Le Chant du Couchant XI
Lefko attendait patiemment devant l'imposante porte de la salle du Conseil de Chef. L'immense battant étant en bois massif, recouvert de sculptures en bas reliefs et d'ornements représentant la mythologie Nordique, ainsi que de barres de fer ou d'acier façonné par les forgerons si réputés de la taiga d'Odin. Au coeur de ce lieu du pouvoir, se tenait une énième réunion durant laquelle la Kesjarinna faisait face aux chefs, mécontents ou non, ainsi qu'aux représentants des différentes provinces dominées par l'Empire. Les débats y étaient, Lefko le savait, souvent houleux, et Triss lui avait un jour dit que le mobilier qu'elle contenait était renforcé de barres de fer, car le coût de remplacement des tables et chaises était trop élevé, les chefs ayant la mauvaise habitude de très rapidement sortir leur hache.
Mais en ce jour, Lefko n'était pas là pour la politique - à vrai dire, elle ne l'était jamais. Elle venait pour s'entretenir avec Kiine, afin de lui faire part des révélations de Freya, et ainsi organiser leur départ. Il était probable qu'Elpa l'ai déjà mise au courant, évidemment, mais il était nécéssaire d'organiser la fuite, discrète si possible, de la Kesjarinna. Finalement, les deux immenses battant de la porte s'ouvrirent, et une flopée de diplomates en tous genre, guerriers bourrus ronchonnants ou chefs à l'air satisfait et supérieur se déversa dans le grand hall, avant de se disperser aux quatre coin du palais, de la ville, voir de l'Empire. Discrètement, Lefko se faufila dans la grande pièce, dans laquelle Kiine, encadrée de deux de ses gardes, Triss et Bjorn, faisait face à un vieux Nordique qui colérait, avec un calme olympien.
-C'est encore une de tes manigances pour fuir tes responsabilités! Rien d'autre.
-Je ne fuis pas mes responsabilité, Arnbjorn. Dois-je rappeler pour la millième fois l'état dans lequel se trouvait l'Empire quand j'en ai hérité de mon défunt père, et son état actuel?
-Humpf! Toujours cet argument là. Grogna le vieil homme. Mais le conseil n'est pas dupe, et tu ne peux échapper à notre influence en fuyant Yurena, Kesjarinna!
-Loin de moi l'idée de vous fuir. Rétorqua la femme la plus puissante du continent. C'est toujours un immense plaisir d'assister aux réunions du conseil, vraiment. On y prend tellement de décisions importantes, les contradictions sont pertinentes, les débats toujours utiles, et ce n'est pas du tout un lieu ou les chefs se retrouve pour comparer la taille de leur ego.
Le sarcasme perçait dans chacun de ses mots, mais l'expression nonchalante de la dirigeante, et celle ferme de ses deux gardes, dissuada sans doute le vieux chef de trop répartir.
-Humpf! Tu n'es qu'une insolente, Kesjarinna. Tu apportes la magie et la corruption dans nos terres. Puissent les dieux se rappeler à toi pour te remettre dans le droit chemin.
-Ils n'ont pas daigné lever le petit doigts depuis plus de mille ans maintenant, mais je serais honorée qu'ils le fassent pour s'occuper de ma personne. Rétorqua la Kesjarinna. Maintenant excuse moi, Arnbjorn, je dois m'entretenir des modalités de notre voyage avec notre jeune diplomate.
Ainsi congédié, le chef Arbnbjorn traversa la pièce d'un pas lourd qui résonnait longuement sous l'imposante voute, tout en jetant un regard mauvais à Lefko avant de sortir. Dès que l'immense porte fut fermée, la Kesjarinna poussa un long soupir de fatigue et s'affala dans son siège, au bout de la table. Immédiatement, les visages de ses deux gardes se détendirent et l'impressionnante montagne qu'était Bjorn laissa échapper un gloussement qui jurait avec son apparence.
-Pfff... bien envoyé le coup des dieux... parvint-il à articuler.
-Il faut bien remettre ce vieux crouton à sa place de temps à autres... répondit la Kesjarinna. Viens, Lefko, approche. Il va être grand temps de discuter de notre voyage à venir.
-Qui était-ce?
-Arnbjorn? Oh, juste un vieil homme aigri à l'idée d'avoir été autrefois vaincu par une gamine et des heliens. Mais plus important, le voyage, donc. Elpa m'a fait un rapport, et j'ai donc évoqué la discussion d'une ambassade à envoyer chez les nains, dans l'éventualité d'échanges commerciaux. Après tout, ce sont nos voisins directs, bien que les relations des Nordiques avec ce peuple n'aient pas souvent été... constructives.
-Et ça ne risque pas de le changer, si la seule raison pour laquelle nous envoyons une ambassade là bas est un prétexte pour que tu puisses t'échapper. Fit remarquer Triss avec un soupir résigné.
