17 - La Cohorte du Korvalys (2/4)
Alessia cessa d'écouter la conversation, elle lança un regard à Andronikos et lui fit comprendre qu'il était temps pour eux de battre en retraite. Le Karthagène obtempéra et les deux seuls rescapés des Foudres de guerre se glissèrent silencieusement dans la forêt. La jeune femme comprenait la réticence d'Andronikos à abandonner sa compagne aux mains de l'ennemi mais en l'état foncer tête baissée relèverait du suicide.
Une fois hors d'atteinte des imperatiis, les deux bandits purent se permettre d'accélérer le pas et de mettre le plus de distance possible entre eux et d'éventuels poursuivants. Ils traversèrent un ravin entouré de hauts pins avant de remonter un grand escarpement à fort dénivelé. Là, Alessia dû ralentir l'allure et aider Andronikos lors de l'ascension, handicapé par ses récentes blessures. Depuis les hauteurs, ils seraient parfaitement capables de repérer les légionnaires s'ils s'avisaient à remonter leur piste et pourraient prendre de nouveau la fuite avant qu'il ne soit trop tard. Un quart d'heure s'écoula avant qu'ils n'atteignent le sommet. Le Karthagène à bout de souffle n'en pouvait plus et insista pour prendre une pause. La jeune femme approuva, consciente qu'il leur faudrait garder toutes leurs forces s'ils souhaitaient se tirer de ce mauvais pas. Elle surveilla les rangées de troncs en contrebas tandis qu'Andronikos s'était assis sur la souche d'un arbre déraciné.
— Mais quelle merde ! Ces enfoirés nous sont tombés dessus comme ça, cette expédition est un désastre ! rageât le Karthagène. Gerald va vouloir nos têtes pour avoir attiré l'attention de la Legio Imperatorii sur les Foudres de guerre !
— Ce n'est pas de notre faute. Cela fait des semaines que nous enchaînons les opérations dans le Haut-Korvalys, ce n'était qu'une question de temps avant que quelque chose de la sorte se produise.
— Tu parles d'une entreprise, piller des fermes paumés au milieu de nulle part... Comme si les familles nobles de Lancâstre en avaient quelque chose à foutre !
— Non mais une famille en particulier, si
— Comment peux-tu savoir cela ?
— Les deux hommes encapuchonnés, Arenius de Castell et très certainement son père, Varius. Aux dernières nouvelles, ce dernier briguait une place au Sénat en tant que représentant du Korvalys. C'est eux qui employaient le groupe de mercenare dont je faisais partie auparavant.
— Tu nous avais pourtant dit que c'était le Prætor de Dalata qui vous avez engagés sous la pression des nobles de la cité, souleva le bandit, ses prunelles sombres braquées maintenant sur Alessia.
— J'ai menti, admit la jeune femme, mais là n'est pas le problème.
— On lui a fait quoi à ce sang bleu pour qu'il lâche à nos trousses ces chiens d'imperatiis ? poursuivit Andronikos.
— Vous avez détourné une caravane commercial qui provenait de Dalata. La Passe de Kerrack, ça te dit quelque chose ?
— Plus ou moins, on en a détourné des tas, et les trois quarts du temps la récompense n'en valait pas la peine. Tant d'efforts pour une simple cargaison de marchandises ? Qu'oublies-tu de mentionner ?
— Un joyau inestimable. Enfin assez pour que les Castellan ne reculent à rien pour essayer de le récupérer.
— Mais Gerald le Noir n'a jamais mentionné une telle prise !
— Alors pose-toi les bonnes questions.
— Bref, cela ne change rien à la situation. Nous ne sommes que deux face à la toute-puissance de la Legio Imperatorii.
— Je ne te croyais pas du genre à abandonner si facilement. Ta femme fait partie des prisonniers tout de même.
— Ne me traite pas de lâche ! Je n'ai rien dit de la sorte ! Mais nous ne savons même pas où ils les emmènent.
— N'en soit pas si sûre, tant que Marjolaine est entre leurs mains, je saurais où ils se trouvent. Depuis qu'elle me sert d'intermédiaire avec Vaiyn, nos Don se sont liés. Je serais capable de suivre son aura, qu'importe la distance.
— Et maintenant tu vas me dire que tu as un super plan pour t'introduire au cœur d'un campement et libérer nos camarades ? Sans qu'une centaine de légionnaires nous tombent dessus ?
— J'y travaille. Maintenant avançons, nous avons perdus assez de temps.
2
Tricia Carentis s'assura une dernière fois que sa lorica segmantata était correctement serrée, cingla son glaive à sa ceinture, agrafa sa cape bleue puis émergea de la tente aux voiles ocre. Une légère brise flatta ses bras dénudés tandis que tout le castrum s'agitait à l'approche de l'heure du repas. Autour d'elle flottaient les bannières centuriales de la Première Cohorte de la Legio II Korvalys. Dans les cieux, Astalyone s'apprêtait à achever sa course, dardant l'empyrée d'ultimes lueurs orange. S'évanouissant derrière les cimes hautes des rangées de chênes et d'hêtres, il ferait bientôt place à la figure de nacre de Sélène.
La sous-officière lâcha un soupir, finalement elle disposerait d'assez de temps pour accomplir sa besogne puis retourner au campement pour prendre son poste en début de soirée. D'un geste du bras, elle salua brièvement ses compagnons de centurie. Regroupés autour du feu de camps, ils prenaient leurs rations quotidiennes tout en jouant au dé. L'un d'entre eux tourna immédiatement le chef pour l'enjoindre de s'approcher. Tricia refusa, prétextant un rapport de dernière minute, puis s'éloigna d'un pas rapide. Elle quitta le rassemblement de tentes qui correspondaient à son escadron et s'enfonça dans les longues travées qui quadrillaient le castrum en direction de l'est.
Tandis qu'elle marchait, son esprit flâna à d'autres occupations. Aurait-elle un jour cru être de retour sur ces terres, celle où elle avait passé une bonne partie de sa jeunesse ? Depuis plusieurs semaines, elle se languissait de son retour dans les terres septentrionales de Korvalys et de l'ancienne citadelle de Norfort. Si sa propre famille avait depuis longtemps émigré vers le sud, certaines persistaient à habiter sur les terres décharnées qui s'étendaient au pied des tours grises. Une épidémie touchant le bétail avait sonné le glas de bien des exploitants bientôt deux décennies auparavant. Mais cela importait peu à l'esprit de la légionnaire car elle savait que lui résidait toujours ici.
Qu'était-il devenu ? Avait-il finalement hérité de l'exploitation familiale ? Était-il marié ? Se souvenait-il au moins d'elle ? Tant de questions qui assiégeaient son esprit depuis qu'elle lui avait envoyé une missive pour l'informer de sa venue prochaine. Et maintenant elle s'impatientait tandis que le moment fatidique se rapprochait. Attends-moi à l'est du castrum, à quelques mètres de l'enceinte. Je te rejoindrais au premier coucher de soleil après l'établissement de notre campement.
À mi-chemin en direction de l'entrée du castrum, Tricia s'arrêta quelques instants, son regard s'attardant sur la grande tente noire, celles réservés aux prisonniers de guerre. Confinée au castrum toute la journée pour superviser son établissement, elle n'avait eu que des échos de l'escarmouche qui avait conduit à leur capture. Tout s'était déroulé comme prévu, une poignée de brigands ne pouvant rien contre une cinquantaine d'equites accompagnée par la garde prétorienne du Tribun Maris.
Elle poursuivit sa route et gagna les limites du castrum. Rapidement elle sentit les regards s'appesantir sur elle à la vue de sa cuirasse impeccable et de son casque à cimier, ceux des soldats auxiliaires, plus jeunes ou de plus basses extractions. En temps de guerre, leur fonction principale était d'affaiblir les lignes ennemies à l'aides projectiles en tout genre, arcs et javelots principalement, mais la paix relative les cantonnait aux tâches les plus ingrates tandis que la Legio stationnait aux frontières des Saints-Royaumes. Une fois les dernières tentes dépassées, Tricia arriva à hauteur des portes Est du castrum. Les légionnaires de faction la saluèrent à son arrivée tandis qu'elle se dirigeait droit vers le Décurion Proventus, officier en charge des allées et venues. Le gradé l'accueillit d'un sourire las. Elle répondit par le salut militaire réglementaire.
— Que puis-je faire pour vous, Décurion Carentis ?
— Je souhaite faire un tour dans les bois qui entourent le castrum pendant ma permission, Décurion Proventus
— Vous savez très bien, Décurion, que je suis obligé de notifier chaque départ et retour à l'intendance. Les præfectors n'apprécient guère les flâneurs en temps de campagne.
— C'est une affaire pressante... et personnelle, poursuivit Tricia. Entre officiers, je suis sûre qu'il est possible de s'arranger. – Elle attrapa une poignée d'aquil de sa bourse et les glissa dans la paume de son confrère – N'est-ce pas ?
— Eh bien... — Il referma sa main et la soupesa. Son regard balaya l'entrée déserte — Vingt minutes pas une de plus. Légionnaires, ouvrez les portes !
Tricia le remercia brièvement puis traversa pour le portail qui se referma aussitôt derrière elle. Enfin dehors, la légionnaire eut tout le loisir de remonter l'enceinte. À l'affût du moindre bruit, elle s'enfonça peu à peu dans les bois. Et si jamais il avait décidé de ne pas venir ? La question l'assaillit comme un tranchant acéré tandis que son rythme cardiaque s'accélérait à mesure que le temps s'écoulait. Elle s'enfonça entre les grands arbres et prit une grande respiration pour se ressaisir. Intérieurement, elle se mit à répéter le discours qu'elle avait préparé pour l'occasion.
Tandis qu'elle venait dévaler une pente peu prononcée, un buisson se mit à frémir droit devant elle. D'instinct elle porta la main sur le manche de son glaive.
— Alren, c'est toi ? lança-t-elle aux fourrées.
Les fougères s'animèrent de nouveau, mais à revers cette fois-ci. Tricia voulut se retourner, consciente du danger, commença à dégainer son glaive. Un objet lourd et cylindrique heurta de plein fouet son casque. Elle tituba, assommée par la violence du choc. Un croc-en-jambe fulgurant la fit défaillir pour de bon et elle chuta. Son casque se fracassa de nouveau, cette fois-ci contre un amas de pierre. Au sol, Tricia bascula dans l'inconscience tandis qu'on l'attrapait par les jambes pour la traîner. Elle entendit vaguement les échos de deux voix, masculine et féminine, avant de sombrer pour de bon.
3
— Alors tu as réussi à trouver quelque chose d'utile ?
Alessia ouvrit les yeux, retira sa dextre posée sur le front de la légionnaire avant de se relever. Étendue au sol, Tricia Carentis dormait profondément, délestée de ses armes et de son casque endommagée. Andronikos l'observait à quelques mètres de là, adossé à un tronc d'arbre.
— Plus ou moins, je sais où se trouve nos compagnons, rétorqua la jeune femme.
— Pourquoi je sens que la suite ne va pas me plaire ? lança le Karthagène, amer.
— Ils sont retenus dans une grande tente noire, presque en plein milieu du castrum. Comme je m'en doutais, vu la taille du campement, on a affaire à une cohorte impériale.
— Ça équivaut à combien d'hommes ça ?
— Six cents, sans compter l'intendance et la garde du Tribun.
— Misère de Kraken, autant se jeter d'une falaise tête première ! C'est plus que le triple des Foudres de guerre... Et on va se jeter droit dans la gueule du loup ?
— La plupart de légionnaires sont en permission et les prisonniers sont peu gardé pour le moment. On doit agir maintenant.
— Bien, j'imagine que nous avons plus le choix, soupira le Karthagène tandis qu'Alessia commençait à délester la légionnaire de son uniforme. Si on nous perce à jour, je ne donne pas cher de notre peau.
La jeune femme retira méthodiquement chaque partie de l'armement imperatii et rapidement la décurion Tricia Carentis se retrouva dans le plus simple appareil au cœur du petit bois qui bordait le castrum. Andronikos s'éloigna pour surveiller les alentours tandis qu'Alessia se changeait. Quand il revint sa hauteur, la Foudre de guerre avait tout du parfait légionnaire, lorica et ceinture d'officier par-dessus la tunique longue et cape de couleur réglementaire, brassards et bottes comprises. Seul contrastait sa longue chevelure rousse qu'elle tâcherait de cacher sous le casque aux longues paragnathides et au cimier vertical garnis de crins de cheval bleu et écru.
Alessia s'approcha d'Andronikos et lui tendit Crépuscule et Aube, qu'elle avait détaché de son propre ceinturon. Une fois ces dernières en place sur leur nouveau propriétaire temporaire, elle déroula une corde courte et s'attela à lier les mains du Karthagène sur le devant.
— Tu ne te sens pas à l'étroit sous cet amas d'acier ? Entre la cuirasse et ta cotte en dessous de la tunique... l'interrogea-t-il une fois correctement entravé. Je n'ai jamais compris l'attrait des vôtres pour tout cet attirail.
Elle considéra du regard son compagnon basané aux vêtements larges et colorés, seulement protégé par quelques pièces de cuir souple. C'était le premier de son ethnie qu'elle côtoyait vraiment, les étrangers méridionaux plutôt rares au nord des Saints-Royaumes.
— Je ne la sens presque pas, comme une seconde peau. Question d'habitude mais j'imagine que les contrebandiers de la Baie des Corsaires ont leur préférence, eux aussi.
— Le Grand Astre favorise nos terres, et plus d'un homme de fer a fini avalé par les flots d'azur de l'Abondance.
Alessia dégaina le glaive et posa son fil aiguisé sur la carotide de la légionnaire assoupie.
— Tu ne comptes pas la tuer tout de même ? s'insurgea Andronikos. Elle ne risque pas de se réveiller de ci-tôt, non ?
— Je croyais que c'était la manière de faire des Foudres de Guerre, je me trompe ?
— Je ne suis pas un Drengir, Alessia. Au sud, le Créateur nous enseigne que chaque vie à son importance. Cache-la dans un buisson, cela suffira.
Même si elle n'était pas totalement d'accord, Alessia ne tergiversa pas davantage, faute de temps. Une fois la légionnaire à l'abri, ils se mirent en route, le Karthagène en tête, menacé par l'épée dégainée de la jeune femme. Ils émergèrent rapidement des bois et commencèrent à remonter l'enceinte pour arriver jusqu'à l'entrée Est du castrum. Revêtir de nouveau l'uniforme impériale fit ressurgir en Alessia bien des souvenirs du passé, de sa vie d'avant, quand elle cherchait un but à son existence. Pendant des années, la Legio avait été sa seule famille, lui fournissant le gîte et le couvert. Elle avait préféré rejoindre l'armée plutôt que de vivre une vie de misère à voler dans les rues malfamées des bourgs d'Arthédas. Malgré son jeune âge, un individu aussi débrouillard qu'elle ne mit pas longtemps avant de se faire remarquer et gagner une place au sein de l'Ordre Équestre.
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