La fléchette empoisonnée siffla à quelques centimètres du nez de Yuriana, et se planta dans le mur derrière elle. La guerrière voulut se ruer vers l'ennemi qui l'avait attaquée, mais ce dernier avait déjà disparu, noyé au coeur de la foule recouvrant le forum de Pont-Majeur en cette journée d'élections, ou riches et pauvres se pressaient aux urnes pour choisir leur représentants favoris aux différents postes de la complexe administration de la cité. Elle tenta de se frayer un chemin vers les maisons entourant la grande place, seul endroit d'où pouvait avoir été tiré le projectile; elle abandonna bien rapidement l'idée de traverser les longues queues, où les citoyens impatients refusaient absolument de laisser qui que ce soit passer entre eux. Yuriana grogna. Encore une fois, elle échappait de justesse à un assassinat, et ses poursuivants échappaient de justesse à sa hargne. Ils s'enhardissaient de jour en jour; et Mundvir ne donnait toujours aucun signe d'avancement dans sa recherche de la Nekkreidi. Le responsable du pont de Sappho continuait de diriger les recherches, mais Yuriana savait qu'il n'y croyait plus, et elle non plus. Alors pourquoi étaient-elles encore à Pont-Majeur, alors que le danger y guettait Yuriana à tous les coins de rue?

Pour deux raisons, principalement.

Lefko. Kiine voulait absolument attendre le plus longtemps possible le retour - très peu probable - de son amie, disparue à Brocéliande depuis maintenant plusieurs mois.

Et la discorde entre Yuriana et Kiine au sujet de leur destination. La première restait persuadée qu'il fallait diriger les Reliques vers la Taiga d'Hel. La seconde pensait que n'importe où ailleurs était mieux, et, de préférence, le plus loin possible. Ce qui n'était au départ qu'un petit point de discussion était devenu un sujet de tension entre les deux femmes, qu'elles évitaient soigneusement. L'annonce de la prise de fonction d'Orgnar comme Kesjare de l'Empire Nordique n'avait pas arrangé la situation.

Yuriana, évidemment, n'avait évoqué à aucun moment les tentatives d'assassinat dont elle était victime à Kiine. Elle ne voulait pas que leur départ précipité mène à des tensions encore plus fortes une fois parties au sujet de leur destination. Kiine semblait vouloir aller plus au sud, longer les Mines et se diriger à travers les Baronnies. Yuriana voulait aller au nord-est, vers la Taiga d'Hel. Elles ne pouvaient être plus opposées qu'elles ne l'étaient à cet instant, et pourtant aucune d'elle ne désirait ce désaccord.

Mais tout allait peut être changer aujourd'hui, avec na nomination des deux nouveaux consuls de la cité. Péritès avait grand espoir que l'un de ses amis, Cicarite, soit élu à ce poste et le nomme au poste qu'il souhaitait: ambassadeur. Le jeune politicien avait en effet beaucoup réfléchi aux mots de Yuriana, quelques temps plus tôt, au banquet d'Honolas, et avait décidé qu'un séjour proche d'Helania était peut être une bonne idée. La Guerrière d'Hel attendait cet évènement comme le retour des Dieux: en partant par bateau avec l'équipage réuni par le politicien, l'existence de la dispute disparaissait, puisque le navire pourrait autant bifurquer vers le nord que vers le sud à tout moment de la traversée. Elle pensait également que le choix de la destination de Péritès pourrait orienter le choix de Kiine, puisqu'Helania, au sud-est de la Taiga d'Hel, en était proche sans y être réellement.

L'après midi était déjà bien avancé, et les élections des principaux magistrats devait déjà être terminée. Les premières urnes avaient été retirées pour dépouillement, tandis que les citoyens s'étaient dirigés vers les suivantes. Yuriana attendait en tapant du pied, tous les sens en éveil. Elle avait appris à toujours rester sur ses gardes depuis la première attaque.

Ses pensées se laissèrent cependant emportées autant par l'ennui que par la chaleur étouffante. Des pensées tournées vers Kiine, vers sa peau douce, sa poitrine si ronde, ses fesses si fermes, ses lèvres si sucrées... Yuriana n'y tenait plus. Elle avait besoin de se ressourcer de tout ce stress, il lui fallait rentrer au plus vite pour se fourrer dans les bras de son amante. Elle craignait qu'une mauvaise nouvelle de Péritès ne ruine ce projet; elle eut de la chance.

-Yuriana! Cria le jeune homme en fendant la foule dans sa direction. C'est bon! C'est bon! Nous partons demain pour le Pont Oriental!

-C'est vrai? Par tous les dieux, enfin! S'exclama-t-elle. Quel bateau utilisons nous?

-Un voilier mis à disposition par le Sénat. L'équipage a été fourni par le chef Joedgard lui même! À mon avis, l'Empire s'intéresse aux cités libres de l'est... m'est avis qu'elle ne seront plus libre pendant très longtemps.

-Ça n'a pas l'air de te gêner.

-Bien sûr que non. La plupart sont nos rivales; je ne suis pas là bas pour faire ami ami, mais pour y représenter nos intérêts. Allons fêter ça en ville! Je connais une petite caupona où ils servent un vin absolument délicieux...

-Désolé, mais je vais passer. Sourit la Guerrière. J'ai... des choses à faire.

-Je vois... sourit l'homme, espiègle. Au fait, je ne sais pas si tu en as entendu parler, mais un navire est arrivé d'Hellespont ce matin. Il ramène des nouvelles inquiétantes de là bas...

Yuriana frissonna. Hellespont était une cité juste au sud de la Taiga d'Hel.

-Les raids heliens se sont fait de plus en plus fréquents, ces derniers temps... et on raconte que l'Empire rassemble des troupes dans les plaines des Mines.

-... je vois. Je vais tenter de me rappeler qu'il s'agit surtout de rumeurs... répondit calmement la guerrière. À demain, au port.

-Première heure, n'oublie pas! Et essayez de dormir un peu, toutes les deux!

Yuriana leva les yeux au ciel. Mais elle se demanda tout de même combien de temps elle allait dormir...

***

Peau contre peau. Lèvres contre lèvres. Yuriana darda sa langue musclée entre celles de Kiine, qui gémit... ces lèvres, celles de son intimité, s'écartèrent docilement sous les douces caresse de la bouche de Yuriana qui la léchait goulument. La Dragonicide se rattrapa vite, en en faisant autant pour sa compagne.

Cela faisait deux bonnes heures déjà que les deux amantes frétillaient sur leur lit, enchainant des positions de plus en plus improbables, testant les limites que le plaisir pouvait leur accorder. C'est ainsi qu'elle avait finie couchée l'une sur l'autre, chacune la tête entre les jambes de l'autre, à tenter de voir qui serait la plus rapide à pousser sa compagne au plaisir. Elles y étaient toutes les deux devenues très douées avec l'expérience, mais Kiine semblait toujours mieux s'en sortir que Yuriana, ce qui frustrait la guerrière d'Hel à chaque fois qu'elle s'effondrait, pantelante, après avoir été vaincue par le plaisir de la jouissance. Cette fois, elle ne voulait pas perdre. Elle mettait toutes les chances de son côté. Mais le frétillement de la langue habile de Kiine entre ses jambes la faisait frissonner, gémir, brisait sa concentration autant que son activité. Elle serrait fort les cuisses de la femme de sa vie entre ses mains, comme si cela lui permettrais de retenir les inévitables vagues de plaisir qui balayaient tout sur leur passage dans son esprit. Kiine changea soudain d'angle et de vitesse, et immédiatement, le corps de Yuriana se contracta, l'étrange sensation précédant la jouissance se fit sentir, puissamment, pour la quatrième fois de la soirée. Elle s'arqua, et le ras de marée réduit sa résistance à néant.

Lorsque les spasmes du puissant orgasme s'atténuèrent, elle retrouve Kiine, couchée contre elle, en train d'embrasser son front tout en lui tenant les fesses.

-35 à 7. Dit elle finalement avec un sourire narquois.

-34! Le soir sur la plage ne comptait pas, tu m'as prise par surprise!

-Si tu comptes le prendre comme ça, alors je peux ajouter toutes les fois avant notre arrivée à Pont-Majeur...

-Non, ça ira.

-C'est ce qu'il me semblait. Gloussa Kiine, et Yuriana se vengea en lui pinçant légèrement le bout de la poitrine.

Elles restèrent longtemps ainsi, serrées l'une contre l'autre dans la semi obscurité nocturne, la douce brise marine caressant leur peau nue. Finalement, ce fut Yuriana qui prit la parole.

-Nous partons demain, ma louve...

Elle sentit sa compagne se tendre dans ses bras. Chaque fois qu'elles avaient évoqué le sujet, la discussion s'était mal terminée... et Kiine n'avait aucune raison de croire que ce serait différent.

-Je ne peux pas laisser Lefko. Répondit la Dragonicide, savant aussi bien que sa compagne que ce n'était plus qu'une excuse afin de ne pas adresser le coeur même de la dispute.

-Nous ne partons pas au sud, Kiine... ce n'est pas un endroit sûr. Les Baronnies ne sont pas un endroit où nous serons en sécurité, et...

-Parce que la Taiga d'Hel le sera? Coupa Kiine, légèrement tremblante. Alors qu'elle est sur le point d'éclater? Alors que des rumeurs courent que l'Empire va l'attaquer?

-Tu... le sais?

-Tout le monde en parle, Yu! Depuis l'arrivée de plusieurs bateaux du Pont oriental et des Mines, c'est sur toutes les bouches... et je ne veux pas avoir à choisir entre toi et l'Empire. Je... Elpa combattra sûrement. Elle admire tellement Père... imagine que... je la croise sur le champs de bataille? Elle est ma dernière famille! Où... imagine... que tu la croise... et que tu n'aie d'autre choix que de la tuer...

-Kiine!

La voix de Yuriana claqua comme un fouet, réveillant la guerrière de ses terreurs éveillées. Cela n'empêcha pas la Dragonicide de commencer à pleurer à chaudes larmes, tout en tremblant comme une feuille.

-J'ai peur, Yu... sanglota-t-elle. Je ne veux pas y aller... je... veux pas...

La Guerrière d'Hel était totalement perdue, ne sachant comment réparer les ordres qu'elle avait déjà donnés. Elle savait qu'elle se devait de retourner en Taiga d'Hel, mais sa peur de perdre Kiine était forte. Elle était déchirée entre ses responsabilités envers les siens et l'amour de sa vie. Elle s'en voulait de les trahir, et elle s'en voulait de la trahir. Aucune solution ne semblait la bonne...

-Là... là... tout va bien, ma louve, je suis là... chuchota-t-elle à l'oreille de l'amour de sa vie. Tout est fini... tout ira bien.

-Tu me dis toujours... que tout ira bien. Renifla Kiine. Mais parfois, j'ai du mal à y croire...

-Je ne te mentirai jamais, Kiine. Je... si l'on doit partir, c'est aussi parce que je suis en danger ici. Nous le sommes. Il y a... quelques jours, on m'a attaquée en ville.

-Quoi? Pourquoi ne m'en as tu pas parlé?

-Parce que nous aurions dû définir une destination, et... je ne voulais pas me disputer avec toi.

-Ta sécurité passe avant moi, Yu. Toujours. Tu aurais... dû me le dire.

-Je m'en suis sortie. Je ne sais toujours pas qui les a envoyé, entre l'Empire, Suriana, les fidèles du Chaos, ou une faction inconnue... c'est pourquoi nous devrons partir demain. En bateau.

-À bord de quel bateau?

-Celui de Péritès. Il part à Bibracte, au Pont Oriental. Il... est curieux de la culture Nymphe, et c'est la cité la plus proche d'Helania. Mais il pourra changer de direction si...

-Non. Partons vers l'est.

Yuriana resta interdite.

-Tu... accepte aussi simplement? Mais... et le sud?

-Yu... tu m'as mal comprise. Je ne désirai pas absolument aller vers le sud. Je souhaitait simplement aller loin de la Taiga d'Hel. Nous n'allons pas là bas, nous allons à Bibracte. Et à Helania. Là bas... les Reliques seront à l'abri.

-Tu es sûre? Souviens toi qu'Actée... enfin...

-Elle a été également la seule Reine de la Nuit a revenir à la raison, Yu. Je suis persuadée que nul autre peuple que les Nymphes pourra veiller sur les Reliques.

Yuriana hésita. Helania était plus proche d'Hel, mais restait assez éloigné. Elle savait pourtant qu'elle serait assez proche pour pouvoir revenir à la moindre occasion. Elle devrait peut être abandonner Kiine à Helania si cela devait arriver... cela lui déchirait le coeur. Mais elle avait bien compris une chose:

elle n'impliquerait jamais Kiine dans une guerre contre son propre peuple.

Et elle ne l'impliquerait pas plus dans une quelconque lutte fratricide au sein de la Taiga d'Hel.

Kiine était encore hantée par les Draconistes et par Freya. Elle ne pourrait pas mener une autre guerre si tôt après tous ces évènements.

Pas sans conséquences.