30 - Sauvetage et promesse (1/4)
1
Comme escompté, les indications soustraites à Alec permirent à la lamenoire de facilement débusquer la cachette des mercenare de la Dague. Vaiyn toujours sur ses talons, elle décida de s'arrêter sur une butte à quelques centaines de mètres de la ferme afin de prendre la hauteur et déterminer la marche à suivre. Le siphonneur avait deviné juste, celle-ci se composait d'une longère assez grande pour accueillir une famille complète de fermier ainsi que d'une grange d'une taille un poil plus modeste. Des vergers et des pâturages laissés à l'abandon s'étendaient tout autour de la propriété, délimitée par un muret d'un mètre de hauteur. Après un examen approfondi, Alessia décela la présence de deux sentinelles chargées de surveiller les environs. D'après les souvenirs qu'elle avait réussis à extraire de la cervelle de Taric avant de le tuer, une dizaine de mercenare se cachait à l'intérieur menée par un certain Godric. La lamenoire ne poursuivit pas davantage son observation, l'arrivée de Tricia et des Imperatiis toute proche d'après ses estimations, s'ils n'avaient rencontrés aucun problème en route bien évidemment.
Alessia et Vaiyn se dirigèrent ainsi en toute hâte vers le point de rendez-vous convenu à un peu près un kilomètre de distance de la lisière Nord de Weyhon. Le siphonneur, terriblement silencieux depuis leur entrevue avec Alec, n'émit aucun commentaire et se contenta de suivre la lamenoire. Il ne leur fallu guère longtemps pour discerner le groupe de cavaliers et les rejoindre à leur tour au triple galop. La décurion Carentis salua les deux comparses entourés des huit légionnaires qui composaient les derniers survivants de l'escouade du Præfector Lex. La plupart d'entre eux avait revêtu les brigandines et les plastrons des mercenare ainsi que leurs armes pour plus de discrétion.
Tricia lui fit un bref rapport de ce qu'il s'était passé depuis leur départ. Elle et ses légionnaires avaient terminé de rassembler les possessions des séides des Castellans puis avait tout brûlé avant de prendre la fuite. Si la Legio ne tarderait pas à découvrir le sort des membres de la Dague et que Varius en déduirait instantanément la raison véritable, il ne prendrait pas le risque de révéler la vérité aux deux autres præfectors du castrum.
Ce fut ensuite au tour d'Alessia de faire son propre rapport. La lamenoire révéla qu'il avait réussi à trouver la ferme dans laquelle s'était retranché les mercenare de Varius. Alors qu'elles s'apprêtaient à discuter de l'approche à adopter, Vaiyn vint les interrompre. Le siphonneur annonça à la lamenoire qu'il souhaitait retourner au castrum pour surveiller les mouvements de la cohorte et des Castellans. Il argua qu'ils étaient bien assez pour s'occuper d'une douzaine d'hommes et qu'aucune force en présence ne nécessitait ses talents en particulier. Si la lamenoire comptait sur lui en cas de problème de force majeur, elle lui accorda qu'il n'était pas si bête de laisser quelqu'un surveiller les abords des Crocs. Elle accepta la requête du siphonneur, autant par raison que pour éviter de froisser davantage sa relation avec lui. Elle doutait toujours de l'allégeance véritable de Vaiyn mais son Don se montrerait cruciale pour mettre en déroute les magistères, obstacle majeur au bon déroulement de sa mission. Vaiyn éperonna sa monture et laissa Alessia seule avec les légionnaires.
La lamenoire continua ainsi son exposé et n'omis aucun détail concernant la configuration des lieux. Selon elle, les légionnaires n'auraient aucun mal à se faufiler jusqu'au muret sans se faire remarquer s'ils abandonnaient leur monture. Rapidement Tricia s'accorda avec Alessia qu'un simple assaut sur la ferme demeurait suicidaire. Les mercenare auraient alors tout loisir de se retrancher à l'intérieur de la longère et de menacer la vie de Taren Lex pour les obliger à abandonner leur assaut.
Ainsi elles en déduisirent qu'il fallait obligatoirement que quelqu'un s'infiltre dans la ferme tandis que les légionnaires attiraient la majeure partie des mercenare à l'extérieur pour sécuriser l'otage à l'intérieur. Bien évidemment, la lamenoire était la seule personne capable d'un tel prodige selon la décurion mais celle-ci réfuta, arguant que même avec des capacités aussi prodigieuses que les siennes, elle n'arriverait pas à passer deux sentinelles en plein terrain découvert et de jour.
Alors que la décurion se retournait la cervelle à la recherche de la bonne solution et demanda conseil auprès de ses frères d'armes, un plan s'échafauda dans l'esprit de la lamenoire. Si elle ne pouvait atteindre la longère sans se faire repérer, elle devait faire en sorte que ce soit les guetteurs qui l'amènent de leur plein gré dans leur tanière. Bien sûr, si elle se présentait les armes à la main, les sentinelles ne manqueraient pas d'alerter leurs compagnons et de l'abattre sur le champ, mais qu'en était-il d'une pauvre paysanne égarée ?
Quand la lamenoire exposa ceci à la décurion Carentis, celle-ci rétorqua qu'un tel plan était bien trop audacieux et que les mercenare reconnaitraient de suite sa longue chevelure de flammes, sa description et celle de Vaiyn fournit à l'ensemble des soldats de la cohorte depuis leur arrivée dans les Terres Sauvages. La lamenoire lui répondit qu'elle était tout à fait capable d'occulter ce genre de détail, qu'elle utiliserait une illusion pour leurrer les mercenare quant à sa véritable apparence. Pour ce qui était de se retrouver sans défense derrière les lignes ennemies, elle assura à la décurion qu'elle n'avait pas besoin de plus qu'un poignard bien caché pour se débarrasser du moindre gêneur.
Convaincu par ses arguments, Tricia Carentis décida de suivre le plan de la lamenoire et le reste du groupe n'émis aucune objection, faute de proposer un autre plan. Même Caelius qui s'était montré particulièrement opposé à la moindre décision d'Alessia depuis leur rencontre acquiesça sans faire d'histoire. Parmi eux, c'était de lui que la lamenoire devait se méfier, elle sentait que sa défiance son égard supposait plus que de la simple méfiance. Enfin d'accord quant à la marche à suivre, le groupe se mit en route et se dirigea vers Weyhon. Pour accomplir sa besogne, la lamenoire aurait besoin d'une panoplie d'accessoires que même ses illusions ne pourraient remplacer.
2
La position d'Astalyone dans l'empyrée d'azur avoisinait la méridiem quand la lamenoire fut fin prête pour sa future infiltration. Finalement l'une des nombreuses fermes abandonnées avait suffi pour qu'elle rassemble le nécessaire pour sa prochaine entreprise. À couvert des fourrées, elle s'était rapproché au maximum de la ferme et emprunterait ensuite le chemin de terre pour rejoindre pour de bon celle-ci. Elle avait indiqué aux Imperatiis la position de la butte dont elle s'était servie pour observer la propriété et leur rappela d'attendre plusieurs minutes après qu'elle fû entrée dans la longère avant de passer à l'action.
La lamenoire claqua des doigts et l'apparence d'Alessia disparut. Si elle ne disposait d'aucun miroir pour en être directement témoin, elle pouvait sentir la métamorphose de la chair de son visage et de son corps s'opérait peu à peu. Si elle n'égalait point la jeunesse des traits de la défunte mercenarii, la lamenoire devrait compter sur sa propre beauté pour convaincre l'un des guetteurs de ne pas la tuer sur le champ. Elle était revêtue d'un robe d'un bleu pastel délavé qui recouvrait ses jambes jusqu'à hauteur des chevilles et sa longue chevelure de jais cascadait sur ses épaules. Elle portait entre ses bras une marmite en fonte épaisse et totalement vide.
La lamenoire s'engagea sur le sentier et se dirigea tranquillement vers le portique d'entrée du muret en pierres. Si elle n'appréciait guère de se jeter dans la gueule du loup sans ses dæmorias ou la moindre véritable protection corporelle, elle ne se sentait pas pour autant mal à l'aise. Une lamenoire devait être capable d'être n'importe qui et d'endosser n'importe quel rôle, lui avait souvent répété Eldritch lors de ses premières années dans l'Ordre, il y a plus d'un demi-siècle. Elle entra pour de bon sur la propriété et il ne fallut que quelques instants à la sentinelle pour la repérer. Le mercenarii à la brigandine sombre se leva de son poste d'observation, siffla un bref instant puis se rapprocha d'un pas soutenu dans sa direction.
— Eh vous là ! Ne faites pas un mouvement de plus ! lui lança-t-il, sa dextre déjà à sa ceinture pour dégainer son arme. Qu'est-ce que vous venez faire ici ?
— Je viens de la part de mon oncle Alec, répondit la lamenoire d'un ton innocent. Il m'a demandé de vous préparez un petit quelque chose pour la méridiem. Cela vous changera de vos rations quotidiennes !
Le mercenarii l'inspecta du regard de haut en bas, fit le tour avant d'observer les environs d'un air inquisiteur puis revint vers elle. La lamenoire ne sourcilla pas et resta bien droite et souriante. L'homme souleva le couvercle de la marmite. Immédiatement le doux fumet d'un ragoût chaud qui avait mijoté pendant de nombreuses heures se répandit dans les narines du mercenarii.
— Vous êtes venus seule ? poursuivit-il après avoir refermé la marmite.
— Oui, bien évidemment. Mon oncle m'a informé que vous teniez à votre tranquillité.
Le mercenarii l'inspecta de nouveau de pied en cap. Elle sentit son regard s'arrêter sur son visage puis ensuite descendre le long de sa robe. En tendant son Don, la lamenoire pouvait presque saisir le flot de ses pensées. L'homme hésitait sur la marche à suivre. Bien évidemment, prendre le risque de la laisser partir était tout bonnement impensable. Il pouvait l'abattre sur le champ et le problème serait réglé mais cela valait-il le coup de laisser passer une telle opportunité ? Les journées étaient longues depuis leur arrivée à la ferme et les divertissements inexistants hormis les parties de cartes. Qui viendrait leur reprocher de prendre un peu de bon temps avec une péquenaude du coin même si elle n'était pas consentante ? C'est dans cette direction que la lamenoire influença avec subtilité l'esprit du mercenarii, attisa la flamme de son désir à son égard.
Le guetteur inspecta à nouveau les alentours puis fit signe à la lamenoire d'avancer d'un geste de la main. Il avait fini par prendre une décision des plus communes pour ceux de son espèce, celle de s'en remettre à l'autorité de son chef. Il l'amena jusqu'à la porte de la longère et toqua de trois coups bref contre le battant.
— Val, tu as vraiment envie de prendre deux heures de garde en plus ? éructa une voix grave de l'autre côté du seuil.
— Ouvre, je te dis ! On a de la visite, rétorqua le mercenarii alors que son interlocuteur s'exécutait avec lenteur. Elle dit venir de la part d'Alec, amène-la à Godric.
Derrière elle, Val d'un bref coup sur son épaule lui intima à avancer tandis que la porte venait de s'ouvrir pour de bon. Elle se retrouva face à un homme d'une stature trapue au crâne rasé et à la barbe courte. Il s'écarta pour la laisser passer.
— Vous transportez quoi dans votre marmite comme ça, ma petite dame ? lui lança-t-il d'un regard menaçant.
— Seulement du ragoût pour vous tous, de la part de mon oncle, fit la lamenoire avec nonchalance.
Alors qu'elle avançait d'un pas tranquille sans trahir ses véritables intentions, elle balaya l'intérieur de la longère d'un œil observateur, d'un faste bien dérisoire en comparaison du manoir du négociant. Les tentures et les tapis troqués contre un sol terre battue, une poignée de meubles et un âtre éteint Au fond de la pièce, cinq individus étaient regroupés autour d'une grande table en bois recouverte de chopes, de dés en os et de cartes. Leurs bavardages bruyants cessèrent aussitôt quand ils remarquèrent sa présence et l'ensemble de leur regard se braquèrent sur elle. Le mercenarii au crâne rasé fit signe à la lamenoire de se diriger vers la pièce sur sa gauche. Elle obéit avec docilité et entra dans ce qui semblait être une cuisine.
— Pose ça là, fit-il en pointant le comptoir. Ne touche à rien, je vais chercher Godric.
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