-Mère?

-Mm? Oh, Bella. Qu'y a-t-il, mon enfant?

Le petite fille baissa les yeux, et se dandina d'un pied sur l'autre. Ses yeux bleus fuyaient le contact du regard de sa mère, qui sourit.

-Tu peux me parler, tu sais.

-Tu... vas déjà repartir? Finit-elle par dire en montrant du doigt le paquetage empilé sur le lit.

Kiine soupira, avant de caresser avec douceur la longue chevelure blonde de sa fille.

-Oui, je vais devoir repartir... pour tenir encore une promesse.

-Et tu... rentreras quand?

-Ça... je ne sais pas trop. Avoua la Kesjarinna. C'est un voyage beaucoup plus lointain...

-Tu ne peux pas... hum... rester... un peu? Avant de partir... Andromie dit que c'est... triste de grandir sans ses parents.

Kiine sembla hésiter. Une part d'elle désirait partie au plus tôt pour en finir à jamais avec cette affaire, mais une autre désirait profiter un peu de sa maisonnée et du repos qu'elle offrait. Elle avait passé beaucoup de temps sur la route, ces derniers temps, et un peu de calme serait sans doute bénéfique à Lefko, qui désirait à tout prix l'accompagner dans sa quête, ce qui signifiait sans doute que ses compagnes la suivraient. Elles méritaient, après toutes ces années, un peu de calme. Elle repensa également aux paroles de Lefko:

« Ne te précipite pas, Kiine! Tout ce que nous avons est une piste vague, et absolument aucune autre indication... nous ne trouverons rien du tout avec ça »

Ce à quoi la Kesjarinna avait répondu avec assurance:

« Nous trouverons tous les indices qu'il nous faut en chemin. Je refuse de repousser mon départ! »

Peut être que, pour une fois, la tempérance était la clef du succès. Après tout, elle n'avait réellement aucune idée de par où commencer à chercher.

-Je vais y penser. Concéda-t-elle finalement. Rien ne presse, pour une fois.

Les grands yeux bleus de Bella s'écarquillèrent de joie. Ils étaient magnifiques, d'une couleur profonde semblable à celle des lacs parsemant la Taiga d'Odin, et ses longs cheveux blonds, identiques à ceux de Triss, s'y accordaient à la perfection. Contrairement à sa soeur Elsa, bien plus téméraire, Bella était calme et douce, mais également atrocement timide. Il était difficile de croire qu'elle soit venue parler de ce qui la taraudait à la Kesjarinna, mais cela montrait juste à quel point la petite fille aimait sa mère.

-Mais ne dis pas aux autres que je me prépare à partir, d'accord? Ajouta Kiine. Sinon, on va encore m'ennuyer avec mes responsabilités.

Bella hocha la tête, avant de disparaître dans l'encadrure de la porte. Après avoir glissé son début de paquetage sous le lit, Kiine se releva et se dirigea vers la cours. En y repensant, elle avait bien fait de retarder son départ. C'était le genre de voyage qui demandait une plus grande préparation que ses escapades au sein de l'Empire, y compris pour les nouvelles venues. Elle allait devoir s'assurer de leur capacités de combat, même si elle ne doutait pas de leur efficacité...

***

-Bien. Tout le monde est là? Je vois que oui.

Kiine observa face à elle les quatre survivantes de Brocéliande. Tout d'abord, Lefko, avec son regard fixe et ferme, sur d'elle. Venait ensuite Dol'Taim, dont la longue queue battait aussi paresseusement que les branches des arbres qui la surplombaient. Rehyan avait, elle, un regard effronté voir orgueilleux et, enfin, Naïa, avec son expression calme et maternelle.

-Je vais vous parler en minien, commença Kiine, mais c'est une langue dont je n'ai pas une maîtrise totale. À l'avenir, il vous sera sans doute utile d'apprendre le Nordique avec Lefko et auprès de moi, car il vous sera nécessaire durant le temps que nous passerons ensemble.

Les trois compagnes de Lefko se détendirent en entendant une langue compréhensible, ce qui avait été rare durant les jours précédents, car bien peu de monde maîtrisait la langue des peuples du sud à la cours, à l'exception, peut être, d'Andromie. La réaction de l'Opaline fut différente.

-T-Tu comprenais le minien... depuis le début??

