Le Chant du Couchant VIII
L'expedition arriva bientôt en vue de Yuriena, après des jours de marche et d'escales. Le prisonnier était coopératif, malgré ses liens serrés, et les guerriers en profitaient pour l'observer sous toutes les coutures. C'était une créature comme jamais ils n'en avaient vu, et cela les emplissait d'une curiosité effrayée. Dès leur arrivée, le vieux Jundvir sollicita une entrevue d'urgence avec la Kesjarinna afin de faire le compte rendu de ses découvertes au Nord de l'Empire.
-Suis-moi, Lefko. Ordonna-t-il à sa seconde.
-Mais...
-Tu es la seconde de cette expédition, tu participes donc à son compte rendu. Pas de discussion, guerrière!
Ils pénétrèrent alors dans la salle du trône, au centre de laquelle, sur l'imposant siège de bois, placé au sol afin d'être à la même hauteur que les sujet selon la tradition, siégeait l'impératrice de tous les Nordiques. Vêtue d'une tunique richement décorée, elle accueillit les deux guerriers d'un regard grave mais maternel, comme une vieille amie heureuse de vous retrouver encore en vie.
-Ah, Jundvir... et Lefko. Tout s'est bien passé?
L'opaline eut la très claire impression que le message s'adressait directement à elle, mais ce fut Jundvir qui prit la parole.
-Les choses sont peut être plus graves que nous ne l'attendions, Kesjarinna. Il y avait en effet des traces d'attaques et de pillage, ainsi que les marques du passage d'un certain nombre des assaillants. Nous avons également découvert un être étrange, que je pense être de la race des pillards.
-Et quelle est sa race? Draconiste? Nain?
-J'ai peur que ce ne soit plus grave que cela, Kesjarinna. Je pense qu'il s'agit d'un Nihil.
L'expression douce de la Kesjarinna se durcit. Avec ce visage, pensa Lefko, elle représentait bien l'incarnation de l'autorité de la femme la plus puissante d'Alodya.
-En es-tu sûr, Jundvir? Les Nihils sont une légende, après tout.
-Toutes les légendes ont une part de vérité, Kesjarinna. Et je n'ai aucun doute sur ce quoi je m'avance.
Kiine se recula dans son siège, l'air songeur. Lefko s'osa à une phrase.
-Que sont les... Nihils?
-Les légendes évoquent des monstres venus d'un autre monde, que les Edas auraient vaincu, sans pouvoir tous les chasser d'Alodya. Ils se seraient alors enfui au nord, mais on en a plus jamais vraiment entendu parler depuis.
-À vrai dire, Kesjarinna, nous en avons déjà entendu parler. Je suis né dans la tribu d'Arngeir, proche des Monts Glacés, et je me souviens très bien des légendes des anciens contant des rencontre avec des membres de cette race rodant aux abords de leur territoire. J'avouerais que je n'y croyais qu'à moitié, jusqu'à ce que nous mettions la main sur cet être qui ressemble en tous points aux descriptions des légendes.
-Mais ont-ils déjà pillé des tribus au nord? Demanda Lefko.
-Non, jamais, de mémoire d'homme en tout cas. Ils se sont toujours confinés aux Grands Monts Gelés.
-Nous n'avons pas plus entendu parler d'eux lorsque les Draconistes s'y sont installés... fit remarquer justement Kiine. Voilà peut être les habitants dont parlait Freya quand elle évoquait les peuples des Grands Monts Gelés obligés de se disperser face à l'invasion Draconiste...
Lefko frissonna en entendant le nom de son amie disparue. Ou pouvait elle encore l'appeler amie? La grande Guerrière Immortelle avait disparu depuis si longtemps... et il lui semblait étrange d'entendre Kiine parler d'elle de manière si mondaine, comme si elle l'avait bien connue et côtoyée. Il lui avait semblé que Freya n'avait aucun passé, tant elle ne l'évoquait jamais.
-Il conviendrait peut être de demander à votre amie si elle a la moindre idée de la raison pour laquelle, pour la première fois, ces êtres des cimes en viennent à s'aventurer si bas.
