée.
-Oh... j'ignorais que... tu avais grandi dans un tel environnement.
-Ça n'a pas duré, heureusement. J'ai été remarquée pour ma maîtrise de la Voie d'Hel, et ai été confrontée aux autres personnes comme moi pour désigner la nouvelle Guerrière d'Hel, et j'ai gagné mon droit de porter ce titre après des épreuves... dont je te dirai simplement que j'aime ne plus avoir à y penser. Mais le peu de temps que j'ai passé dans cette tribu d'Abjar... a suffi à me faire haïr Hämnd. J'ai vu... les massacres perpétrés par les guerrières de ces tribus. Les vengeances froides des autres tribus frontalières. Les charniers. Les tortures. Les executions si immondes que les dieux doivent s'en arracher les cheveux. Je... refuse de laisser cette doctrine prendre le contrôle de mon peuple. Face à la montée de l'empire, cette doctrine gagne du terrain à cause de la peur. Je ne peux pas laisser ça arriver.
Kiine baissa les yeux, et se glissa au creux des bras de son amante.
-Je comprends... murmura-t-elle. Je... ne veux pas que tu y ailles, mais... je comprendrai que tu le fasse malgré tout. Malgré moi. J'imagine que je suis égoïste de vouloir te garder rien que pour moi...
-Ne dis pas ça! S'exclama Yuriana en serrant fort sa compagne dans ses bras. Je... ne sais pas ce qui arrivera, Kiine, mais... je veux être à tes côtés. Je t'aime. C'est une réalité que je ne peux pas laisser passer.
Un silence retomba, durant lequel les mots laissèrent place aux caresses sensuelles, aux baisers et aux soupirs. Tandis que Yuriana l'allongeait sur le lit en défaisant le lacet de son haut, Kiine posa tout de même la question qui lui taraudait l'esprit.
-Et ta soeur?
Yuriana se figea. Son regard coula vers son épée à lame noire, Sépulcrale, qui semblait luir malgré l'obscurité, posée contre le bois de la cloison.
-Ma... soeur maîtrise elle aussi la Voie d'Hel. Nous sommes jumelles, après tout. Nous avons été... opposées durant les épreuves. De manière... si terrible qu'aucunes soeurs ne devraient jamais traverser ça. Elle m'en a voulut. Elle m'en veut encore. J'ai gagné, et elle a perdu. Elle a choisi un chemin radicalement différent du mien... elle pense que je l'ai trahie, elle et notre mère, en m'opposant aux Hämndistes. Et maintenant... je dois l'arrêter. Ma soeur est... Suriana, la guide de la faction Hämndiste.
Kiine avala la nouvelle information avec difficulté. Elle fixa Yuriana, immobilisée au milieu de son geste, l'air plongée dans des pensées lointaines et inaccessibles. Sans hésiter, la Dragonicide tira la femme de sa vie contre elle, sur le lit, et l'entoura de sa douce étreinte. Son odeur mentholée l'envahit, lui monta à la tête, enivrante...
-Je serai là, à tes côtés, Yu. Lui murmura-t-elle à l'oreille tout en lui enlevant sa tunique. Toujours.
Ses mains glissèrent sur la peau nue de son amante, saisissant les montagnes de ses seins pour les masser et le palper amoureusement. Une cascade de cheveux noirs vint se mêler et s'emmêler aux siens, alors que ses hanches se serrèrent.
-Tu es si belle, mon amour... murmura Kiine. J'aimerai... passer mes journées à caresser ta peau, à serrer tes seins, à embrasser ta bouche, et lécher ton intimité... je t'aime si fort...
-Kiine... ma louve... ah!
Yuriana poussa une exclamation gênée lorsque la main de Kiine glissa jusqu'à son entrejambe, et commença à la caresser.
-Ah... Kiine... je... je m'avoue vaincue... je... crois que tu es définitivement meilleure que moi à cela.
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