10 - Sur les traces des Foudres de Guerre (3/4)
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— C'est sûrement le plan le plus audacieux auquel j'ai participé. Ou le plus stupide, soupira le Nordien à sa sœur cachée aux abords de la route.
— Ne te fais pas de bille, Rodan, rétorqua Alessia, tout va bien se passer. Tu es mon vieux père malade qui a besoin de soins et moi je suis ta fille adorée. Tu restes impassible sur ton cheval comme tu sais bien le faire, tu ne lèves pas trop la tête et tu me laisses parler.
— Et si jamais ces idiots s'agitent trop ?
— Tu dégaines la hache de guerre que tu caches sous ton grand manteau puis tu me lances Crépuscule. On en massacre le plus possible en évitant de trépasser.
— Et si le gamin a menti et que nos compagnons sont morts ?
— Alors ce sera fini pour nous, raison de plus pour en tuer un maximum
— Ça me va, petite, grogna-t-il.
Le moment était venu, le groupe principal les ayant quittés depuis déjà une bonne heure. D'après les dires d'Ervin, c'était tout juste le temps nécessaire pour contourner les ruines sans se faire remarquer. La mercenarii et le Nordien se lancèrent au galop, sortant du ravin. Plus possible de faire machine arrière. Moins de cinq cents mètres nous séparent de l'avant-poste, le guetteur ne va pas tarder à nous repérer. On doit juste attirer leur attention le temps que les autres chargent les brigands à revers.
Alessia et Rodan remontèrent la plaine d'herbes vertes à vive allure jusqu'à se retrouver devant les ruines. Là ils furent obligés de traverser au petit trot sous un portail à moitié écroulé, des barricades hérissées de pieu en bois interdisant l'accès aux portions de murailles ouvertes. Alessia laissa traîner son regard, à la recherche des Foudres de guerre. Elle n'en trouva pas, cependant elle comprit la fonction initiale des lieux. Si la roche n'était pas la même, Alessia reconnut de suite le style architectural épuré et brut, caractéristique des constructions militaires du siècle dernier. Les ruines étaient certainement les restes d'un ancien avant-poste de la Legio Imperatorii, bâti lors de la Guerre de Borée. À l'époque, la région devait être un point stratégique vital pour assurer la défense du Haut-Korvalys. Les deux Lames de Castell s'arrêtèrent devant la grande tour de guet centrale, plutôt bien conservée pour son âge. À ses pieds, où se trouvait jadis une porte en bois massif, se détacha une multitude de silhouettes sombres.
— Eh bien, qu'avons-nous-là ? déclara un individu aux traits angulaires et à la moustache noir de jais tout en trottinant vers eux.
Il fut rapidement suivi par ses comparses, trois hommes ainsi qu'une femme aux nattes blondes comme la paille. Chacun d'entre eux était revêtu d'un amalgame de pièces d'armures de légionnaires Imperatiis et de protection en cuir plus rudimentaire. Celui qui venait de s'adresser à Alessia se détachait des autres par une brigandine de meilleure qualité, aux lamelles d'acier étincelantes. Le chef de l'avant-poste très certainement, présuma la mercenarii.
— L'Empereur soit loué ! s'emporta Alessia avant de sauter de sa monture. Nous avons de la chance de tomber sur vous. Nous étions perdus dans ces maudits bois puis nous avons repéré la tour au loin. Mon père s'est blessé lors de la chasse, il doit voir un guérisseur au plus vite !
— Oh doucement, ma mignonne, une chose à la fois, rétorqua l'homme à la moustache. Il n'y a pas de guérisseur ici, mais on a de quoi faire des bandages.
Il lui fit signe d'approcher, Alessia avança d'un pas. Au troisième, elle trébucha au sol. Le brigand la rattrapa in extremis.
— Toi aussi tu es blessée ? On va vous conduire à l'intérieur. Farold, Gavrin, aidez son père à descendre de son cheval.
La lame de son poignard ne rencontra aucune résistance. L'homme blêmit sans comprendre ce qu'il venait d'arriver. D'un geste précis et fulgurant, elle frappa, sous le bras gauche, à l'horizontale afin de perforer son cœur. Elle ne s'était posé aucune question. À aucun moment elle n'avait hésité.
Le brigand s'effondra au sol. Avant même qu'il n'ait fini sa chute, Alessia projeta son bras gauche vers l'arrière. Armée du couteau de lancer qu'elle avait subtilement récupéré dans sa botte lors de sa feinte, elle le propulsa en direction du bandit le plus proche. Elle fit confiance à son Don.
Un cri horrible, suivi d'un nouveau corps qui heurte le sol. Rodan sauta de son cheval. Les trois Foudres de Guerre restants dégainèrent leurs épées.
— Attrape, petite !
Alessia se saisit en plein vol de Crépuscule tandis que le premier brigand se jeta sur elle. D'une volte agile, elle esquiva le premier assaut puis riposta à son tour. Son assaillant s'était trop précipité, pensant avoir l'avantage de l'allonge face à la modeste dague de la mercenarii. Mais elle était loin d'être une adversaire ordinaire. Du bout de la pointe, elle contra la lame du bandit et brisa sa garde médiocre puis prise dans son élan, empala la dæmoria dans son torse.
À sa droite, Rodan faisait virevolter sa hache de guerre. Opposé à lui, la femme esquivait avec difficulté ses frappes tournoyantes. Elle tituba à la troisième cabriole. Le fer acéré s'abattit sur son cou gracile et la décapita presque. Troisième cadavre. Plus qu'un seul homme se dressait face aux deux Lames de Castell. L'autre gesticulait dans tous les sens, l'arme de jet planté dans le crâne. Alessia l'acheva d'un revers de Crépuscule.
— Vous ne savez pas à qui vous avez affaire, vociféra le dernier Foudre de guerre avant de passer à l'attaque.
La mercenarii enchaîna parade puis riposte, trop agile pour un adversaire qui manquait d'adresse et de rapidité. Grâce à un réflexe inespéré, il réussit à éviter la morsure acérée de la lame d'Alessia. Mais c'était sans compter sur Rodan qui venait de glisser dans son dos. Le fer de sa hache de guerre se planta lourdement dans son échine.
— J'espère que ce n'était pas le dernier, fit la jeune femme en considérant du regard les cinq cadavres au sol, sinon on peut dire adieu à la moindre information.
— Je te laisse parler hein ? Tout en finesse, petite.
— Ils n'étaient que cinq, j'ai vu une ouverture. Je ne pouvais pas prendre le risque qu'ils nous acculent à l'intérieur. — Tout à coup son Don s'ébruita en elle, elle leva le chef, de l'autre côté sur les murailles, au moins une silhouette. — Rodan à terre tout de suite !
Alessia se jeta au sol, l'instant d'après une volée de flèches s'abattit sur eux. À peine eurent-ils le temps de se réfugier dans la tour qu'une seconde volée de traits sifflait de toutes parts.
— Je me disais bien que c'était trop facile, cracha Rodan alors qu'ils s'étaient abrités contre le mur intérieur.
— Il y a au moins trois tireurs. — Elle tourna la tête vers le Nordien et remarqua la flèche plantée dans son épaule — Tu vas bien ?
— Ça ira. J'ai vu pire, petite – Il arracha le projectile d'un geste sec tout en poussant un juron — Un bras me suffit pour abattre ces avortons.
— On ne tente rien pour le moment, on doit déjà savoir combien ils sont. Les archers risquent de causer du grabuge s'ils repèrent les autres.
— On doit les occuper le plus possible.
— Je vais monter. Je devrais pouvoir les observer sans me faire remarquer depuis les étages supérieurs.
Alessia passa en revue le rez-de-chaussée de la tour, rien d'intéressant, du mobilier rudimentaire, des caisses pour la plupart vides ainsi qu'une cheminée bouchée. Elle emprunta l'escalier en colimaçon un pas à après l'autre jusqu'au premier palier, non aménagé par les Foudres de Guerre. Le second, au sol en partie écroulé, n'était qu'accessible que par le biais d'une échelle branlante. Elle hésita, et si une fois en haut les pierres se dérobaient sous ses pieds ? Mourir enterré sous une pluie de gravats valait-il mieux que mourir transpercés par des flèches ? Elle n'avait pas le choix, elle n'était pas encore assez haute pour voir l'ensemble de l'avant-poste. Il suffirait d'un seul tireur oublié pour signer leur arrêt de mort. Elle marcha à tâtons jusqu'à l'échelle et y grimpa. L'ascension fut plus rapide qu'elle ne l'avait escompté, mais elle tâchait de faire le moins de mouvements possible et de répartir équitablement tout son poids.
Son but atteint, la mercenarii dû s'accroupir pour rester hors du champ de vision des archers, la portion de mur qui donnait sur la cour ébréchée à plusieurs endroits. Elle se glissa jusqu'à une meurtrière et jeta un œil à l'extérieur. Cinq nouveaux Foudres de Guerre les attendaient en bas, occupés à fouiller les montures de leurs visiteurs surprises. Alessia remarqua qu'ils étaient mieux armés que leurs confrères, équipés de la tête aux pieds d'ancien acier de la Legio.
Heureusement qu'ils ne nous sont pas tombés dessus lors de l'escarmouche. À deux contre une dizaine nous n'aurions eu aucune chance. Ils devaient être de garde à l'autre porte. La mercenarii observa davantage. Deux des trois archers se trouvaient juste face de l'entrée de la tour, en hauteur sur le toit d'une vieille armurerie, prêts à transpercer quiconque s'aventurerait dehors. Le troisième, à l'écart sur la droite, gardait un œil sur la partie nord des ruines. Aucun d'entre eux n'était à la portée de la mercenarii et elle n'avait aucune chance de ressortir vivante d'un assaut frontal.
Maudit soit ma bêtise, si j'avais mon arbalète entre les mains j'aurais pu au moins me débarrasser de l'un d'entre eux. Ou les forcer à se replier derrière les barricades.
Mais l'arme qu'elle avait acquise à Vlaken lui faisait défaut, rangée dans les sacoches accrochées à la selle de Cal. Elle n'avait sur elle que Crépuscule et son poignard ainsi que deux couteaux de lancer. Mais les tireurs étaient bien trop loin, même pour ses capacités améliorées par le Don. Sans solutions, la mercenarii se creusa les ménages. Jamais les Foudres de Guerre n'oseraient les affronter à l'intérieur, dehors ils avaient l'avantage. D'un autre côté, Alessia et Rodan ne pouvaient tout simplement pas attendre l'arrivée des renforts. À l'abri sur les hauteurs les archers n'auraient aucun mal à freiner l'avancée des cavaliers. Ils étaient pris au piège.
Alessia se retourna et passa de nouveau en revue le deuxième étage de la tour. Dans le mur d'en face une petite ouverture donnait sur l'autre côté des ruines. Juste assez grande pour lui permettre de ramper. Bingo. Elle alla à elle sans un bruit. Le trou s'ouvrait sur une sorte de préau en contrebas. S'y elle parvenait à glisser sur celui-ci sans le faire s'effondrer, elle se retrouverait derrière la tour. Là, elle pourrait se faufiler à couvert jusqu'au tireur isolé, le neutraliser et s'emparer de son arc.
La mercenarii posa les pour et les contres. Peut-être devait-elle descendre pour demander l'avis de Rodan sur la question ? Non, le temps presse. Je dois agir. Maintenant. Alessia prit une grande respiration puis se jeta jambes en avant au travers de la faille. Ses fesses heurtèrent la toiture bien plus violemment qu'elle ne l'aurait espéré, provoquant un grincement strident, cependant celle-ci résista au choc. Elle laissa faire la gravité, descendit le préau, bascula dans le vide puis se réceptionna à terre, deux mètres en contrebas d'une pirouette agile. De toute son âme, elle pria que les Foudres de Guerre se trouvaient trop loin pour avoir entendu son raffut.
Elle se colla contre la tour jusqu'à arriver à hauteur de la grande allée des ruines. D'après ses souvenirs, le tireur isolé patrouillait en face d'elle, à deux bâtiments de distance, de l'autre côté, sur une sorte de grande estrade sur la muraille. Elle allait devoir traverser pour l'atteindre. Elle jeta un bref coup d'œil dans la ruelle. Hors du champ de vision des deux archers du sud, elle allait devoir passer le groupe de fantassins qui attendait juste devant la tour. Une dizaine de mètres à découvert qu'elle allait devoir parcourir d'une traite. Si elle allait trop vite, ceux d'en bas allaient découvrir sa présence, et si elle prenait son temps c'est le tireur le plus proche d'elle qui risquerait de repérer sa position. En face d'elle se trouvait une bâtisse en forme de u, une ancienne écurie supposait-elle. Contre l'un des piliers, elle remarqua un amas de vieux tonneaux en chêne. Avec un peu de chance, elle pourrait s'en servir pour monter pour rejoindre les toits.
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