16 - La Déesse sombre (3/3)
— Cet homme... Il s'agit du Sire Valderiate, n'est-ce pas ? Que lui est-il arrivé ? lança Alessia à la noble toujours de dos. A-t-il conscience même de votre hérésie ?
— Mon hérésie ? En quoi cela concerne une vulgaire roturière ?
— Je sais reconnaître les conséquences d'une possession démoniaque quand j'en vois. Et je sais que ma dague est bien plus qu'une lame fantaisiste. Les apparences sont parfois trompeuses, vous-même pouvez en témoigner.
— Et que sais-tu de ce genre de choses ? rétorqua Arminia tout en rejoignant à nouveau sa prisonnière. Elle venait de capter son attention. Tu cesses donc de jouer l'ingénue, maintenant ?
— Oui, en tout cas le bûcher serait le plus doux des châtiments que pourrait réserver l'Inquisitorium à vous et à votre mari. Confessez vos crimes et je saurais me montrer clémente.
— C'est un drôle de discours pour celle qui se tient du mauvais côté des fers. C'est eux qui t'envoie c'est ça ? J'aurais dû m'en douter ! Jamais je ne laisserais ces idiots se mettre en travers de ma route une fois de plus ! Depuis des années, nous les Valderiate faisons honneur aux Impies. Cet Empereur pathétique de Nérev n'est rien face à l'Assemblée du Chaos. Dans notre dévotion, mon mari reçut l'honneur d'abriter l'une des âmes immortelles en lui. Un fidèle de l'Éternel. Le dæmon s'est gaussé de nous et de notre amour envers son maître. Ses travers ont attiré un exorciste accompagné d'un groupe de répurgateurs. Cela nous arrangeait en fin de compte. Le bannissement fut un succès malgré la mort du clerc et de ses hommes de main. Un seul d'entre eux eut le malheur de survivre. Alors qu'il tirait son glaive pour achever mon mari aux portes de la mort, je l'égorgeai par surprise. J'ai ensuite décidé qu'il était temps pour nous de quitter la cité.
— Pourtant votre foi en l'Impie semble inchangée malgré ce malheureux évènement. Vous n'êtes pas mieux que des esclaves !
La gifle fut violente bien que peu en comparaison des coups qu'avait subis Alessia par le passé. Elle ne détourna pas le regard, attisa la haine dans les prunelles de la cultiste.
— Une profane ne peut comprendre. Nous sommes de plus en plus nombreux en ces terres. Nous nous sommes tournés vers la seule qui méritait notre dévotion, la Déesse Sombre, A'Slaan ash undarlur. Nos cadeaux prouveront notre mérite. Grâce à elle nous renaîtrons en tant que transcendé.
— Je ne vois qu'une illuminée pathétique et soumise, jouet d'une puissance qui la dépasse.
— Assez salope de l'Imperatora ! Toi aussi tu vas contribuer à amorcer notre envol. L'heure du rituel est venue. Je vais entailler ta chair si profondément que tes os seront à découvert. J'offrirais ta chair à la Déesse et m'en repaîtrai. Ensuite ta peau d'albâtre comblera tous nos désirs charnels.
Alors qu'Arminia s'apprêtait à tourner les talons pour mettre sa menace à exécution, elle s'arrêta immédiatement. Le tranchant de la dague cérémonielle d'Alessia menaçait sa gorge déployée. La haine et la colère se déversèrent pour de bon dans le faciès de la cultiste. La Foudre de guerre resta impassible, sûre d'elle, Alessia fit danser dans les airs la lame mortelle.
— Tu vas m'écouter attentivement, hérétique. Je ne te donne qu'une poignée de secondes pour me libérer de mes chaînes. Refuse et c'est ton âme qui basculera en Nedhin.
— Qui es-tu ? Tu crois vraiment que je redoute la mort ? Si tu es de l'Inquisitorium alors tout est déjà fini pour nous.
— Obéis femme !
Alessia foudroya Arminia d'une puissante frappe psychique. La noble tomba à la renverse et se recroquevilla sur elle-même, sa tête immergée dans un océan de douleur. Seule la peur prédominait en elle maintenant.
— Si tu ne me libères pas tout de suite, je jure que la folie s'empara de ton être avant que la mort ne termine le travail.
La cultiste se mit à ramper, le visage en larmes. Elle se releva tout doucement tandis qu'Alessia réduisait l'intensité de son emprise, proche de la limite de son kaës. Purger la toxine de son organisme s'était révélé bien plus épuisant qu'escompté. Arminia s'exécuta, déverrouillant les menottes qui entravaient les jambes et les bras d'Alessia. Libre de se mouvoir, la Foudre de guerre assena un coup du droit dans le faciès de la cultiste, l'attrapa par le col de sa robe et la projeta contre l'une des étagères. Elle s'encastra dans le bois avec violence, assommée.
La jeune femme la tira de nouveau vers elle et entreprit de la délester de sa robe écarlate, juste retour de chose après ce qu'on lui avait fait subir. De plus elle éviterait d'attirer l'attention sur elle-même, les serviteurs ne manqueraient pas de la confondre avec leur maîtresse. Elle s'empara aussi de ses sandales, n'ayant guère le temps de partir à la recherche de ses propres effets personnels. Une fois vêtue, Alessia dévisagea du regard Arminia, la cultiste, affalée sur les débris de l'étagère, reprenait peu à peu conscience. Un simple coup de son poignard suffirait à recouvrir le sol de son sang, puis elle mettrait fin à la misérable existence de son mari. À moins que le feu ne soit le seul remède pour purger l'hérésie des Valderiate ?
Alessia émergea de la pièce quelques minutes plus tard, capuchon rabattu, se retrouvant dans le sous-sol de la villa, face à la porte qui donnait sur les bains. Elle serra le poing, réfrénant la rage qui s'acharnait à enténébrer ses pensées, comme à chacune de ses utilisations intensives de l'æther, jusqu'au moment où après avoir succombé, laisserait place un intense vide. Le vide auquel elle aspirait, celui qui lui avait permis de tenir le coup après la perte des Lames de Castell. Ainsi le couple Valderiate demeurait sain et sauf, une mort rapide trop douce pour de tels monstres. Elle avait tout de même pris soin d'harnacher Arminia à son propre mécanisme de torture pour l'obliger à se tenir tranquille.
Alessia regagna le rez-de-chaussée qu'elle traversa en un éclair jusqu'à l'entrée de la villa. Le garde du séjour avait quitté son poste et les quelques serviteurs se retournèrent à peine sur elle à son passage. Dehors, elle remarqua qu'Astalyone ne tarderait plus à se coucher. Se dirigeant droit vers la grange où se trouvait les sacs de grain, elle lança son esprit à la recherche de Marjolaine. Tandis qu'elle progressait, elle ne tarda pas à découvrir l'écho de l'aura de la cabrioleuse, à l'intérieur de la longère, dans l'aile où logeait la garnison. Elle lui fit parvenir un unique message : Préviens Vaiyn, dit lui de se mettre immédiatement en route. J'arrive.
Sans se préoccuper des paysans encore occupés à terminer leur besogne du jour, Alessia pénétra à l'intérieur de la grange et commença à fouiller parmi les sacs de grains. D'un coup de dague, elle éventra l'un des plus gros, identifié par une tâche blanche. Des céréales, elle extirpa les dæmorias dans leur fourreau ainsi que l'épée courte et l'arc d'Ervin. La voix de la cabrioleuse fit tout à coup irruption dans l'esprit de la Foudre de guerre.
Dépêche-toi, ce sale porc de chevalier vient de prendre Ervin avec lui à l'étage. Je doute qu'avec son frêle gabarit il puisse longtemps lui résister.
Alessia attrapa un sac en toile vide et y fourra les armes, ceci fait, elle repartit dans le sens inverse, en direction de longère.
Combien sont-ils en bas avec toi ?
Trop pour que tu puisses faire irruption et t'en débarrasser sans prendre le moindre de risque, poursuivit la cabrioleuse. Ils me prennent encore pour une simple petite fille et exigent que je leur serve à boire. Je n'aurais aucun mal à échapper à ces ivrognes.
J'arrive derrière la longère. Attends mon signal avant d'agir.
Alessia grimpa le long de la façade en pavé de pierre qui constituait la cheminée sans la moindre difficulté malgré la robe, ses muscles renforcés par l'æther. Arrivée sur un préau de petite taille et aux tuiles d'ardoise qui servait d'abri aux bûches en contrebas, elle se glissa adroitement jusqu'au mur supérieur. Épousant la façade en torchis, elle avança à tâtons sur le colombage en bois qui la mènerait jusqu'aux rangées de fenêtres de l'étage. Enfin à portée, elle glissa ses doigts entre les volets en bois pour les entrouvrir et jeta un regard dans le couloir à peine éclairé. Personne en vue. La Foudre de guerre se faufila à l'intérieur sans un bruit. De l'escalier central, émanait un florilège de rires gras et festifs, accompagné du fracas des chopes qui s'entrechoquent. Mais derrière la porte qui faisait face à Alessia, à l'étage, un tout autre spectacle se déroulait. Elle posa son oreille contre le battant et perçu une bordée d'insultes ainsi que le bruit du bois qui se brise. La jeune femme tourna la poignée le plus silencieusement possible.
— Espèce de sale petit fripon, tu vas te tenir tranquille ? vociféra Simus avant de bondir.
Ervin se trouvait à l'autre bout de la pièce, un tabouret en guise d'arme improvisé brandit pour tenir en respect son agresseur. Le gros chevalier l'arracha d'un revers de la paume, de l'autre il attrapa le freluquet par sa tignasse blonde et le projeta contre le mur. Alessia se faufila telle une ombre, elle avait besoin d'une arme pour se débarrasser de l'eques imperatii. Elle avait dû se délester du sac d'armes avant de grimper et n'avait pu conserver que sa dague en os. Mais si jamais elle ratait son coup, Simus ne manquerait pas d'appeler ses camarades à la rescousse. Il lui fallait un autre moyen.
Le chevalier repartit aussitôt à l'assaut, attrapant Ervin par la nuque, il le força à se mettre à quatre pattes au bord d'une lit modeste, appuya sur sa colonne vertébrale pour qu'il se cambre. Alessia aperçut une corde tressée, posé sur le coin d'une commode.
— Tiens-toi tranquille petit oisillon et ça fera moins mal. – D'une main, il déboucla sa ceinture puis de l'autre arracha les braies du freluquet – Tu vas voire ce n'est pas si douloureux en fin de compte, t'y prendras même peut-être plaisir. – Il fit émerger sa virilité tendue du dessous de son pantalon. – Mais bon sang, que caches-tu entre tes jambes ? – Il cracha sur sa main calleuse et commença à la glisser - Montre-moi !
Trop préoccupé par sa besogne, l'approche d'Alessia dans son dos n'alerta aucun de ses sens. La corde s'enroula autour de son cou gras comme un bœuf. La Foudre de guerre tira, le chevalier tituba en arrière, piégé dans l'étau mortel. Il essaya de se débattre, agitant ses bras vers l'arrière pour atteindre son agresseur. Malgré sa force, il ne pouvait rien face à la puissance du Don. Alessia, intraitable, ne céda à aucun moment. Au même moment elle donna l'ordre à Marjolaine de passer à l'action.
Tandis que Simus succombait peu à peu à l'asphyxie, le freluquet se releva d'un bond. Faisant fi de sa féminité à nue, Ervin dégaina le glaive accroché à la ceinture du chevalier. D'un coup pénétrant, il l'enfonça dans la trachée grasse de son tortionnaire. Un flot de sang gicla dans la pièce, Simus s'écroula au sol. Alessia relâcha sa prise. À cheval sur l'homme bedonnant, Ervin continuait ses aller-retours de l'épée, son visage rougi par le fluide sanguin.
— Ça suffit Ervin, glissa la jeune femme en lui attrapa le bras. Il a eu son compte. Rhabille-toi. Les autres nous attendent.
Ervin se releva, le regard sombre, et cracha sur la dépouille sanguinolente du chevalier. Vaiyn, n'apprécierait guère la chose, voulant éviter à tout prix les cadavres et les effusions de sang. Ce bâtard l'avait cherché. Les deux comparses se hâtèrent de regagner le couloir, la fumée noire qui commençait à se répandre et le tumulte en provenance du rez-de-chaussée démontraient la réussite de Marjolaine. Ils se glissèrent jusqu'à la fenêtre et se laissèrent en contrebas. La cabrioleuse les attendait à quelques mètres de là, le sac d'armes à ses pieds.
— Ils n'ont rien vu venir ces pleutres ! lança Marjolaine tout sourire. Y en a qui mettront un moment avant de marcher à nouveau sur leurs deux pattes !
Ervin cingla sa lame courte à sa ceinture, prit son arc ainsi que son carquois garni de flèches tandis qu'Alessia s'emparait des dæmorias. De suite, ils se dirigèrent en direction des portes de la propriété. Le premier guetteur, somnolant contre la muraille, n'eut guère le temps de tirer l'acier, un trait transperçant son épaule. Deux autres émergèrent de la tour de guet, alertés par le cri de douleur de leur confrère.
— Ervin, Marjolaine, ouvrez les portes. Je me charge d'eux.
Alessia se jeta vers l'avant, dégaina de concert Aube et Crépuscule. Elle se faufila entre les deux hommes d'armes, l'acier étincelant des dæmorias virevoltant dans les airs. Le premier, pris de vitesse, releva sa garde un instant trop tard. Le tranchant acéré déchira le cartilage de son nez, continua sa route pour tracer un profond sillon le long de sa joue. Le second projeta sa pique vers l'avant tel un dard effilé. Aube l'intercepta en pleine course, d'une torsion du poignet, glissa contre la hampe pour l'écarter, ouvrant la voie à Crépuscule. La lame aux runes cramoisies entailla en diagonale le cuir de son pourpoint clouté. Elle l'acheva d'un puissant coup de pied qui le fit basculer en arrière. Débarrassé de ses adversaires, Alessia revint à hauteur du portail.
La demi-dizaine de membres restant de la garnison venait de rejoindre l'entrée du domaine Valderiate, armés jusqu'aux dents. Alessia les défia du regard, lames vers l'avant, se préparant à conjurer son Don une fois de plus. Derrière elle, les battants des portes s'ouvrirent en trombe. L'instant d'après, le fracas tonitruant d'une trentaine de sabots se répercuta dans toute la propriété. Les cavaliers passèrent en trombe de chaque côté d'Alessia, sabres au clair, pour encercler l'attroupement d'hommes d'armes en infériorité numérique. Vaiyn s'avança en dernier, au petit trop. Juché sur son cheval bai, il s'exclama, théâtral.
— Vous feriez mieux de lâcher vos armes si vous tenez à la vie !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro