11 - Les Mïsthyaris (3/3)
Alessia s'arrêta tandis qu'un homme trapu arrivait en face d'elle. Barbe noire et tatouages runiques, sourcils broussailleux. Rodan. Elle ne put s'empêcher de lui sourire malgré son humeur sombre.
— Je vois que le sang de Jör bouillonne en toi, petite. Qui a donc eu la maladresse de s'attirer tes foudres ?
— Oh rien, Rodan, c'est juste Daguefilante. Je suis contente de te voir. Comment va ton épaule ?
— C'est du passé, grâce à cette étrange petite femme, Elvander. Elle m'a soigné, la douleur et la gêne se sont envolées.
— Tant mieux. J'ai appris que les mïsthyaris t'avaient interrogé.
— Oui et je ne pensais pas revoir de mon vivant la garde dorée d'Illyr. Surtout après avoir entendu ce nom après tant d'années.
— Tu parles de Gerald le Noir. C'était donc vrai, tu le connais...
— Viens. — le Nordien lui fit signe de poursuivre sa marche à ses côtés — Lorsque je t'ai parlé de mon passé, je ne t'ai pas dit toute la vérité. J'étais bel et bien un bandit, mais pas que. Comme tu sais, il y a vingt ans, les contrées du Nord, l'Arthédas et la Borée occupée se sont enflammées après l'incident de Steinsvart. Partout les Nordiens se révoltèrent et formèrent les Hordes Drengirs. Je fus l'un d'entre eux. Nous étions jeunes, nous ne rêvions que de liberté et aspirions à une gloire semblable à celle des guerriers d'antan. Face à l'envahisseur du Sud. J'ai servi sous de nombreux chefs de guerre et vu maints de mes camarades sacrifier leurs vies. En vain, car notre cause était perdue, nous étions trop faibles et les Saints-Royaumes trop puissants. En fait, nous nous mentions à nous-mêmes, il ne s'agissait que d'une sorte de baroud d'honneur pour gagner le respect de nos ancêtres dans l'Au-delà. Mais d'autres ne se complaisaient que dans la mort et le pillage. Gerald le Noir était l'un d'entre eux. C'est sous le service d'Harkonn que je fis sa connaissance. Lui, il n'était pas qu'un simple renégat d'Arthédas, un vrai fils du Nord, un descendant des Jörunn d'autrefois. Nous avons écumé les terres de l'Est jusqu'à tomber sur plus fort que nous. Les mïsthyaris d'Illyr. Une seule et unique sanglante bataille qui se solda par la mort d'Harkonn. Nous étions vaincus et j'ai choisi de me rendre comme je te l'ai raconté. Hier, lors de l'arrivée des mïsthyaris, l'Exarch a reconnu de suite mon identité. Curieuse coïncidence, c'est lui à l'époque qui m'avait fait prisonnier et conduit au Stratège Kaseryos. Il a voulu que je l'accompagne, il avait des questions à me poser sur mon passé et mes anciens frères d'armes. Il m'apprit que Gerald le Noir et ses drengirs avaient fui juste avant le combat, le jour où Harkonn est tombé. Cinq années plus tard, le cadavre découpé en morceaux du Stratège Kaseryos fut découvert devant les remparts de Rhoda. Avec un message signé en lettres de sang « Le Nord se souvient. Le Nord réclame vengeance » Je pensais qu'il ne s'agissait que de rumeurs à l'époque mais maintenant je me dis que cela ressemble bien à Gerald.
— Comment ont-ils fait le lien entre les Foudres de Guerre et ce crime après tant d'années ?
— Par hasard. Sylven m'a tout raconté, il aime parler de ses exploits. Un convoi de marchandises originaire d'Illyr s'est fait attaquer en Korvalys. L'un des négociants est parvenu à s'enfuir et est revenu à Rhoda pour exiger rétribution auprès des mïsthyaris. Il n'était pas le premier à le faire, mais la description qu'il fit du chef des pillards et de certains de ses hommes ont attiré l'attention du Cercle des Stratèges, les dirigeants de l'ordre. Et surtout celle de l'Exarch qui avait enquêté de nombreuses années sur la mort de Kaseryos. Ils ont soumis le négociant à la Question et Sylven a reconnu Gerald le Noir. Ce fut assez pour décider l'Ordre à partir en croisade contre les Foudres de Guerre. Étrange, mais il semblait presque heureux de me revoir après tant d'années, comme si j'étais la preuve vivante que leur idéal de justice valait la peine d'être défendu.
— Qu'importe leurs idéaux, que ce soit Arenius, Daguefilante ou même cet Exarch, ils sont tous les mêmes. Nous ne sommes que des pions utiles et sacrifiables.
— À t'entendre, j'imagine que notre expédition dans les Terres sauvages ne va plus se limiter à rassembler des informations.
— J'en ai bien peur. Nous devrions retourner auprès de nos frères pour leur annoncer la nouvelle, si Lex ne l'a pas déjà fait.
Le Nordien approuva du chef et ils se dirigèrent en toute hâte vers le restant de leur compagnie. Ainsi les Lames de Castell passèrent une bonne partie de la soirée à traîner devant le feu, se préparant mentalement pour l'opération du lendemain matin. Chacun vérifiait l'intégralité de sa cuirasse, testait le tranchant de leur glaive, recousait le fond des bottes usés par des jours de voyage. Alessia ne fit rien de tout cela. Puis Lex vint à sa hauteur et lui fit signe de le suivre dans les ténèbres en dehors du campement.
— Nous devons parler, Alessia, commença-t-il à articuler. Demain, si les choses pourraient mal tourner. J'ai peur de conduire les notres à leur perte. Je regrette de t'avoir dissimulé la vérité.
— Je comprends ton geste, énonça Alessia en essayant de garder l'esprit clair. Mais je ne le pardonne point. Nous aurions dû savoir dès le départ que nous nous engagions dans une mission suicide.
— Ce n'est pas de cela dont je parle, rétorqua le mercenarii à la rapière. Ma soeur a dit la vérité, le joyau, il s'agit bel et bien de la Larme Sanguine, même si j'ignore s'il possède de véritables pouvoirs comme le disent les légendes. Je le sais car Cordélia m'a informé de son existence dès que Varius de Castell a mis la main dessus en Illyr. Et depuis ce temps-là, nous avons comploté pour nous en emparer et le subtiliser aux Castellans. Quelque jour avant l'arrivée du convoi au Korvalys, je me suis rendu à la villa d'Orél Valentii. Je l'ai informé de l'existence d'un trésor aux mains des Castellans. Et c'est comme ça que lui et Rhéa ont échaffaudé l'embuscade. J'ai moi-même suggéré la bande de Baldur pour accomplir le sale travail. Cordélia étant de mèche, elle leur a facilité la tâche en tuant ses compagnons. Puis elle est partie avec les Vipères des tunnels. Moi, ensuite à la tête des Lames de Castell, je me devais me charger de couvrir nos traces. Nous nous sommes débarassé de Baldur. Cependant il n'était pas prévu que Cordélia reste entre les mains des Valentii.
Cette soudaine révélation eut l'effet d'un choc pour la jeune femme qui resta interdit. Dès le départ elle s'était méfiée de Daguefilante pour au final voir sa confiance trahie par Lex.
— Donc tu étais courant de tout depuis le début. Tu m'as manipulé comme un vulgaire pion, finit par énoncer Alessia. Nous aurions pu être tué à Vlaken... J'ai mis ma vie en danger pour m'introduire dans la villa des Valentii... Qu'aviez vous prévu de faire si tout s'était déroulé à la perfection ?
— Une fois débarrassé des Vipères des tunnels, j'aurais fait traîner les choses auprès d'Arenius. Cordélia se serait chargé de voler la Larme Sanguine dans la villa Valentii puis elle serait partie à l'ouest pour l'Arthédas puis ensuite le Nérev. Nous aurions fini par remonter la piste d'Orél Valentii qu'il fallait lui aussi éliminer ainsi que son épouse. Une fois les choses tassés, je serais aussi partie pour l'ouest. J'aurais rejoint Cordélia en Nérev pour traverser le Détroit et gagner la Ligue d'Ellar. Une marchande d'art en Akonia nous a promis une montagne d'or en échange du joyau. Nous aurions pu enfin commencer une nouvelle vie.
— Toi qui te vantais d'éprouver une loyauté sincère envers Arenius. Il ne s'agissait que de mensonges en fin de compte...
— Les choses ne sont pas si simple que ça, Alessia ! Tout n'est pas noir ou blanc et tu le sais très bien, rétorqua Lex qui semblait piquer dans son honneur. Qu'importe les efforts que nous emploierons nous ne serons jamais plus que des outils pour les gens comme Arenius et Varius, des outils sacrifiables. Avec cet or, nous pourrons enfin nous libérer des chaînes de la servitude.
— Toutes les richesses du monde ne changeront rien. Tu n'aurais fait que devenir ce que tu détestais le plus... Ce soir-là, si nous avions retrouvé la Larme Sanguine, qu'auriez-vous fait de moi ? Moi aussi j'étais devenue un obstacle à vos ambitions.
— J'imagine que Cordélia n'aurait eu aucun scrupule à t'éliminer... Avec la tournure des évènements nous aurions du très certainement changé nos plans de toute façon. Je sais que j'ai trahi ta confiance, je voulais juste te confesser mes pêchés au cas où il s'agissait de notre dernière soirée. Repose-toi, la journée de demain risque d'être longue.
Ses aveux enfin achevés, le capitaine des Lames de Castell commença à s'éloigner. Pourquoi venait-il de tout lui déballer de la sorte ? Etait-il aussi tiraillé par ses états d'âmes qu'il le prétendait ?
— Attends, encore une chose, Lex, l'interpella Alessia au dernier moment. Si jamais nous parvenons à nos fins et que nous retrouvons cette soi-disante Larme Sanguine, qu'avez-vous l'intention de faire toi et Daguefilante ?
Lex resta silencieux et poursuivit sa route dans les ténèbres qui enveloppaient les alentours du campement. Alessia l'observa s'éloigner, en proie a un intense flot de questions. Elle avait accordé sa confiance aux mauvaises personnes et maintenant qu'elle se trouvait dans une véritable fosse aux serpents, le moindre faux pas pourrait s'avérer mortelle. Pour elle comme pour ses compagnons d'infortune.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro