Le Chant du Couchant XVI
-Quelle hauteur! S'exclama Lefko, abasourdie.
La terrain plat de la Taiga d'Hel avait commencé à se faire de plus en plus vallonné, son sol ridé offrant gorges et petites montagnes, torrents et nouveaux animaux plus habitués des terrains escarpés. La roche devenait de plus en plus souvent apparente, tout comme la fraicheur des nuits augmentait pour rappeler aux quatre survivantes de Brocéliande leur expédition aux frontières du monde civilisé, au pied des Grands Monts Gelés. Mais tout cela n'était rien par rapport aux immenses rasoirs tranchants qui perçaient le ciel et que l'on pouvait déjà apercevoir depuis ces terres frontalières entre les mondes humains et nains, entre l'Empire et le royaume nain de Bolrev. Les immenses montagnes d'Helljarchen semblaient ne pas avoir de sommet, et la blancheur immaculée des cimes s'immisçait et se perdait parmi les nombreux nuages qui moutonnaient dans les cieux qui les surplombaient.
-Je pensais avoir tout vu dans le nord de l'Empire, mais là... admis Rehyan, qui pourtant n'était pas du genre à laisser paraître ce genre de sentiments.
-Ma mère me disait qu'Helljarchen était la patrie la plus haïe d'Himlen, car ses cimes viennent déranger son habitat céleste. Commenta Kiine.
-T'y es tu déjà rendue? Demanda Lefko.
-Jamais. Trancha la Kesjarinna, sans interrompre la marche de son fenrir.
Le silence retomba, et les regards étaient tous fixés sur elle, en tête du petit cortège, avec la lueur insatisfaite qu'amène les explications insuffisante. La Dragonicide finit par s'en rendre compte, et soupira.
-Aucun territoire nain ne fait partie de l'Empire, alors je n'ai jamais eu à m'y rendre. Au delà de cet aspect purement pratique, les trois Royaumes sont connus de par le monde entier pour leur extrême instabilité.
-Quelle en est la raison? Interpella Naïa.
-Bonne question. À vrai dire, je l'ignore en grande partie. Les principales productions des nains sont les métaux et joyaux qu'ils exportent essentiellement par le Pont oriental, au sud, ou par Belles-Mines, au nord. Mais, étant donné que les seuls métaux dont nous avons usage sont le fer, le cuivre et l'étain, qu'on trouve en quantité dans les Mines Méridionales, nos contacts commerciaux avec les nains n'ont jamais été immenses. Et, en conséquence, nous n'avons jamais vu l'intérêt de nous intéresser plus profondément ni à la culture ni à la politique de ces royaumes. Tout ce qui nous intéresse, c'est de savoir qu'ils ne sont pas expansionnistes, et qu'ils ne quittent quasiment jamais leurs montagnes. Les avoir comme voisins, c'est comme ne pas en avoir, finalement.
-Donc si je résume, nous nous enfonçons dans un territoire dont nous ne savons rien ni des coutumes ni de la langue. Fit remarquer Dol'Taïm avant de retomber dans son habituel mutisme.
-Je n'irai pas jusque là non plus. Rétorqua Kiine. L'instabilité vient en grande partie de constantes querelles entre les Clans, une sorte d'aristocratie familiale qui se déchire pour les dominations des trois Royaumes. Mais quant à savoir pourquoi aucun ne prend le dessus ou comment cet état perdure depuis au bas mot des siècles, je ne saurai me prononcer. Quant à la langue, nous nous dirigeons vers Bolrev, le Royaume commerçant qui longe les frontières de la Taiga d'Hel et du Pont Oriental. Nous y trouverons des marchands et seigneurs qui parlent nos langues. L'important, c'est juste de trouver un guide pour nous guider à travers les dédales souterrains afin d'atteindre l'Okron. Nous ne sommes pas là pour faire du tourisme ou découvrir la « culture naine ». Notre visite doit être courte, et discrète. Souvenez vous en.
Les quatre femmes accompagnant la Kesjarinna se souvinrent parfaitement de ces mots lorsque, quelques jours plus tard, elles pénétrèrent dans la première bourgade naine, du nom d'Helagrod. En effet, la foule qui se massait aux abords de la voie principales pour apercevoir les voyageuses, annoncées par leur passage proche des différentes fermes et hameaux des vallées avoisinantes, était immense. Petits, trapus, et pour la plupart, très barbus, les nains se pressaient pour observer ces étrangères au port si noble, à la taille si imposante, et aux montures si étonnantes.
-Discretion, donc. Ricana Rehyan.
La Kesjarinna grogna.
-Tant qu'ils ne savent pas qui nous sommes, ça ira encore. Dit-elle.
Mais lorsqu'un nain, richement vêtu, à la barbe magnifiquement tressée et ornée de bagues et ornements en or et argent, sertis de joyaux, s'avança au devant d'elles, entouré d'une escorte de gardes en cotte de maille, vint à leur rencontre en souhaitant « bienvenue à la Kesjarinna au nom du clan Kalamine » dans un Nordique tout approximatif, Kiine sembla se résigner.
-Pas de discretion, donc...
-Peut être aurait-il fallut te teindre les cheveux. Fit remarquer Lefko. Ils sont si clairs et reconnaissables...
Kiine eut une grimace à cette idée, mais ne dit rien, se contentant, après s'être passé machinalement la main dans les cheveux pour en examiner la couleur neige, de mettre en marche son « mode Kesjarinna », répondant poliment à l'invitation du noble local dans sa demeure.
La ville naine était assez différente des ouvrages humains trouvables dans les plaines centrales du continent. Bien loin de se répandre dans tous l'espace disponible, elle semblait compacte, comme serrée sur elle même, tentant de gagner le moindre centimètre d'espace disponible. Les maisons étaient, pour la plupart, très basses, et les nouvelles venues pouvaient en toucher sans difficulté les gouttières et toits recouverts de pierres mauves. Portes, fenêtres, marches, tout était à plus petite échelle, correspondant à la corpulence moyenne du peuple les occupant, mais cela ne pouvait expliquer seulement l'imagine si recroquevillée que renvoyait la cité. La vallée était large et plate, et les nains n'auraient eu aucune difficulté à étendre leurs murs. Il semblait à Lefko qu'il aurait suffit qu'une maison s'écroule pour entrainer toutes les autres dans sa chute. Son passé de fille de joie dans une cité minienne, où la promiscuité rendait les incendies particulièrement dévastateurs, la poussait à se demander comment les nains pouvaient ils vivre dans de telles conditions - qui lui semblaient bien pire que celle des quartiers pauvres de Mines Sous Pont.
L'escorte du noble se dirigea ainsi au travers du dédale de ruelles, se taillant un chemin au milieu de la foule de curieux à coups de piques. Les habitants ne semblaient pas particulièrement mieux lottis que leur lieu de vie, vêtus de vêtements ternes et rapiécés, les visages râpeux et ridés. Lefko ignorait si c'était un trait courant chez les nains, où si ceux là étaient simplement épuisés par la vie. Les gardes entouraient Kiine et ses compagnes, les séparant fermement du reste de la population. C'est ainsi que, après un périple qui sembla durer un long moment, elles furent amenées devant une grande demeure, qui avait des apparences de château fort au sein de la ville. On en fit ouvrir les portes, et, dès qu'elles l'eurent franchie, elles furent frappées par la différence d'ambiance qui régnait dans la cours. Loin de la promiscuité des rues qu'elles venaient de traverser, loin de la saleté des quartiers, loin de la foule qui s'agglutinait autour d'elles, se trouvait désormais, bien plus qu'une cours, mais un immense parc entouré de murailles épaisses.
On vint emmener leurs montures aux écuries, et elles furent introduites dans la demeure en elle même qui, passée l'apparence extérieure, très clairement conçue pour la défense, était un parangon de luxe. De toutes part, s'étalaient argenterie, armes d'apparats accrochée aux murs, armures se tenant, immobiles, au garde à vous, et ornements en pierres précieuses. Les murs étaient ornés de modèles floraux et mythologiques complexes, feuilletés d'or sur un fond blanc immaculé, et de grandes tentures recouvraient sols et plafonds. Lefko en fut estomaquée, elle qui n'avait jamais connu tel luxe. Rehyan eut du mal à camouffler son émerveillement presque enfantin, Naïa eut les yeux pétillants. Kiine et Dol'Taïm, elles, se renfrognèrent. On les fit asseoir à une table immense, qui laissait croire qu'elle devait accueillir des personnes de taille bien supérieure à celle des nains en temps normal, puisqu'il leur était tout à fait confortable d'y être assises. Puis, les plats s'enchainèrent les uns après les autres ne laissant aucun répit aux estomacs jusqu'ici peu remplis des voyageuses.
Leur hôte était aux petits soin. Il se nommait Vladomar, du clan Kalamine, et était apparemment très heureux d'accueillir des visiteuses de marque en son palais fortifié.
-Votre présence honore tout notre clan, ô Kesjarinna. Répétait-il sans cesse.
-Ne vous en émouvez pas trop. Rétorquait la concernée. Nous ne comptons pas abuser de votre hospitalité.
Lefko remarqua que Dol'Taim lançait des regards courroucés à la Dragonicide pour chacune de ses réponses froides et laconiques.
-Pourrais-je avoir l'honneur de connaître les évènements qui vous en menée en nos contrées reculées, ô Kesjarinna? Demanda Vladomar sur un ton obséquieux.
Kiine hésita. Devait-elle tenter de lui tirer les vers du nez afin de savoir où se rendre, ou bien devait-elle plutôt éviter de réveler des informations qui pouvaient tomber aux mains de Crépuscule? Elle opta pour la première option.
-Nous cherchons un moyen de nous rendre sous terre.
Le noble sembla très sincèrement interloqué, comme s'il ne comprenait pas qu'est ce qui pourrait bien pousser quelqu'un à se rendre dans les nombreuses galeries naines qui parcouraient les montagnes.
-Se rendre dans l'inframonde? Mais... enfin, je veux dire, ce n'est pas un lieu pour quelqu'un de votre envergure, ô Kesjarinna.
-Mon envergure me permet de me rendre où je le désire. Tout ce dont j'ai besoin, c'est un guide.
-Mais, ô Kesjarinna, personne ne désire se rendre dans l'inframonde. Répondit le nain. C'est une région de non droit, où la loi des Royaumes et des Clans ne s'applique plus! Seuls les Kojols s'y rendent pour creuser la roche, ou parce qu'ils n'ont pas les moyens de vivre à la surface.
-Très bien! Alors, il nous suffit de nous adresser à l'un de ces Kojols, quoi qu'ils puissent être, et de nous guider dans les souterrains.
Vladomar sembla tout bonnement horrifié à cette idée.
-Mais Kesjarinna! Ce sont des roturiers! Des plébéiens! La plupart sont des criminels qui se sont vus refuser le droit de revenir travailler la terre à la surface!
-Seigneur Vladomar. Coupa Kiine d'une voix froide. Je dois me rendre dans ce monde souterrain.
-Nous devons. Fit remarquer Dol'Taim entre ses dents.
Kiine tourna la tête vers elle, et les deux femmes se confrontèrent du regard un court instant, avant que la Kesjarinna revienne à son interlocuteur.
-Que ce soit avec ou sans votre aide, je me rendrai dans ces terres, car telle est la mission qui me mène en ces lieux.
Le maitre des lieux sembla réfléchir à toute vitesse.
-Nous... nous pouvons monter une expédition. Dit-il alors. Une escorte, des guides, et des bêtes pour nous défendre. Cela vous conviendrait-il?
-Et qu'attendez vous, en échange? Demanda Kiine.
-Oh, pas grand chose. Simplement le fait que vous laissiez le clan Kalamine s'occuper de l'organisation de toute cette expédition.
-Cela va dépendre. En combien de temps pouvons nous être partis?
Vladomar sembla se triturer sur sa haute chaise, qui lui permettait d'atteindre le plateau de la table.
-D'ici moins de deux semaines, nous pourrons réunir les troupes nécessaires...
-Deux semaines, c'est deux de trop, Seigneur Vladomar. Nous sommes malheureusement pressées. Nous partirons demain vers l'est, et...
-NON! S'exclama le noble, faisant sursauter tout le monde. Je veux dire... je peux réduire ce temps là. Une semaine. Laissez moi une semaine, et l'expédition sera prête.
Lefko échangea un regard intrigué avec Naïa, qui haussa les épaules pour marquer son incompréhension. Kiine soupira.
-Seigneur Vladomar... j'ignore ce qui vous pousse à désirer à ce point diriger cette expédition, mais, comme précisé, c'est inutile. Tout ce dont j'ai besoin, c'est d'un guide. Je suis parfaitement capable de me défendre.
-C'est simplement que...
-C'est simplement que ce cher Vladomar tient à s'attirer certains honneurs et avantages en s'attirant vos faveurs, ô Kesjarinna.
Une voix grave et rocailleuse venait de résonner dans la pièce, coupant court aux paroles de Vladomar. Un nain venait de pénétrer dans la salle. Ses cheveux et sa barbe étaient noirs comme le charbon, et son visage noyé dans cette touffe poilue semblable à la suie. Cependant, on pouvait y apercevoir un nez large, et deux yeux tout aussi sombres que les sourcils broussailleux qui les surplombaient. Vladomar blanchit.
-V-Vodj Koulov? Q... Que faites vous ici? Balbutia-t-il.
Kiine se tourna vers le nouveau venu, avec un regard intéressé l'invitant à continuer.
-Voyez vous, Kesjarinna, Vladomar appartient à une branche mineure du clan Kalamine. En s'attirant vos faveurs, il cherche à s'attirer les sympathies des membres plus influents et plus puissants. Il faut dire qu'Helagrod est excentrée, vis à vis des nœuds du pouvoir, pas vrai, Vladomar? Mais cette province possède l'avantage certain d'être frontalier de l'Empire Nordique. Avoir parmi ses alliés la Kesjarinna, dont les terres sont si proches, est un moyen de pression des plus intéressants...
-Et des plus inespéré. Termina la Dragonicide. Je ne suis pas en ces lieux pour m'impliquer dans les querelles claniques, ni pour donner légitimité à un clan sur un autre, ou à un branche familiale sur une autre.
-Mais je m'en doute bien, ô Kesjarinna. Répondit Koulov, dont la barbe laissait deviner le sourire. Néanmoins...
Il tira une chaise à lui et y monta, grâce à une petite marche présente sur chacune d'entre elle pour s'y hisser plus facilement. Puis, il posa son regard pénétrant dans celui de Kiine.
-Vous n'êtes pas en territoire conquis, ici. A Bolrev, ce sont les clans qui font la loi, pas vous. Et si vous désirez obtenir ce que voulez... vous serez inévitablement un nouveau pion sur la partie d'échec géante dans laquelle vous venez de pénétrer.
Kiine soutint le regard noir de Koulov, bien loin des manières obséquieuses de Vladomar. Pendant un long moment, les deux êtres se jaugèrent, tandis qu'une pression montait peu à peu dans la salle à manger, que tous pouvaient sentir. Kiine sourit.
-Tu as une certaines maitrise du mantra. Fit-elle remarquer.
-Dans nos contrées, nous nommons cela le rêve. Répondit-il.
-Très bien, Koulov. Laisse moi donc résumer. Reprit Kiine, en effaçant toute formalité de son langage. Je pourrai choisir de laisser Vladomar organiser mon expédition, auquel cas je le légitimerais. Je pourrai également choisir de te laisser le faire, puisque j'imagine que tu n'es pas ici sans raison. Et, si d'aventure je décidai d'aller voir ailleurs, je finirai dans tous les cas par servir le clan qui m'offrirait son aide. C'est bien cela?
-C'est cela, Kesjarinna. Répondit Koulov. Ici, tout est dirigé par les clans. La terre nous appartient, et, par voie de conséquence, les habitants nous appartiennent. La seule question que vous pouvez vous poser n'est pas de savoir si, oui ou non, vous acceptez de devenir un atout sur le plateau. La seule question que vous devez vous poser, c'est de savoir de qui vous deviendrez l'atout. La lutte des clans n'est pas simplement une question de revenus ou de guerre, c'est surtout une question d'influence et de politique.
Kiine resta silencieuse en fixant le regard charbonneux de Koulov. Puis, elle répondit:
-Très bien. En combien de temps peux tu me trouver un guide?
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