Chant d'Orgnar IX
Le retour fut triomphal. Les troupes de la cheffe parcoururent les différentes tribus sous les acclamations des habitants, trainant dans leur sillage les statues et idoles prises aux ennemis ainsi que leur seul et unique prisonnier... sale, les vêtements déchirés, l'oeil hagard et trainé tel un animal derrière la colonne de guerriers, il avait perdu depuis longtemps toute sa dignité de guerrier. On lui avait rasé les cheveux et la barbe, afin de l'humilier d'autant plus, mais on veillait tout de même à ce que cette précieuse relique de la victoire finale des Nordiques sur les traîtres draconiques était totale.
Balta accueillit même l'expédition triomphale dans la tribu familiale, félicitant personnellement chaque homme et chaque femme, distribuant des promotions à tour de bras et annonçant un grand banquet de réjouissance. Il semblait que la menace des Monts d'Alduin était éradiquée, et c'était un argument politique de choix pour lui, afin d'asseoir sa domination sur tous les peuples Nordiques: la destruction de leur ennemi héréditaire s'était faite sous son règne, par son frère, et la propagande impériale s'en souviendrait comme d'un ordre émanant de sa personne.
-Les derniers restes d'une ère s'envolent en fumée! Déclara-t-il durant le grand banquet organisé sur la place du village. En ce grand jour qui restera dans les mémoires, nous offrons aux Dieux le sacrifice du dernier représentant de leurs ennemis! Aujourd'hui, l'empire va pouvoir s'étendre sans peur aucune des spectres du passé, de l'ombre des Troupes Draconiques qui, depuis des siècles, attendaient là, dans notre dos, prêts à nous planter leur hache dans le dos tels les lâches qu'ils sont!
Une grande clameur accueillit son discours passionné, alors qu'il faisait les cents pas autour des différentes tables du banquet, passionnant la foule par de grands gestes et des envolées lyriques dont seul lui avait le secret. Au centre du grand cercle formé par les tables des convives, gisait, attaché à un poteau, le soldat draconique capturé par Orgnar. Hagard, sa tête affalée sur une de ses épaules, il semblait ne plus savoir où il était, ni entendre quoi que ce soit de ce qu'il se passait autour de lui.
En entendant le discours de Balta, Kynareth, assise aux côtés d'Orgnar à la table des honneurs, se retourna cependant soucieuse vers lui.
-Que cela signifie-t-il donc, Orgnar? Demanda-t-elle. Le Kesjare ne compte pas interroger le prisonnier?
-Aucun besoin! Lui affirma Orgnar. Après tour, la menace Draconique est exterminée, et il ne peut rien nous apprendre. Je doute qu'il soit en mesure de répondre à la moindre de nos interrogations. Oublie donc tout cela, et...
-Un instant, Kesjare Balta! S'exclama Kynareth, sans laisser à Orgnar le temps de finir sa phrase.
L'empereur interrompit son manège pour tourner son visage vers elle et la fixer de ses yeux brillants, les lueurs des flammes projetant des ombres fantomatiques sur son visage dans la pénombre nocturne.
-Kynareth, je t'en prie... tenta de la raisonner Orgnar, soucieux de ne pas s'attirer les foudres de son frère, mais rien n'y fut: Kynareth était têtue.
-Qu'y a-t-il, cheffe Kynareth? Demanda posément le Kesjare. T'opposerais tu au sacrifice de cet être aux Edas?
-Pas le moins du monde, Kesjare Balta. J'ai cependant le souhait de l'interroger au sujet des forces draconiques.
Un petit rictus apparut sur les lèvres de l'Empereur.
-Pourquoi donc? T'intéresserais-tu à la culture draconique?
Il dit cela en jetant un regard entendu à l'assemblée, qui rit de bon coeur à ses mots.
-Non, Kesjare Balta. Répondit Kynareth sans se démonter. Je doute cependant que la petite troupe que nous avons combattu puisse être la grande menace qui fut annoncée, et je souhaite m'assurer ainsi que le danger est réellement écarté.
Le regard de Balta se fit plus grave, alors que les convives continuèrent de rire aux dépends de la jeune femme. Il semblait qu'il n'avait pas envisagé cette possibilité, l'importance de la bataille ayant déjà été exagérée depuis qu'elle avait eut lieu. Mais l'empereur était intelligent, et s'il avait considéré les draconiques comme un détail de peu d'importance à première vue, il prenait parfaitement conscience de leur présence désormais.
-Très bien, Cheffe Kynareth. Je vous laisse procéder à l'interrogatoire. Dit-il.
-Merci, Kesjare. Répondit-elle en s'avançant vers le captif.
Ce dernier, attaché à son poteau, releva à peine la tête lorsqu'elle s'approcha de lui. Pendant de longues minutes, elle tenta de lui arracher le moindre mot, mais l'homme était comme ailleurs, incapable de répondre à ses questions comme à ses coups. Rapidement, il fut compris qu'on en tirerait rien.
-Peu importe ce qu'a à dire ce traitre! Lança Ulfric, un des généraux de l'armée. Ce ne serait que du venin bon à nous embrouiller! Que la cheffe Kynareth retourne à sa place et laisse place au sacrifice.
-Pauvre fou! Répondit la concernée. Le jour où ceux que tu choisis d'ignorer aujourd'hui brûleront ta tribu, tu regretteras ces mots!
-Assez! S'interposa Balta. Cheffe Kynareth, tu as fais ce que tu pouvais, mais il est parfaitement clair que nous n'en saurons pas plus. Et si les Dieux nous accordent leur grâce, alors cela signifie bien qu'il n'y a simplement rien d'autre à savoir.
-Mais...
-Orgnar! Lança Balta, coupant court aux supplique de la guerrière. Tu es celui qui a capturé cet être, il te revient donc l'honneur d'allumer le feu qui offrira son âme souillée à Död!
Pris par surprise, Orgnar se leva maladroitement et, sous les regards appuyés de toute l'assistance, reprit une contenance pour se diriger vers le centre du cercle, où Balta et Kynareth se trouvaient déjà, proche du poteau autour duquel les serviteurs entassaient déjà bois et paille inflammable.
-Orgnar... chuchota Kynareth à son approche.
-Balta a raison, Kynareth. Et maintenant qu'il a parlé, il n'y a plus rien que je puisse faire.
La jeune femme détourna le regard, frustrée, et immédiatement, un pincement se fit sentir au coeur du guerrier. On lui tendit une torche qu'il saisit machinalement, et contempla pendant quelques instants, le regard perdu dans le vague, tous les regards fixés sur lui.
-J'aimerais que la cheffe Kynareth allume ce feu avec moi. Annonça-t-il finalement.
Son regard se tourna vers son frère qui, retourné à son trône, lui donna son assentiment.
-Orgnar... voyons, c'est ton prisonnier, et je suis opposée au fait de l'offrir au Dieux tant qu'il n'en aura pas dit plus. Lui dit-elle, énervée.
Mais pris par l'ivresse du moment, Orgnar fit quelque chose que sa nature réservée ne lui permettait pas de faire en temps normal. Il saisit l'épaule de la jeune femme de sa main libre et la rapprocha de lui, scellant son geste par un doux baiser sur ses lèvres. Puis, en se séparant d'elle, il guida sa main sur le manche de la torche, de manière à ce qu'il la tiennent tous les deux. Un simple regard échangé, et ils s'étaient compris. Kynareth cessa de montrer opposition, et ensemble, ils tendirent la torche enflammée vers les fagots.
Immédiatement, le feu dévora paille et bois, léchant l'herbe humide à leurs pieds et se propageant à toute vitesse vers le centre du bûcher, où gisait le corps inconscient du prisonnier. Une clameur sauvage s'éleva dans l'assemblée, et les guerriers trinquèrent autant au sacrifice qu'à la romance qui venait de se sceller entre les deux meneurs de l'expédition. Orgnar et Kynareth, en effet, devant le bûcher en flamme, se tenaient la main silencieusement. La chair du prisonnier commençait déjà à brûler, lui arrachant de petits spasmes, et soudain, une immense flamme jaillit, enveloppant entièrement le corps du condamné, lui arrachant un cri qui se dissout rapidement dans le crépitement des flammes.
-Les Dieux veulent en finir rapidement! S'exclama Odin VII, déclenchant une nuée de cris d'approbation et de réjouissance.
Tout le monde fêtait la fin de cette ère et de cette menace, les succès futurs de l'empire, et l'amour florissant de ses deux nouveaux héros. Mais dans cette cohue générale, deux personnes ne souriaient pas. Deux personnes qui, alors que le corps du prisonnier n'était plus qu'une torche sans vie, se demandaient si leur yeux les avaient trompés. Balta et Kynareth continuaient de fixer le bûcher, comme s'il allait leur donner des réponses à leur interrogation.
Car tous deux étaient persuadés d'avoir vu le condamné sourire au moment de mourir. Et cette vision les remplissait de doute et d'effroi.
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