Le Chant du Couchant XXVIII
Lefko se glaça devant le spectacle qui s'offrait à elle. Des hurlement terrorisés se mêlaient aux cris de révolte des insurgés qui commençaient à se répandre dans l'enceinte du palais royal. Une épaisse fumée noire commençait à s'élever droit dans le ciel, venant se mêler au brouillard obscur qui assombrissait habituellement l'air de la cité bolrève. Dans les jardins, face à elle, Lefko aperçut un jeune nain vêtu de haillon enfoncer son marteau dans le crâne d'une aristocrate déjà au sol, effondrée entre deux buissons savamment taillés. Mais, surtout, ce que Lefko aperçut, se fut l'immense silhouette informe qui semblait élever ses bras au dessus des coupoles et toits du palais royal. L'aura chaotique de Kiine irradiait de mauvaises ondes, de haine et de colères, et sa puissance en était venue à prendre forme, à se matérialiser, signalant la présence de la Kesjarinna au pied de l'apparition. Un toit s'effondra soudain, à quelques centaines de mètres du porche de la grande bibliothèque où se tenait encore l'opaline, immobile, figée, son médaillon désormais parfaitement froid dans la main.
Lefko savait ce que cela signifiait. Même si elle ignorait comment cela avait eu lieu, elle savait que Triss n'était plus de ce monde. Elle serra avec force le pendentif qu'elle lui avait donné, la gorge serrée. Elle ne pouvait pas prétendre avoir bien connu la main de la Kesjarinna, mais Triss avait été celle qui l'avait accompagnée lorsque Kiine avait dû retrouver ses obligations. Elle était celle qui avait placé toute sa confiance en elle, en lui confiant une partie intégrante de son âme, le lien de sang qui était sensé la relier à son amant. Lefko pensa à Bjorn, resté en Taiga d'Odin, et qui, privé de cette amulette, ignorait le destin de sa compagne. Lefko pensa à Anna et Bella, les deux filles les plus âgées de la Kesjarinna, qui ignoraient encore qu'elles venaient de perdre une de leurs mères - et que leur seconde était si consumée par sa colère que l'opaline ignorait si elle pourrait en revenir. Triss était repartie aussi vite qu'elle était arrivée. Elle avait donné un rayon d'espoir à leur petit groupe démoralisé, avant de disparaître, emportant avec elle toutes les certitudes. Où était Rehyan? Naïa et Dol'taïm étaient-elles en sécurité? Et qui parviendrait à arrêter le colère de Kiine? Tant de questions qui se bousculaient dans l'esprit de Lefko, chacune étant une douleur de plus dans sa poitrine, mais aucune n'ayant de réponse.
Joukov, arrivant au niveau de la jeune femme, blêmit.
-C'est donc ça, le pouvoir du Sang Abyssal? Murmura-t-il. C'est... démentiel... les livres... les livres parlent d'un grand pouvoir, mais pas... je veux dire, les mages de la cours du roi sont puissants! Mais face à ce monstre...
Lefko fixa l'apparition mantratique au loin, partagée entre la frayeur et l'inquiétude, avant de se saisir du bras de Joukov avec un air résolu.
-Nous sommes venu chercher des informations, alors vous allez me les donner désormais, Joukov.
-Quoi? Mais c'est l'anarchie! Et-
-Ecoutez moi bien! Rugit Lefko, dont les yeux étaient au bord des larmes, mais dont la colère restait parfaitement palpable. Vous vouliez que Kiine vous aide pour votre révolution, eh bien elle est en train de la mener pour vous! J'espère que vous êtes satisfaits! Maintenant, remplissez votre part du marché avant que je ne m'énerve!
Lefko perdait rarement son calme, mais la situation lui échappait peu à peu. Elle brûlait de désir de rejoindre Kiine pour tenter de l'apaiser, ou au moins de la défendre, de partir à la recherche de Rehyan, priant pour qu'elle aille bien. Mais c'était également peut être leur dernière occasion d'obtenir ce pour quoi elles avaient tant attendu, et, en quelque sorte, pour quoi Triss avait donné sa vie. Le pouvoir de l'opaline commençait déjà à suinter autour d'elle, s'échappant peu à peu sous l'intensité de ses émotions. Les ombres noires de la voie d'Hel rendaient floue le contour de son corps, comme si elle irradiait. Joukov déglutit.
-Bien. Déclara-t-il. Mais protégez moi si le grabuge s'approche de nous. Je protégerai ces livres avec ma vie s'il le faut.
-Peu m'importe! Rugit Lefko. Faites vites!
-Dites moi quel est l'objectif de votre voyage, dans ce cas! Glapit-il. Je ne peux pas vous aider avec les demi indices que vous m'avez déjà fourni!
Lefko hésita un instant. Révéler l'objectif de leur quête recelait un danger certain, surtout en sachant que Crépuscule était encore à leur poursuite. Mais au vue du chaos qui prenait place hors du bâtiment, Lefko sut qu'il ne mettrait pas beaucoup de temps à les retrouver - s'ils ne l'avaient pas déjà fait.
-L'Okron! S'exclama-t-elle alors. Nous sommes à la recherche de l'Okron!
Joukov resta interdit quelques secondes, avant de se plonger dans ses pensées.
-Je... je vois. J'ai déjà lu à son sujet. S-suivez moi.
Le nain pénétra dans la grande bibliothèque désormais intégralement vide, tous ses visiteurs ayant fui le plus loin possible de la mort que voulaient leur apporter autant Kiine que les insurgés. Longtemps, le nain et l'opaline longèrent rayon après rayon, traversèrent des couloirs, montèrent des escalier, pour enfin arriver à une minuscule section, en retrait de la bibliothèque, cadenassée et verrouillée.
-Ce sont... tous les livres se rapportant à l'Abysse, à l'Empyrée, et aux Reliques. Ils sont considérés comme trop dangereux pour être laissés accessibles, et... c'est compréhensible. Déclara Joukov en déverrouillant les serrures rouillées, qui semblaient ne pas avoir été ouvertes depuis des décennies au bas mot.
Puis, il parcourut les tranches des livres présents. Tous semblaient anciens, et peu étaient écrits en nain. Lefko remarqua que, au contraire, beaucoup étaient rédigés à l'aide de runes miniennes.
-Ce ne sont pas des livres d'ici. Fit-elle remarquer.
-Non. Mais ces livres ne viennent pas non plus des Mines, si c'est là votre question. Ils... ce sont des Reliques du Royaume Obscur. Parmi les rares qui subsistent, à vrai dire. Ce sont les seuls ayant une connaissance pointue des démons et des Reliques à ce jour.
Lefko frissonna. Tous ces ouvrages étaient donc liés à Brocéliande. Une vague de souvenir l'assaillit, mais elle la repoussa avec violence. Son esprit était aiguisé par l'urgence de la situation, et elle n'avait pas le temps de se perdre en considérations passéistes. Elle devait accomplir sa mission ici, puis tenter de réunir tout le monde. Elle pensait même avoir un plan pour faire revenir Kiine à elle même, en espérant qu'elle soit toujours en vie d'ici là.
-Ah, voilà. S'exclama Joukov en saisissant fébrilement un livre très fin, mais aussi visiblement très ancien. C'est toutes les informations réunies par le Royaume Obscur sur l'Okron qui nous soient parvenues.
-C'est peu. Constata Lefko, la voix tendue.
-Certes.
-Est-ce qu'il indique au moins où il se trouve? Ou donne le moindre indice?
-Non, malheureusement. La seule indication donnée par l'auteur est "vers l'Est, sous les montagnes". Il précise également qu'il veut partir à sa recherche, mais il n'y a aucune suite, et donc il est impossible de savoir s'il a réussi sa quête.
-Alors à quoi sert donc ces fichues informations! Enragea Lefko. A-t-on attendu tout ce temps pour rien? Nous n'allons pas simplement errer dans les mines jusqu'à tomber dessus par chance!
-Attendez, il y a tout de même une autre information importante. Il est dit que... l'Okron est profondément lié, d'une manière ou d'une autre, à la magie du monde. Il est sensé exaucer le vœu de celui qui le trouve, n'importe quel vœu, contre un prix cependant... parfois élevé. Mais surtout, il est très lié aux personnes portant le Sang Abyssal.
-Qu'est ce que ça signifie? Demanda Lefko en fronçant les sourcils.
-Eh bien... l'auteur dit en ignorer la raison, mais il prétend que tous les porteur des yeux mauves peuvent ressentir sa présence dans les grottes, et c'est la raison pour laquelle ils étaient aussi convoités par les dirigeants du Royaume Obscur. D'après le peu d'information qu'on ait, être une personne aux yeux mauves sous le règne de cette tyrannie pouvait rapporter gros. Immense prestige, place de choix dans les palais et dans les cercles proches du pouvoir... tous les souverains du Royaume auraient effectué un pèlerinage jusqu'à l'Okron à un moment de leur vie, accompagnés de Sangs Abyssaux. Mais leur bénédiction sous le Royaume Obscur devint leur malédiction une fois sa chute survenue. Ils étaient le symbole de ces rois haïs. Le symbole de siècles d'oppressions qui, même si le Grand Oubli l'avait effacé des mémoires, restait quelque part gravé dans le subconscient des populations opprimées.
-Vous êtes en train de me dire que la raison pour laquelle les Yeux Mauves sont haïs et persécutés en beaucoup d'endroits est liée directement à l'Okron.
-Pas que, bien sûr. Vous avez pu voir que le Sang Abyssal est à l'origine de... pouvoirs particulièrement puissants et instables. Cette peur est aussi une raison des persecutions.
-Mais non avons une Sang Abyssale avec nous depuis le départ! S'exclama Lefko. Nous aurions pu quitter Lenkaro il y a des semaines! Nous aurions pu... éviter toutes ces folies, tous ces massacres!
-Mais nous, nous aurions été écrasés. Rétorqua Joukov, la mine sombre.
-Le sort des habitants de ce pays m'importe peu! Glapit Lefko. Nous ne sommes pas venus sauver le monde, juste notre propre peau! C'est déjà bien assez de travail comme ça!
-Et c'est la raison pour laquelle j'ai dû ne pas vous laisser d'autre choix que de nous aider. Asséna Joukov.
Lefko fulminait. Elle comprenait qu'elle aurait probablement fait la même chose que lui, si cela avait permis d'aider sa petite famille. Mais elle n'était pas lui. Et en conséquence, elle ne voyait que le nain qui avait retenu ses informations si longtemps que Triss en avait perdu la vie.
-Vous avez la mort de Triss sur la conscience, Joukov. Et celle de tous ceux qui vont périr aujourd'hui des mains de Kiine, alliés et ennemis. Puissiez vous ne jamais dormir et rester tourmenté par ces âmes jusqu'à votre dernier souffle.
Et, sans un mot, Lefko fit demi tour.
Une fois sortie de la grande bibliothèque, désormais seule, l'opaline se retrouva confrontée à l'enfer qui se jouait à l'extérieur. L'armée avait fini par intervenir, mais les combats faisaient rages, et les cendres rendaient la vision presque impossible. Néanmoins, les vagues d'énergie chaotique de Kiine était encore bien là, et Lefko se concentra longuement, comme la Kesjarinna le lui avait appris, pour suivre sa trace, tout en évitant les flèches, projectiles et autres coups mortels qui fusaient dans toutes les directions. En longeant coursives, bâtiments mis à sacs et salles effondrées ou en flammes, l'opaline parvint jusqu'au grand parvis menant aux quartiers du roi. Il n'y régnait qu'un enfer de flamme, de sang et de cadavres, qui prit l'opaline à la gorge, manquant de la faire vomir. Les corps étaient déchiquetés et exsangues, comme si leur hémoglobine avait cherché à s'enfuir de leur veines par tous les orifices possibles. Les yeux révulsés, les organes répandus, tout n'était qu'horreur. Lefko avait vu des choses terribles, à Brocéliande. Des choses qu'elle n'oublierait jamais. Mais rien, rien de semblable à un tel enfer, à une telle marée de cadavres n'attendant que les charognards ou la décomposition.
Lefko tenta de reprendre une contenance. Au bout du parvis, se trouvait les appartements du roi, et la salle du trône. La porte était arrachée, une partie de la façade démolie. Ceux qui gisaient au sol étaient Claniques, gardes ou révoltés, tous tués sans distinction par l'implacable Kesjarinna. L'opaline pénétra dans le bâtiment, et trouva immédiatement le corps inanimé de Rehyan, gisant contre un mur, un léger filet de sang coulant de son front.
-REHYAN! S'écria-t-elle en se jetant sur elle. Non, non, non, pas toi aussi... je t'en prie...
Lefko plaça sa main sur la gorge de l'ancienne kisaeng, et fut soulagée de réaliser qu'elle respirait encore. Cependant, son état semblait précaire, et l'opaline tenta désespérément de lui faire reprendre conscience, tout en épongeant le sang qui s'écoulait de sa blessure à l'aide d'un ruban de tissu arraché de sa propre tenue. Après quelques minutes de soins très rudimentaires, les yeux aussi rouges que sa chevelure de Rehyan s'entrouvrirent.
-Par la Grande Créatrice! Soupira Lefko, légèrement rassurée. Comment te sens-tu?
-J'ai... l'impression qu'un orchestre a organisé un concert dans mon crâne. Grogna Rehyan. Mais sinon, ça va.
Elle tenta de se relever, mais ses bras flanchèrent dès qu'elle le fit et elle s'écroula au sol.
-Doucement. La rassura Lefko. Tu as l'air épuisée, et tu es blessée.
-Je suis désolée, Lefko... murmura l'ancienne kisaeng, d'une voix tremblante qui ne lui ressemblait pas. Je n'ai rien pu faire, je... je...
-Ça ira, ça ira. La calma Lefko, regrettant que Naïa ne soit pas présente pour apaiser l'esprit troublée de son amie. Si même Kiine n'a rien pu faire, alors toi non plus.
-Mais-
-Rehyan, le temps presse. L'interrompit Lefko, dont la tension venait de remonter alors qu'une nouvelle coupole venait de s'effondrer dans le bâtiment. Tu peux m'expliquer ce qu'il s'est passé?
-Je suis arrivée, et... Triss était déjà... je n'ai pas réussi à me contrôler, j'ai... je ne pouvais pas... j'ai voulu tout détruire, tout raser, je... j'ai pété un cable, Lefko. Et... la Kesjarinna aussi, je pense, mais encore pire que moi. Elle... avait juste l'air de ne plus être là, d'être... une démone, ou une créature de Brocéliande, je ne sais pas...
-Je vois parfaitement ce que tu veux dire... murmura Lefko avec un frisson, n'ayant que trop de mauvais souvenirs des regards abyssaux et dépourvus de toute conscience des créatures qui hantaient les tréfonds de la forêt maudite.
-Elle... elle tuait tout ce qui s'approchait trop prêt d'elle, et... au bout d'un moment, c'est moi qui ait failli en faire les frais. J'ai plus ou moins réussi à esquiver, mais... elle est si puissante...
-Il va pourtant falloir trouver un moyen de l'arrêter... glissa Lefko. Et... je crois que j'ai un plan. Mais pour ça, il nous faudra aller libérer les fenrirs.
***
Kiine flottait dans un espace grisâtre. Il semblait n'avoir ni haut, ni bas, ni horizon, aucune limite, aucun début ni aucune fin. Ce n'était qu'un infini grisonnant et morne, un ennui éternel. Mais, pour autant, c'était un lieu si apaisant. Si loin de la souffrance du monde extérieur, de sa réalité douloureuse. C'était un refuge qui, malgré son vide, calmait le cœur agité de la Dragonicide. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'y était pas réfugiée.
Pourtant, cette fois-ci, elle sentit que quelque chose était différent.
Elle n'y était pas seule.
-Je n'ai pas le cœur à discuter, à vrai dire. Lança-t-elle, et sa voix rauque l'étonna elle même.
-Pourtant, il est bien nécessaire de le faire, Kiine.
Le voix était douce, chaleureuse, elle rappelait mille souvenirs joyeux à la jeune femme, mille après-midi sous le soleil descendant de la Taiga d'Odin, mille diners dans la longère familiale, mille caresses au moment de se coucher. Un sourire naquit malgré elle sur le visage de l'impératrice.
-Tu ne peux pas laisser le chaos prendre le dessus, Kiine. Reprit la voix, cette fois-ci emplie de reproche, de Kynareth. Tu ne peux pas laisser le Sang Abyssal te consumer.
-J'aimerai tant, Maman. Murmura la Dragonicide. Mais tout est trop dur, tout est trop... juste trop. Même lorsque je sens que tout ira mieux, les dieux viennent me rappeler que je ne suis pas destinée au bonheur.
-Le bonheur est une quête qu'il faut mener comme toute autre. Rétorqua la voix de la défunte cheffe. Tu ne peux pas blâmer les dieux pour cela.
Un rictus orna le visage de la Kesjarinna.
-Sottises. Tu m'as toujours appris que les dieux nous avaient abandonné, Maman. Et tu avais raison. Les dieux ne sont pas là pour s'inquiéter de nous, ils sont des êtres cruels et froids pour lesquels nous ne sommes que des marionnettes.
Kiine finit par ouvrir les yeux, et les posa sur l'apparition de sa mère, qui semblait flotter face à elle dans cet espace infini et morne. Ses longues boucles rousses cascadaient le long de ses épaules sur lesquelles son plastron et ses épaulières venaient épouser ses courbes. Ses yeux verts et perçants la fixaient avec tout l'amour dont Kiine se souvenait. Elle semblait rayonnante, comme si elle n'était jamais partie, comme si elle n'était pas morte plus de dix ans auparavant, sous les assauts du dragon Numinex.
-J'ai rencontré ta mère, Maman. Notre grand-mère. Tu disais que ton père avait inventé sa liaison avec une déesse pour inventer ta naissance, mais peut être avait-il dit vrai. Tu es vraiment la fille de Jägtis, Maman. Elle me l'a elle même avoué. Mais tu avais raison de haïr les dieux nous ayant abandonné, car tout ce qu'elle m'a révélé s'est avoué pire que ce que j'imaginait des dieux. Tout... tout n'était que mensonge. Ta naissance, la mienne, la destruction des derniers dragons, la réunification des Reliques... tout était visiblement déjà décidé par elle! Ah! Quels bons et loyaux outils avons nous été pour elle. Mais quand a-t-elle fait quoi que ce soit pour notre famille?
L'apparition de Kynareth ne répondit pas. Kiine continua alors.
-Jamais. Jamais ne t'es elle venue en aide lorsque tu combattait les dragons à ta place. Jamais ne m'a-t-elle guidée quand je tentais de combattre Freya pour récupérer les Reliques. Jamais n'a-t-elle seulement tenté de sauver Yuriana, ou de nous aider à la venger, ou quoi que ce soit d'autre. Elle est seulement apparue un jour, telle une fleur, pour me demander de lui remettre les Reliques afin qu'elle les garde... en "lieu sûr", selon ses propres mots. Ah! Elle n'a même pas la confiance de nous en laisser la garde, alors que c'est nous qui avons risqué notre vie pour les réunir. Alors non, je ne cesserai pas de blâmer les dieux. Je ne cesserai jamais de leur reprocher leur inaction, leur passivité, leur hypocrisie. J'espère m'être bien faite comprendre, Jägtis.
Kynareth resta immobile, quelques courts instants, avant que ses contours ne se brouillent pour laisser apparaître la forme humanoïde de la déesse.
-Tu ignores ce que j'ai abandonné pour vous donner la vie, Kiine. Déclara-t-elle, d'une voix profonde qui semblait surgir des entrailles du monde lui même.
-Tes états d'âme me font bien rire, déesse. Ricana Kiine. Maintenant, tu viens même me poursuivre dans mon esprit, et pour quelle raison? Voudrais-tu que je ramène l'Okron pour l'ajouter à ta collection?
-L'Okron n'a rien d'une Relique comme les autres, Kiine, et tu es incapable de comprendre la puissance qu'elle recèle, et le danger que représente le fait que tu t'y rendes, en risquant d'y guider Crépuscule.
-Non, en effet, je ne sais rien de cette Relique, de ses pouvoirs. Peut être que si tu avais été présente pour notre famille, je l'aurai su à l'avance. Peut être que je ne serait pas partie à la recherche d'un énième mirage qui pourrait me sauver de mes cauchemars, parce que je n'en aurai aucun. Peut être qui si vous autres vous dieux considériez Crépuscule comme un tel danger, alors vous devriez vous en occuper vous même plutôt que de vous servir de nous autres mortels comme de simples pions jetables. Et...
Kiine s'interrompit soudain, au beau milieu de sa tirade. La très faible relique de conscience qui la reliait encore à son corps venait de ressentir quelque chose. C'était si léger et flou, et pourtant, le coeur de la Kesjarinna rata un battement. Ses lèvres s'asséchèrent. Une douce lueur d'espoir s'alluma dans son âme.
-N'espère point trop, Kiine. Tu avance sur une route qui ne peut te mener qu'à la déchéance.
-SILENCE! S'écria la Dragonicide. RETOURNE DONC DANS TES BOIS SACRÉS DONT TU N'AURAIS JAMAIS DU SORTIR!
Kiine chassa la présence divine de son esprit et, lentement, se laissa attirer par cette présence familière, cette vibration sombre mais douce qui lui avait tant manqué, et qu'elle avait cru avoir oublié. Ce n'était pas un cauchemar, cette fois-ci. C'était réel. C'était enfin l'occasion de la revoir, de s'excuser, de lui demander de revenir, de ne plus jamais la quitter.
La Kesjarinna revint à elle alors qu'elle venait de finir de détruire la salle du trône. Ses yeux noircis reprirent leur couleur blanche, tandis que, sa conscience ayant refait surface, elle se retourna vers l'entrée de la grande pièce en ruine. Une silhouette s'y tenait, fièrement montée sur son fidèle fenrir, Torgal. Sa longue cape noire battait dans le vent créé par le brasier environnant, tandis qu'elle brandissait son épée à lame noire. Ses longs cheveux noirs ondulaient magnifiquement. Une larme roula sur la joue d'une Kiine encore désorientée, alors que les ombres si spécifiques au pouvoir de la voie d'Hel rampaient sur le sol détruit et les murs effondrés.
-Yu... murmura Kiine, en tendant une main pleine d'espoir vers l'apparition. Je... suis... déso... lée...
La force lui manqua. Le contrecoup de la puissance qu'elle venait d'utiliser était immense. Son regard se brouilla, tandis que ses jambes lui firent défaut. Elle sentit son esprit s'enfuir de nouveau.
-Non... gémit-elle. Ne pars... pas...
Kiine s'effondra contre le sol. Autour d'elle, rien d'autre que chaos, carnage et destruction. La silhouette fit s'avancer sa monture vers la Kesjarinna mais, derrière la cape noire, ne surgit pas le visage de Yuriana. D'un regard attristé, Lefko regarda le corps évanoui de Kiine. Elle savait que ce qu'elle venait de faire aurait des conséquences terribles sur l'esprit de la Kesjarinna. Mais elle n'avait eu d'autre idée pour la tirer de sa transe meurtrière, et ne s'était pas attendue à ce que son plan fonctionne aussi bien. Sans plus attendre, elle hissa la Dragonicide inconsciente sur le dos de Torgal, puis, sans attendre un instant de plus, dirigea le fenrir vers la sortie du complexe en ruine, loin de cette folie, de tous ces morts, loin des nains et de Bolrev.
***
Malgré la rumeur lointaine de la bataille, des combats, des barricades et des massacres, un calme de mort régnait sur la salle du trône. La haute chaise, richement ornée, qui avait servi à accueillir le royal fessier du souverain de Bolrev, était fendu en son milieu, tout comme le corps de son propriétaire à ses pieds. Partout, cadavres, gravas, dans une ambiance poussiéreuse et enfumée par le brasier qui continuait de prendre en importance.
Une silhouette surgit de l'ombre d'un pilier, vêtue d'un long manteau noir. Luxuria observa la scène de massacre avec une royale indifférence, sa main jouant avec la Relique qu'il tenait dans sa main. La lueur sombre qui brillait au fond de ses yeux, cependant, laissait entrevoir la jubilation du Crépusculaire.
-Ira! Appela-t-il d'une voix forte et autoritaire.
Surgit alors du sol la silhouette fantomatique et intangible de son frère, identique à lui en tout point à l'exception du rictus de rage constant qui semblait déformer son visage.
-Ce que nous venons de voir est des plus intéressants, n'est-ce pas? Demanda l'homme à la Nekkreidi.
-Oui. Enfin, je crois? Répondit son frère. Ça veut dire quoi, au juste?
Un sourire mauvais apparut sur le visage de Luxuria.
-Cela veut dire que je n'aurai peut être même pas à utiliser notre amie commune pour convaincre la Kesjarinna de nous mener à l'Okron. Déclara-t-il, alors que, d'un simple mouvement, il fit apparaître la silhouette spectrale d'Actée.
-Alors on se contente de les suivre?
-Tu continues de les suivre, Ira. Mais nous gardons un oeil sur elles. Il serait dommage que ce qui vient de se passer vienne semer le trouble au sein de leur petit groupe... si besoin est, peut-être devrons nous intervenir pour leur rappeler que l'unité est leur seule opportunité de survie...
-Est-ce qu'on pourra en tuer une autre? S'exclama Ira, avec une joie à peine contenue.
-Cela les motiverait sans doute encore plus, en effet. Acquiesça le Crépusculaire. Ton travail avec le meurtre de la nordique a largement dépassé toutes nos espérances, en tout cas. Je te félicite.
Un rire tonitruant s'échappa de la gorge intangible de Ira.
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