31 - La Larme Sanguine (2/5)
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La lamenoire observa à nouveau l'agitation gagner avec une intensité croissante l'enceinte inférieure du Fort du Croc. Les auxiliaires couraient à droit à gauche sous la supervision des décurions tandis que les légionnaires tâchaient de se préparer à un éventuel affrontement. Car si jamais les choses ne passaient pas comme prévu et qu'en cas de défaite de Gerald, les Foudres de guerre refusaient de se rendre alors la Legio aurait une unique chance d'abattre les bandits avant qu'ils ne se retranchent à l'étage. Du coin de l'œil, elle aperçu les arbalétriers investir les tours de garde en petit nombre.
Cependant la lamenoire doutait que les Foudres de guerre agirait de la sorte si la situation dégénérée pour de bon. En quasi force égal avec les Imperatiis présent entre les murs de la forteresse, ils essayeraient par tous les moyens de chasser l'envahisseur. S'ils ne regagnaient pas le contrôle de l'entrée et l'accès aux tunnels alors ils finiraient tous tôt ou tard par mourir de faim et de soif à cause du blocus de la Légion une fois leurs vivres épuisés. Peut-être avait-elle commis une erreur en épargnant la vie de Gerald un peu plus tôt ? Sur le moment, l'opportunité lui avait semblé trop belle mais elle s'était finalement ravisé. Était-ce à nouveau l'œuvre de l'âme d'Alessia qui influençait ses décisions depuis les tréfonds du sigil ?
Ce soir tout prendra fin pour de bon et je pourrais me débarrasser de ce fardeau inutile. La lamenoire se dirigea va la rangée de chevaux qui se composait des montures de l'état-major Imperatii et des rares céleres encore en vie. Elle rejoignit Cal et caressa sa crinière puis vérifia l'état de sa selle. Après son arrivée au castrum et la confrontation avec les Castellans, la lamenoire était de suite partit à la recherche de l'alezan, porté disparu depuis le début du siège du fort. Le concours de l'auxiliaire Lédent n'avait pas été de trop pour lui permettre de le retrouver parmi les centaines de chevaux qui résidaient maintenant dans les écuries du camp de la Legio Imperatorii.
La lamenoire en avait aussi profité pour faire le plein de provisions en vue de son départ prochain. Car elle se doutait que ni la Séraphyne ni le nouveau Tribun accueilleraient avec grande joie sa volonté de livrer elle-même la Larme Sanguine à la capitale. Seul l'Ordre de la Lame Noire et le Sidh'ari avait la sagesse nécessaire pour garder un artéfact aussi puissant. Qu'importe leurs intentions, son ordre ne pouvait laisser le Conseil d'Aëlrys ou les Shéraëls s'emparer du Joyau.
Si elle ne doutait pas de sa capacité de fausser compagnie à la cohorte, la lamenoire redoutait un affrontement direct avec Synead, la Séraphyne totalement immunisée au müyr et au Don tout aussi puissant que celui d'Anastérion si ce n'est supérieur. Peut-être arriverait-elle à la leurrer quant à son véritable objectif ? Si depuis leur fondation lors du Déclin, les sœurs de la Sainte Shaël s'étaient montré d'une utilité remarquable pour lutter contre les ennemis de l'Imperatora et des Saints-Royaumes, la lamenoire trouvait que leur trop grande bonté et leur sens prononcé pour le pardon nuisait à leur efficacité. Les Saints-Royaumes avaient grandement besoin de protecteurs pragmatiques prêts à réaliser n'importe quel sacrifice pour garantir la sécurité de ses citoyens.
De l'autre côté de l'enceinte inférieure au niveau des portes en ruines, la lamenoire remarqua la présence du Tribun Lex en train de discuter avec ses centurions ainsi que le Præfector Aranéis. Une fois son paquetage vérifié, elle se dirigea à sa rencontre d'un pas rapide. Taren Lex la salua d'un signe de la main tandis que son frère d'armes faisait une révérence avant de prendre congé. Elle l'accompagna tandis qu'il passait une dernière fois en revue les escouades de légionnaires.
— J'espère que j'ai raison de te faire confiance, Alessia sinon ma première décision en tant que tribun pourrait être très bien la dernière, lui lança-t-il. La cohorte ne comprend pas que nous essayons de mettre fin aux hostilités.
— Je croyais que la Legio en avait assez d'être le toutou des Castellans ? Que vous n'aviez rien à voir avec ce conflit.
— C'est exact mais la plupart des légionnaires se fichent de telles prérogatives. Ils n'accordent d'importance qu'à leur solde et la fin de leur service. Les plus téméraires, eux, rêvent de se couvrir de gloire et de monter en grade. D'autres aspirent à la vengeance et souhaitent venger leurs camarades tombés au combat. Mais en effet, nous n'aurions jamais dû courber l'échine devant Varius. Quelqu'un doit tout de même payer et la vie de Gerald le Noir suffira amplement.
— Que font-ils ici ? demanda soudainement la lamenoire en pointant du doigt deux individus en toges encadrés par plusieurs céleres aux armures impeccables. Pourquoi les Castellans ne sont-ils pas restés confinés dans leurs tentes au castrum ?
— Mélias a insisté pour qu'ils soient présent et que tous les deux assistent au duel, rétorqua Taren d'un ton las. Il haussa les épaules Je suis du même avis. Je préfère garder ces maudits serpents au plus près de moi, qu'ils comprennent qu'il n'y a plus le moindre espoir qu'ils s'emparent de la Larme Sanguine.
— Ils en savent bien plus que vous le croyez, Tribun Lex, objecta la lamenoire. Cette traque dans les Terres sauvages, le fait qu'Anastérion se range de leur côté... Tout ceci n'a rien d'hasardeux, quelqu'un les manipulent dans l'ombre pour récupérer le Joyau. Quelque chose de bien plus dangereux qu'un vulgaire chef de guerre ou un sénateur. Une entité communique avec Gerald et Varius lors de leur sommeil. C'est grâce à cela qu'ils ont appris l'existence la Larme Sanguine. Nous devrions l'interroger une fois tout ceci terminé
— Le problème est qu'il nous est absolument interdit de soumettre Varius ou son fils à la Question, rétorqua Taren. Il est protégé par son statut de sénateur. Nous allons devoir l'amener à la justice de Lancâstre et attendre qu'il soit déchu de son titre par le Haut-Roi et son conseil.
— Des mois voir des années pourraient s'écouler avant que cela ne se produise. Et une fois à la capitale provinciale, bien des nobles se prononceront en faveur de Varius, sa fortune capable de lui fournir des soutiens que même le témoignage d'un tribun ne saurait contrecarrer.
— Ne t'inquiète pas, Alessia. Je te donne ma parole qu'il paiera pour ses crimes d'une manière ou d'une autre. Le plus important pour le moment est que l'Imperatora récupère la Larme Sanguine. C'est une véritable bénédiction de l'Empereur. Grâce à elle, les Saints-Royaumes pourraient entrer dans un nouvel age d'or !
La lamenoire ne partageait pas le même optimiste que le tribun mais elle s'interdit d'en faire mention. De simples mortels pouvaient-ils canaliser une telle source de puissance ? Elle s'éloigna de quelques pas de Taren pour s'approcher des Castellans. Les céleres aux corsets de plaques d'acier n'esquissèrent pas le moindre mouvement. Cerné et à la mine patibulaire, sa toge salie et en désordre, Arenius de Castell semblait au bord du précipice. Peu habitué à la rudesse de la campagne, un profond ennui se trahissait sur ses traits éreintés. Ses pupilles se dilatèrent à la vue de la crinière de flammes d'Alessia. Il se jeta un bref coup d'œil à la cicatrice à son avant-bras et recula d'un pas. Varius n'en fit rien et demeura inflexible tel un roc, ses yeux de prédateur s'appesantir sur la silhouette de la lamenoire.
— Venez-vous vous pavanez devant nous comme si tout était déjà gagné d'avance, femme ? lui lança Varius d'un ton acerbe. Le Maître m'a beaucoup parlé de vous et de l'engeance qui est logé en vous. Sachez que rien ne pourra contrecarrer sa volonté. Ni vous, ni Taren et ni cette maudit Séraphyne.
— N'ayez craintes, sénateur. Vos sombres manigances prennent fin aujourd'hui, rétorqua la lamenoire en soutenant le regard inflexible de Varius. La Larme Sanguine ne tombera jamais entre les mains de votre Maître. Ce soir, lorsque tout le castrum sera endormi, je me faufilerai sans un bruit jusqu'à votre tente comme je l'ai déjà fait pour votre fils. J'arracherai les secrets que cache votre esprit et quand cela sera terminé et que vous serez aux portes de la mort, vous me supplierez de vous achever, Varius. De vous il ne restera plus qu'un vieillard impotent et sénile.
Une colère fugace illumina les pupilles sombres de Varius de Castell avant de s'éteindre aussitôt. Elle ne ressentit aucune peur au travers de la psyché du sénateur mais une intense résignation. Étrangement Varius n'éprouvait aucune crainte vis-à-vis de sa propre perte. La lamenoire poursuivit sa percée, s'apprêta à percer ses défenses pour s'emparer du flot de ses pensées. Soudain une voix impérieuse vociféra nous loin d'elle et les céleres se précipitèrent pour lui barrer le chemin.
— J'avais ordonné que personne ne s'approche du Sénateur de Castell et de son fils ! s'emporta le Præfector Mélias en se rapprochant d'un pas rapide. Tribun Lex, je vous prie de rappeler votre chien de garde.
La lamenoire n'insista pas et s'éloigna tout en lâchant un dernier regard en direction de Varius de Castell. Tout ceci n'est que partie remise. Elle retourna auprès de Taren et au même moment, tandis qu'Astalyone atteignait son zénith pour marquer la méridiem, le son profond et lourd d'un cor de guerre se répandit dans toute l'enceinte inférieure du Fort du Croc.
Aussitôt légionnaires comme auxiliaires désertèrent leur poste pour rejoindre leur escouade et former la formation de bataille. Sous la férule inflexible des sous-officiers, ils s'assemblèrent en colonnes et rangées afin d'occuper la moitié de l'espace de la cour. Le Tribun Lex prit place au milieu de celle-ci, au premier rang accompagné par les Præfectors Mélias et Aranéis puis le reste de l'état-major. Venait ensuite la lamenoire bientôt rejoint par le siphonneur qui se contenta d'observer en silence. Les Castellans demeuraient à l'arrière, toujours sous la surveillance des céleres.
Une dizaine de minutes s'écoula puis la porte de la tour centrale s'ouvrit en trombe. Une horde de Foudres de guerre en émergea, la plupart revêtis de cottes de mailles et de brigandines, de heaumes à lunettes, de haches, d'épées et de boucliers ronds. Parmi les rangs des nombreux drengirs, la lamenoire remarqua immédiatement la présence d'Andronikos ainsi que celle de Marjolaine dont les silhouettes contrastaient avec la carrure des guerriers Nordiens. Elle crû même distinguer la longue chevelure hirsute de Rodan parmi ces derniers, doté pour l'occasion d'un bouclier et de la hache dont il se servait quotidiennement pour fendre les bûches.
Ce fut ensuite au tour d'Ivar et de ses fidèles de défiler, véritable colosse parmi les statures déjà hautes de ses frères et sœurs d'armes puis en dernier Gerald le Noir accompagné par Harbard qui fermait la marche. À l'instar des forces Imperatiis, les brigands formèrent aussitôt une longue ligne de boucliers en opposition avec la Legio. Chacun des deux camps se contenta de s'observer en silence puis Harbard finit par quitter les rangs
— Que celui ou celle qui a osé s'en remettre au jugement des Dieux s'avance et se présente ou ne se taise à jamais, énonça-t-il d'une voix forte et claire.
— Moi, Alessia Skjoralmor s'en remet au jugement des Dieux, énonça la lamenoire en quittant à son tour les rangs. Par la grâce d'Isà la Féconde et la force de Jör, le Père de tout, j'invoque le droit de mon sang au Mak'athand comme l'exigent les traditions anciennes des Jorünns
— Les Dieux ont entendu ta demande Alessia Skjoralmor. Que celui que tu as défié se présente à présent ou ne vit à jamais dans la honte et le déshonneur, répondit Harbard.
— Moi, Gerald Isàdottir, Seigneur des Terres Sauvages, relève ce défi et se présente à la face des Dieux. Par Jör et Isà, pour la gloire de mon clan ! fit le chef des Foudres de guerre tandis que les drengirs entonnaient des cris de guerre et commençaient à frapper sur leur bouclier.
— Alors avancez-vous, fils et fille du Père de tout, poursuivit le vieux sorcier, que chacun et chacune puisse vous voir tels que vous êtes ! Moi, Harbard Hjsarlson, edlhoïn et shaman de Borée, serai l'arbitre de ce Mak'athand et veillerai à ce que tout se déroule en accord avec la volonté des Dieux et de nos coutumes ancestrales. Drengirs, présentez-vous tels que la Mère du Givre vous a façonnée.
La clameur des Foudres de guerre gagna immédiatement en intensité tandis que les sous-officiers Imperatiis exhortaient les légionnaires et les auxiliaires de bien rester en formation et de ne pas esquisser le moindre mouvement. Gerald le Noir laissa tomber sa hache de guerre, ôta ses gantelets d'acier et commença à détacher les épaulières fixées sur son haubert de mailles.
La lamenoire fit de même, retira les fourreaux des dæmorias sanglés à son ceinturon, se délesta de ses brassards et de ses cuissardes puis délaça sa broigne. Face à elle, Gerald le Noir ne portait plus que ses braies, dévoilant un torse massif et musclé au teint pâle et couturé de cicatrices. À son cou pendait l'amulette en or massif à laquelle était enchâssée la Larme Sanguine. Du Saint Joyau, la lamenoire ne capta que l'écho silencieux d'un immense pouvoir maintenu en sommeil. Gerald se mit à haranguer ses hommes, défilant devant le cercle de combattants.
Sans la moindre hésitation, la lamenoire dégrafa le chemisier sombre qu'elle avait récupéré lors de son excursion aux abords de Weyhon puis se fut ensuite autour du strophium qui enserrait sa poitrine. Impudique la lamenoire se dévoila à la face du monde, ses tétons fièrement dressés par la fraîcheur des vents qui dévalaient des silhouettes décharnés des Monts Hyperboréen, plusieurs kilomètres au nord malgré la chaleur des rayons d'Astalyone.
En la matière d'égalité des sexes, les drengirs et les Jörunns de la Borée d'antan pouvaient se vanter d'une ouverture d'esprit inégalable en comparaison des royaumes plus civilisées du Sud. Homme comme femme disposait du droit de vivre comme il lui plaisait, de cultiver des terres, de prendre les armes ou encore d'hériter des titres ou des possessions de ses ancêtres. En ce sens, l'Histoire moderne avait retenu de la lignée des Karadhrin, qui avait su unifier la Borée l'espace de plusieurs siècles, l'habilité politique et la justesse du règne de ces reines les plus fameuses au contraire des nombreux rois qui au fil des dernières générations avaient tâché de raviver la flamme du conflit entre la Borée et les Saints-Royaumes.
Harbard leur fit signe de le rejoindre au centre du cercle. La lamenoire, une fois de plus soutint le regard d'acier de Gerald le Noir. Le Nordien avait troqué le désespoir qui l'habitait depuis longtemps contre un dernier sursaut d'orgueil. Malgré son souhait sincère d'assurer la survie des Foudres de guerre, la lamenoire savait que le chef de guerre drengir ne lui ferait aucun cadeau et lutterait jusqu'à son dernier souffle pour remporter ce duel.
— Maintenant tendez votre bras gauche, poursuivit Harbard, que je puisse recueillir votre tribut envers la Mère du Givre.
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