20 - La Bataille du Col du Cadhras (2/2)
— Par Martel, que m'as-tu fait ? maugréa Anastérion.
L'apprenti magistère venait de reculer de plusieurs pas, examinant la paume de sa main droite. Elle venait de prendre une teinte blafarde et froide, recouverte de minuscules veinules sombres sous sa peau. De sa gauche, il examina sa joue guérie quelques minutes auparavant. La blessure avait réapparu, suppurant de pus noir. Du müyr. Était-ce à cause de la dague ? Celle qui appartenait auparavant à Daguefilante ? Ou d'autre chose ?
— Ce pouvoir... Comment ? C'est celui de l'Engeance...
Anastérion tomba à genoux, pris d'une violente quinte de toux, il se plia en deux, tout en essayant d'invoquer son Don pour guérir sa plaie. Mais la balafre réapparaissait immédiatement. Alessia sentit l'étau du magistère se desserrer, peu à peu de nouveau capable de bouger ses membres. Elle dégaina Crépuscule et se jeta sur Anastérion d'une frappe circulaire pour le décapiter. L'apprenti magistère bondit sur le côté, la lame jumelle déviée au dernier moment de sa course par son bouclier d'énergie. Il se mit à ramper de manière erratique, Alessia ne savait si cherchait à fuir ou s'il se tordait de douleurs. D'un coup de se botte, elle le força à se retourner. Une peur effroyable s'était emparée du visage livide d'Anastérion, tandis que la cicatrice noire commençait à se répandre jusqu'à la naissance de son cou.
— Ne t'approche pas de moi, dæmon ! Ne t'approche pas !
Alessia soupesa Crépuscule dans sa dextre. Devait-elle achever un homme à terre et sans défense ? Devait-elle l'abattre de sang-froid. Il est bien trop dangereux. Lui n'hésiterait pas une seule seconde avant d'exécuter une misérable apostate, souffla un murmure dans l'esprit de la jeune femme. Abats-le.
Crépuscule fendit de nouveau les airs. Alessia tomba à genoux dans la poudreuse. L'immaculée s'était recouverte de centaines de gouttelettes écarlate. Et tandis que la brise gagnait en intensité entre les cimes du Cadhras, une chaleur infernale envahit les tempes de la jeune femme, se répandit jusqu'au plus lointain de ses membres pour transformer son être en véritable fournaise. Face à elle, Anastérion se releva en claudiquant, sa robe entaillée au niveau du torse. Il saignait abondamment mais respirait toujours. Le müyr, la corruption du sang noir avec recouvert la moitié de son visage et descendait maintenant petit à petit la naissance de son cou. Une fois de plus, elle l'avait raté de peu. L'apprenti magistère lui accorda à peine un regard avant de disparaître à nouveau dans un vortex d'énergie æthérique.
Le næth pesait si lourd sur l'échine d'Alessia qu'il lui semblait prêt à disloquer ses épaules d'un instant à l'autre. Sa gorge nouée par le cercle de fer ne permettait qu'à un maigre filet d'air de se frayer un chemin jusqu'à ses poumons. Elle essaya de se relever en vain et dû se résoudre à ramper à son tour. Elle préférait se jeter dans le vide plutôt que de subir une fois de plus le supplice du næth. Car il ne faudrait pas longtemps avant qu'elle perde à nouveau conscience.
Tout autour d'elle le paysage se mit à trembler. Les épaisses couronnes des abiétacées disparurent, la neige à ses pieds s'évapora et le ciel s'assombrit. D'immenses colonnes d'ébène émergèrent du sol pour former de grands murailles tout autour d'elle. Enfermée dans ce labyrinthe naissant, elle continua d'avancer tandis que le sol s'effritait peu à peu sous son poids. Dans l'amas de nuages qui trônait dans l'empyrée noir se mit à scintiller d'une lueur cramoisie. Puis le tonnerre gronda et la pluie prit sa succession. Mais le liquide qui recouvrait peu à peu l'échine endolorie d'Alessia n'avait rien de rafraichissant. Gluant et poisseux, d'une chaleur tiède. Rouge comme le sang.
