-Cheffe Elpa!

Elpa détourna son regard de la fenêtre en verre grossier, qui déformait les couleurs et formes de la tribu de Kynareth s'étendant derrière elle, au pied de la noirceur des Monts d'Alduin. Sa chevelure rousse et bouclée virevolta quand elle tourna son regard vers le nouveau venu, tirée de sa rêverie. À ses côtés, la tignasse de Triss, affalée sur une table, se releva également, les yeux encore à moitié clos par la fatigue.

-Qu'y a-t-il, Ulfric? Demanda la parricide sur un ton peu intéressé.

-Il y a des visiteurs qui disent avoir des informations sur la Kesjarinna.

L'intérêt des deux femmes se réveilla soudain.

-Quand? Où? De bonnes nouvelles?

-Je l'ignore... se défendit Ulfric. Ils disent juste venir des Mines.

Immédiatement, le regard intéressé d'Elpa se fit suspicieux. Elle se recula dans son siège, la main sur le menton.

-Des Mines, vraiment... murmura-t-elle. Hum...

-Que dois-je faire? Demanda Ulfric.

-Fais les entrer, mais prépare toi également à ne pas les laisser ressortir.

Ulfric ne posa pas la moindre question, bien à l'opposé de Triss.

-Comment ça les empêcher de sortir? Ils nous apportent des informations!

-Calme toi, Triss. Lui intima Elpa. J'aimerai bien savoir quelle genre d'information ils pourraient m'apprendre que je ne connaitrai pas déjà. Mes réseaux sont formels, et cela fait déjà plus d'une semaine que Kiine est sortie des Mines sans le moindre accident. Si on doit en plus prendre en compte les temps de voyage, à moins que ces fameux informateurs voyagent aussi rapidement que des Fenrir lancés à pleine allure, leur information ne peut provenir que des regions proches, Vorepyles voir Minekorpis s'ils ont voyagé très vite... je m'attends à des tentatives désinformation, alors je préfère simplement être préparée.

Au même instant, une guerrière entra dans la grande salle par une autre porte.

-Cheffe Elpa! Un aigle est arrivé de Yurena!

-Quel est son sceau?

-Un corbeau noir.

-C'est Sylgia... murmura Elpa. Je dois lire ce message. Triss, accueille ces « informateurs », je reviens très rapidement.

Et, sur ces mots, la cheffe de la tribu de Kynareth disparu dans les couloirs de son imposante longère, laissant la garde du corps abasourdie, et encore à peine éveillée. Elle n'attendit pas plus d'une minute lorsqu'Ulfric revint, accompagné de deux hommes qui n'étaient clairement pas Nordiques. Le premier était svelte, aux traits très fins et nobles, une chevelure blonde coupée court, de grands yeux bleus, et une immense beauté, un magnétisme comme elle en avait rarement vu. À côté de lui, plus massif, se tenait un autre homme, bruns, le visage fermé comme s'il souffrait intérieurement. Ses mouvements étaient saccadés, presque robotiques, et il alla immédiatement s'asseoir sur une chaise de laquelle il ne bougea plus par la suite.

Le premier homme pris la parole, dans un Nordique très correct.

-La cheffe n'est pas ici?

-Non, elle nous rejoindra sous peu. Répondit Triss.

-Oh... fit l'homme avec une mine contrite, qui fit cependant penser à la guerrière qu'il n'était en réalité pas si étonné. Je suis Melikes, et voici mon frère, Akelpathos. Et à qui ai-je l'honneur?

-Triss, fille de Merim, garde de la Kesjarinna. Rétorqua la concernée, en sondant les vibrations étranges - voir même absence de vibrations - émises par les deux invités.

Melikes s'anima soudain.

-Garde du corps de la Kesjarinna? Mais que faites vous ici à vous complaire dans une vie de palais alors que votre maîtresse court mille dangers!

-J'obéis aux ordres de ma maîtresse, tout simplement.

-Obéir à ses ordres? Mais ses ordres ne sont-ils pas de la protéger envers et contre tout?? J'ai vu la Kesjarinna, et j'ai vu ceux qui s'en sont prises à elle!

-Vraiment? Répondit Triss, toujours sur ses gardes. Pourrais-tu seulement me la décrire?

-Bien sûr! Elle possède les cheveux blancs comme la neige et les yeux violets comme l'améthyste. Les premiers sont coupés courts, au niveau des épaules, et elle porte un long manteau noir flanqué d'un emblème de corbeau. Elle se sert de deux épées, et est accompagnée d'une opaline, une keshiane, une kisaeng et une nymphe. Mais surtout... elle possède un regard froid, et... vide en quelque sorte. Comme s'il lui manquait quelque chose. C'est l'image qu'elle m'a laissée en tout cas.

Ces derniers points firent tiquer Triss. Si les premiers pouvaient être connus de tous, il fallait avoir vu la Kesjarinna en réalité pour comprendre les deux autres.

-Raconte moi ce que tu sais. Continua Triss.

-J'ignore beaucoup de chose, ô grande guerrière. Mon frère et moi sommes de la cité de Minékorpis, dans les environs de laquelle a été aperçue la Kesjarinna aux prises avec une cohorte d'homme en robe noire. Mon frere et moi, qui tenons une taverne, avons vu ce combat se dérouler sous nos yeux, dans les champs derrière chez nous, ou campait la Kesjarinna et ses compagnes.

-Comment peux tu savoir qu'il s'agissait d'elle?

-Eh bien, elle est venue en début de soirée se désaltérer rapidement à l'auberge. Oh elle n'est pas restée, mais elle avait soif. Je lui ai donc servi du meilleur de mes vins, et-

-Abrège! Le coupa Triss, de plus en plus tendue.

-Mes excuses... je l'ai reconnue, car il n'est pas de femme pareil dans tout Alodya, j'en suis persuadé!

-Pourquoi ne pas avoir transmis cela aux autorités de la cité?

-Vous ne connaissez pas Minékorpis, ô grande guerrière... ceux qui n'y ont pas vocation militaire ne sont pas admis dans les murs. Quant à l'administration Nordique, elle nous a ri au nez en nous disant que la Kesjarinna régnait à Yurena. Nous avons dévidé de venir porter ces éléments nous mêmes, mais...

-Les assaillants! À quoi ressemblaient-ils? Ont-ils vaincu la Kesjarinna?

-Il semble que oui, ô grande guerrière. Nous ignorons à quoi ils ressemblaient! Ils étaient tout de noir vécu, mais un étrange malaise m'a pris quand je les ais entraperçus de loin. Comme une mauvaise vibration émanant d'eux, un sentiment de menace, ou...

-Une Relique? Murmura la guerrière. Si elles ont été attaquée par des porteurs de Relique, alors même Elpa ne le saurait pas...

-Je... l'ignore, ô grande guerrière. Nous avons voulu chevaucher leur montures pour venir ici au plus vite, mais l'une d'entre elles, un très grand loup noir, a faillé me mordre le bars!

-Réponds moi, Melikes! Est-ce que l'opaline a aussi été emportée par les agresseurs?

-Il ne restait aucune des compagnes après le combat, ô grande guerrière.

Triss se leva immédiatement.

-Ulfric. Vous direz à la cheffe Elpa que je suis partie pour Minékorpis.

-Que... aussi soudainement? Mais, guerrière Triss, je-

-Chaque SECONDE qui passe est une seconde où la Kesjarinna peut céder, voir pire, mourir. Tu feras ton rapport sur ce que tu viens d'entendre à la cheffe, et mes au revoir à mes filles ainsi qu'à Bjorn, quand il reviendra du Grand Nord. Je ne peux pas me permettre de l'attendre pour partir. Je reviendrai avec la Kesjarinna vivante, ou bien je ne reviendrai pas.

-Ô Grande Guerrière! Souhaitez vous que nous vous accompagnions? Demanda Melikes.

Triss le jaugea de haut en bas.

-Non. Si tu as dit vrai, alors je saurai les retrouver. Vous deux allez rester ici, et répéter votre histoire à la cheffe Elpa. Elle saura prendre certaines mesures, mais moi seule puis les pister efficacement. Il lui suffit de me faire préparer un contingent pour m'accompagner à la tribu d'Arga ou à Minekorpis!

Et, sur ces mots, Triss sortit en trombe de la longère pour aller empaqueter quelques rapides affaires, puis sauter sur son Fenrir. Abasourdi, Ulfric begaya.

-Mais... mais... oh, il faut que je prévienne...

-Il n'y a besoin de prévenir personne... susurra Melikes sur un ton suave en saisissant le guerrier par le bras.

-Lâche moi, Minien! La Cheffe Elpa doit...

Un scintillement mauvais se refleta dans les yeux du guerrier. L'instant d'après, son corps s'effondrait, et la Nekkreidi tremblait de joie de voir une nouvelle volonté venir satisfaire son estomac maudit.

-La cheffe Elpa est occupée par un message de Yurena. Susurra Melikes, ou plutôt, Luxuria. C'est bien... Freya nous donne de belles opportunités sans le vouloir. Ira! Laisse ce pauvre corps et suis la garde du corps! Tu sauras comment me joindre une fois que tu auras trouvé la Kesjarinna.

Le corps impressionnant de « Akelpathos » s'effondra, face contre la table, lorsque la silhouette désincarnée d'Ira en sortit. Son habituel rictus de colère aux lèvres, il disparut au travers d'un mur, laissant son frère Crépusculaire, seul, avec le cadavre.

-Bien... murmura-t-il. Il est maintenant temps de rendre une petite visite au plateau des Monts d'Alduin.

***

Elpa fixait le message envoyé par Sylgia depuis de longues minutes. Elle le relisait en long, en large, en travers, essayant d'admettre ce qui lui était impossible d'admettre pour autant, et se dessinait pourtant à l'horizon. La guerrière s'occupant des communications par aigle de l'empire, réservée à l'usage de la Kesjarinna et de son service de renseignement, finit par oser interpeller sa supérieure.

-C-Cheffe?

-As-tu déjà entendu parler des Nihils, Aela? Demanda la voix blanche de l'Oreille de l'Empire.

-Les... Nihils? Ce sont des démons, il me semble. Des Svörpen. On raconte qu'ils vivent dans les Grands Monts Glacés il me semble, mais à part ça...

-Oui... c'est bien ce qu'il me semblait... mais je n'ai jamais beaucoup écouté les chamans.

Sans plus attendre, Elpa se leva et sorti de la salle des oiseaux, Aela sur ses talons. Les mots couchés sur le papier, envoyés par la Garde du Corps restée à la capitale, résonnait dans son esprit.

« Terminé interrogatoire de la créature du Nord. Semble être Nihil. Grande guerre dans les Grand Monts Gelés. Unification des tribus de ce peuple par la force. Fuite des opposants vers le sud responsables des destructions subies. Unification par guerrière de race humaine de grande taille, cheveux blancs et yeux violets semblables à Kesjarinna. Nouvelle menace potentielle au nord »

Un seul nom résonnait en réponse aux révélations soutirées par Sylgia, et c'était celui de Freya. C'était la seule humaine que connaissait Elpa étant originaire des Grands Monts Gelés, la seule correspondant à cette description, et la seule assez folle pour s'engager dans un projet aussi insensé que l'unification des peuples du Grand Nord, aussi inconnus pour ceux du centre continental que ceux hantant le fond des océans. Cela redessinait une toute autre vision stratégique de la situation, et faisait raisonner les menaces émises par l'ancienne Crépusculaire lors de sa rencontre éclair avec Lefko et Elpa:

« N'échouez pas... Car si vous échouez... je viendrai m'occuperai personnellement de reprendre les Reliques. »

Freya ne comptait donc pas simplement s'emparer seule des Reliques, si Kiine échouait. Elle s'engageait à faire déferler les forces unies de sa terre natale sur l'Empire pour forcer la main à la Kesjarinna. C'était un plan complètement fou et insensé, mais en accord avec la folie et la mégalomanie pathologiques de la Grande Guerrière...

Elpa pénétra dans la salle de son trône, trop plongée dans ses réflexions pour seulement réaliser que la vibration de la garde blonde n'en provenait plus.

-Triss, il faut que tu... par l'Abysse!

Le juron de la parricide était si puissant que Aela, qui se tenait derrière elle, en recula. Plus de trace de Triss. Seulement un étranger mort, affalé sur une table, ainsi que le corps sans vie d'Ulfric désarticulé sur le plancher de la longère.

-ULFRIC! S'égosilla Aela en voyant le cadavre du jeune guerrier, tandis qu'Elpa vint s'accroupir auprès de cet homme qu'elle avait vu grandir et murir.

-Donne l'alerte. Dit laconiquement Elpa. Retrouve l'autre étranger, ainsi que Triss. Et vite.

Encore sous le choc, la guerrière s'executa pourtant, et accourut vers les salles des guerriers et au sein de la tribu, qui s'anima soudain. Elpa, elle, s'effondra sur son siège, et passa longuement, très longuement, une main dans sa tignasse rousse.

-Maman... murmura-t-elle. J'aurai tant besoin de ta douceur, dans les épreuves qui se présentent face à nous...

Seul le silence lui répondit.