Shigure était de retour près de la chaise où il avait pour le première fois fait la connaissance d'Akemi. Il ne bougeait presque pas. Une ondée s'abattit sur tout le village, forçant les habitants à se réfugier sous un porche ou dans des maisons. Lui restait là sans bouger, les yeux absorbés par cette chaise qu'il contemplait. La brève silhouette d'Akemi apparut sur celle-ci. Shigure ne bougeait pas, il savait que s'il tentait de se rapprocher d'elle son esprit la chasserait pour toujours. Son cœur se mit à battre un peu plus fort et Akemi se leva pour lui faire face. Il tendit sa main pour la toucher. L'image resta de marbre et traversa finalement Shigure qui ne put la retenir.

-Alors c'est comme ça que ça doit aller ... Je t'ai laissée et maintenant mon âme en paye le prix. J'ai renoncé alors mon cœur souffre d'un mal incurable, celui de ton absence. En cet instant peut-être es-tu morte, ou prisonnière et tu appelles à l'aide. Enfin j'ai l'orgueil de croire que tu m'appellerais moi si ça devait arriver. J'ai la fierté de croire que sans moi tu n'y arriverais pas toute seule. 

Le corps du jeune homme tombait dans un vide profond, aspiré par le noir. Le monde qui l'entourait se résumait à une table, une chaise et un livre. Il s'assit et observa la couverture de l'ouvrage. Le titre lui évoquait quelque chose sans qu'il puisse savoir quoi, " les milles soleils ardents" d'Akagami Saito. Il ouvrit le livre et tourna les pages une à une. Elles racontaient l'histoire triste d'un homme qui était parti de son village en ne disant pas au revoir à sa femme. Face à la mort il se rappela ce qui était important pour lui : le fait d'avoir tort ou raison ne fera pas de lui un sage ou un imbécile, mais c'est la manière de s'enterrer de sa vision des choses qui le rapprocheras de l'âne. Alors il pleura devant son adversaire qui avançait doucement sa lame à sa gorge et avant qu'un repos forcé l'accueille, il consacra sa dernière pensée à sa femme qu'il n'avait pu embrasser avant de partir à cause de son entêtement. C'est fort de cette idée qu'il accepta la mort assénée et ferma les yeux. Des larmes étincelantes perlaient sur les joues de Shigure, il savait désormais que quelque chose était arrivé à Akemi. Son esprit le transporta dans un autre monde. Ses yeux tournèrent pour s'arrêter sur le corps d'Akemi. Sa dépouille gisant dans une flaque de sang, une lame plantée dans la poitrine de la jeune fille. Ses cheveux blonds ne resplendissaient plus, son regard était vide et l'étincelle que Shigure y trouvait jadis n'y était plus. 

-Je suis désolé Akemi, j'aurais dû être là ! J'aurais dû rester avec toi au lieu de faire l'imbécile et me cacher derrière mon masque d'orgueil. C'est ma faute si tu es morte ... C'est ma faute si -

Une éclat de lumière transperça les ombres et entoura Shigure. Une nouvelle terre se matérialisa devant lui. Une voix douce l'appela :

-Tu vois Shigure ? Tu vois les vastes champs ? Mon grand-père m'a dit qu'il y en avait des comme ça par delà les montagnes. Un jour on ira les visiter ensemble ! 

Il voulait répondre mais il comprit qu'il n'appartenait pas à cet instant. Une petit garçon timide marchait à côté d'une fille blonde à peine plus grande que lui. Il riaient et aspiraient à un avenir radieux, fixant de leurs yeux naïfs la montagne en fleur. 

-On ira les visiter, c'est promis ? 

-C'est promis. 

Ce petit garçon c'était Shigure enfant, et cette petite fille, il ne le savait plus. Il ne le savait plus, mais son cœur parlait pour lui et lui soufflait qu'il connaissait la réponse : Akemi. 

-Plus tard, toi et moi on se mariera, pas vrai Shigure ? 

Les deux Shigure répondirent en même temps :

-Oui, on se mariera, et on aura de beaux enfants !

Akemi tourna la tête vers les plaines, où Shigure observait les deux enfants. 

-Bah, qu'est-ce qu'il y a Akemi ? 

-Rien, j'ai juste eu l'impression que quelqu'un a parlé ...

 Au moment où il aurait dû faire comme tous les héros et enfourcher son fidèle destrier en direction de la crevasse, Shigure compris que ce n'était pas son rôle.

-Je ne peux pas le faire, je ne peux pas disparaître et me pointer en disant que je suis là pour elle. Je n'en ai pas le droit !

"Les regrets sont signes de nos apprentissages, les remords sont la preuve que nous avons appris. C'est pourquoi il vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets."