13 - Le Fracas des lames (2/2)
Alors que le calme semblait être revenu dans le Fort du Croc, Vaiyn vint à nouveau les chercher et leur ordonna de se placer au centre de la cour. Bien que résolue à donner le plus de mal possible à leurs tortionnaires, Lex intima à Alessia d'obéir. Que recherchait-il par son attitude servile ? Une mort douce ? Une fois en place les brigands commencèrent à former un gros cercle tout autour d'eux. Une centaine d'individus, aux armes et armures hétéroclites, du cuir, de la fourrure, parfois de la maille. Une majorité d'hommes mais parfois quelques femmes, leur regard tous braqué sur les trois Lames de Castell. Gerald le Noir vint les rejoindre et s'adressa à la foule qui devint immédiatement silencieuse.
— Ces gens ont cru pouvoir pénétrer sur nos terres en toute impunité, causer mort et destruction sans en assumer les conséquences. Il n'en est rien. – Il dégaina une grande hache et se mit à faire des cercles autour des prisonniers – Un autre que moi les exécuterait sur le champ. Mais vous savez très bien que nous n'agissons pas ainsi ! Quelle est la première règle que je vous ai enseignée, Foudres de guerre ?
— Seul la force compte ! répondirent tous d'une même voix.
— Ceux de nos frères et sœurs qui sont tombés sous leurs coups n'étaient que des faibles, incapables de défendre leur vie ! Remercions ces gens car ils nous ont permis de purger nos rangs de la vermine qui y grouille ! Ils ont fait preuve de force et ont mérité notre respect. Ainsi nous procéderons comme nous avons procédé à chaque reprise. Enfin sauf pour celui-ci — Il pointa le bout de sa lame sur la gorge de Rodan — Lui je m'en occuperai personnellement. C'est un ami de longue date, un frère que je croyais perdu. Quant aux deux autres, eh bien il est temps de faire parler l'acier. Un seul d'entre vous aura la chance de rejoindre nos rangs. Vaiyn restitue-leur leurs armes. Ni pitié, ni remords, que le sang coule ! Que le fort se débarrasse du faible !
La foule exultait. Gerald fit signe à deux de ses hommes de s'emparer de Rodan pour le mener hors du cercle. Puis Vaiyn passa entre les deux Lames de Castell et déposa Crépuscule et la rapière de Lex au centre de l'arène improvisée puis s'éloigna en compagnie de son seigneur.
— Qu'est-ce qui nous oblige à participer à cette mascarade ? Nous ne sommes ni tes servants ni tes jouets, Seigneur bandit, lança Alessia à ce dernier de dos.
— N'accordes-tu donc aucune importance à ta propre vie ? rétorqua Gerald après s'être arrêté. Alors tu ne vois aucun problème à ce que j'ordonne à mes guerriers de vous réduire en charpie sur le champ ?
— S'il en est ainsi, oui. Je ne crains pas la mort. Ma propre existence ne vaut pas la peine que je m'incline devant des raclures comme vous.
— Courageux mais idiot. Cependant je ne pense pas que ton compagnon soit du même avis.
Alessia tourna la tête en direction de son capitaine. Il s'empara du manche de sa rapière. Qu'a-t-il en tête ? Il essaye de gagner du temps ? Lex s'avança, lame vers le bas, ses prunelles grises ne laissaient transparaître aucune émotion. La mercenarii recula d'un pas sans s'en rendre compte. Elle vit à peine le tranchant de la rapière fendre l'air.
Le sang coula avant qu'elle ne prenne conscience de la douleur qui vint se saisir du flanc gauche de son visage. Juste à quelques centimètres de son œil. Lex arma une nouvelle frappe. La montée d'adrénaline, la sensation de danger extrême, eut l'effet d'un électrochoc sur l'esprit d'Alessia. Elle se jeta sur le côté, la lame percuta de plein fouet son épaule, arrêté par la cotte en astelryte. En même temps, la foule de brigands se mit à s'époumoner de plus belle.
La mercenarii se releva aussitôt. À mi-chemin, Lex la cueillit d'un puissant coup de pied dans les côtes. Elle s'étala au sol, le souffle coupé. La douleur reprit le dessus. Lex, la toisant du regard, fit de nouveau un pas vers elle et leva de nouveau la rapière, prêt à donner le coup de grâce. Le capitaine des Lames de Castell ne jouait à aucun jeu se rendit compte Alessia. Son frère, son compagnon et peut-être même plus. Tout ceci n'avait plus aucune espèce d'importance. Il était prêt à prendre sa vie pour sauver la sienne.
La mercenarii se jeta sur les jambes de son adversaire avant que la rapière l'atteigne à nouveau. Elle cessa de réfléchir et fit appel à la seule chose qui lui restait. Son instinct de survie. Elle percuta de plein fouet Lex qui trébucha. Profitant de l'ouverture, elle se mit debout avant lui et courut au centre de l'arène. Elle attrapa Crépuscule, et d'un mouvement circulaire para la frappe haute de son capitaine qui surgit aussitôt dans son dos. Elle put enfin passer à l'offensive.
Les encouragements des Foudres de Guerre gagnèrent en intensité. Les deux adversaires se rendirent coups pour coups, sans qu'aucun d'entre eux ne prennent l'avantage, échangèrent frappes, parades puis ripostes. Alessia avait un léger avantage de vitesse tandis que Lex compensait par une plus grande force. Mais leur niveau s'équivalait et les deux combattants seraient bientôt à bout de force si l'affrontement s'éternisait trop. Alors que la mercenarii forçait son capitaine à rester sur la défensive après une nouvelle contrattaque, elle remarqua que le ricasso de sa lame commençait à se fissurer. L'usage de la rapière nécessitait rapidité d'exécution et finesse, efficace pour transpercer les points vitaux de l'adversaire en quelques coups. Une arme noble taillée pour le duel, légère, fine et fragile. En comparaison, Crépuscule était bien plus lourde et massive mais aussi plus solide.
Alessia changea de tactique, plutôt que de toucher Lex, elle chercha à atteindre le plus possible la rapière. Elle frappa à plusieurs reprises, les épées s'entrechoquant avec fracas. Le capitaine des Lames de Castell tenta le tout pour le tout, d'une botte astucieuse il se projeta en avant, sure d'atteindre la gorge de la mercenarii. Alessia fut la plus rapide, à la dernière minute elle intercepta la lame d'un revers oblique de Crépuscule. La rapière se brisa en mille morceaux.
Prise dans son élan, elle leva de nouveau la dæmoria pour donner le coup de grâce. Alessia croisa le regard de Lex. Elle arrêta son bras en pleine course. L'espace d'un instant son esprit se mit à douter. Était-elle capable de le tuer ? Était-ce l'unique solution ?
Lex se jeta sur elle. Prise par surprise, Alessia s'écroula à terre et lâcha Crépuscule. Il se mit ensuite à califourchon sur elle, écrasa de tout son poids le bas de son corps. La mercenarii agita bras et jambes pour se débattre. Sans grand résultat, sa simple force ne suffirait pas face à son capitaine. Des deux mains il commença à enserrer sa gorge blanche. Derrière le cercle de bandits enjoignait Lex d'en finir une bonne fois toute, tandis que d'autres réclamaient un sort plus adéquat pour une telle putain. De toutes ses forces, Alessia se mit à gratter la terre tout autour d'elle. L'asphyxie ne tarda pas la gagner. Les secondes semblèrent de longues minutes. Lex finit par fermer les yeux, incapable de supporter la lente agonie d'Alessia. Il prit une grande respiration, poussa un cri et serra encore davantage.
La vision de la mercenarii se recouvrit d'un voile de ténèbres, ses membres lourds et engourdis. Puis elle se sentit très faible et presque légère. Elle distinguait à peine le visage de son capitaine. Était-ce des larmes qu'elle entrapercevait ? Soudain sa paume se referma sur quelque chose de lourd et dur. Elle n'hésita pas un seul instant. La pierre percuta de plein fouet la tempe de Lex. Il relâcha sa prise. L'air revint dans ses poumons, elle se mit à tousser. À moitié assommé, son capitaine ne réagit qu'avec lenteur. Le deuxième coup brisa sa mâchoire et le troisième le fit tituber en arrière. Alessia s'extirpa de l'étreinte, se releva et attrapa Crépuscule. De sa pointe elle menaça aussitôt Lex.
Quelque chose venait de se briser à l'intérieur d'elle. Le misérable capitaine des Lames de Castell était recroquevillé sur lui-même, la face sanguinolente et tordue de douleur, l'œil droit fermé et la pommette renfoncée vers l'intérieur. Elle l'obligea à le regarder une dernière fois. Elle lut une peur profonde en lui. Lex se mit à gémir et à ramper.
— Pitié, pitié. Je t'en supplie pitié...
Il était trop tard pour cela. Une grande colère s'immisça en Alessia, une envie pressante et puissante. Elle se souvint de sa confession de la veille. Il s'était servit d'elle, avait fait sorte que ce soit elle qui prenne le plus de risque à chaque nouvel obstacle. Le désir de tuer et d'en finir une bonne fois pour toute. Son être réclamait vengeance, une vie à prendre pour mettre fin à la douleur. Trahie et blessée. Pourtant la mercenarii ne succomba pas. Elle se détourna de Lex et son regard parcourut l'assemblée de Foudres de Guerre.
— Jamais je ne serais le jouet de vos idéaux stupides ! Je trace ma propre voie ! Je l'ai vaincu, il n'a pas besoin de mourir. Maintenant tenez parole !
Alessia tomba à genoux sans même comprendre ce qui lui arrivait. Elle toucha sa gorge et regarda sa main se recouvrir de sang. Lex debout lui faisait face, un fragment de sa rapière entre ses doigts. Elle s'écroula comme un château de cartes. Elle entendit la percussion d'une corde tendue suivie d'un bruit sifflant. Le carreau d'arbalète transperça la poitrine de Lex qui tituba à son tour. Les sons devinrent vagues et lointains.
— Pourquoi es-tu intervenu, malheureux ?
— Elle est bien trop importante pour qu'on se permette de la perde, Seigneur Gerald. C'est une æthérian.
Alessia cessa pour de bon d'écouter. Allongée en face de lui, elle toucha du bout des doigts la main de celui qui fut le capitaine des Lames de Castell. Elle avait fait preuve de faiblesse. Elle se fit le serment de ne plus jamais reproduire la même erreur. Puis elle ferma pour de bon les paupières et accueillit la mort avec joie.
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