13 - Le Fracas des lames (1/2)
Alessia reprit conscience, allongé en plein milieu de la passe qui menait jusqu'à l'entrée du Fort du Croc. Ses oreilles bourdonnaient, sa vision trouble, ses membres douloureux et recouverts d'ecchymoses. Le souffle de l'explosion l'avait touché de plein fouet malgré la distance. Elle avait basculé dans le vide et s'était rattrapé in extremis par miracle. Puis elle avait trouvé la force de se hisser puis avait rampé avant de s'évanouir.
Elle sentit des pas se rapprocher. Deux individus, réussit-elle à déduire malgré ses sens engourdis. Cela n'avait aucune importance, elle était trop faible pour opposer la moindre résistance. On l'attrapa par les épaules pour l'aider à se mettre debout. Alessia battit des paupières et sa vision finit par redevenir lisible. Elle reconnut de suite le gilet matelassé déchiré de son sauveur.
— Tu es encore capable de marcher Alessia ? l'interrogea Lex. Sacré explosion.
— Oui, oui. Ce n'est juste que des égratignures. Laisse-moi le temps de reprendre son souffle.
La mercenarii s'écarta de son capitaine et tourna le chef en direction du corps de garde. Du portail et du chemin de ronde entre les deux tours de garde ne restait plus qu'une large ouverture béante et un champ de débris. Une longue colonne de fumée noire s'élevait dans les cieux depuis les ruines. Rodan se tenait juste à côté d'Alessia, une vilaine balafre couturant sa joue droite. Lex n'était guère plus présentable, sa chevelure désordonnée et moite, son visage sali par le sang et la sueur, un hématome sur l'arête de son nez.
— Où est Kor ? demanda tout à coup la mercenarii.
— Il ne s'en est pas sortie. Les Foudres de guerre étaient trop nombreux. Il s'est jeté dans la mêlée pour les empêcher de nous suivre en dehors des murs. Chivéric et Eralf ne nous ont jamais rejoints, ils ont dû être pris à revers... Et Frolos ?
Il a été blessé lors de l'affrontement, c'était trop grave pour qu'il puisse survivre. Il a préféré rester et faire sauter lui-même le corps de garde.
— Je ne pensais pas que cette canaille puisse être un jour capable d'un tel courage... Des imprévus en route ?
—Ils ont un apostat parmi eux, on a réussi à le repousser in extremis. Il était là aussi lors de l'attaque de l'avant-poste. Je ne sais pas comment mais il a réussi à s'enfuir et à effacer sa présence de ma mémoire. Je ne m'en suis souvenu qu'en lui faisant de nouveau face.
— Merde, c'est mauvais ça. Ça veut dire qu'ils sont au courant de la présence des mïsthyari dans les Terres Sauvages. Nous ferions mieux de déguerpir au plus vite, avec cette explosion je pense que Daguefilante peut se passer de signal de notre part.
Le groupe décimé des Lames de Castell se mit aussitôt en route. L'opération avait coûté de nombreuses vies, de trop nombreuses vies. Pour un succès en demi-teinte. La première enceinte était toujours aux mains des Foudres de Guerre bien que plus difficile à défendre à présent le portail effondré. Ils avaient causé des pertes dans les rangs des brigands mais d'un nombre bien dérisoire. Que penserait Daguefilante de leur entreprise, elle qui avait exigé de rester en arrière pour avertir les troupes de l'Exarch ? Une fois de plus elle est restée dans l'ombre, avançant ses pièces sans se salir les mains, ne pouvait s'empêcher de ressasser Alessia en silence. Si ses frères y étaient restés, c'était en grande partie de sa faute. Elle avait envoyé les Lames de Castell à la mort. Alors que le groupe s'apprêtait à entamer la descente du Croc un grand brouhaha se répandit dans toute la falaise.
— Des cavaliers, en grand nombre, énonça Rodan. Ils seront là d'une minute à l'autre.
— Ce sont les mïsthyari ? s'interrogea Lex. Ils ont dû entendre l'explosion depuis la vallée.
— Impossible, rétorqua Alessia. Il est trop tôt. Non, c'est eux.
Il fallait qu'ils réagissent immédiatement. La mercenarii parcouru du regard le paysage rocailleux et plat. Pas une cachette, les bois en contrebas bien trop loin. Ne restait que deux alternatives : faire demi-tour ou se jeter le vide. Peut-être était-ce la solution, envisagea Alessia. On pourrait s'accrocher le long de la falaise et attendre que la horde passe. Ils ne nous remarqueront pas. Elle fit signe à ses compagnons de la suivre jusqu'au bord du précipice. Là sur le flanc droit, la roche avait créé un petit renfoncement dans la falaise. Ils pourraient y tenir à trois à condition de se serrer et que la pierre supporte leur poids.
Alors que la mercenarii jetait un regard pour vérifier l'avancée de la troupe de cavaliers, elle entraperçu une ombre se faufiler derrière elle. Elle glissa sa main jusqu'à sa ceinture et voulut prévenir Rodan et Lex du danger immédiat. Trop tard. L'æthérian se tenait dans son dos, d'une main il menaçait la gorge d'Alessia du tranchant de la dague qu'il venait de lui subtiliser, de l'autre braqué l'arbalète sur le capitaine des Lames de Castell.
— La fête est finie, on ne bouge plus, déclara l'homme au foulard. Alors que Rodan hésitait à attraper sa hache de guerre, il ajouta : Je peux tuer deux d'entre vous si l'envie me chante. Jetez vos armes au sol, tout de suite.
Les Lames de Castell s'exécutèrent de suite sans rechigner. Alessia voulut faire appel au Don pour se libérer mais elle en était incapable. Elle était incapable d'esquisser le moindre geste. Elle sentait le pouvoir de l'æthérian faire pression aux portes de sa psyché. Une morsure glaciale qui anesthésiait sa volonté de combattre et ses sens. Ils restèrent ainsi en chien de faïence pendant de longues minutes. Finalement la horde de cavaliers finit par arriver à leur hauteur.
Juché sur son cheval blanc, ce fut l'homme en tête de fil qui descendit en premier. Une fois pied à terre, il dépassait aisément les deux mètres. Les plaques d'acier et la maille qui recouvraient son torse ne faisaient qu'accentuer sa carrure déjà impressionnante. Il rabattit le capuchon de son grand manteau. Un faciès austère et triangulaire, presque aussi pâle que la neige, chevauché d'une crinière noire grisonnante hirsute. Ses deux yeux, d'un bleu clair aux nuances d'améthyste, foudroyèrent sur place les trois rescapés des Lames de Castell. Un Drengir de sang pur dans lequel coulait le sang de l'ancienne Borée. Un rescapé d'une race ancienne, maintenant éteinte. L'æthérian recula, ordonna à ses captifs de se mettre à genoux puis s'inclina à l'arrivée de son chef.
— Eh bien qu'avons-nous là ? – Il passa devant chacun d'entre eux – Ce sont les seuls rescapés, Vaiyn ?
— Oui Seigneur Gerald, répondit l'homme au foulard. Les autres sont tous morts. Je m'en suis personnellement assuré. Ils ont réussi à faire sauter le corps de garde malgré notre vigilance.
— Quelle est l'étendue des dégâts ?
— Le portail s'est effondré et a enseveli certains de nos hommes. Harbard est déjà en train de dégager la voie. Cela ne devrait pas prendre longtemps.
— Ce vieux sorcier sait se rendre utile quand ça l'arrange. – Le seigneur brigand tourna le chef et s'adressa à quelqu'un plus en retrait – Nous avons bien fait de suivre ton plan.
L'intéressé s'avança à son tour, arc de chasse à l'épaule et cuirasse matelassé trop grande pour sa modeste carrure. Le sang d'Alessia ne fit qu'un tour. Il s'agissait d'Ervin. Sous bonne garde, des mïsthyari comment avait-il fait pour rejoindre aussi vite Gerald le Noir et ses hommes ? Le gringalet les avait manipulés à sa guise en jouant les agents doubles.
— Sale traître ! cracha la mercenarii.
Elle se leva et voulut se jeter sur le jeune garçon. Vaiyn l'attrapa par la nuque et la força à s'agenouiller de nouveau. Ervin resta stoïque, bien qu'évitant au maximum le regard des Lames de Castell.
— Vous êtes bien naïf. Vous pensiez pouvoir vous introduire sur mes terres en toute impunité ? Vous ne ressembliez pas à nos visiteurs habituels, c'est pour cela que le petit a jugé bon de se rapprocher de vous. Ces hommes du sud en armure étincelante auraient pu être une sacrée épine dans notre pied. Ils attendaient dans la vallée, nous les avons pris à revers. Ces pleutres ont aussitôt détalé la queue entre les jambes. Personne ne viendra vous sauver, mercenare.
Le seigneur des brigands remonta en selle après ces derniers mots puis fit signe à la horde de reprendre la marche. Vaiyn ordonna aux trois captifs de se relever et de marcher en file devant lui.
— Si tu as une idée pour nous sortir de ce pétrin, Lex, c'est maintenant ou jamais, chuchota Alessia.
— C'en est fini de nous. Il n'y a plus rien à faire...
Ils arrivèrent devant les portes du Fort du Croc. La fumée s'était dissipée et les débris qui obstruaient le portail avaient disparu. Aussi rapidement ? Il aurait fallu des heures et bien des bras pour dégager ne serait-ce qu'un modeste passage. La horde se faufila entre les deux tours de garde avant de se rassembler dans la grande cour.
Un vieillard au teint blafard les attendait au centre de celle-ci. Il portait une tenue rapiécée, amalgame de cuir et de peau raccommodée et s'appuyait sur un grand bâton aux extrémités noueuses. Une vilaine cicatrice scindait en deux la partie droite de son visage. Des cheveux rêches d'un gris délavé lui encadraient son faciès et une barbe fournie lui mangeait les joues. Alessia perçut de suite le Don qui rayonnait de tout son être. Un second apostat, avec un talent certain pour la télékinésie, ce qui expliquait le prodige de tout à l'heure. Pourtant son aura était semblable à celle qu'elle avait ressenti quand Vaiyn s'était jeté sur elle dans l'enceinte du corps de garde. Comment était-ce possible ? Elle n'y comprenait plus rien.
Vaiyn les fit aligner elle et ses compagnons devant la muraille intérieure. Ils restèrent ainsi immobiles et sous bonne garde pendant plus d'une heure. Petit à petit les Foudres de Guerre s'agitèrent tout autour d'eux, les nouveaux arrivants déchargeant leurs prises. Puis certains d'entre eux commencèrent à concevoir un bûcher de fortune tandis que d'autres rassemblaient les cadavres en tas. Elle reconnut les corps sans vie de Kor, Eralf et de Chivéric. Son regard passa ensuite sur ses compagnons encore en vie. Elle n'y trouva nul réconfort. Lex se contentait de regarder le sol, abattu et brisé. Quant à Rodan, il n'avait jamais quitté des yeux Gerald le Noir depuis son entrée en scène. Alessia sentit le désespoir de son capitaine la contaminer peu à peu. Aucune échappatoire. Ses armes, son Don, la providence, rien ne pourrait venir à son secours cette fois-ci.
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