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Le Destin du Kesjare VIII

Yuriana se rendit au chevet des Fenrirs encore somnolent. La viande qui leur avait été fournie contenait suffisamment de somnifère pour les endormir pour une bonne journée, sans pour autant que la substance ait assez de goût pour éveiller les soupçons ou l'odorat des bêtes. La Guerrière d'Hel n'y connaissait pas grand chose, en poisons et somnifères, mais il lui semblait tout de même que ces quelques indications diminuaient déjà les possibilités. Elle demanda alors qui avait préparé ou fourni la viande, ce a quoi on lui répondit que les cuisiniers avaient fait appel à un boucher tenu par un Nordique, ce dernier s'y connaissant mieux en terme de préférences gustatives de Fenrir. On l'informa également que, pendant la longue journée qu'elle avait passée enfermée dans les sous sols de la prison, le Polémarque avait fait boucler la ville, et que des fouilles étaient organisées à chaque porte. Si le moindre signe des Reliques était retrouvé, alors Yuriana en serait informée. Cela conforta surtout la guerrière à limiter ses recherches à la cité, les coupables ne pouvant plus s'en échapper si facilement. Elle se rendit à la boucherie qu'on lui avait indiquée, seulement pour la trouver enflammée - un mouvement de colère anti-Nordique, lui avait-on dit. Yuriana grogna, comprenant parfaitement que ce n'était qu'une couverture... les voleurs continuaient de faire disparaître les témoins permettant de remonter à eux. La sarbacane, bien qu'arme inconnue de Yuriana, n'avait apparemment rien d'extraordinaire ici, et ne lui fournissait pas la moindre piste; ne lui restait alors qu'un dernier recours.

C'est en emportant avec elle le stock de fléchettes que Yuriana ressortit dans les rues, la nuit tombée. Prudente, les sens en alerte, elle attendit. Elle savait que quelqu'un finirait par venir à elle - la question était plutôt si ce seraient des amis ou des ennemis. Elle était surveillée par les différentes factions, elle le savait. Ceux qui l'avaient attaquée, et ceux qui l'avaient prévenue...

La Guerrière eut sa réponse lorsque, au détour d'une ruelle, elle croisa un regard discret qu'elle reconnut bien. Alcibias, marchant comme si de rien n'était, l'invitait discrètement à le suivre, ce que Yuriana fit sans se poser de questions. Il l'emmena au travers des ruelles de la basse ville, bifurquant un nombre invraisemblable de fois, visiblement pour semer de potentiels poursuivants - même s'il faillit également perdre la jeune femme à plusieurs reprises. Finalement, ils remontèrent en direction de la ville haute, et, finalement, Alcibias s'arrêta devant une petite porte discrète, dans une ruelle banale, et invita Yuriana à entrer. La Guerrière s'attendit presque à voir se jeter sur elle dix personnes, mais rien ne se passa: elle resta tout de même sur ses gardes, ne sachant pas vraiment le rôle de l'homme dans toute l'affaire.

-Je vois que ma mise en garde vous a seulement permis d'en réchapper. Fit-il remarquer dès la porte refermée.

-J'étais la seule éveillée, mais j'avoue m'être montrée trop peu prudente. Grimaça la guerrière.

-C'est le moins qu'on puisse dire. Avez vous quelques pistes?

-Je me permets de garder cette information pour moi.

-Si peu que cela? Soupira l'érudit, ce qui enerva Yuriana.

-Garde tes sarcasme. J'ai simplement besoin de l'expertise d'un érudit, et il parait que tu en es un. Au sujet de poisons.

-Aah, vous touchez là à un sujet sur lequel je puis vous apporter mon aide, en effet.

-Comme par hasard. Ironisa Yuriana. J'ose espérer que tu n'es pas celui à l'origine de leur utilisation dans cette affaire.

-Pas le moins du monde. Répondit l'érudit sans relever plus que cela. Alors, dites moi de quoi il s'agit.

Yuriana jeta la sacoche emplie de flechettes empoisonnées sur une table encombrée de papiers, parchemins et outils aux formes plus étranges les unes que les autres. Alors que l'homme s'en saisit avec prudence après avoir enfilé des gants composés d'une étrange matière élastique, Yuriana observa la pièce où elle se trouvait. C'était le cliché du laboratoire de savant fou: des schémas de corps humain sur les murs, des schémas et symboles ésotériques, ainsi que quelques maquettes pendues au plafond haut. La pièce était assez obscure, car les grandes quelques fenêtres étaient recouvertes de drapés noir. Un ours empaillé ornait un coin de la salle, au milieu des tables, étagères et paillasses recouvertes de livres ouverts, papiers gribouillés, verrerie aux formes étrange, lentilles de verre et autres bizarreries. Quelques viscères flottaient dans des bocaux de verre semi transparents. Yuriana se désintéressa rapidement de toutes ces camelotes inintéressantes, pour observer ce que faisait l'érudit. Il avait sorti de nombreux bocaux, outres et amphores aux formes et couleurs variées, et en avait renversé un peu de chaque dans plusieurs petits récipients en verre. Puis, se saisissant avec prudence des pointes empoisonnées, il fit goutter un peu du poison dans chacun des liquides aux couleurs étranges et variées, puis fixa les réactions qui prenaient place dans chacun d'eux.

-La diofulsate est devenue floue... le poison contient donc une dose assez faible d'honomorphes. Un peu d'arsenic, également, au vu de la couleur prise par l'ilpanime oxydée. Hum. Je pencherais sur un poison de la famille des triphosphitae. Je penche sur du xenitriphalamène ou de l'antrophite.

-Et dans un langage compréhensible?

-Ce sont des poisons neurotoxiques assez puissants, mais pas ce qu'on peut se fournir de mieux. C'est quelque chose d'assez courant, malheureusement, et on peut acheter de quoi en faire dans n'importe quelle apothicae.

-Je m'en doutais un peu. Par contre...

Yuriana s'assit au coin de la table et approcha son visage, tandis que l'érudit jetait les liquides dans une grande cuve.

-... un somnifère assez puissant pour endormir un Fenrir pendant plus de dix heures, sans que ceux ci ne sentent qu'ils l'ingèrent. Ça ne doit pas courir les rues, non?

-Hum... en effet. Vous avez un échantillon?

-Si tu as le courage de venir observer les dent ou le gosier de nos Fenrirs.

-Ça ira. Hum... c'est embêtant, tout de même. Ce pourrait être du chloripasphène... ou bien du landromaque. Mais tous le chloripasphène a un arrière goût très... décelable.

-De quel genre?

-Je n'en ai pas gouté moi même, mais il parait que le gout de chair en putréfaction est assez reconnaissable. Ce qui ne laisse que le landromaque.

-Que peux tu me dire sur ce... landromaque? Où peut on s'en procurer?

-Nulle part! C'est un poison issu des glandes du Liopleurodon, un monstre marin rodant au large côtes des îles Cipangues, dans les mers de l'Ouest. Un mastodonte des plus intéressant! Il endort ses proie à l'aide de son poison pour les dévorer vivantes. Mais c'est quasiment impossible de se procurer ce produit, la chasse au Liopleurodon étant atrocement dangereuse.

-J'imagine donc que si une cargaison d'une telle rareté avait transité par Mines-sous-pont, quelqu'un en aurait forcément entendu parler.

-C'est le moins qu'on puisse dire, oui. Mais, à ce qu'on dit, la majorité des récoltes de landromaque sont réservées par les clans à leur guerriers d'élite, les Shinobu. La probabilité est donc très faible.

-Faible, mais ça vaut le coup de creuser. S'il s'avère que c'est bien du landromaque qui a été utilisé, pister sa trace s'avérera bien plus simple que de retracer l'autre poison. J'irai à la capitainerie demain matin.

-Pourquoi attendre? Le temps presse, noble Yuriana. Il s'avère que le Navarque me doit quelques faveurs, et il y a de grandes choses qu'il ne vous révèle pas ce pour quoi on l'a payé pour taire.

Yuriana fixa l'homme entre deux âge, alors qu'il se saisissait de plusieurs menus objets éparpillés sur les tables et le glissait dans une sacoche, avant d'enfiler un grand manteau cachant ses traits.

-Pourquoi m'aides tu, Alcibias? Demanda-t-elle. Qu'y gagnes-tu? Qui sers tu, au juste?

L'homme eut un sourire qui ne laissait percer aucune des pensées qui pouvait le traverser, et la vibration qu'il émettait était aussi régulière que celle d'un maître, et Yuriana ne put y déceler aucune émotion.

-Comme vous l'avez dis vous même, je préfère garder cette information pour moi. L'important, c'est que je vous aides à récupérer vos Reliques, pas les raisons pour lesquelles je le fais.

-Au contraire. Grommela Yuriana. Une bonne amie m'a compté l'histoire de personnes s'étant un jour alliées pour arracher des Reliques des mains d'un gardien, alors que chacun voulait en faire une utilisation différente. Résultat, dès le gardien éliminé... ils se sont tous sautés à la gorge les unes des autres.

-Si c'est cela qui vous inquiète, n'ayez crainte: je n'ai aucun désir de m'emparer des ces artéfacts. Avoir la preuve qu'ils existent réellement est suffisant à satisfaire ma curiosité scientifique. Et je souhaite surtout que d'autres ne mettent pas la main dessus...

-Qui, Alcibias? Nous avons des ennemis communs, mais tu sembles refuser absolument de me laisser savoir qui ils sont.

-Cela vous servirait-il vraiment de savoir qui vous allez trancher?

-Grandement.

L'érudit soupira. Il leva les yeux pour fixer la guerrière droit dans les yeux.

-Disons que la petite escapade de vos amis a réveillé dans la forêt certaines choses qui auraient dû y rester endormie. Les mauvaises ondes, les crises de jalousie du Logophage, les monstres sortant parfois des bois, on avait l'habitude... mais maintenant qu'ils sont libérés... la ferveur qu'ils animent chez leur fidèle est ravivée. Et celle de leur ennemis aussi.

-Cesse de parler par enigmes! Coupa Yuriana.

-Les fidèles du Chaos entendent l'appel des spectres, noble Yuriana. La puissance des rois de la nuit est san limite... mais leur réveil à rallumé la flamme de leurs ennemis.

-Crépuscule...

-Tout juste. Leur quête des Reliques n'est un secret pour personne ayant connaissance de leur existence et de leur histoire. Et certainement pas de leur fidèles, qui ont attendu leur retour dans l'ombre pendant des siècles, à l'affut de la moindre trace de Relique à leur offrir.

-Ne vas pas trop vite, Alcibias. J'ai bien compris que Crépuscule est ton ennemi, mais j'ai surtout compris que tu te considère comme leur ennemi car tu sers les Rois de la Nuit. Tu es toi même un adepte du Chaos, je me trompe? Un membre du Culte Interdit.

-Disons simplement que ma passion pour l'histoire n'a d'égal que mon admiration pour ces Rois ayant fait tant de grandes choses.

-Des grandes choses, oui. Railla Yuriana.

-Des choses terribles, certes. Admit l'érudit. Mais de grandes choses. C'était de grands scientifiques, ma chère, du genre de ceux qu'on ne fait plus aujourd'hui, enfermés dans une éthique ridicule. Ils ont découvert des pouvoirs qu'on avait jamais touché du doigt de mémoire d'homme - et la Grande Créatrice sait qu'on en a perdu beaucoup pendant l'ère draconique. Ils pourraient être serviteurs du Chaos, de l'Ordre ou des Chèvres unijambiste que ça m'importerait peu. Mais Crépuscule ne comprend rien de la beauté des découvertes du Royaume Obscur. Ils ne vivent que pour la destruction, la mort, la chute de toutes les institutions, ce qu'ils appellent le Chaos Absolu.

Yuriana fixa longuement l'érudit sans mot dire.

-Écoutez, Yuriana. Que vous vous méfiez de moi est naturel. Je ne demande aucune confiance, car je sais moi même que je ne vous en accorde aucune. Cependant, le temps presse, et chaque seconde qui passe est un risque supplémentaire que les Reliques tombent entre les mains d'un Crépusculaire. Et des rumeurs disent qu'il y en aurait un en ville.

-Oui, on pense le connaître. Grogna Yuriana.

-alors vous savez tout autant que moi que le temps presse. Partons à la capitainerie immédiatement.

-Très bien, Alcibias. Mais à la moindre entourloupe, sache que ma lame se délectera de ton sang.

-Je n'en doute pas un instant, ma chère. Pas un instant...

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