-J'ai bien peur que Freya et moi ne soyons pas particulièrement amies, pas, en tout cas, depuis qu'elle a tenté de me tuer. J'ignore comment la contacter, ou même le lieu où elle se trouve... la dernière fois que j'ai entendu parler d'elle - Kiine jeta un regard rapide à Lefko - c'est elle qui est venue à moi, et indirectement. Je pense que la meilleure solution serait de tenter d'interroger notre prisonnier.
-Mais sa langue est incompréhensible! Fit remarquer Lefko.
-Qui a besoin de parler pour se comprendre... sourit la Kesjarinna. Sylgia!
Surgissant d'une cache secrète, la garde du corps au cheveux d'obsidienne approcha de sa souveraine en papillonnant des yeux.
-Tu peux t'en charger? Demanda Kiine.
Un sourire enjôleur apparu sur les lèvres de l'Helienne.
-Tout pour mon impératrice adorée...
-Alors, montre leur. Rétorqua la Kesjarinna. J'ai d'autres affaires qui demandent mon attention.
L'expression de Sylgia se métamorphosa instantanément, tandis qu'elle jetait un coup d'oeil sur les deux guerriers au rapport avec dédain. Elle siffla, puis se dirigea vers la sortie de la grande salle en grognant un laconique « suivez moi » à l'intention Jundvir et Lefko. Les deux guerriers fraichement revenus de mission suivirent donc sans mot dire les pas d'une Sylgia passablement blessée que la Kesjarinna n'ait daigné l'accompagner à travers les couloirs et cours occupée du palais impérial, et ce jusqu'au cachot où croupissaient déjà un certain nombre de criminels, traîtres ou simple opposants en attente d'un jugement ou d'une interrogation. A la surprise de Lefko, le garde de l'entrée se raidit lorsque Sylgia approcha, et ne prononça pas un mot visant à préciser si la raison de sa présence était valable. Il en fut de même dans la loge des gardes, où tous les regards se détournèrent de la chevelure noire de la guerrière helienne, se plongeant dans l'étude d'un simple livre de compte qui ne devait pourtant pas revêtir autant d'intérêt. C'est ainsi que, sans la moindre difficulté, la petite troupe pénétra au cœur du donjon de Yurena, un des premiers de son genre puisque, auparavant, il était courant de préférer des châtiments à un simple enfermement dans les terres Nordiques, la notion de procès étant réservée aux querelles d'honneur entre guerriers et généralement réglées à coups de haches plutôt que de plume. Tandis que le trio traversa les couloirs, il sembla à Lefko que, tout comme les gardes s'étaient raidis, les prisonniers se recroquevillaient dans leur cellule en apercevant Sylgia, après la curiosité naturelle qui émane de l'esprit de mortels enfermés depuis des semaines entre quatre murs. De plus en plus inquiétée par la réaction des habitants du lieu vis à vis de la garde du corps et ex compagne de la Kesjarinna, Lefko tourna un visage empli de myriades de questions vers Jundvir, qui garda un visage de marbre.
Finalement, Sylgia ouvrit violemment la seule porte en bois du donjon, et Lefko obtint toutes ses réponses. Il s'agissait d'une grande pièce circulaire, dégageant une odeur de fleur bien trop forte et pesante pour ne pas en camoufler une autre. Sur plusieurs table dispersées, des séries d'instruments de fer rouillés, dont l'utilité semblait évidente, renforcée par la présence de liens sur les murs, fers, chaînes, et des nombreuses traînées noirâtre de sang séché sur les pierres grises. C'était une salle de torture. Et Sylgia en était très probablement la maîtresse.
Au centre, attaché à une croix de bois, se trouvait la créature des Grands Monts Glacés, immobile, dardant sur les trois arrivants un regard vide au travers des ses quatre globes oculaires noirs.
-Bon bon bon... soupira Sylgia. Il va être temps de se mettre au travail.
-Vous allez le torturer? S'exclama Lefko. Mais il ne parle même pas notre langue!
-Et comment en es-tu aussi sûre? Rétorqua la tortionnaire avec dédain.
Lefko eut une hésitation, mais ce fut Jundvir qui vint à sa rescousse.
-Il n'a pas semblé avoir la moindre réaction à toutes nos paroles depuis que nous l'avons trouvé, et semble ne pas savoir communiquer autrement que par un étrange langage de...
