3 - La Jouvencelle (2/3)
L'odeur d'humidité et de crasse de l'escalier se déroba instantanément à la faveur d'une flagrance d'encens aux douces pointes florales. Alessia pénétra dans un long couloir garnis d'arc-boutants qui culminaient à moins de deux mètres du sol, éclairé par la lueur tamisée de quelques bougies. Sur les côtés des ouvertures régulières donnaient sur des cellules, leur entrée à peine camouflée par des rideaux cramoisies. Les râles de plaisir qui en émanaient ne leurraient personne quant à la véritable nature des lieux. Une cave reconvertie en bordel clandestin, tout à fait charmant. Cet aubergiste a le sens de l'humour. La mercenarii poursuivit sa route sans trop se préoccuper de la besogne des clients du soir jusqu'à arriver au séjour. Deux lustres accrochés au plafond éclairaient la pièce d'une lueur froide tandis que quelques individus se prélassaient sur les rangées de canapés rouges. Capuchon rabattu pour préserver leur identité, ils ne se préoccupèrent nullement de l'arrivée d'Alessia, bien trop captivés par le spectacle qui se déroulait devant eux. La mercenarii se rapprocha d'un comptoir miteux tout en y jetant un regard curieux.
Juchée sur un promontoire en bois, une jeune femme au teint de bronze et à la chevelure d'or ondulait son bassin avec grâce et sensualité tandis que les multiples bijoux qui parsemait sa peau nue émettaient un léger tintement. Et tandis qu'elle poursuivait sa danse lascive, le python qui s'était glissé hors de son antre poursuivit son chemin. Avec lenteur il s'enroula autour des cuisses de la courtisane, effleura son nombril de son museau triangulaire avant de glisser contre son dos. Et les tâches brunâtres s'ajoutèrent à la parure d'or et d'argent scintillante de la danseuse. Le reptile surgit derrière son épaule avant de descendre de son cou pour aller se nicher dans sa poitrine opulente. S'agissait-il de la fameuse jouvencelle, se questionna Alessia, et le serpent une simple fantaisie locale ? La courtisane poursuivit son œuvre, doucement elle s'assit sur le promontoire. Ainsi positionnée, elle se mit à ouvrir ses cuisses, dévoila le moindre détail de son intimité au spectateur tandis que le serpent recommençait à se mouvoir. La mercenarii détourna le regard, laissa tout loisir aux débauchés réunis en ces lieux de profiter eux-mêmes de la performance.
— Oui peut-être après tout... Peut-être que cela pourrait convenir.
Alessia releva le chef, surpris par la voix de rombière de la tenancière qui venait de s'avancer derrière le comptoir. Elle l'observait, revêtue d'une robe d'un rouge écarlate profond, sa taille rehaussée par un corset lacé. De grande taille pour une femme, un ample chapeau coloré siégeait sur sa longue chevelure noir de jais, et malgré le sourire qu'elle adressa à la mercenarii entre ses lèvres rosées, Alessia lu dans son regard perçant, les prunelles froides d'une prédatrice sur ses gardes.
— Le charme de ton visage en séduirait plus d'un et cette crinière de flammes est des plus exotiques dans notre contrée, ajouta la maquerelle d'un ton sévère. Tu te déplaces avec une grâce féline, cependant tu es bien trop musclée et athlétique. Il faudra remédier à cela.
— Laissez-moi vous prévenir de suite, je ne suis pas venu ici pour vendre mon corps contre une poignée d'aquil, rétorqua Alessia sans se laisser intimider.
— Je m'en doutais vu la teneur de ton accoutrement. Alors que fais-tu ici ? lança la tenancière, sourcils arqués. Serais-tu cliente ? Nous offrons ce genre de service, même si la chose demeure plutôt rare de nos jours.
— Non, c'est votre ami l'aubergiste qui m'a envoyé ici. J'étais à la recherche d'une chambre pour la nuit mais je ne pense pas que vous fournissez ce genre de services. Je crois qu'il souhaitait simplement se débarrasser de ma personne.
La maquerelle attrapa une coupe du dessous de son comptoir puis l'approcha du tonnelet qui trônait de l'autre côté du comptoir afin d'en verser le contenant à l'intérieur
— C'est fort possible en effet. Pour le déplacement, chaton – Elle lui tendit la coupe remplie de l'élixir pourpre – Cadeau de la maison.
Alessia accepta l'offre de bonne grâce et prit place sur un siège. Elle sirota le vin épicé tandis que les râles de la danseuse gagnaient en intensité derrière elle à l'approche du bouquet final. Du marché au bordel en passant par l'arène, venait-elle d'accomplir la journée du parfait Dalatien ?
— Depuis combien de temps les filles de joies doivent se terrer dans les profondeurs pour exercer leur métier ? questionna Alessia pour poursuivre la conversation. J'avais connaissance des mœurs puritaines du Haut-Korvalys mais pas à ce point...
— Ton arrivée à Dalata est récente, je me trompe ? Sache qu'ici les doctrines de l'Ecclésia sont respectés à la lettre. L'auguste abée de notre sainte église a déclaré que notre cité devait se repentir de ses péchés. Comme il est bon ami avec le Prætor, la garde respecte les principes à la lettre. Mes filles ne sont plus les bienvenues à l'intérieur de l'enceinte.
— Le Korvalys a toujours été l'un des Saints-Royaumes les plus pieux de l'Imperatora d'Aëlrys. Un jour, L'Ecclésia y aura autant d'influence qu'en Nérev.
— Prends garde à tes propos, chaton. Ici les murs ont des oreilles, bien plus qu'ailleurs. Je ne peux te proposer de chambre pour la nuit mais peut-être qu'autre chose te siérait ?
— Un baquet d'eau chaude, cela serait possible ?
— Bien sûr, chaton. Souhaites-tu de la compagnie ? Je peux demander à Alcibad, il en aura fini avec son client d'ici à ce que l'eau soit bien chaude. Il préfère les hommes mais il fera bien une exception pour toi – Alessia signifia son refus d'un hochement de tête – Comme tu voudras. L'une de mes filles viendra te quérir une fois que tout sera prêt.
La maquerelle la laissa ainsi et retourna à ses occupations tandis qu'Alessia sirotait le fond de sa coupe. Derrière elle, le spectacle de la soirée venait de s'achever et les putains accourraient déjà auprès des clients sur le départ. La jouvencelle au serpent, quant à elle, s'était immédiatement volatilisée derrière la grande rangée de rideaux qui séparait le séjour des coulisses du bordel. La mercenarii patienta sans attirer l'attention sur elle tandis que l'agitation retombait peu à peu, ses paupières déjà lourdes après une journée aussi remplie. Tandis qu'elle cherchait la maquerelle des yeux pour commander un dernier verre, une jeune demoiselle vint se glisser derrière elle et tapota son épaule.
— Votre bain est chaud, madame. Si vous voulez bien me suivre.
Plus que sa tenue vaporeuse, c'est l'apparence de la courtisane qui troubla Alessia. Des traits juvéniles, bien que camouflés en partie par le maquillage, le khôl qui rehaussait ses prunelles noisette et ses lèvres fines et bien dessinées revêtues d'un rouge de cochenille profond. Mais ni les fards ni les bracelets à ses poignets ne pouvaient faire disparaître la maigreur de ses joues et de ses bras. C'est toujours mieux que de vivre dans la rue, soupira Alessia en suivant la jeune prostituée qui la conduit dans un nouveau boyau étroit sur la gauche du comptoir. Ici au moins, elle dispose d'un toit et d'un peu de chaleur.
— Il y en a beaucoup des tunnels comme ça qui courent sous les fortifications ? lança Alessia à sa guide, intrigué par la fonction première des lieux, bien plus spacieux qu'une simple cave pour entreposer des marchandises.
— Oui, madame. Ici la plupart des demeures dans l'enceinte de Dalata dispose d'un sous-sol et d'un accès au tunnel. Cela date d'il y a des siècles, quand la muraille n'existait pas encore. Les bonnes gens s'y réfugiaient lors des raids des Nordiens. Puis des contrebandiers ont commencé à s'en servir et le Prætor a ordonné la condamnation des voies principales.
— Mais certains tunnels subsistent de nos jours si j'ai bien compris ? Ce qui vous arrange beaucoup. J'imagine qu'il doit s'agir d'un véritable labyrinthe.
— Pour celui qui n'y a jamais mis les pieds, c'est certain. Mais pour ceux capable de s'y repérer, il leur est facile de quitter la cité à leur guise. — Elle s'arrêta devant une porte qu'elle s'empressa d'ouvrir — Voilà voici votre suite, vous y trouverez tout le nécessaire pour votre confort. Appelez-moi en cas de besoin.
La mercenarii entra dans la pièce tandis que la prostituée s'éloignait déjà à grands pas pour vaquer à d'autres occupations. Enfin seule, elle referma la porte derrière elle et enclencha le verrou. Elle allait enfin pouvoir se détendre et profiter d'un peu de confort après des semaines à parcourir les terres d'Arthédas et du Haut-Korvalys. Comme convenu la bassine d'eau était bien là, trônant au milieu de la pièce, de la vapeur d'eau se dégageant de sa surface. Des serviettes propres avaient été mises à disposition à côté du baquet. Alessia s'empressa de se déshabiller, impatiente de profiter d'un bon bain chaud. Elle plia soigneusement ses affaires sur la commode et s'engouffra dans l'eau bouillante sans sourciller. Ses muscles ne tardèrent pas à se détendre, profitant des bienfaits de la chaleur.
Alessia tendit les jambes et s'immergea complètement dans l'eau afin d'entrer en méditation profonde, les moments de relaxation étaient rares depuis ces derniers mois. Les minutes passèrent. Elle revit alors les immenses étendues sylvestres du Nord, où elle avait trouvé la paix et la sérénité. Une chouette cabane en amont d'une rivière entre les rangées de conifères. Puis les images se brouillèrent. Un grand manoir aux murs pastel orné de bois, la chaleur d'un âtre un soir d'hiver. Une famille aimante. Puis le froid et la destruction.
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