19 - Les Envoyés de l'Académie (3/4)
Si Alessia l'avait déjà remarqué auparavant, cette fois-ci elle fut directement témoin du désordre et du manque d'organisation qui sévissaient dans les rangs la cohorte de la Legio II Korvalys. Si la dizaine de légionnaires présent à l'orée du bois répondit immédiatement à l'appel, et se rassembla en ligne devant le præfector, la plupart des auxiliaires continuèrent leur besogne comme si de rien n'était. Quant aux plus disciplinés d'entre eux, ils commencèrent à se rassembler de manière hétéroclite, la plupart seulement armés d'outils et sans cuirasse. Et tandis que le præfector s'acharnait à remettre de l'ordre dans les troupes Imperatiis, le chaos s'abattit pour de bon.
Une pluie de flèches en provenance des tréfonds de la forêt déferla sur les auxiliaires désorganisés qui tombèrent par dizaine. Les légionnaires levèrent immédiatement leur bouclier afin de protéger Taren et Alessia. Et tandis que la terre boueuse se gorgeait de sang, les sabots de la cavalerie retentirent depuis la route. Les auxiliaires détallèrent dans tous les sens, plus d'un fauché en pleine course d'un trait bien placé. Les plus lucides se replièrent en direction du castrum mais d'autres s'enfuirent dans les fourrées.
— Légionnaires, retraite, immédiatement ! ordonna le præfector tandis qu'une volée s'abattait maintenant sur eux.
Alors qu'Alessia cheminait en compagnie de Taren à couvert des grands boucliers imperatiis, elle entraperçut les equites de la cohorte, des Foudres de guerre déguisés, et c'était belle et bien la troupe de choc de Gerald le Noir qui les accompagnait. Si une bonne partie des brigands bifurquèrent immédiatement en direction des auxiliaires en fuite, plus d'une quinzaine chargèrent les légionnaires. Jamais on ne réussira à atteindre les portes avant qu'ils ne soient sur nous ! Cet état de fait, les Imperatiis le comprirent tout aussi rapidement que la prisonnière car ils cessèrent de suite de s'enfuir.
— Légionnaires en ligne ! tonna une voix parmi eux. Il faut couvrir la fuite du Præfector Lex !
Alessia couru à toute vitesse en direction du castrum sur les talons de Taren. Derrière eux les cavaliers venaient de percuter de plein fouet les soldats. Si elle ne doutait pas de leur courage, ils n'avaient aucune chance de s'en sortir. Alors que les portes n'étaient plus qu'à une vingtaine de mètres, l'instinct de la prisonnière se réveilla. Elle se jeta au sol, évita à la dernière seconde le coup de massue qui visait sa tête. Elle rebondit en extension, hache toujours dans sa dextre. Deux cavaliers avaient réussi à contourner la ligne des légionnaires pour venir les intercepter. Tandis que le premier tournait déjà sa monture pour charger Alessia à nouveau, le second s'acharnait à grands renforts de moulinet pour abattre Taren.
La prisonnière prit une grande respiration tandis qu'elle se préparait à esquiver à nouveau le drengir. Je n'aurais qu'une chance. Le Don ne me sera d'aucune aide cette fois. Le brigand corrigea sa prise et leva sa masse à l'oblique pour cueillir Alessia si elle réitérerait sa dernière manœuvre. Elle retint son souffle et le laissa venir jusqu'à elle, bondit un instant avant l'impact. La massue moulina dans le vide, le cheval hennit de douleur avant de s'écraser au sol. Pris par surprise, le brigand fut éjecté de la selle.
Alessia se releva, il s'était fallu d'un chouias pour qu'elle finisse écraser par les sabots de la monture du drengir. Elle arracha la hache plantée dans le haut de la cuisse du cheval avant de se rapprocher du Foudre de guerre. Le colosse au teint pâle s'était mis à ramper sur le côté, l'os de son tibia dépassant de sa jambe brisée. La prisonnière n'hésita pas une seule seconde avant d'abattre le fer de son arme dans la nuque du brigand.
La jeune femme chercha du regard le præfector. Celui-ci toujours debout, brandissait son glaive tout en couvrant la vilaine balafre qui courrait sur son épaule droite. Il avait réussi à repousser son adversaire. Pas pour longtemps. Car les Foudres de guerre, maintenant débarrassés des légionnaires, se regroupaient déjà pour foncer sur eux. Bien trop nombreux pour espérer simplement les éviter. La mort lâchait ses sombres destriers sur eux. Alessia campa sur ses positions, prête à subir la vague de plein fouet, hache haute et jambes fléchies. Et Taren Lex se tient à ses côtés, glaive à l'avant. Il aurait bien pu fuir et abandonner la prisonnière pour gagner les portes mais il décida de rejoindre Alessia dans ce dernier baroud d'honneur. Peut-être dans l'espoir de défendre l'honneur de ses soldats tombés au combat. Alors que la jeune femme se préparait à subir la charge, une ombre passa à toute vitesse à la périphérie de sa vision.
Une masse sombre heurta de plein fouet la colonne de cavalier, la terre trembla et se déchira. L'onde de choc, si puissante, manqua de faire tituber la prisonnière en arrière. Et tandis qu'elle campait de sur ses appuis, son regard essaya de percer le voile de poussières qui venait de recouvrir les Foudres de guerre. Elle reconnut de suite la silhouette de la Shéraël. Si les Drengirs ne manquaient pas de courage, les rares encore en selle détallèrent de suite dans le sens inverse. Une nouvelle volée de flèches siffla dans les airs. Les ailes de Synead se replièrent en un instant pour la protéger des impacts. Les pointes des traits ne firent que rebondirent contre les écailles d'argent.
Ils sont en train de se replier, tout ceci n'était qu'un coup de semonce. Les Foudres de guerre veulent montrer aux imperatiis qu'ils ne se laisseront pas abattre aussi facilement.
Alors que le voile de poussières venait se dissiper, un bandit se releva entre les cadavres des montures, un sabre à la main, il se glissa dans le dos de la Shéraël. Il fit deux pas vers l'avant, les ailes de la Shéraël s'étendirent de nouveau tel un membre indépendant, à une vitesse quasi imperceptible pour un œil humain. Le drengir cessa de bouger puis son torse se détacha du reste de son corps. Synead se tourna dans la direction d'Alessia. Ses prunelles d'or la transpercèrent sur place puis sans prendre la moindre impulsion, elle s'envola de nouveau dans les airs. Derrière la prisonnière, les portes du castrum s'ouvrirent enfin et une rangée de légionnaires au pas de course en émergea.
— Præfector Lex, vous êtes blessé ? glissa une voix que la jeune femme reconnut immédiatement. Vous ! Deux pas en arrière ! Jeter votre arme au sol ou je vous abats sur le champ !
Alessia obéit et abandonna sa hache tandis que Tricia Carentis la menaçait de la pointe de son glaive. Elle pouvait lire dans son regard toute la peur qu'elle inspirait à l'Imperati. Deux légionnaires l'attrapèrent par les bras et la forcèrent à se mettre à genou.
— Il suffit, Décurion ! tonna Taren. La prisonnière a prouvé que l'on pouvait lui accorder notre confiance. Occupez-vous plutôt de savoir si certains de ses pleutres sont toujours en vie ! Il nous faut des prisonniers.
Tricia se mordit la langue inférieure avant d'ordonner à ses hommes de lâcher la jeune femme puis tourna les talons en direction de l'amas de cadavres qui trônait aux pieds de la Shéraël. Alessia se releva.
— Si j'aurais cru un jour vivre à nouveau un raid drengir... souffla Taren à demi-mots. Une vulgaire bande de pillards... Salopards de Castellan.
3
Alessia eut l'honneur de passer à nouveau sous l'œil inquisiteur du doctore du castrum qui s'était occupé d'elle lors de ses premiers jours de captivité. Elle ne souffrait que de quelques égratignures mineures mais le præfector Lex insista tout de même pour qu'elle soit examiné. Après tout Taren pourrait dire adieu au moindre de ses rêves de gloire si jamais la prisonnière périssait d'une vulgaire infection.
À sa grande surprise personne ne lui remis ses fers lors de son retour au campement et lorsque l'auxiliaire Lédent vint la quérir, ce n'est pas à sa cellule que celui-ci la conduisit mais à une véritable tente individuelle. Lorsqu'elle questionna le jeune homme à ce propos, il lui répondit d'un sourire qu'il s'agissait d'une directive du præfector Lex en personne. Ainsi Alessia put jouir enfin d'une liberté partielle à l'intérieur du camp même si elle doutait de pouvoir approcher des portes ou du prætorium sans finir plaquée au sol et un glaive à sa gorge.
Elle chemina donc avec nonchalance entre les travées du castrum tandis que les Imperatiis observaient scrupuleusement une certaine distance de sécurité. Ces quelques moments de flottement lui permirent de déceler un certain nombre de failles dans les défenses de la cohorte du Korvalys et l'idée de voler un cheval pour s'enfuir dans les ténèbres des Terres sauvages devint de plus en plus réalisable et tentante. Et que ferais-je ensuite ? Combien de jours faudra-t-il au næth pour oblitérer de nouveau mon esprit ? Et elle doutait aussi que la Shéraël ou les magistères lui permettent de se dérober aussi facilement.
Alors Alessia regagna sa tente tandis qu'Astalyone commençait à disparaître à l'horizon. Un détour vers la tente noire confirma ses soupçons, trois des drengirs de Gerald le Noir avaient été capturés par les Imperatiis lors du raid. Elle n'éprouva pas la moindre compassion à leurs égards, si elle avait pu apprécier la compagnie de certains des Foudres de guerre lors des semaines qu'elle avait passés au Fort du Croc, les séides de Gerald le Noir n'en faisaient pas partie, brutes assoiffées de sang et de pillage. Cependant elle doutait que les tortionnaires du castrum parviennent à leur arracher la moindre confession, les drengirs bien trop fidèles à leur seigneur et maître.
Le repas que l'on servit à la jeune femme se révéla tout aussi frugale que celui du jour précédent. Lédent revint vers à plus d'une occasion pour le demander si elle ne désirait rien d'autre. Alessia, pratiquement passé du statut de prisonnière à celle d'invitée de la Legio, ne pouvait déterminer si cet afflux de confort provenait de Taren ou d'Anastérion. Ainsi la journée s'acheva et une seconde nuit d'un sommeil profond s'ensuivit. Elle se réveilla peu après l'aurore et constata en plein milieu de la matinée qu'un nouveau chargement de buches et une hache rudimentaire avaient été mis à sa disposition à proximité de sa tente. C'est ainsi qu'elle occupa la majeure partie de son temps libre en plus de ses promenades habituelles.
Ce ne fut que le jour suivant, un peu avant la méridiem, qu'on vint à nouveau la quérir. Anastérion, toujours la pipe à la bouche et enveloppé dans un long manteau bleu foncé, se présenta devant la tente d'Alessia. Il la salua d'un revers de la main tandis qu'Alessia finissait de rassembler en tas les dernières buches qu'elle venait de fendre. Il était flanqué de l'auxiliaire Lédent, à seulement quelques pas derrière lui.
— Suivez-moi, Alessia. Nous sommes tous les deux attendus au prætorium dans la tente du Tribun Maris, énonça Anastérion en éteignant sa pipe.
— Qu'ai-je à faire de si important pour que l'état-major Imperatii daigne m'attendre ? Le Tribun est loin de me porter dans son cœur, encore moins les Castellans.
— Vous disposez de plus d'alliés que vous ne le pensez, Alessia. Le præfector Lex et moi avons insisté pour que vous assistiez au conseil stratégique du Tribun. J'ose espérer votre concours pour nous permettre de choisir la bonne option.
— Je n'ai jamais dit que j'aiderai la cohorte de quelques manières que ce soit, magistère.
— Ne me leurrez pas, rétorqua Anastérion. Vous savez très bien qu'il s'agit de la seule manière pour vous de vous en sortir. Arenius et Varius de Castell réclament votre tête, et vos anciens compagnons tout autant si j'en crois les témoignages de ceux qui étaient présent aux portes, il y a deux jours.
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