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7 - La Villa des Valentii (4/4)


Alessia acquiesça et se laissa guider par le noble, consciente que l'occasion était bien trop belle pour qu'elle la laisse passer. Elle se doutait que les attentions d'Erys cachaient quelque chose, n'était-elle pas une prostituée après tout ? Elle arriverait à se débarrasser de lui d'une manière ou d'une autre. Ainsi ils remontèrent le salon tandis que la majeur partie des convives s'était focalisé sur le début de la primera cena, marqué par l'arrivée des volailles et du gibier.

Alessia traversa la voûte garnie du crâne du Korval pour se retrouver à nouveau dans le long hall. Erys passa devant les murs garnies de tapisseries avant de s'arrêter devant l'une d'entre elle en particulier. Celle-ci, bien plus récente que les autres, dépeignait un affrontement entre deux galères de guerre, des trières, suivit d'un naufrage aux abords d'un récif de rochers. Des prisonniers étaient ensuite conduit à un bateau plus imposant garni d'une figure de proue à l'effigie d'une femme à queue de poisson amarée aux abords d'une contrée garnie de montagnes aux pointes acérés. S'ensuivait une révolte des esclaves qui finissait par prendre le contrôle du navire de guerre.

— Savez-vous pourquoi la famille Valentii arbore une sirène sur ses armoiries ? l'interrogea Erys alors en pleine contemplation de la tapisserie. Pardon, simple question rhétorique, vous êtes une étrangère après tout.

— Pourtant le Korvalys n'est ni bordé par le Détroit ni par l'Abondance, se contenta de répondre Alessia avec naïveté. On raconte en Arthédas que des sirènes se terrent dans les pointes de la Côte Spectrale et qu'elles attaquent ceux qui ont le malheur de s'égarer dans le brouillard. Y'en a-t-il aussi en Korvalys ?

— Non, le folklore est tout à fait différent dans notre contrée, moins fantasque, répondit-il sans pour autant dissimuler une pointe de dédain. Cette tapisserie raconte la vie d'un des plus illustres ancêtres de notre famille, Marius Valentii. Il a servi en tant que quartier-maître sur l'une des galères de la Legio Imperatorii lors de la Guerre du Détroit, il y a deux cents ans. A cette époque les Saints-Royaumes sont entrés en guerre contre la Ligue d'Ellar et les cités-états qui la composent. Malheureusement le navire sur lequel servait Marius fut très rapidement capturé et il devint esclave au bord de l'un des joyaux de la marine Ellari, l'Obra. Des années passèrent sans que notre famille ne reçoive la moindre nouvelle de lui, puis tandis que la guerre s'éternisait, on raconte que l'Obra vogua un jour en solitaire jusqu'aux côtes du Nérev. Quand les galères de Legio s'approchèrent pour couler le navire avant qu'il n'atteigne la capitale, les marins de la Legio ne trouvèrent à son bord que des rescapés des Saints-Royaumes. Et Marius Valentii à leur tête. A l'aide de dissidents et des autres prisonniers, il avait réussi à fomenter une rébellion et a se débarrasser des soldats de la Ligue. Pour sa grande bravoure, Marius fut promu capitaine du navire par la Legio et l'Obra rejoignit la flotte de guerre de Néreva, sa figure de proue à l'image d'une sirène inspirant la peur et la terreur chez ses alliées d'autrefois. C'est pour commémorer ses exploits que notre famille arbore cette représentation sur notre blason.

La mercenarii continua de suivre Erys quand celui-ci eut enfin décider d'arrêter de contempler la tapisserie. Si la narration des exploit son lointain ancêtre devait être particulièrement efficace sur les demoiselles facilement impressionnable de Dalata, pour sa part un tel récit l'avait laissé de marbre. Ses propres aïeuls avaient eux aussi participé à la Guerre du Détroit, un conflit déclenché par le penchant naturelle de Néreva à privilégier le conflit à la négociation. Le Korvalys s'était joint aux autres provinces en plein milieu de la guerre alors que le conflit s'enlisait, ses terres hors de portée des forces de la Ligue d'Ellar. Elle se souvenait encore des leçons qu'Eldritch lui avait prodigué autrefois sur cette période de l'histoire des Saints-Royaumes.

Alors qu'ils remontaient le hall d'un pas tranquille, Erys prit la direction d'un petit escalier presque caché dans l'un des coins de la pièce. Ils montèrent ainsi à l'étage de la villa et passèrent devant plusieurs portes avant qu'Erys ne s'arrête devant l'une d'entre elle. Après avoir sortit une clé de l'une des bourses accrochées à sa ceinture, il ouvrit la pièce et invita Alessia à le suivre à l'intérieur. Elle découvrit à l'intérieur une chambre d'une taille raisonnable au parquet ciré recouvert d'un tapis en fourrure. Au fond se trouvait un lit à baldaquin recouvert de rideaux er de draps de soie d'un amaranthe profond. A cela s'ajoutait une commode et une armoire taillé dans un bois noble et un miroir sur pied trônait à leur côté.

— Allonge-toi sur le lit. Ne te déshabille pas, je préfère le faire moi même, énonça Erys.

Sa voix venait de changer, abandonnant ses sourires charmeurs contre un ton plus sec et autoritaire. Sa proie dans sa tanière, le prédateur pouvait faire tomber le masque. Alessia se contenta pour le moment d'obéir et s'assit sur le bord du lit, à l'aguet d'une ouverture. Erys ferma la porte, passa devant elle pour se diriger vers la commode.

— Ne t'inquiètes pas cela ne prendra pas longtemps, tu vas apprécier la chose, poursuivit-il tout en ouvrant le tiroir. J'espère que tu es aussi docile que tes soeurs.

Alessia se leva sans faire le moindre bruit et retint sa respiration. D'un geste fulgurant, elle passa son bras sur la gorge d'Erys en une prise de soumission. Le jeune noble battit des bras pour essayer de se libérer, incapable de crier. Il se projeta en arrière mais la mercenarii prit habillement appuie sur le lit. Avec rapidité, sa force décrut et après quelques minutes, il tomba inconscient. Elle le déposa au sol avec précaution et se hata de le pousser en dessous du lit. Une fois cela fait, elle s'approcha du tiroir entrouvert pour le refermer. Sans trop de surprise, elle aperçut à l'intérieur des liens en cuir, un baillon ainsi qu'un fouet, des outils en adéquation avec ce qu'elle avait ressenti dans l'esprit d'Erys. Alors qu'elle venait de finir de jeter un oeil, la porte s'ouvrit et se referma aussitôt. Le sang d'Alessia se glaça et elle se retourna aussitôt.

Une femme venait d'entrer, la trentaine passée et de grande taille, dotée d'une longue silhouette longiligne. Ample chevelure corbeau, des prunelles sombres en amande. Une brulure d'apparence ancienne qui serpentait de sa pommette droite à la naissance de son cou. Elle était revêtu d'une robe bleu-marine, et elle semblait tout aussi à l'aise qu'Alessia dans ce genre d'accoutrement. Elle était le portrait craché de la description que Lex lui avait fait de sa soeur un peu plus tôt à la Jouvencelle.

— Je vois que tu as fais plus ample connaissance avec l'un des cousins de Messire Valentii, commença-t-elle à énoncer. Je vous ai vu partir. Tu es efficace, cela change des incapables habituels des Lames de Castell.

— Que se passe-t-il ici, Daguefilante ? se permit-elle de l'interrompre. Lex était persuadé que tu étais prisonnière, ce qui ne semble pas être le cas. Tu me dois des explications.

— Je suis loin d'être libre de mes mouvements, c'est pour cela que j'ai insisté pour que tu me rejoignes au plus vite, rétorqua Cordélia d'un ton sec. Cet idiot d'Orél croit que je suis tombé sous son charme. Cependant cela ne l'empêche pas son ordure d'épouse de me garder à l'oeil pour autant. J'ai pû profiter de la soirée pour me débarrasser de mon chien de garde. Nous devons faire vite avant que son indisposition soit remarqué.

— Ainsi je dois comprendre que tu as déjà un plan en tête ? Comment allons-nous procéder ?

— C'est simple, nous allons profiter des festivités pour se glisser jusqu'au bureau d'Orél. Les invités et les gardes seront bien trop préoccupés par les plaisirs de la chair pour nous remarquer. Nous pourrons y récupérer le coffret. J'imagine que mon frère t'a mise au courant ?

Alessia acquiesça, cependant elle avait l'intime conviction que quelque chose clochait. C'était trop facile. Pourquoi Orél Valentii s'était-il donné la peine de la faire prisonnière ? Après-tout n'était-elle pas un témoin génant ? Et les Vipères des tunnels avaient su où attendre le convoi pour les prendre par surprise sans trop de difficulté.

— Attends, une seconde, finit-elle par se lancer. Comment sais-tu qu'il se trouve là-bas ? Et l'embuscade, que s'est-il vraiment passé ? Comment t-es-tu retrouvé entre les griffes des Valentii ?

— Dois-je en déduire que tu remets ma loyauté en question ? siffla Cordélia alors que ses traits se durcissaient. Si je n'étais pas de ton côté, je t'aurais dénoncer à la première occasion. Nous n'avons pas de temps à perdre. Je sais que le coffret s'y trouve car c'est à cet endroit qu'Orél m'a retenue.

La mercenarii n'eut guère le temps de contre-argumenter que Cordélia quittait la pièce. Alessia se résolut à la suivre. Elle a raison, la mission est plus importante pour le moment. Une fois de retour dans les couloirs, elles commencèrent à avancer à tâtons en silence, Daguefilante ouvrant la voie. La pénombre qui régnait à l'étage jouait en leur faveur et pour le moment personne ne s'était rendu dans cette partie de la vie. Depuis le rez-de chaussé le brouhaha chaotique du banquet parvenait à leurs oreilles, les invités toujours attablés pour la primera cena. Alors qu'elles venaient de remonter le corridor et arrivaient à une nouvelle aile de la demeure, Cordélia s'immobilisa avant de jeter un coup d'oeil sur sa droite. Elle recula et se plaqua contre le mur.

— Pernicies, il était naïf de croire qu'ils déserteraient aussi facilement leurs postes, chuchota Daguefilante. Il va falloir se débarrasser de ses deux la pour entrer dans le bureau.

Alessia s'avança pour observer l'aile à son tour. Dans le coin de la pièce d'une grande porte à double battants, deux mercenare étaient assis à un table ronde de taille modeste. Ils discutaient tranquillement tout en sifflant des pintes. Il était impossible de se rendre au bureau sans passer dans leur champs de vision.

— J'imagine que tu n'as pas d'armes sous la main ? poursuivi Daguefilante tout bas.

— Si, mais pas sur moi et je doute qu'on puisse facilement les récupérer, lui répondit Alessia.

— Alors prends ça — Cordélia passa la main dans l'intérieur de sa robe et finit par en extraire deux couteaux de cuisine et tendit l'un d'entre eux à Alessia — Ils se méfieront moins si tu avances en première. Attire en un et tranche lui la gorge, je m'occuperai du second. Nous n'avons pas le droit à l'erreur.

L'espace d'un instant, Alessia réfléchit s'il existait une alternative. Elle observa à nouveau sans pour autant trouver de solutions. A tout moment, quelqu'un pouvait arriver dans le couloir et elles pourraient dire adieu à l'effet de surprise. Je dois prendre une décision rapidement. Alessia passa une main dans ses nattes pour remettre de l'ordre dans sa chevelure. Elle tira ensuite sur son corset pour réhausser sa poitrine, prit une grande respiration et décida de se lancer dans l'aile, sa lame retroussée dans sa manche. Elle n'avait même pas parcouru la moitié de la distance que les deux mercenare se turent et braquèrent leur regard dans sa direction.

— Que fais-tu ici, malheureuse ? lança le premier d'entre eux à la stature trapu et au faciès rubicond. Ne sais-tu pas que l'étage est interdit aux invités ?

— C'est que je suis l'une des filles de la Jouvencelle, commença Alessia tout en continuant de se rapprocher, les invités de Messire Valentii ne devraient pas être les seuls à profiter de nos charmes...

— Oh une rousse, ce n'est pas courant ça par chez nous, munera Imperatorii ! s'exclama le second avant de finir d'une traite sa chope. C'est un signe, Hagge !

— Tait-toi, Cassius, rétorqua celui-ci. Tu sais très bien que c'est hors de question. Dame Valentii ne saurait tolérer un tel écart de conduite. — Il se leva de sa chaise d'un geste brusque — Je vais la ramener au Capitaine Aredan pour qu'il s'occupe de cette flâneuse.

— Attendez, je suis sûre que l'on peut trouver un terrain d'entente, mes braves ! répondit Alessia.

Alors que le dénomé Hagge se jetait sur elle, la jeune femme tourna les talons pour essayer de regagner le couloir. Sans surprise, le mercenarii fut plus rapide qu'elle et l'attrapa pas le poignet pour la forcer à s'arrêter.

— Où essayes-tu de fuir comme ça, malheureuse ? vociféra-t-il. Tu vas venir avec moi, j'ai dit !

Tandis les doigts de l'homme entrèrent en contact avec sa chair, Alessia lança son Don au travers du mercenarii. Elle s'infiltra dans son esprit sans la moindre difficulté. L'homme avait bu tout son saoul depuis le début de la soirée mais sa bonne constitution l'avait préservé des affres de l'alcool. Elle savait comment agir.

Hagge tituba en arrière et relâcha son emprise. Il se rattrapa in extremis avant de lâcher un grognement et passa sa dextre à hauteur de ses yeux comme si quelque chose venait de brouiller sa vue.

— Eh bien, mon frère ! Je crois que tu as trop forcé sur la bière ce soir ! fit Cassius d'un ton goguenard.

Le mercenarii se redressa, toujours étourdi par la vrille psychique de la jeune femme. Il essaya de lever le bras pour l'attraper. Elle fut bien plus rapide que lui. D'un habile coup de poignet, le couteau glissa dans sa paume puis Alessia frappa. La pointe transperça le bas de la mâchoire d'Hagge pour remonter à l'oblique jusqu'à l'intérieur de son crâne. Le mercenarii s'écroula. Les yeux de Cassius s'étrécirent de surprise et il essaya de se lever. Au même moment, une lame filait dans les airs pour se ficher droit dans sa trachée. Alessia enjamba le cadavre et acheva le mercenarii en enfoncant le couteau dans sa nuque.

— Surveille le couloir pendant que je m'occupe d'ouvrir la porte, lui ordonna Cordélia qui venait de la rejoindre.

La jeune femme s'exécuta tandis que Daguefilante extrayait cette fois-ci un crochet de ses manches avant de s'attaquer à la serrure. Elle comprenait mieux maintenant l'origine de son surnom. Alessia jeta un oeil au travers du corridor sans y déceler la moindre présence. De combien de temps disposaient-elles avant que quelqu'un ne s'enquiert d'Erys Valentii ou qu'une ronde de la garde ne remarque qu'Hagge et Cassius manquaient à l'appel ? Alessia essaya de contenir tant bien que mal l'adrénaline qui coulait dans ses veines. Si jamais elles étaient découvertes, affronter une garnison complète se révèlerait bien plus suicidaire que deux mercenare isolés. Et commettre un massacre dans la villa leur coûterait le soutien d'Arenius qui ne manquerait pas de nier toute implication de sa part. Une poignée de minutes s'écoula en silence puis un cliquetis familier retentit et la porte s'ouvrit. Daguefilante lui chuchota de la rejoindre et elles tirèrent les deux cadavres à l'intérieur du bureau déverrouillé.

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