-Bah! Les Nains sont incapables d'avoir un fonctionnement stable. Les trois royaumes sont totalement impuissants, ce sont les clans qui font la loi, et les clans se font la guerre pour un oui ou pour un non. Qui voudrait commercer avec une région aussi instable, alors que le golfe nous ouvre la route des baronnies, des îles cipangues, et j'en passe?
-Donc si j'ai bien compris, résuma Lefko, nous allons partir pour Heljarchen en tant qu'ambassade... mais tu vas pouvoir nous accompagner, Kiine?
-Officiellement, ça reste encore à voir. Le conseil s'accroche à moi comme une sangsue en fin de vie... mais officieusement, il n'est pas question que vous partiez sans moi. D'autant que les choses se gâtent...
Kiine eut un simple regarde pour Triss, qui comprit immédiatement. D'un mouvement commun, les deux gardes de la Kesjarinna sortirent de la pièce, laissant Kiine et Lefko seules pour parler. L'expression de la Dragonicide se fit soucieuse.
-Plusieurs témoignages racontent que des fantômes ont été aperçus à proximité.
-Des... spectres, tu veux dire.
-Non, non... bien des fantômes. On parle de silhouette diaphane, visiblement capable de se mouvoir, et de forme humaine. J'ignore combien, cependant, mais plus d'un seul. Et cette description ne signifie qu'une chose... Crépuscule.
-Quoi? Mais... pourquoi maintenant?
-C'est moi qu'ils veulent. Ils savent que j'ai caché les Reliques, et voudront me faire cracher le lieu où elles sont. La venue de Freya a dû les presser d'agir, mais j'ignore ce qu'ils attendaient jusqu'ici... mais une fois encore, cela signifie que le rôle de Freya est particulièrement flou. Elle n'avait pas besoin de se montrer aussi ostensiblement pour vous rencontrer.
Kiine se recula dans son siège.
-Cela ne signifie qu'une chose: ils vont passer à l'action. Et, pour me faire parler, ils s'en prendront probablement à mes proches. Il faut que je m'éloigne au plus vite de Yurena, et de ma famille.
-Ils ne parviendront pas à pénétrer dans le palais, non?
-Ils sont immatériels... que ferai-je, si l'un d'entre eux s'empare du corps d'Hana ou d'une de mes filles? Ils pourraient les tuer une à une jusqu'à ce que je craque...
-Je... pense avoir une solution pour ça.
Lefko sortit de sa besace le linge dans lequel luisait faiblement la sphère de volonté, et la présenta à la souveraine. Les yeux de cette dernière eurent la même expression de légère répulsion à sa vue que sa soeur, mais également un grand intérêt.
-C'est Freya qui te l'a donnée? Demanda-t-elle.
Lefko acquiesça. Alors, Kiine saisit le foureau d'une de ses épée, le posa sur la table, et en présenta le bout du pommeau à l'opaline. Semblable à une petite bille à moitié opaque, une petite boule l'ornait, au coeur de laquelle il semblait y avoir du mouvement. Lefko écarquilla les yeux.
-Est-ce...
-Oui, c'en est aussi une. Enfin... du moins c'est sensé en être une. Je n'ai pas passé dix ans à attendre le jour où Crépuscule reviendrait sans rien faire... je n'ai jamais vu qu'une seule vrai sphère de volonté, et elle fut brisée, mais j'ai cherché avec Sylgia des moyens de reproduire cette création. C'est imparfait, bien moins puissant, et j'ignore si cela aura le moindre effet sur eux. C'est quitte ou double... mais j'en ai beaucoup.
Lefko n'osa pas demander comment la Kesjarinna avait fabriqué ces artefacts. De ce qu'elle avait compris de leur fonctionnement, elle n'avait pas vraiment envie d'imaginer les monts de corps privés de conscience et de volonté, dont les âmes avaient été piégées par les expériences de Kiine.
-Les membres de ma famille en ont tous une, mais, même si elles fonctionnent, ce ne sera pas suffisant. Ils peuvent prendre possession de n'importe qui, après tout... et c'est seulement si ces reproductions sont efficaces. Il y a si peu d'écrits sur le sujet...
Lefko hocha la tête silencieusement. Le silence s'étala quelques minutes dans la grande salle. Puis, elle se décida à parler.
-Il faut donc organiser ce départ au plus vite. Mais comment faire pour que tu te joignes à nous sans éveiller les soupçons? De ce que j'ai compris, le conseil ne te lâche pas une seconde...
-Il va falloir ruser... je pense laisser mes gardes du corps en faction devant mes appartements. En général, je ne pars jamais sans eux, cela me permettra sans doute de passer entre les mailles de la surveillance. Et dans le pire des cas, je suis encore la dirigeante de cet empire, par les dieux! Ils ne peuvent pas me tenir enfermée si ma volonté est de sortir. Ils ont peut être la politique de leur côté, mais j'ai l'allégeance des guerriers de tout l'Empire. Quoi qu'il advienne, nous partirons après demain, tôt dans la matinée. Préparez vous, toutes les quatre: vous êtes du voyage.
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