Un sourire narquois se figea sur le visage de Kiine, qui continua sans répondre, laissant Lefko face à la réalisation du fait que depuis sa libération, les discussions privée qu'elle avait eue avec ses paires, aidée par la barrière de la langue, avaient été entendues par l'oreille discrète de la Kesjarinna.

-J'ai besoin de savoir l'étendue réelle de ce que vous avez pu apprendre à Brocéliande, notamment en ce qui concerne la maîtrise du mantra. Là bas, on ne survit pas sans les bases, qui s'apprennent sur le tas et sans vraiment y faire attention. Je peux sentir à vos vibrations que vous avez au moins un contrôla basique de votre énergie, mais c'est très largement insuffisant pour pouvoir se targuer de maîtriser le mantra. Nous allons donc effectuer un premier exercice simple: vous allez poser votre main proche de la surface de l'eau qui se trouve dans ces seaux, et allez tenter de la rider sans la toucher.

-Simple! S'exclama Rehyan avec un certain dédain.

Après avoir secoué son imposante tignasse rouge sang, elle se baissa en tendant la main vers l'eau transparente recelée dans le seau situé à ses pieds. Elle se concentra un court instant, puis poussa une exclamation de victoire. Un craquement retentit en même temps qu'une gerbe d'eau vint lui éclabousser le visage. Le bas du seau s'était disloqué, et toute l'eau qui n'avait pas été éjectée par l'onde de mantra s'écoulait désormais sur le sol de la cours. Naïa se baissa en urgence pour vérifier que Rehyan allait bien, tandis que Lefko la rabroua et que Dol'Taim lui lança un regard semi amusé, semi ennuyé.

-C'est le genre de problème que je tiens à mettre en avant. Lança Kiine avec un demi sourire. Vous avez une maîtrise brute du mantra. C'est quelque chose d'utile dans un univers sauvage comme celui de Brocéliande, mais également dangereux. Ce que je vais vous apprendre nécessite plus de doigté dans la maîtrise.

-En quoi est-ce dangereux? Demanda Dol'Taim.

-Le bonne maitrise du mantra relève de l'équilibre entre tous les opposés. Certains maître parlerons du bien et du mal, d'autre d'ordre et de chaos, mais ce ne sont que des termes pour évoquer le fait que toute chose à son opposé dans le mantra, et que trop s'y plonger peut soi mener vers la folie, ou bien, au contraire, vers l'effacement total de votre être.

-Nous n'avons jamais eu ce genre de problème. Cracha Rehyan en s'essuyant rageusement le visage, encore si rouge de honte que la couleur de sa peau s'accordait à celle de sa chevelure.

-Parce que vous vous contentez de cette utilisation brute. Des ondes de mantra, ou des boucliers pour dévier quelques coups... les implications de ce genre de petites manipulations sont faibles. Mais dès lors que l'on rentre dans quelque chose de plus subtil...

Kiine leva le doigt, et le fit tournoyer lentement tout en faisant onduler son corps. L'ombre du seau commença à s'étirer, à lentement se déformer, avant de prendre forme et matière, et de se diriger, lentement, vers les fissures pour les colmater.

-... voilà ce qu'on peut faire. Mais cela demande des années d'apprentissage rigoureux, et le danger de succomber aux contreparties du mantra est grand.

-Factuellement, qu'est ce que ça veut dire, au juste? Demanda Rehyan, un peu calmée par la demonstration. Folie, perte d'identité, c'est bien gentil, mais c'est un peu flou.

-Je trouve ça limpide. Rétorqua Dol'Taim.

-Je demande simplement si elle aurait pas des exemples précis. Grinça Rehyan.

-As-tu déjà croisé un Grimm?

Rehyan ne répondit pas, et son regard baissa légèrement. La question ne nécessitait aucune réponse. La terreur qu'inspiraient les terrible créatures du Chaos était suffisante.

-Ce n'est qu'une des facettes de ce qui peut arriver à ceux qui manient inconsciemment le mantra. Conclut Kiine. Je vais donc m'assurer au cours des quelques jours de repos que nous allons prendre avant de partir, qu'aucune de vous ne risque de se transformer en monstre féroce, de perdre toute mémoire ou d'avoir une envie soudaine de mettre le feu à la ville. Ok?

Elle n'attendit pas de réponse pour commencer son enseignement, et aucune des quatre survivantes n'émit la moindre nouvelle plainte.

***

-Que flaires tu, Dol? Demanda Lefko.

La Keshiane se concentra, tandis que le reste du groupe de guerriers surveillait les environs.

-Un groupe est passé. Dit-elle finalement. Difficile de dire combien... mais une chose est sûre, ce n'étaient pas des humains.

-Sornettes. Tempêta Erman, un des guerriers membre de l'expédition. Nous sommes aux confins nords de l'empire! A des milliers de lieues de la première civilisation non humaine!

-Insinuerai-tu que Dol'Taim est une menteuse, Erman? Cracha Rehyan avec hostilité.

-J'insinue simplement qu'on ne devrai pas autant faire confiance aux sens d'une étrangère pour résoudre ce mystère! Rétorqua le guerrier.

-SILENCE! S'exclama Jundvir.

Le vieil homme, chef de l'expedition ordonnée par la Kesjarinna dans le grand nord, était imposant, sévère et robuste. Ses yeux perçants semblaient capable de sonder les âmes de ses hommes, et son imposantes barbe blanche renforçait l'aspect menaçant de ce guerrier légendaire de l'armée impériale.

-Nous sommes ici sur ordre de la Kesjarinna pour enquêter sur le mystère des disparus! Rappela le vieux guerrier. Pas pour jouer aux gamins encore en âge de jeter des cailloux aux truites! Me suis je bien fait comprendre, guerriers Erman, Rehyan?

-Oui, chef! S'exclama le premier.

-Oui, oui... soupira la deuxième après un instant à soutenir le regard lourd du vieux Nordique.

-Bien. Guerrière Dol'taim. Reprit-il. Exprime moi le fond de ta pensée.

-Ce n'est pas une odeur humaine. Répondit simplement la Keshiane. C'est plus... poilu. Fort.

-Ce ne peut être une bête sauvage? Demanda le vieux chef de guerre.

-Impossible. Rétorqua Lefko, volant au secours de sa compagne. Regardez ces traces. On distingue bien qu'il s'agit d'êtres bipèdes. Il n'y a pas de bêtes se déplaçant sur deux jambes dans cette région, et encore moins en bande, il me semble.

-En effet. Constata le vieux chef en passant sa main dans sa barbe. Peste soit des Svörpen, peut être s'agit-il de nouveaux rejetons draconiques...

Son regard était fixé sur les cimes des Grands Monts Gelés, visible au travers des arbres. Ils semblaient si proche, et pourtant, Lefko comprit après quelques instants qu'ils étaient juste si haut qu'ils donnaient cette impression de proximité, cachant leur grand éloignement. Bien qu'elle ignora beaucoup de choses des évènements ayant secoué la Taiga d'Odin dans les récentes années, elle savait cependant une chose, que Kiine lui avait dite quelques jours plus tôt avant son départ:

-Les Draconistes avaient trouvé refuge dans les Grands Monts. Alors que ceux-ci sont toujours blancs, ils les ont embrasés, et se sont attirés la colère des dieux qui y habitent. Durant cette mission, vous pourriez découvrir que l'origine des attaques et disparitions sont des Draconistes survivant... ce sera un bon entrainement pour vous, un grand nombre de draconistes maîtrisent le mantra.

Les Monts Gelés semblaient paisibles, immobiles, comme endormis ou, tout simplement, trop grands et imposant pour daigner poser leur regard sur la vermine grouillant sur leur peau rocheuse. Pas la moindre trace du feu les ayant embrasé, plus de dix ans auparavant. Simplement une blancheur immaculée.

-Les Draconistes sont humains, pourtant. Osa faire remarquer Lefko. Est-il possible que d'autres choses vivent dans ces monts?

-Les Monts sont la limite entre le domaine des mortels et celui des Edas. Ce qui y vit ne peut être considéré comme le reste des peuples du monde.

-Mais des choses peuvent y vivre, donc... murmura Lefko.

Elle leva les yeux vers les hautes cimes. Elle savait que cela était vrai, car elle avait elle même longtemps fréquenté quelqu'un provenant de ces régions froides et reculées. Freya avait toujours revendiqué venir de là... Lefko ignorait si c'était vrai, connaissant la propension de la grande guerrière à déformer la réalité. Mais si elle y avait vécu au moins une partie de sa vie, et si les draconistes en avaient fait autant...

Alors il devait y avoir quelque chose. Là haut. Tapi derrière les hautes cîmes enneigées, et qui semblait prendre du plaisir à descendre dans la Taiga semer le chaos dans les tribus trop proches de ses frontières...