Le Destin du Kesjare IV
Le noir. La vibration insupportable des Reliques. Le bruit du ressac, tout proche, mêlé à des multiples odeurs mêlées, mélangées, impossibles à distinguer. Une main glissant dans la sienne. Le vent portant l'odeur du danger. L'incapacité de bouger. Des cris de guerre. Un hurlement. Déchirant. Plein de douleur et de tristesse, semblable à celui des spectres de Brocéliande. Du liquide l'éclaboussa. La main se desserra avant de la lâcher, seule, dans l'obscurité, où le sol se mit à se dérober sous ses pieds.
Kiine se réveilla en sursaut, pantelante, hoquetant avec difficulté, la respiration coupée par la peur. Ses yeux rencontrèrent ceux, emplis d'inquiétude, de Yuriana, juste au dessus de son visage, le tenant à deux mains.
-Tout va bien, Kiine, ce n'était qu'un mauvais rêve. Tout va bien. Je suis là. Je suis là. Là, ne pleures plus. Ne pleures plus, mon amour.
La respiration sifflante de Kiine s'apaisa peu à peu, calmée par les mots rassurants de Yuriana et la douceur de sa caresse. Des spasmes la saisirent cependant, et elle vomit de tout son saoul dans l'herbe sèche, prenant bien soin de ne pas le faire en direction de son amante.
-Chhh, là... tu fais ce genre de rêve souvent, depuis les Rives Blanches. Murmura la Guerrière d'Hel avec une voix inquiète, plus pour elle même que pour son amante se convulsant sur sa couche.
Yuriana prit un morceau de tissu de sa sacoche, et vint essuyer la bouche de Kiine en lui susurrant des mots doux, dont certains firent rire la malade par leur maladresse. Elle lui fit boire de l'eau fraiche qu'elle venait de remonter du torrent en contrebas dans son outre, et le corps de Kiine finit par s'apaiser. Elle n'eut qu'une phrase quand, reposant son outre, Yuriana se baissa vers elle pour l'embrasser.
-Fais moi l'amour...
La chose fut faite, et bien faite, laissant les deux corps nus et suants des amantes serrés l'un contre l'autre sous leur peau, sous le regard presque amusé de leur deux Fenrirs, somnolant non loin de là.
-Tu as vu ta mère? Finit par demander Yuriana, le visage collé à celui de son amante.
-Non... cette fois ci, c'était très confus. Mais... je... crois que c'était toi.
-Moi?
-Oui. Cette fois ci, il n'y avait pas de cadavres en décomposition, pas d'écorchement, pas de cranes fracassés... il faisait tout noir, et je ne sentais pas grand chose. Mais il y avait les Reliques proches, et... une main, qui prenait la mienne. Et tu te faisais tuer sans que je ne puisse rien voir.
-Ce pourrait être celle de ta mère. Ce ne serait pas la première fois que tu rêves de sa mort ou de celle d'Actée.
-Je suis sûre que c'était la tienne... elle... était rugueuse et petite.
Yuriana sourit à cette remarque.
-C'est un rêve, mon amour. Comme les autres.
-Je sais...
-La proximité des Reliques a de mauvais effets sur toi. Continua-t-elle. Elles jouent de tes peurs, comme tu l'as toi même dit. Et je pourrais presque être touchée que la peur de me perdre soir celle qui ait causé la plus violente crise jusque la, mais... il faut toute de même faire quelque chose. Il faut que tu dormes.
-Pour quoi faire... sourit Kiine en caressant les seins de Yuriana, et en glissant sa tête au creux de sa poitrine. Plus aucune grande bataille ne nous attend, plus de Dragon à abattre sur notre chemin, plus de Draconiste fou... je suis peut être fatiguée, mais je peux profiter de toi encore plus que si nous dormions.
-Là est bien le problème! Rit doucement Yuriana. Je n'ai pas ton endurance, je le crains... j'ai l'entrejambe en feu à force de le faire, tu sais?
-Tu exagère...
-Un peu, je l'avoue. Mais si je me mets à saigner, tu en porteras toute la responsabilité.
Kiine rit doucement. Elle se laissa enivrer par les lèvres de Yuriana, par sa douce odeur mentholée, par le confort de sa chevelure soyeuse et le toucher agréable de sa poitrine rebondie contre la sienne. Lentement, la Dragonicide se laissa entrainer dans un sommeil sans rêve.
