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Les bienfaits de la méditation se révélèrent une fois plus d'une importance primordiale pour la lamenoire. Son corps et son organisme rudement mis à l'épreuve lors de son affrontement avec Anastérion, Alessia avait dû faire preuve d'une parfaite concentration pendant plusieurs heures pour accélérer le processus de guérison.

Deux journées s'étaient écoulées depuis le retour de Taren Lex au castrum, maintenant élevé au rang de Tribun. La lamenoire se leva et émergea de sa tente. Elle fit craquer son poignet et en testa la souplesse, bougea ses phalanges une à une puis son avant-bras. Elle fit de même pour l'autre, ses os parfaitement ressoudés.

Alessia balaya du regard la cour intérieure du Fort du Croc, occupé pleinement par les forces Imperatiis depuis la journée précédente. Astalyone trônait fièrement dans le ciel en ce début de matinée et réchauffait de ses rayons pâles le sommet du Croc. Un profond sentiment de lassitude parcouru la lamenoire lorsque ses yeux se posèrent sur les pierres anciennes de la forteresse en ruine. J'ai perdu beaucoup trop de mon temps entre ces maudits murs, soupira-t-elle.

De nombreuses tentes s'étendaient tout autour d'elle ainsi que plusieurs cargaisons de ravitaillement. C'était de sa propre initiative qu'elle avait conseillé le Tribun Lex d'agir ainsi afin de mettre un terme à tout risque de sortie de la part des Foudres de guerre. Deux cents légionnaires étaient maintenant stationnés en permanence dans l'enceinte de la forteresse. Si tout se passait comme elle l'avait prévu, cette journée serait la dernière qu'elle passerait dans les Terres sauvages. Et une seule vie prise suffirait pour mettre un terme à tout cela.

Sur sa droite, le siphonneur émergea à son tour de sa tente et s'approcha dans la direction de la lamenoire. Pour une fois, il avait délaissé son éternel foulard, dévoilant à tous sa mâchoire métallique. Ici il n'avait plus aucune raison de cacher son statut d'inquisiteur renégat. Ses cernes sous ses prunelles d'acier témoignaient d'un sommeil bien plus tumultueux que celui de la lamenoire.

— Que feras-tu si Gerald refuse d'écouter ta proposition ? lui lança-t-il, bras croisés tout en balayant à son tour du regard l'enceinte de la forteresse. Rien ne l'y oblige et tu n'es même pas une drengir.

— Les ancêtres d'Alessia en étaient, rétorqua la lamenoire. Skjoralmor, l'une des plus vieilles lignées de Borée jusqu'à ce qu'ils soient banni par la Première Sorcière des glaces. Et s'il y a bien encore quelque chose qui compte pour l'homme brisé qu'est Gerald le Noir, c'est bel et bien l'honneur. Il sera obligé de relever mon défi pour ne pas perdre la face vis-à-vis de ses hommes. Je lui assure la survie des Foudres de guerre et lui offre l'opportunité d'un dernier baroud d'honneur.

— Et s'il se sert de la Larme Sanguine, seras-tu capable de l'arrêter ?

— Il ne le fera pas. Et dans le cas contraire que l'Empereur nous préserve. Toujours aucune trace d'Anastérion dans les parages ?

— J'ai battu les alentours du Fort en compagnie d'une escouade d'equites même si je me serais bien passé de leur présence. Il s'est volatilisé. J'imagine qu'il a dû utiliser la téléportation et attends de récupérer des forces.

— Nous devons rester prudent si jamais il décide de réapparaître à nouveau à l'improviste, conclut la lamenoire. Nous ne pouvons lui permettre d'en réchapper vivant une deuxième fois.

La lamenoire s'éloigna et commença à traverser l'enceinte inférieure du Fort du Croc pour rejoindre l'escalier ascensionnel qui menait jusqu'à l'étage supérieur. À son arrivée devant la tour centrale, les légionnaires au poste de garde ne lui opposèrent aucune résistance et se contentèrent de la laisser passer. Depuis la nomination de Taren à la tête de la cohorte, les assauts sur les défenses des Foudres de guerre avaient tout bonnement cessés.

D'un pas rapide, Alessia arpenta le tunnel ascensionnel jusqu'à en gagner le sommet. Arrivée à destination, elle se planta devant la grande double porte qui fermait l'accès à la cour supérieure. Derrière les meurtrières qui en garnissaient les défenses, la lamenoire pouvait déjà capter l'écho des flèches et des cordes des arcs prêtes à être tendus au moindre signal. Au moins on ne l'avait pas abattu sur le champ, c'est qui était déjà un bon début.

— Je suis venu jusqu'ici pour quérir Gerald le Noir, seigneur des Terres sauvages, déclara la lamenoire d'un ton solennel. J'ai en ma possession une missive de la part du Tribun Taren Lex de la Première Cohorte de la Legio II de Korvalys.

Un instant passa et la seule réponde demeura l'écho de ses propres paroles qui se répercutèrent contre les parois rocailleuses du tunnel. Alessia patienta, les arcs toujours braqués dans sa direction. L'espace d'un moment, elle hésita à contacter directement Harbard par la pensée pour lui transmettre sa volonté de faire venir Gerald le Noir jusqu'aux portes.

— J'aurais dû me douter que cela était trop beau pour être vrai, lança une voix reconnaissable entre tous depuis l'autre côté de l'entrée. Tu es comme la mauvaise herbe, on a beau t'arracher à la terre, tu reviens toujours à la charge d'une manière ou d'une autre.

— Ivar, je vais finir par croire que tu montes la garde jour et nuit juste dans l'espoir de tomber sur mon fantôme, déclara-t-elle. Va chercher ton père et évite de me faire perdre mon temps.

— Tait-toi traîtresse ! vociféra Ivar. Tu oses te pointer comme si de rien n'était devant nos murs. Je devrais ordonner à mes hommes de te transpercer de flèches ! Et ensuite c'est de cet enfant de salaud de Vaiyn que je m'occuperai !

— Tu n'en feras rien ! rétorqua la lamenoire. Tu sais très bien que cela serait inutile. Ordonne aux tireurs de faire feu et je ferais exploser cette porte et votre dernière ligne de défense tombera. Ensuite il sera trop tard pour parlementer et je vous massacrerai jusqu'au dernier.

— Glisse-moi cette lettre et je me chargerais de la transmettre à mon père.

— Hors de question, je n'ai aucune confiance en toi, Ivar. Ne m'oblige à en arriver jusqu'à de telles extrémités !

— Archers en joue ! hurla le colosse.

La lamenoire resta parfaitement immobile, au travers de son être, elle commença à canaliser le Don. Rapidement les murs de pierres disparurent et la demi dizaine de tireurs qui venait de bander leurs arcs lui apparu comme en plein jour. Elle glissa son Pouvoir jusqu'à leur gorge. Un claquement de doigts suffirait pour briser en un instant leur nuque de concert. Elle se mit à compter dans sa tête et le fil du temps se ralentit aussitôt. Au moindre ordre d'Ivar, elle n'hésiterait pas un seul instant à tous les abattre qu'importe les conséquences.

L'écho d'une voix impérieuse se répandit depuis l'autre côté des murs dans la cour supérieure. Les tireurs cessèrent aussitôt de la mettre en joue et les deux grandes portes s'ouvrirent avec fracas. Gerald le Noir apparut, cape noire et cotte de maille, hache de guerre déjà à la main. Il darda la lamenoire de ses yeux pâles, toujours aussi cernés que lors de leur dernière rencontre.

— Me voici, isàdottir, lança le Seigneur des Terres Sauvages tout en franchissant le seuil. Que viens-tu faire ici ? Quelle est cette missive dont tu as évoqué l'existence ?

La lamenoire s'avança à son tour, détacha le parchemin attaché à sa ceinture, le déroula puis le tendit à Gerald le Noir. Il l'attrapa d'un geste sec et se mit à la parcourir d'une traite d'un œil inquisiteur.

— C'est un décret du Tribun Lex qui vise à établir un traité de paix entre les Foudres de guerre et la Legio Imperatii. Le Tribun fait la promesse de mettre un terme au siège et d'accorder l'amnistie à vos hommes si vous acceptez ces conditions.

— Ces conditions sont inacceptables, tu le sais très bien, rétorqua Gerald après un instant de réflexion. Nous sommes tranquillement retranchés derrière nos murs et nous ne manquons de pas de provisions. Si la cohorte veut nous déloger d'ici, il leur faudra sacrifier bien des vies.