Si les murs du Labyrinthe semblait s'étendre à l'infini, la jeune femme parvint à distinguer une ouverture entre les parois sombre. Une cavité étroite encore plus ténébreuse que la pénombre qui dominait déjà les lieux. Une silhouette grotesque en émergea, amas chaotique de chairs enflées qui se tordait et se plissait dans tous les sens, plus large et plus haut qu'un homme bien bâti. L'engeance se retira de la caverne, nécrosé et affligé de toutes sortes de souillures physiques, elle se glissa dans le Labyrinthe. Sa peau violâtre et blafarde, couverte de verrues, de pustules et de lésions infectées s'écorchait sur la rocaille acérée, laissant derrière lui une longue traînée de fluides corporelles. Avec lenteur, elle convergea en direction d'Alessia. Puis tout disparut.
La chaleur s'évanouit et l'air glacé du Cadhras emplit de nouveau les poumons de la jeune femme. Elle reprit son souffle, las et vide de toute énergie. La vision venait de cesser, lui permettant de regagner la réalité, et le contrôle de son esprit. Elle retira ses mains enfoncées dans la neige et s'assit sur ses genoux. Devant elle, à quelques centimètres, le næth reposait sur la poudreuse, le cercle de fer brisé en son milieu.
Alessia pouvait de nouveau ressentir le monde au travers de son Don mais le fil de son propre Pouvoir demeurait trouble et presque imperceptible, comme lointain et endormi. Elle releva le chef. Le froid disparût pour laisser place à une douce chaleur, ni trop forte ni trop faible, semblable à celui qui s'étendait autour d'un feu de camps. Elle se sentit presque revigoré.
Revêtue de son armure d'or, la séraphyne Synead la surplombait de toute sa longueur, ses ailes étendues dans son dos. Son heaume à faciès ne laissait pas transparaître la moindre émotion, seules demeuraient ses prunelles d'or inflexibles qui semblaient transpercer l'âme de la jeune femme.
— Encore vous, murmura Alessia, Pourquoi ?
— Car il est temps que tu reprennes le cours de ton destin, fille de l'Empereur. Tu as une tâche à accomplir.
— L'armée Imperati est en déroute, les Castellan veulent ma mort, énonça Alessia après s'être relevée. Elle rengaina Crépuscule et poursuivit. Et après ce qui vient de se passer, il en est de même pour Anastérion et Savren. Je ne vois pas en quoi je peux intervenir.
— Tu sais très bien de quoi je veux parler, rien ne saurait se dérober à la vision de l'Empereur, Lamenoire. Reprends ton rôle et accomplis ton devoir.
— Rien ne garantit que les Foudres de guerre ne veuillent pas ma mort pour ma trahison, soupesa Alessia
— Tu as un don pour te faire des alliées, Lamenoire. Regagne-le fort. Trouve la Larme Sanguine et rapporte-la à l'Empereur.
— Alors vous êtes bel et bien au courant... Pourquoi ne pas intervenir en personne si cela est si important ? Ou quérir l'aide des magistères ?
— Je ne peux intervenir que si la volonté de l'Empereur me le permet. La Larme Sanguine est un pouvoir qu'aucun mortel ne peut contrôler, aussi puissant soit-il. Qu'il s'agisse des Castellans, de la Legio Imperatorii ou de l'Académie. Même les intentions les plus pures finiraient irrémédiablement corrompues par sa toute-puissance.
— Et si je m'enfuyais avec la pierre ? Si elle existe bel et bien. En quoi suis-je digne de votre confiance, Synead ?
— Car tel est ton devoir, Lamenoire, un devoir aussi ancien et noble que celui de mon ordre. Synead s'arrêta puis balaya du regard la cime du Cadhras tandis que des nuages cotonneux recouvrait peu à peu l'empyrée bleu. Tu es l'accomplissement de la volonté de l'Empereur. Seule toi peux intervenir et récupérer le Joyau d'Aëlrys avant qu'il ne soit trop tard. Car si quiconque tente de déchaîner le pouvoir de la Larme, de terribles événements pourraient se produire.
— Les Castellans, l'Académie, les Shéraëls, La Legio... Qu'importe les formes ou la manière que vous y mettiez, une seule chose vous importe, le pouvoir. Dans le fond, vous êtes tous les mêmes. Ce qui importe c'est à quelle point vous êtes prêt à payer pour obtenir ce pouvoir.
— Ne te fourvoie pas, Lamenoire. De nombreuses forces désireraient d'obtenir une telle force. Nous ne servons que les plus nobles idéaux, ceux de notre Père à tous. Car lui seul est en mesure de maîtriser la pleine puissance de sa création. Rapporte-nous la Larme et tout sera oublié. Tout sera pardonné. Tu seras libre de commencer une nouvelle vie. Celle que tu as toujours désiré. Tu échapperas à ta condition, à ton devoir. Et à ton passé. Toute âme, même brisé, mérite de se repentir.
— Et comment suis-je censé retourner parmi les Foudres de guerre ? Perdu dans les hauteurs du Cadhras, je risque bien de mourir de froid avant d'atteindre la vallée. À moins qu'une bête sauvage se charge de m'achever. Même si le næth ne m'entrave plus, mon Pouvoir me fait toujours défaut.
— En effet il faudra plusieurs jours avant que tu ne sois capable d'utiliser à nouveau le Don. Pour ce qui est de regagner les Terres Sauvages, je te conduirais jusqu'à la vallée. Grâce à mes ailes.
L'esprit d'Alessia s'arrêta quelques instants sur ce que sous-entendait la proposition de la Shéraël, celle de fendre les airs en sa compagnie, ce qui lui paraissait assez incongru à vrai dire. Mais avait-elle vraiment le choix ? La chose demeurait moins désagréable que de mourir d'hypothermie dans les hauteurs du Cadhras. Ou d'être téléporter à nouveau.
— Ne me fixe pas comme cela, Lamenoire, fit Synead comme si elle avait été capable de lire dans les pensées de la jeune femme. C'est un privilège rare pour un mortel de parcourir les cieux. Surtout une deuxième fois.
— C'est entendu, j'accepte votre offre, Séraphyne Synead.
— Alors approche, Lamenoire, le temps presse.
Alessia s'exécuta avec un zeste d'appréhension, appréhension qui grandit quand la séraphyne lui fit signe de l'enlacer. La jeune femme se colla contre le plastron d'or de Synead et passa ses bras autours de sa taille. Et quand elle prit son impulsion et qu'Alessia sentit ses pieds décoller du sol, la jeune femme s'interdit tout regard vers le vide.
Le trajet se révéla relativement rapide, à peine une poignée de minutes et l'atterrissage bien moins pénible qu'il le fut pour la téléportation æthérique. La Shéraël fendait les cieux aussi légère qu'une plume comme si la gravité se trouvait incapable de la soumettre à son emprise. Alessia avait pu sentir le Don de Synead s'éveiller autour de son aura tels des rayons de lumières ardents, mais il avait s'agit d'une dépense d'énergie minime, semblable à celle que l'on pourrait employer pour respirer.
La séraphyne lui lança un dernier regard solennel et silencieux puis d'une courte impulsion se lança de nouveau dans les airs. À peine quelques battements d'ailes lui suffirent pour dépasser la cime des conifères pour ensuite disparaître dans les cieux à toute vitesse. La jeune femme avait écouté les paroles de Synead sans vraiment chercher à se laisser convaincre, ou au contraire réfuter ses croyances. Alessia n'avait pas oublié sa tendance à répondre à une énigme par une autre encore plus énigmatique.
Alessia se trouvait dans un sous-bois sur une petite butte, des maigres œillades qu'elle avait eu le courage de lancer avant de regagner la terre ferme, elle avait pris connaissance de sa position actuelle. D'après ses estimations, une bonne demi-heure de marche en direction de l'ouest devrait lui suffire pour quitter la forêt et regagner l'ancienne voie qui serpentait dans la vallée. Là, elle n'aurait plus qu'à s'orienter en fonction des reliefs pour déterminer la direction du village de Weynon et la garnison de Foudre de guerre qui s'y trouverait. Alessia commença à s'orienter d'un pas tranquille. Elle n'avait parcouru qu'une dizaine de mètres qu'elle s'immobilisa immédiatement, alerté par le craquement d'une branche sous le poids d'une semelle lourde. Si elle hésita l'espace d'un instant, Alessia ne dégaina aucune de ses armes.
— Je t'ai connu bien plus discret que cela, Vaiyn, argua en direction de l'intrus qui la tenait en joue avec son arbalète.
— Tu sais très bien que si je l'avais voulu, tu serais morte avant même d'avoir pu réussir à percevoir la moindre bribe de ma respiration.
— Au moins je n'aurais pas besoin de te chercher. Tu peux baisser ton arme s'il te plaît ? Je commence à en avoir assez que l'on essaye perpétuellement de me tuer à chaque instant qui passe.
— Pas avant que tu n'aies répondu à quelques questions, rétorqua l'ancien inquisiteur tout en assurant sa prise sur son arbalète, son index flattant la gâchette. J'ai senti un puissant écho au travers du Voile. Je pensais tomber sur l'un des deux magistères même si je trouvais la chose totalement irréaliste. Puis cette force s'est ensuite évanouie avant que j'arrive à l'atteindre et je tombe maintenant toi. Avec qui étais-tu ?
— Ne fait pas l'ignorant, Vaiyn. Il s'agissait de la Shéraël. Elle m'a déposé dans la vallée.
— Pourquoi a-t-elle agi de la sorte ? Tu étais leur prisonnière jusqu'à présent. Même si tu sembles contre toute attente avoir coopéré avec eux.
— Je devais bien survivre, Vaiyn. Et cela ne vous a pas empêcher de les vaincre dans le Col... Quant à la séraphyne, elle veut que j'accomplisse une sorte de mission, c'est pour cela qu'elle m'a libéré de l'emprise du næth, expliqua Alessia. Elle poursuivit, décidant de dire la vérité au siphonneur une bonne fois pour toute. Elle pense que Gérald a mis la main sur un puissant artéfact æthérique. La même chose que ces foutus Castellan essaye de récupérer depuis le début, la raison pour laquelle ce bâtard d'Arenius veut par-dessus-tout faire payer les Foudres de guerre pour la caravane que vous avez détournée.
— Je me doutais que tu nous cachais encore quelque chose, femme. Continue, tu as toute mon attention. Quelle est ce fameux artéfact pour que toutes les forces des Saints-Royaume souhaitent absolument s'en emparer ?
— La Larme Sanguine, un foutu joyau de l'Empereur-Dieu rien que ça, ou quelque chose dans le genre. J'imagine qu'il s'agit de la pierre qui incrusté dans l'amulette que porte Gerald porte en permanence.
La jeune femme dévisagea du regard l'ancien inquisiteur. Si celui-ci avait été surpris par les révélations d'Alessia, il se garda d'en montrer le moindre signe. Il resta de marbre.
— Je doute qu'il s'agisse d'un puissant objet æthérique. Une babiole sans intérêt. Et dans le cas contraire j'en aurais senti la puissance. Un Joyau d'Aëlrys. C'est impossible, Alessia.
— Je ne fais que rapporter des paroles qui ne sont pas les miennes, Vaiyn. J'ai moi-même perçu cet objet, je l'ai touché avec mon Don sans pour autant constater la moindre puissance. Mais les magistères, la Shéraël, la Legio Imperatorii et les Castellans, même cette défunte ordure de Daguefilante... Tout converge vers Gerald le Noir. Nous devons découvrir sur quoi il a mis la main avant qu'il ne soit trop tard. Peut-être que le pouvoir de l'artefact est en sommeil.
— Tu as peut-être raison, fit l'ancien inquisiteur après un soupir. Tout ceci ne peut être que coïncidence. Et j'ai l'impression que le destin s'acharne sur nous ces derniers temps. Avant nous étions qu'une assemblée de bandits et de criminels notoires. Il baissa l'arbalète. Nous en parlerons avec Harbard. Nous pouvons avoir confiance en lui. Peut-être que Gerald a évoqué la chose avec lui.
— J'en doute. Ton chef semble de plus en plus gagné par la paranoïa. Il redoute de perdre son pouvoir.
— Nous verrons ce que l'en pense le vieillard. Maintenant regagnons Weynon, ajouta-t-il avant de lui faire signe de le suivre. Ils commencèrent à remonter le sous-bois puis le siphonneur brisa de nouveau le silence. J'estime que ma dette envers toi est payée. Tu nous as sauvés ce jour dans le castrum, alors qu'il aurait été préférable pour toi t'enfuir dès notre capture par les Imperatiis. C'est pour cela que j'ai décidé de te laisser en vie aujourd'hui et de t'accorder ma confiance.
Alessia acquiesça sans ajouter le moindre mot. Pour la première fois depuis qu'elle avait fait sa connaissance, elle n'avait pas perçu la moindre hostilité dans les paroles de Vaiyn à son égard.
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