***
Il fut clair à Kiine avant même d'atteindre les portes de la cité que le passage des Draconistes avait laissé bien plus de traces qu'elle ne l'avait imaginé. Une grande partie du mur d'enceinte était écroulé sur la part Nord de la ville, et Kiine sentait encore dans l'air une acre odeur de fumée qui, bien que diluée, lui piqua le nez. Néanmoins, les échafaudages montraient bien que les Sous-Pontiens ne comptaient pas se laisser abattre par cette attaque. La cité avait, après tout, envoyé une large délégation d'Hoplites aux Rives Blanches, et avait fait passer le message aux autres cités.
Kiine se rappela tout de même des mots de Yuriana. Un Nordique est un Nordique, pour les Miniens.
-Nous devrions laisser les Fenrirs hors des murs. Dit Kiine.
-Quoi? Je ne laisserai pas Torgal seul une seconde dans ce pays! S'exclama Yuriana avec véhémence.
-Yu... un Nordique est un Nordique, tu te souviens? Et avec ce genre de monture, nous avons l'air plus Nordiques qu'Odin lui même.
-Un assassin plutôt qu'une Nordique. Grogna la Guerrière d'Hel. Ne me compares pas à ce mâle.
-Yu, s'il te plait! Ce n'est pas la question, tu sais parfaitement ce que je veux dire.
-Mais... et s'ils se font voler?
Kiine soupira.
-T'es tu déjà demandé si je pourrai me faire voler si tu mes laissai seule un moment?
-Non, mais...
-Eh bien c'est pareil. Les gens volent les chevaux, parce qu'ils sont stupides, faciles à nourrir et serviraient n'importe quel propriétaire qui les monte. Ces gros pépères...
Kiine flatta l'encolure de son propre Fenrir, une femelle couleur crème qu'elle avait nommé Annsvir.
-... ne se laisseront pas dompter par n'importe qui. De plus, ils n'aimeront pas l'atmosphère de la ville.
-Torgal a traversé plus d'une ville Minienne. Protesta Yuriana.
-Il n'y avait pas la guerre!
-Peut être, mais...
Un cri sur la route devant elles vint interrompre leur débat. Un enfant, terrorisé devant l'aspect des deux immense loups, courrait à perdre haleine vers les portes de la cité en pleurant et en criant des mots incompréhensibles pour Kiine. Celle ci ne put s'empêcher de dire:
-Tu vois?
-Ts. C'est bien des gosses Miniens, ça. À son âge, je...
-Tu chassais déjà des ours à main nue, oui. Maintenant, trouvons un endroit discret où laisser nos deux fidèles montures.
-Euh... Kiine.
-Quoi? Non, le séjour ne sera pas long, ne t'en fait pas, tu pourras retrouver ta boule de poil sous moins de 24 heures.
-Non mais écoute moi, Kiine. Où plutôt regardes les portes de la ville. Je crois que c'est un peu raté pour la discretion.
En effet, les cris de l'enfant avaient alerté un attroupement composé en grande partie de gardes de la cité, dont Kiine parvenait à distinguer les imposants boucliers brillants sous la lumière du soleil. Plusieurs personnes pointaient dans leur direction, et certaines couraient dans leur direction.
-Eh merde. Discretion, c'est ça? Des Fenrirs en vue de la porte de la cité? Ironisa Kiine.
-Je n'avais pas pensé que je devrai laisser tomber mon meilleur ami pour ces foutus Miniens. Grommela Yuriana. Tirons nous.
-Non, attends. Il y a quelque chose d'étrange. Je ne sens pas d'hostilité.
Yuriana s'arrêta, mais lança tout de même.
-C'est dangereux de se fier au mantra alors que tout est brouillé par la foutue aura des Reliques.
Mais elle même ne sentait aucune hostilité parmi la petite foule accourant vers elles, ce qui n'empêcha pas les deux Fenrir de grogner et de montrer ostensiblement les dents face à ces humains leur courant dessus. Quelques cris volèrent, dont Kiine ne saisit pas un mot, et auxquels Yuriana répondit par une grimace d'incompréhension.
-Ne me regarde pas comme ça. J'ai des bases de Pontois, je t'ai dit. Rajoutes-y la différence avec le Minien et leur accent, et je serai bien incapable de te traduire quoi que ce soit.
-Nous voila bien. J'espère qu'ils ont au moins un interprète.
La petite foule se pressa rapidement autour du couple en l'engloba en son sein. Des cris joyeux et des exclamations fusaient, sans que ni Yuriana ni Kiine n'en comprenne la moindre signification. Des quelques masures au dela des murs, des têtes curieuses se montrèrent et de nouvelles personnes vinrent se mêler à la foule des curieux, qui restaient cependant à distance respectable des deux loups. Les deux guerrières se regardèrent et haussèrent les épaules avant de mener leur bêtes sur la route désormais recouverte de badauds curieux. Kiine entendit son nom être scandé plusieurs fois, et fit un petit geste de la main avec un sourire gêné à un jeune homme qui tendait la main dans sa direction en criant avec un grand sourire des choses incompréhensibles.
-Exo! Lui cria Yuriana, et il sembla comprendre puisqu'il eut un mouvement de recul.
-Évite de nous attirer les foudres des gens! Grinça Kiine entre ses dents. S'il s'avère que nous ne sommes réellement pas les bienvenus, nous serons mal.
-Je n'aimais pas la façon avec laquelle il te regardait. Se contenta de dire Yuriana en fixant la route devant elle.
Finalement, à l'approche des portes, un détachement d'hoplite ouvrit la voie au milieu de la foule pour laisser passer ce qui ressemblait à des vieillards dont les toges lâches révélaient des corps privés d'absolument toute cicatrice, comme des prêtres ou des chamans. La délégation semblait cependant profiter de toute l'attention du public et des soldats.
-C'est pour nous. Grogna Yuriana.
-Tu crois que ce sont des érudits? Ils n'ont aucune cicatrice.
-Ce sont des représentants élus de la cité, probablement. Et tout le monde ne passe pas sa vie à la guerre, ici.
-Quelle étrange culture.
L'un des vieux hommes s'approcha avec les bras tendus ouverts, comme embrassant la foule et les deux guerrières. Il commença alors à parler d'une voix forte et chaude qui, bien qu'elle n'en comprit pas le moindre mot, plût immédiatement à Kiine. L'homme avait le visage plaisant, doux, marqué de seulement quelques rides et d'une barbe blanche qui semblait aussi soignée que sa chevelure courte, si différente des longs cheveux des Nordiques. Sa voix vibrait, réalisait d'impressionnantes variations de ton et était accompagnée de gestes amples. Kiine était comme hypnotisée par cet étrange spectacle, que la foule applaudit avec ferveur quand il se termina, et la guerrière voulut en faire de même mais se retint sous le regards lourd de Yuriana, qui lui indiquait clairement de ne rien faire.
L'un des hommes ayant accompagné les vieillards en toge, l'air tout aussi vieux mais vêtu d'une tunique blanche, s'éclaircit alors la voix. Sa peau était un peu plus mat que celles des autres Miniens. Il lança alors dans un Nordique très correct:
-Noble Yuriana, fille d'Algis, Guerrière d'Hel et Terreur des Grimms, et Noble Kiine, fille de Kynareth, la Dragonicide, Protectrice du Monde, le Polémarque Pertaclès vous souhaite la bienvenue à Mines-sous-Pont, au nom de toutes ses institutions et de tous ses habitants. Il salue avec éloquence vos hauts exploits guerriers, dignes des plus grands Héros que notre Grande Créatrice a pu inspirer de son souffle divin. Il souhaite vous annoncer que, malgré les tensions qui règnent et gouvernent notre monde, vous êtes et serez toujours les bienvenues à Mines-sous-Pont, la Survivante des Dragons, et qu'il sera ravi de vous accueillir ce soir dans sa demeure pour un grand banquet en l'honneur de la victoire qui a été la votre, et en l'honneur des vaillants combattants qui sont partis rejoindre la Grande Créatrice afin de protéger la liberté des habitants. Le Polémarque espère également que vous ne venez pas ici, porteuses de mauvaises nouvelles, et il souhaite que vous sachiez que sa fidélité envers l'Empire n'est en aucun point ébranlé par les récents évènements.
Kiine voulut parler, mais Yuriana la coupa.
-Seigneur Polémarque, nous vous remercions de votre généreuse hospitalité, et vous prions de ne point nous contraindre à de tels honneurs desquels nous sommes indignes; car, en effet, sans le soutient des glorieuses cités des Mines telles que Mines-sous-Pont, la victoire n'eut jamais pu être à portée de main. Quant au motif de notre venue, que le Polémarque soit rassuré: nulle mission politique ou déplaisante ne nous amène en ces lieux, car nous ne sommes représentantes de nulle autre entité que les Tribus d'Hel, dans mon cas, et les Dieux dans celui de ma compagne. C'est à sa demande que nous venons mander votre hospitalité, afin de mener dans les murs de votre ville une affaire de la plus grande importance, qu'elle n'a pu achever lors de ses précédentes visites, écourtées par la vile offensive du Dragon sur votre glorieuse cité.
Kiine ne put s'empêcher de laisser échapper un « wow », estomaquée par la rhétorique irréprochable de Yuriana. Le traducteur sembla très satisfait, et traduit les longues phrases d'une voix vibrante, qui déclencha des exclamations dans le public. Le Polémarque sembla satisfait, et invita d'un geste à le suivre. C'est ainsi que, sous un soleil de plomb, Kiine et Yuriana entrèrent dans Mines-sous-pont sous une nuée de cris et d'applaudissements, et paradèrent dans la ville, escortées d'hoplites au visage fermé, jusqu'à l'immense demeure pastel du Polémarque, dans laquelle on offrit deux immenses morceaux de viande aux Fenrir, avant de les mener dans une grande salle dont le plafond, constitué de nombreuses voutes basses, était soutenu par moult piliers en pierre grise. On déshabilla les deux guerrière, on les baigna dans de grands bacs d'eau froide, où leur cheveux furent peignés, brossés, lavés et parfumées par des essences odorantes. Puis, les femmes qui s'occupaient d'elle les amenèrent dans une salle de marbre blanc dans laquelle un bain brûlant attendit les corps éreintés des deux guerrières. Tout en se prélassant dans l'eau, on leur coupa les ongles de manière à ce qu'ils soient parfaitement rond, et on les leur recouvrit par un étrange liquide visqueux qui, en séchant, leur donna la couleur brillante de la chevelure de leur propriétaire: noir pour Yuriana, blanc pour Kiine. On leur peigna à nouveau les cheveux, et on les leur coiffa avec une patience infinie. Ainsi, Kiine trouva ses cheveux désormais courts réunis en un petit chignon faussement négligé, et deux mèches blanches laissées libres encadraient son visage maquillé par de la poudre blanche et ses yeux marqués d'un trait de Khôl. Yuriana, quant à elle, vit ses cheveux tressés en deux longues nattes qui furent élégamment nouée à l'arrière de sa tête, et subit le même maquillage. On leur lava le corps d'autres essences sentant bon le thym, la lavande ou l'encens. Enfin, on les vêtit de longues robes amples, et les femmes se retirèrent après avoir admiré leur oeuvre.
Un peu secouées, les deux guerrières se regardèrent un long moment avant d'éclater de rire.
-Vous êtes magnifique, madame la Polémarque. Susurra Kiine.
-Pffff ton ignorance perce, belle Guerrière. Le jour où les femmes auront accès aux fonctions publiques autres que religieuses aux Mines sera le jour où la Taiga d'Hel dominera le monde!
-Ne parlons pas encore de domination du monde... je ne pensais pas qu'il était possible de noircir encore plus ton beau regard, mais j'imagine que je me trompais.
-Et j'imagine qu'ils n'ont pas pensé que le khôl noir contrasterait plutôt fortement avec tes cils blancs. Répondit Yuriana. Il faut dire que c'est assez unique... hey!
La main de Kiine venait de glisser sous les bretelles de la robe de Yuriana, maintenue sur ses épaules par deux disque dorés, pour aller caresser sa poitrine.
-Pas maintenant, Kiine! Rougit la Guerrière d'Hel. Nous allons être invitée au banquet du Polémarque, il faut que tu saches tout de ce que l'on peut et ne peut pas y faaaaaaairaaaah arrête.
-Le Polémarque attendra. Je me suis retenue en voyant ton corps nu touché par toutes ces femmes pendant trop longtemps, je ne peux pas attendre plus longtemps...
-Oh par tous les Dieux, Kiine... quelle enfant tu fais.
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