— La Legio peut très bien attendre que vous mourriez tous de faim. Vous n'avez aucun moyen de vous ravitailler. Combien de semaines faudra-t-il avant que vos hommes se retournent les uns contre les autres ?

— C'est aussi valable pour vous. Je ne pense pas que Weyhon et ses maigres récoltes soient capable de nourrir indéfiniment plus d'un millier d'hommes, isàdottir.

Du coin de l'œil, la lamenoire observa le comportement des archers retranchés derrière les meurtrières. S'ils avaient baissés leurs arcs, ils demeuraient tout de même attentif au moindre signal de leur chef de guerre. Quant à Ivar, elle n'arrivait pas à déterminer sa position exacte.

— Je croyais que vous vous vouliez garantir la survie de vos hommes avant tout, Gerald, finit par répondre Alessia. Dois-je croire que quelque chose a fini par vous faire changer d'avis ?

— Détrompe-toi, je n'aurais aucun scrupule à sacrifier ma vie pour cela, isàdottir. Mais me plier à la Legio Imperatii de la sorte... Il n'y aurait pas plus grand déshonneur et je perdrais la loyauté des Foudres de guerre. Un rien suffira à mon fils pour les fédérer. Je suis désolé mais informe ton Tribun que je refuse ce décret. Maintenant part, la prochaine fois je ne retiendrais pas le bras de mon fils.

Gerald le Noir tourna les talons et s'apprêta à passer à nouveau le seuil des deux grandes portes. L'esprit de la lamenoire s'anima, ses paumes glissèrent jusqu'aux poignées d'Aube et de Crépuscule. De combien de secondes disposait-elle pour atteindre Gerald, le faucher puis s'emparer du Joyau autour de son cou ? Serait-elle assez rapide pour qu'elle réussisse à l'atteindre avant qu'il ne conjure le pouvoir de la Larme Sanguine ? Elle n'aurait le droit qu'à une seule et unique tentative.

— Attendez un instant, Gerald ! s'écria Alessia. Le chef de guerre se retourna et l'éclair fugace qui parcouru ses prunelles trahit son impatience. Moi, Alessia Cœurfroid, autrefois clan Skjoralmor d'Arthédas et de Borée, défit lors d'un Mak'athand, Gerald, fils de Varek du Clan Isàdottir. Refusez ce duel et Jör, le Père de tout, sera témoin de l'étendue de votre couardise et le malheur s'abattra sur vous et votre lignée !

— C'est d'un ridicule ! s'écria Ivar alors qu'il venait de rejoindre son paternel. À deux mains, il empoigna son marteau de guerre. Cette femme n'a rien d'une drengir, son sang est impur ! Laissez-moi la tuer dès à présent, père !

Alors qu'Ivar était prêt à la charger tel un taureau enragé, Gerald allongea le bras et barra la route de son fils de sa longue hache. Le colosse s'arrêta instantanément.

— Je t'interdis de faire un pas de plus, Ivar. Alessia a prouvé plus à plusieurs reprises, à la fois à moi et au reste des Foudres de guerre, qu'elle était digne de faire partie des nôtres. Elle est donc autant drengir que toi et moi, malgré la bassesse de son sang. J'accepte ton défi, isàdottir. Pour quoi souhaites-tu te battre ? Pour la Gloire ou la Fortune ?

— Pour la Fortune et votre bien le plus précieux.

— Alors qu'il en soit ainsi ! fit Gerald le Noir d'une voix forte. Je lutterais pour la Gloire ! Le Mak'athan débutera lorsque l'Astre Solaire aura atteint son zénith pour que les dieux soient témoins de notre affrontement. Où souhaites-tu livrer bataille devant tes partisans, Alessia du Clan Skjoralmor ?

— Dans l'enceinte inférieur du Fort du Croc, répondit la lamenoire. Je fais la promesse sur mon honneur que le Legio Imperatii n'empêchera en aucun cas le déroulement du Mak'athan. Considérez ceci comme un cessez-le-feu.

— Alors prépare ton cœur tout autant que ton esprit car un seul d'entre nous survivra à cette journée, Alessia Skjoralmor.