31 - La Larme Sanguine (4/5)
La lamenoire atterrit au sol sur les genoux, prise d'une violente quinte de toux. De l'air se répandait à nouveau en elle. Face à elle, Gerald le Noir s'était aussitôt écroulé, la Larme Sanguine éteinte et silencieuse. Alessia se releva pour faire face au chef drengir et l'observa d'un œil circonspect. Sa peau d'un livide pâle donnait presque une teinte surnaturelle au sang qui le recouvrait presque de la tête aux pieds. Dans ses prunelles toute forme de rage ou de colère s'était éteinte pour de nouveau laisser place à la fatigue et à la lassitude qu'elle y avait décelées quelques jours auparavant. Celles-ci autrefois d'un azur étincelant saupoudré d'éclat d'améthyste s'étaient recouvertes d'un voile gris. Bientôt l'un des derniers héritiers de l'Ancienne Borée s'éteindrait pour de bon une fois les effets de la rage de guerre estompée.
Pourquoi au dernier moment avait-il décidé d'abandonner alors que la victoire était à la portée de main ? s'interrogeait la lamenoire. Avait-il était question d'honneur ? Car par deux fois elle avait été bien proche de périr si le seigneur drengir n'avait pas finalement décidait de retenir son bras.
— C'était un affrontement honorable, réussit à articuler péniblement Gerald le Noir, comme s'il venait de lire dans ses pensées. Tu as mérité cette victoire, isàdottir, où qui que soit la véritable personne qui se cache en toi. Je choisis ma propre fin. Alors maintenant accorde-moi le repos que mérite le chef de guerre que je fus. Achève-moi avant qu'il ne me force à l'utiliser ! Libère-moi de son emprise !
Un frisson parcourut l'échine de la lamenoire. Elle attrapa la poignée de Crépuscule pour l'extraire du poitrail du chef drengir d'un coup sec. Une nouvelle giclée de fluide sanguin vint se répandre sur le sol souillé de la cour inférieure du Fort du Croc. Alessia brandit la dæmoria de son seul bras valide, bien décidée à accéder à la requête de Gerald le Noir.
Une expression d'effroi traversa le faciès couturé du Seigneur des Terres sauvages. La Larme Sanguine se mit à luire à nouveau d'une puissante aura écarlate. Une main invisible arrêta Crépuscule en pleine course tandis qu'une puissante décharge d'énergie æthérique traversa les défenses mentales d'Alessia. La lamenoire trébucha à genoux et la pointe de la dæmoria se ficha dans le sol, son corps tel un pantin désarticulé. Elle essaya de conjurer le Don mais celui-ci s'éteint aussitôt telle une braise aussitôt étouffée
— Il est ici ! Il vient pour moi, je peux presque sentir sa présence parmi nous, vociféra Gerald, tout aussi incapable de bouger.
Un puissant Pouvoir se répandit dans l'enceinte inférieure du Fort du Croc. Alessia balaya du regard l'assemblée. Brigands comme légionnaires semblaient pétrifiés comme si le cours du temps s'était lui-même figé. Par réflexe, elle essaya de joindre télépathiquement Vaiyn ou Harbard mais elle ne reçut aucune réponse de la part des deux æthériis. Instantanément la lamenoire soupçonna une nouvelle intervention d'Anastérion ou de Savren avant d'abandonner de suite une pareille hypothèse. Aucun Sin'dhorei aussi doué fut-il était capable de faire plier ainsi le temps sur une échelle aussi vaste et aussi longtemps. Il fallait pour cela convoquer une force bien supérieure et plus ancienne...
La lamenoire essaya de se libérer de l'emprise mais elle ne savait pas comment procéder tellement le Pouvoir qui s'employait à l'immobiliser semblait être partout et nulle part à la fois. Et tandis qu'elle essayait tant bien que mal de déterminer la source du Don, un homme au même moment commença à fendre la foule fantomatique pour se rapprocher d'elle et de Gerald, son marteau de guerre en main.
— Mon fils, que viens-tu faire ici ? maugréa Gerald d'une voix éreintée. Comment oses-tu intervenir avant la fin du Mak'athan ?
— Je viens mettre un terme à cette farce, père, lança Ivar d'un ton froid tout en se plantant devant le chef drengir abattu. Je viens prendre ce qu'il me revient de droit.
— Il est trop tard, imbécile ! Le Mak'athan a rendu son verdict, Jör a choisi son élu, rétorqua Gerald. Et bientôt j'irais à mon tour rejoindre mes ancêtres !
— Je n'ai que faire de cet affrontement futile ! Si vous l'aviez voulu vous auriez pu remporter aisément ce duel et tuer cette traîtresse, père ! Mais vous n'avez pensé qu'à votre honneur de guerrier ! Vous auriez pu l'écouter, lui qui avait choisi de faire de vous son élu mais vous vous êtes détourné de sa voie !
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, Ivar ! Ne commets pas la même erreur que moi !
— Croyiez-vous être le seul digne de son intérêt ? Moi aussi à plusieurs reprises j'ai reçu sa visite lors de mon sommeil. Il m'a promis le pouvoir de restaurer la puissance de la Borée d'antan ! Ensemble nous éradiquerons les Saints-Royaumes et leur empereur de pacotille pour instaurer un nouvel ordre ! Nous vengerons le sang versé par nos ancêtres !
— Et à quel prix, Ivar ? Aucune promesse de gloire ou de fortunes ne valent la peine d'y sacrifier ta liberté pour y parvenir ! Car il s'agit de cela ! De la servitude !
— C'est là que vous faites erreur, père. Car une fois qu'il aura obtenu la Larme Sanguine, il m'a promis de faire de moi son égal, son chef de guerre ! Mais je n'ai que faire de vos jérémiades, votre temps est fini, Gerald Isàdottir !
— Tu peux me tuer mais que feras-tu ensuite, Ivar ? Après un tel affront, jamais les Foudres de guerre n'accepteront de se soumettre à toi. En agissant ainsi tu es devenu un paria pour les nôtres !
— Ils me suivront de gré ou de force ! Et cette pierre m'aidera à y parvenir !
La lamenoire avait écouté la conversation avec attention, toujours paralysé par le Pouvoir de l'entité. Une fois de plus, elle avait sous-estimé l'importance du fils du chef drengir, un pion de plus tombé sous la coupe de la chose qui cherchait à s'emparer du Saint-Joyau. Incapable d'incanter son Don, il ne restait à Alessia qu'une seule et unique carte à jouer. Ivar tendit le bras pour arracher l'amulette autour du coup de Gerald mais celui-ci ne se laissa pas faire et attrapa de sa main gauche la dextre d'Ivar.
— Vous êtes faible et pathétique, Gerald et vous l'avez toujours été ! Si je n'étais pas intervenu vous seriez encore en train de pourrir dans les plaines du Korvalys à vivre comme un vulgaire paysan avec mère et mes sœurs ! Et maintenant je vais vous briser comme je les ai brisé autrefois !
Ivar repoussa Gerald d'un coup sec avant de lever son marteau de guerre à deux mains. Le Seigneur de Terres sauvages bomba le torse et accueillit la mort sans détourner le regard. Le plat du marteau heurta de plein fouet le sommet de son crâne le brisant en centaines de morceaux. Mais Ivar ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin. Il poursuivit sa sombre besogne s'acharnant à plusieurs reprises jusqu'à ce que la tête de Gerald ne soit plus qu'une bouillie d'os, de chair, de sang et de cervelle.
— Par Jör ! Que cela fait du bien ! Je rêvais d'un tel moment depuis bien des années ! s'enorgueillit Ivar tout en ricanant. Et maintenant je vais m'occuper de toi, salope de traîtresse ! Ensuite j'irais rejoindre le Maître pour prendre la place qui me revient de droit.
La lamenoire libéra le müyr qui coulait dans ses veines et se laissa submerger par celui-ci. Instantanément elle regagna la maîtrise de son propre corps tandis que le marteau de guerre s'envolait à toute vitesse dans sa direction. Alessia bondit d'une cabriole, attrapa Crépuscule avant de se jeter sur le colosse. La dæmoria transperça le torse d'Ivar, perforant son cœur tandis qu'il chutait en arrière.
— Tu penserais que cela serait aussi facile ? vociféra Ivar en crachant une gerbe de sang. Il ouvrit la paume de sa main gauche dans lequel se trouvait la Larme Sanguine. Je suis le nouvel élu du Maître ! Maintenant disparait, vermine !
Alessia retira aussitôt Crépuscule du torse d'Ivar pour essayer de s'emparer du Joyau avant qu'il ne conjure son pouvoir. Alors que le bout de ses doigts se posaient contre l'arête centrale de la Larme Sanguine l'intégralité de son être se mit à brûler de concert tandis que le müyr se désagrégeait en elle. L'aura écarlate l'aveugla tandis qu'un puissant rayon d'énergie æthérique transperçait sa poitrine. Elle sentit ses pieds quitter le sol et s'élever dans les cieux. Et son esprit s'oblitéra tandis que le temps reprenait son inexorable marche.
3
Si la lamenoire s'était attendu à quelque chose lors de sa mort alors il n'aurait très certainement pas s'agit de cela. Nulles ténèbres ni silence. D'ailleurs était-elle vraiment passé de vie à trépas ? Pourtant elle avait bel et bien sentit le rayon d'æther émis par la Larme Sanguine transpercer ses défenses mentales. Car si elle ne ressentait plus la moindre sensation de la part de son propre corps, son esprit, quant à lui, semblait parfaitement limpide.
La lamenoire avait l'impression de flotter dans les cieux comme lors d'un voyage astral cependant cette fois-ci rien ne semblait la rattacher à son corps physique. Si des dieux existaient bel et bien, était-ce de cette façon qu'ils percevaient les tribulations des misérables mortels ? se questionna la lamenoire.
En contrebas, au sein de l'enceinte inférieure du Fort du Croc, la sphère temporelle conjuré par le Maître s'était dissipé et le temps s'écoulait enfin à nouveau dans les rangs des drengirs et des imperatiis. Pour la majeure partie d'entre eux, guère plus de quelques secondes s'étaient écoulés entre le moment où Alessia avait terrassé Gerald le Noir et celui où Ivar brandissait la Larme Sanguine dans la direction des forces de la Legio Imperatorii.
— Au nom des Foudres de guerre et du nouveau Seigneur des Terres sauvages, massacrez ces scélérats des Saints-Royaumes ! hurla Ivar Isàdottir alors que l'aura écarlate du Joyau d'Aëlrys commençait à l'entourer.
Immédiatement la lamenoire sentit les paroles d'Ivar se frayer un chemin jusqu'aux esprits des drengirs, éveillant en eux les instincts les plus sauvages de leur sang boréen via le Serment d'Allégeance. Qu'ils reconnaissent ou non l'autorité du nouveau chef de guerre, cela importait peu car la Larme Sanguine les forcerait à obéir. Ivar poussa un puissant cri de guerre, succombant à son tour à la rage du berserker. Les drengirs dégainèrent de concert leur lames et se mirent aussitôt à charger les Imperatiis.
Pris par surprise et leurs sens encore engourdis par les effets de l'orbe temporel, les décurions de la Legio eurent toutes les peines du monde à ordonner aux légionnaires de reformer la ligne de boucliers avant que les drengirs ne soient sur eux. Bien qu'en supériorité numérique et bien mieux équipés, cela ne suffit pas aux Imperatiis pour lutter contre la fureur des Foudres de guerre. Le sang coula à flot, les fers de haches tranchèrent cuirasses comme cotte de mailles, les marteaux cabossèrent les grands scutums de la Légion, les lances empalèrent les panses et les lames tranchèrent les têtes.
Derrière la ligne de front, le præfector Aranéis vociférait ordres et directives tandis que les céleres formaient une ligne de défenses autour du Tribun Lex. Alors qu'Aranéis pestait contre le manque de réactivité des tireurs embusqués dans les tours qui n'avaient pas encore fait feux sur les drengirs, le præfector Mélias s'approcha derrière lui. Tirant son glaive de son fourreau, il transperça la panse du vétéran Imperati. Derrière lui ni inquiétude ni surprise ne régnait sur le visage ridé de Varius de Castell malgré la tournure des évènements. Au côté de son fils, un troisième individu s'avança pour ensuite rabattre le capuchon bleu qui camouflait ses traits.
Anastérion, maudit bâtard... Il a dû très certainement profiter de l'agitation produit par le Mak'athand pour se mêler aux Castellans, supposa la lamenoire. Alors que le magistère déchu enjoignait Varius, Arenius et Mélias de se rapprocher de lui, il incanta son Don pour créer un portail de téléportation. L'instant d'après, ils s'étaient volatilisés.
Alors que les rangs des légionnaires Imperatiis fondaient comme neige au soleil et que les céleres escortaient le Tribun Lex hors de la mêlée, une ombre apparut en plein milieu de l'empyrée. La Séraphyne Synead percuta de plein fouet la masse de Foudres de guerre. Drengir comme Imperatiis vacillèrent sous la puissance de l'onde de choc. Sur sa droite, l'un des drengirs assez ayant réussi à encaisser la charge se jeta sur la Shéraël. Son sabre ne fit que rebondir sur la cuirasse rutilante de Synead tandis qu'elle transperçait son crâne de la pointe de sa lance. Elle déploya ses ailes pour lacérer et déchiqueter les quelques malheureux ayant eu la stupidité de se relever avant de regagner les cieux, car la source de son courroux se trouvait ailleurs.
Battant des ailes pour s'élever à une quinzaine de mètres de hauteur, la Séraphyne empoigna sa lance à deux mains qu'elle dirigea vers Ivar qui combattait au cœur de la mêlée. Synead scintillait de mille feux tel un second Astalyone recouverte d'énergie æthérique divine, car si les æthériis tiraient leur pouvoir du Voile, les Shéraëls faisaient appel à une puissance supérieure.
— Par le courroux de l'Empereur-Dieu, c'est maintenant que tu vas mourir, Ivar Isàdottir ! Gloire aux Saints-Royaumes ! tonna Synead d'une voix impérieuse avant de charger en déployant ses ailes.
Le chef de guerre drengir leva le chef en direction du ciel tandis que son marteau de guerre venait de fracasser le crâne d'un légionnaire. Il brandit la Larme Sanguine en direction de Synead. Une dizaine d'arcs d'énergie æthérique écarlate émergèrent du Joyau pour foudroyer la Shéraël. Abattu en plein vol, elle s'écrasa sur les murailles du Fort du Croc. Galvanisé par le succès du nouveau Seigneur des Terres sauvages, les assauts des Foudres de guerre gagnèrent en intensité, éparpillant les derniers ersatz de cohésion des lignes de légionnaires Imperatiis qui tombaient comme des mouches. Alors que l'esprit de la lamenoire s'étendait pour s'enquérir de l'état de la Séraphyne Synead, quelque chose happa soudainement son esprit.
Le champ de bataille disparu en l'espace d'un battement de cils. Alessia sentit un coude heurter ses côtes. D'un réflexe fulgurant, elle leva Crépuscule pour parer la frappe haute du drengir qui s'était jeté sur elle. D'un revers du poignet, elle écarta la lame pour transpercer la gorge du Foudre de guerre. La lamenoire tituba, reprenant son souffle, encore surprise par cette si soudaine réincarnation. Comment cela était-il possible ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro