25 - Assiégés (2/3)
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Alessia attacha son arbalète à l'une des sangles de sa selle puis caressa une dernière fois l'encolure de Cal avant de l'enfourcher. Pratiquement deux heures avait passé depuis le départ du messager de la Legio et une vingtaine de cavaliers commençait à se rassembler derrière les portes du fort. Armés jusqu'aux dents, les plus fidèles des drengirs de Gerald le Noir avaient revêtus mailles, cuirasse et heaume d'acier pour protéger leur chef lors des pourparlers. Gerald lui aussi venait de monter sur son cheval tout en s'entretenant avec Harbard devant l'estrade du corps de garde.
Immédiatement le vieux sorcier avait essayé de convaincre le chef brigand de ne pas aller à la rencontre des émissaires de la cohorte et que s'il voulait vraiment entendre ce qu'ils avaient dire, il n'avait qu'à l'envoyer lui-même à sa place. Gerald avait émis un refus catégorique et prétexté que la présence du vieux sorcier sur les murs du fort demeurait plus importante que sa propre sécurité. Puis il avait surenchéri que vingts de ses meilleurs hommes ainsi qu'Alessia devrait suffire à le protéger à une si courte distance du fort.
Pendant ses deux heures écoulées, Alessia avait retourné son esprit dans tout les sens tandis que l'escorte se préparait. L'offre du præfector Lex, un assassinat pur et simple en dehors des murs de la forteresse, ni la présence de Vaiyn ou d'Harbard pour l'empêcher de déchaîner son Don face aux Foudres de guerre. Cela semblait presque trop facile. Pouvait-elle vraiment faire confiance en l'offre de Taren Lex ? Jusqu'à présent celui-ci avait donné l'impression à la jeune femme d'être un homme intègre et droit, bien que doté d'un certain fanatisme en une cause supérieure.
À moins que le meilleur dénouement pour sa propre personne soit tout autre. Alessia pouvait s'emparer du Joyau et le garder comme monnaie d'échange avec la Légion. Si Taren Lex ou les Castellans essayaient de s'en prendre à elle alors elle n'aurait plus qu'à déchaîner sur la puissance de la Larme Sanguine. Mais pouvait-elle maîtriser un tel pouvoir ?
D'après le Codex d'Aëlrys, ouvrage fondateur de l'Ecclesia Imperatora, le Joyau appartenait autrefois à Caldérian, fondateur de la Legio Imperatorii et membre originel du Conseil d'Aëlrys. Doté d'une force et d'une endurance sans commune mesure grâce au pouvoir de la Pierre par l'Empereur Nérevan, Caldr avait affronté et vaincu des légions de dmons et de séides des Rois-Sorciers d'Eldhrassa avant la fondation des Saints-Royaumes. Si Alessia se rappelait encore parfaitement des leçons de son mentor Eldrich à ce sujet, elle n'avait jamais eu véritablement l'opportunité d'accroître ses connaissances vis-à-vis de la liturgie Nérevanii. L'improvisation serait donc de mise si elle mettait la main sur le Saint Joyau.
— Eh bien on dirait que tu as pris en grade depuis ton retour, s'exclama tout à coup une voix derrière elle. Tu n'oublieras pas de venir nous saluer de temps à autre, pas vrai ?
Comme à son habitude, Ervin venait de se glisser jusqu'à elle sans faire le moindre bruit. Etait-ce parce que le gringalet était assez doué pour se faire discret ou parce que l'esprit d'Alessia se voyait sans cesse tourmenter qu'elle n'arrivait à le remarquer qu'au dernier moment ?
— Ne racontes pas de sottises, rétorqua Alessia Tout ceci n'est que temporaire, tant que Vaiyn reste dans le coma. Je ne compte pas faire ami-ami avec les drengirs.
— C'est donc bien vrai ce que racontait Marjo ! Tu l'as laissé prendre les coups à ta place pour lui ravir sa fonction auprès du sire Gerald. Malin !
— Cesse de jacasser de la sorte, s'il te plaît ! D'ailleurs où se cache cette peste, je ne l'ai pas vu dans l'enceinte ce matin.
— Oh, elle a été réquisitionné dans les cuisines. Tu aurais vu sa tête ! Bref il faut bien que certains s'y coltinent sinon on ne risque pas de se battre bien longtemps avec le ventre vide. Bon je te laisse, il me semble que vous allez bientôt partir. Essaye de revenir en vie !
Ervin salua Alessia d'une main levée avant de déguerpir aussi rapidement qu'il était apparu. Au même moment Gerald le Noir ordonna aux cavaliers de se rassembler pour le départ. La jeune femme fit avancer Cal pour arriver à hauteur du seigneur brigand qui demeurait au cœur du cortège. Elle aperçut Ivar sur sa droite avant que celui-ci ne prenne la tête de l'escorte. La jeune femme remarqua le regard noir qu'il lui lança derrière son casque à lunettes pourvue d'un camail. Le colosse ne manquerait pas de la surveiller et de se charger de son cas si Alessia commettait la moindre traîtrise envers les Foudres de guerre.
Les portes du Fort du Croc s'ouvrèrent et les cavaliers commencèrent à émerger de l'autre côté du corps de garde. Ivar et la dizaine de drengirs partirent de suite au galop pour traverser le défilé. Un instant passa puis le colosse brandit sa lance de l'autre côté de la passe pour signifier que la zone était sûre. Gerald le Noir ordonna à son escouade de rejoindre le reste des cavaliers. Alessia galopa en compagnie du seigneur brigand, ses lames et son arbalète à portée de main. Elle étendit ses sens pour percevoir le moindre signe de vie en approche.
La troupe de drengirs s'était installé sur un promontoire rocheux assez long et plat pour accueillir l'ensemble des cavaliers. À l'est une longue pente d'un dénivelé moyen serpentait entre les gros rochers jusqu'à atteindre les pieds de la falaise du Croc. Seul accès au fort, c'est d'ici qu'arriverait vraisemblablement le cortège Imperati. À moins que... Alessia fit trotter Cal jusqu'à la lisière du plateau prise d'une étrange intuition. En contrebas derrière un ravin profond, se dressait des buissons touffues de fougères et de multiples rangées de pins et de charme. Une cachette parfaite pour tendre une embuscade même si plusieurs mètres de distance séparait le ravin du sommet du promontoire. Le terrain est trop escarpé même pour l'infanterie de choc de la Legio. Des archers peut-être ? La jeune femme transperça de son Don l'étendue sylvestre. Elle n'y décela aucune présence humaine. Fausse alerte.
Alors que plus d'une quinzaine de minutes venait de s'écouler depuis l'arrivée de Gerald le Noir, les Foudres de guerre commençaient à s'impatienter, éparpillés sur le plateau et plus en formation. Alessia sentit son estomac grogner alors qu'Astalyone haut dans le ciel signalait le passage de la méridiem, elle regrettait de pas avoir pris de collation avant le départ. De l'autre côté du promontoire, Gerald le Noir et Ivar venaient d'avoir une violente altercation au sujet de la conduite à adopter. Le colosse avait ordonné à un groupe de drengirs de partir en reconnaissance en bas de la falaise ce que le seigneur bandit avait aussitôt interdit. Ivar rétorqua avec véhémence que tout ceci ne rimait à rien et qu'ils perdaient leurs temps à attendre à rien faire. Alors que Gerald s'apprêtait à cingler sa progéniture d'une violente répartie, l'un des bandits annonça que des cavaliers venaient de commencer l'ascension de la falaise, ce qui mit fin à la dispute. Gerald fit signe à Alessia de se rapprocher pour qu'elle observe à la fois avec ses yeux et son esprit.
— Moins d'une quinzaine de soldats, pour l'instant je ne sens ni la présence de Savren ou d'Anastérion, énonça la jeune femme d'une voix claire. Ils sont encore trop loin pour que je puisse reconnaître de qui se compose l'escorte.
Gerald le Noir ordonna de suite à la troupe de se remettre en formation et de se tenir prêt à passer à l'action au moindre signe de sa part. Les drengirs s'alignèrent en deux rangées courbes afin de couvrir les trois quarts du plateau et ne laisser qu'un maigre espace pour leurs futurs visiteurs. Le chef des Foudres de guerre prit place au milieu de son escorte, Alessia sur sa gauche et Ivar de l'autre côté.
L'arrivée de l'escorte Imperati finit par mettre fin à l'attente insoutenable des Foudres de guerre. Les cavaliers en formation triangulaire s'étalèrent pour former un mur en opposition aux lignes des drengirs. Alessia observa leurs livrées, de brigandines et de cuirasses légères, aucune lances ni bouclier réglementaire de la cavalerie de la Legio mais un blason. Écartelé de gueules et d'argent, à la tour d'or maçonnée de sable, celui de la Gens de Castell du Haut-Korvalys. Pas le moindre légionnaire... Et Taren Lex n'est pas parmi eux c'est incompréhensible.
Les mercenare au milieu de la ligne s'écartèrent pour laisser passer deux cavaliers qui s'avancèrent. Le premier revêtu d'un pectoral de plates rutilant abaissa son capuchon noir pour laisser entrevoir son visage. La soixantaine bien tassée, des traits acerbes et taillés à la serpe, deux yeux perçants et sombre comme ceux d'un aigle, une calvitie prononcée et un bouc gris taillé.
— Ainsi nous nous rencontrons enfin, seigneur parmi les brigands, énonça l'homme avant de descendre de son cheval. Je suis Varius de Castell, sénateur du Haut-Korvalys. Et derrière moi se trouve mon fils, Arenius de Castell. Voyons, descendons de nos montures, nous sommes entre gens civilisés après tout !
Gerald le Noir s'avança à son tour sans prononcer le moindre mot, de toute la hauteur de son destrier, il jaugea le vieillard qui lui faisait face. Le seigneur bandit émit un léger grognement, leva le bras et l'intégralité des Foudres de guerre mirent pied à terre de concert. À Néreva comme font les Nérevanirs comme le disait le vieux dicton. Gerald retira ensuite son heaume à lunettes et s'adressa directement au sénateur pompeux.
— Vous voici bien loin des cités des vôtres, homme du peuple de Korvalys. D'habitude vos semblables se contentent d'envoyer leurs serviteurs pour les représenter plutôt que de revêtir arme et armure étincelante.
— Vous savez très bien pourquoi nous sommes ici, Nordien, intervint tout à coup Arenius d'un ton sec. Ce que vous nous avez dérobé... Il ne pouvait en être autrement.
—Vous parlez de cette chose ? — D'une main, Gerald détacha la chaîne cachée sous sa cotte de mailles pour exhiber une amulette pourvue d'un rubis étincelant. Arenius écarquilla de suite les yeux — Il fut pourtant si aisé de s'en emparer... Qui peut être assez sot pour n'affecter qu'une maigre escorte pour un si fabuleux trésor.
— Croyez-vous que ce soit de votre propre volonté que vous ayez pu vous emparer du Joyau, Gerald, fils de Varek du clan Isàdottir ? rétorqua Varius en durcissant le ton. Que moi, estimé sénateur de Korvalys, laisserait un tel affront se produire ? Si la Larme Sanguine est en votre possession, ce n'est que grâce à notre ami commun. Mais vous avez préféré ignorer son appel et garder le Joyau pour vous seul.
Alessia sentit l'esprit du chef des Foudres de guerre se contorsionner à l'évocation de son patronyme puis de l'entité qui lui rendait visite dans ses rêves. Ainsi les Castellans sont aussi de mèche, j'aurais dû m'en douter. S'il resta de marbre, la psyché de Gerald semblait en proie à une puissante déferlante de sentiments négatifs, marasme de peur, de haine et de colère. Il contempla la Larme Sanguine dans sa paume. L'espace d'un instant, Alessia perçut les voix spectrales qui chuchotaient aux limites de l'esprit du seigneur bandit, l'encourageaient et le persuadaient de déchaîner la puissance du Joyau.
D'instinct la jeune femme glissa sa main jusqu'à Aube en se rapprochant subtilement. Deux foulées supplémentaires puis une simple fente suffirait à Alessia pour amputer Gerald le Noir afin de l'empêcher d'utiliser le divin Joyau. Finalement le seigneur des Terres sauvages se contenta de raccrocher l'amulette autour de son cou.
— Si j'acceptais de vous le restituer, partirez-vous sur le champ de mes terres et jureriez-vous de ne plus venir chercher querelle aux miens, sénateur ?
— Vous savez très bien que cela est impossible, Gerald, reprit Varius qui fit mine d'éprouver une franche compassion envers ses adversaires. J'ai un compte à rendre au Haut-roi de Lancâstre. Je ne peux rentrer bredouille après avoir requis l'aide d'une des cohortes du Korvalys. Rendez-vous sur le champ, ouvrez-nous les portes du fort et je promets qu'il n'y aura aucune victime supplémentaires. Vous et vos hommes serez faits prisonnier par la Legio et amenés devant la justice du Haut-roi Alderich II. Je ne peux promettre la liberté à chacun d'entre vous, mais un procès équitable. Sauf pour cette femme. — Varius pointa un doigt inquisiteur en direction d'Alessia — Notre maître exige que cette traîtresse meurt !
— Certainement pas ! Quelles que soient vos vos griefs envers elle, cette femme est tout autant une membre des Foudres de guerre que n'importe lequel d'entre nous ! Vos conditions sont inacceptables ! Pourquoi la Legio n'a t'elle daignée se présenter à nous alors que c'est elle qui compte livrer bataille en votre nom, sénateur ? Faîtes venir le Tribun ou quiconque ayant succédé à son poste, qu'un guerrier s'adresse à un autre et non à un vieillard sénile en atours de guerre.
— Comment osez-vous salir le nom de mon père ainsi, Nordien ? s'écria Arenius en tirant au clair la rapière à sa ceinture.
L'intégralité des mercenare à la solde des Castellans dégainèrent de concert leur armes. En réponse, Ivar et les drengirs firent de même. Seul Gerald, Alessia et Varius s'abstinrent. Le sénateur leva le bras et ordonna à ses hommes de ne pas bouger d'un pouce. Gerald le Noir, quant à lui, se contenta d'un grognement et d'un regard noir à l'encontre de son fils et de ses drengirs.
— Excusez l'emportement de mon fils, vous devez savoir vous aussi qu'il est parfois difficile de maîtriser la vigueur de la jeunesse. Pour ce qui est de notre affaire, je vous prie, Gerald, de vous montrer sage et raisonnable, poursuivit Varius d'un ton toujours aussi empathique. Ne commettez pas la même erreur que vos aïeux. Les Saints-Royaumes ne sont pas votre ennemi. Nos forces sont bien plus nombreuses que les vôtres et vos murailles en ruines ne vous protègeront pas bien longtemps. Si vous ne déposez pas les armes aujourd'hui alors vous serez tous exterminés sans la moindre pitié.
— Ça suffit, j'en ai assez entendu ! s'énerva Ivar en fracassant le sol à l'aide de son marteau. Arrêtons de perdre notre temps pour rien ! Massacrons ces bâtards, ils sont faibles et bien moins nombreux que nous !
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