-Je ne t'ai pas demandé ton expertise, mâle! Siffla la guerrière helienne. Et je n'ai que faire de ton avis! Je sais quel est mon travail, et je n'ai pas besoin de parler quelque langue que ce soit pour délier les langues dans cette pièce.
Sylgia eut un sourire de délectation, oubliant sa colère contre Jundvir aussi vite qu'elle était arrivée.
-Qui a besoin de parler une langue quelconque... quand on connait la langue de l'esprit.
La Guerrière se saisit d'un long fouet muni d'une série de crochets en son extrémité, et, sans crier gare, le fit siffler vers la pauvre créature attachée, qui siffla de douleur lorsque l'outil vint mordre sa chair.
-Arrêtez! S'exclama Lefko.
-Certainement pas. Rétorqua la tortionnaire.
Son bras se leva de nouveau, et le fouet vibra, tout comme le mantra. Lefko sentit que Sylgia accélérait son outil de torture à l'aide du mantra. Lefko voulut l'en empêcher, mais Jundvir lui saisit le bras, et le serra fort, en lui intimant silencieusement de ne pas bouger. Si la femme en train de lacérer la fourrure immaculée de la créature était garde du corps de la dirigeante la plus puissante du monde connu, sa puissance devait être effrayante, mais l'opaline ne pouvait simplement pas laisser passer ce genre de scène de torture après son passé d'esclave. Elle avait vu la violence gratuite dans la forêt, et ces comportements l'avaient toujours révulsée, mais les voir ainsi reproduits dans le monde civilisé, sur un être incapable de se défendre ou de donner des réponses, lui était insupportable. Le sang de la jeune femme bouillonnait, tandis qu'elle tentait de se défaire de l'emprise de Jundvir qui, en conséquence, resserrait son étreinte sur son bras. Le bout métallique du fouet claquait chaque fois plus vite et plus fort, et les plaintes déchirantes de la créature s'affaiblissaient de plus en plus. La lumière pâle provenant des soupiraux sembla s'atténuer par intermittence, tandis que la colère de Lefko augmentait. Soudain, le fouet resta coincé dans la fourrure de l'être, les barbelés s'étant probablement emmêlés dans sa fourrure. D'un coup sec, dont Lefko ressentit la portée dans le mantra tant il était fort, Sylgia arracha son outil à l'emprise des poils, arrachant au passage un lambeau de peau, faisant gicler le sang. Alors, quelque chose entra en éruption dans les entrailles de Lefko. La lumière de la pièce vacilla un court instant, mais cela suffit à l'opaline pour se soustaire mystérieusement à l'emprise de Jundvir et pour se jeter sur la tortionnaire. Deux longues lames noires semblèrent se métamorphoser de nulle part pour l'accompagner dans son saut, pointant leur profil tranchant vers la peau de Sylgia.
Mais cette dernière n'était pas une apprentie. D'un simple revers du manche de son fouet, accompagné d'une vague de mantra pour renforcer l'impact, elle projeta l'opaline contre un mur.
-Qu'est ce que... fit-elle. Depuis quand cette gamine possède-t-elle la Voie d'Hel? Rugit la tortionnaire.
-Je... je l'ignore. Balbutia Jundvir. Elle...
Mais Sylgia ne l'écoutait pas. Elle avait changé de cible, et se jeta sur Lefko, qu'elle souleva du sol par le cou.
-Depuis quand possèdes tu cette affinité? Tu l'as caché? Tu t'es approchée de la Kesjarinna dans l'espoir de t'approprier le titre de Guerrière d'Hel, c'est ça? AVOUE! J'AI BIEN VU CE POUVOIR QUE TU VIENS D'UTILISER!
-Seigneure Sylgia! S'exclama Jundvir, prudent. La Kesjarinna sera particulièrement fâchée d'apprendre que tu fais du mal à sa protégée.
Sylgia eut comme une révélation, et lâcha Lefko qui s'écroula au sol, comme vidée de toute force.
-Evidemment... Evidemment elle ne maîtrise pas la Voie. Kiine... aaaah encore une de ses expérimentations dont je suis la malheureuse victime! Emmène la, Jundvir!
-Si je puis me permettre... mettrez vous la cheffe Suriana au courant de cet... incident?
Le regard de Sylgia devint encore plus venimeux.
-Cela ne te regarde pas, mâle! Je n'ai de rendre à compte qu'à la cheffe Suriana et à la Kesjarina! Maintenant sortez, je m'occuperai seule de interrogatoire!
Sans demander son reste, le vieux Jundvir saisit Lefko sous le bras et sortit de la salle de torture, puis de la prison, et la posa sur le sol sec d'une des cours, dont l'herbe poussait péniblement sous le climat rude de la Taiga d'Odin. L'opaline reprenait peu à peu connaissance.
-Que... que s'est-il passé? Murmura-t-elle. Oooh, j'ai mal à la tête...
-C'est moi qui aimerait bien savoir ce qu'il s'est passé. Grogna le vieux chef. Tu es un belle imbécile d'avoir tenté de t'en prendre à une des mains de la Kesjarinna, guerrière Lefko! Si tu ne jouissait pas des faveurs de l'impératrice, je t'aurai ramassée en morceaux!
-Je ne pouvais pas la laisser... martyriser ainsi une créature incapable de répondre.
-Cette méthode peut te sembler cruelle, mais j'ai peur qu'il te manque des éléments, Lefko. Sylgia est une puissante manipulatrice de mantra, elle est capable de fouiller les esprits et souvenirs de ses victimes. C'est une Caelar. Mais pour cela, il lui faut affaiblir sa victime, physiquement et mentalement... elle est redoutable, et mieux vaut ne pas se retrouver face à elle, ou alors avouer immédiatement.
-Mais... cela ne justifie pas...
-C'est notre seul moyen d'en savoir plus pour le moment. Ce qui m'étonne cependant, c'est à la fois que la Kesjarinna ait jugé bon de te soumettre à cette épreuve, et surtout ce que tu nous a fait après. Je n'avais jamais vu de tel affinité, mais j'en ai beaucoup entendu parler, et il est clair que Sylgia l'a reconnue. Tu avais déjà fait ça?
-Je... ne sais pas. Parfois, dans la forêt, je pouvais faire jaillir une très grande lumière pour aveugler des poursuivants, ou à l'inverse plonger tout le monde dans le noir complet... mais je ne sais pas du tout contrôler ce pouvoir, et surtout il me fatigue tant que je suis épuisée pour plusieurs heures après son déclenchement.
-En as tu déjà parlé à d'autres que tes compagnes?
-Non... Freya m'a toujours dit de garder le secret... j'ignore pourquoi, mais elle en savait bien plus que nous sur le mantra...
-F-Freya? L'ancienne Garde du corps de Balta? La traitresse d'Hel? Tout le monde la croit morte depuis la chute de la tribu de Kynareth!
-J'ignore si nous parlons de la même personne...
Jundvir se gratta longuement la barbe, en observant le corps épuisé de l'Opaline.
-Je pense qu'il serait préférable que tu n'évoques jamais ce pouvoir auprès de la Kesjarinna. Conclut-il. Il est très probable qu'elle t'ai fait passer ces épreuves pour tenter de faire resurgir une affinité, si tant est que tu en avais. Mais elle ne se doutait sans doute pas qu'il s'agirait de cette affinité.
-Quoi? Qu'a donc ce pouvoir inutile de si particulier?
-Inutile? Oooh, ma pauvre petite, tu n'as aucune idée de l'importance de ce pouvoir. La Voie d'Hel, la maîtrise de l'ombre et de la lumière, l'une des affinités les plus puissantes, maîtrisée à la perfection par la légendaire guerrière Hel, et porté par la représentante des tribus de sa Taiga depuis des siècles! Et surtout... le pouvoir porté par feu Yuriana, la compagne de notre Kesjarinna. Le fait que tu possède ce pouvoir... j'ignore si c'est un mauvais coup du destin, mais ton importance politique vient de grimper en flèche. Car tu es désormais elligible au poste de Guerrière d'Hel, mais surtout... personne n'ignore que la relation qu'entretient la Kesjarinna avec tout ce qui touche à son ancien amour est... délicat.
Lefko déglutit.
-A quoi dois-je m'attendre si Kiine venait à découvrir que je possède cette affinité?
-Franchement?
Le regard de Jundvir s'assombrit.
-Je n'en ai pas la moindre idée...
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