Chapitre 67 - Une cage dorée
Les rideaux étaient tirés. Il lui semblait que dehors, le jour naissait, mais il faisait sombre dans l'habitacle éclairé par la seule lueur diffuse d'une lampe à cræft. À l'extérieur, Lizzie percevait la rumeur diffuse de Caelian. Elle mourait d'envie de regarder à l'extérieur, mais un seul regard d'Ambroise la lui en avait dissuadé. Ce n'était pas prudent.
Ils avaient quitté le navire, qui s'était amarré au port en pleine nuit. De Caelian, Lizzie n'avait vu que les pavés disjoints des quais. Le visage dissimulé par sa cape et la tête résolument maintenue tournée vers le sol par la poigne d'un garde, elle avait été traînée jusqu'à une voiture où l'attendait Ambroise. Le carrosse s'était ébranlé sans qu'il ne dise le moindre mot.
Désormais, elle le fixait. Lui gardait son regard posé sur ses mains, qu'il avait jointes sur ses cuisses. Ils ne s'étaient pas parlés depuis le jour où Lancelin Ier avait prononcé sa sentence. Mais Ambroise avait des comptes à lui rendre. Des excuses à lui formuler – non, des excuses, cela n'était pas suffisant : il avait tant à se faire pardonner.
— Sur le pont, à Fort-Rijkdom. Vous leur avez demandé de m'emmener.
Ambroise releva les yeux. Lizzie, elle, baissa les siens.
— Nous étions encerclés et tu étais blessée. C'était cela, ou une exécution. J'ai fait ce que j'avais à faire pour que nous survivions. Tous les deux. Tout ce que j'avais à faire pour te garder en vie.
Lizzie sentit des larmes poindre. Amères et brûlantes, elles l'étouffèrent si violemment qu'elle ne put parler pendant de longues secondes.
— Vous m'aviez promis que plus personne ne choisirait à ma place.
— Tu allais te jeter du haut de ce pont.
— C'était mon choix.
Ambroise la dévisagea longuement. Elle ne le fixa pas, mais elle sentit le poids de son regard peser sur elle.
— Je ne pouvais pas l'accepter, dit-il enfin. Je suis désolé.
— Vous m'avez condamnée. À... (Elle eut un geste vers la fenêtre aux rideaux tirés.) À ça.
— Un sort préférable à la mort, ne penses-tu pas ?
Lizzie essuya rageusement la perle salée qui roulait sur sa joue. Un gémissement s'échappa de ses lèvres. Elle ne savait pas. Elle ne savait plus. Elle renifla et chassa les pensées qui tourbillonnaient dans son esprit. Elle y songerait plus tard.
Ambroise prit une profonde inspiration.
— Je suis désolé. Pour tout. Et si tu ne souhaites pas me pardonner, je le comprendrais.
Lizzie ne sut quoi répondre. Sa tête lui tournait. Ambroise l'avait fait souffrir plus que nul autre sur cette terre. Et pourtant ? Pourtant, elle savait que ses excuses étaient sincères — pas comme tous les masques qu'il avait arborés autrefois. Et elle ignorait si elle pouvait lui pardonner.
Elle aurait voulu lui dire tant de choses ; ses yeux restèrent rivés sur les poings qu'il avait crispés sur ses genoux, si fort que ses phalanges en pâlissaient.
Lizzie remarqua seulement alors que l'anneau frappé du sceau de la maison militaire du roi avait été relégué à sa main droite, et qu'une chevalière ornait son annulaire gauche. Elle avait embrassé cette bague, alors qu'un feu indicible brûlait son omoplate ; c'était celle de De Glaves. Un filet de sueur coula dans son dos.
Par tous les dieux.
— Ascelin de Glaves, murmura-t-elle. Votre père.
Ambroise eut un silence.
— Depuis quand le savez-vous ? demanda-t-elle.
— Après le Burgsæl. Nous avons beaucoup parlé, lui et moi. Il...
— Vous ne pouvez pas avoir de certitude. Qu'il est votre père.
Mais lorsqu'Ambroise darda son regard sur elle, elle ne put s'empêcher de tressaillir.
Ils avaient les mêmes yeux. Nul doute possible : ceux d'Ascelin de Glaves la dévisageaient en silence chaque nuit, et elle connaissait ceux d'Ambroise par cœur. Ils avaient les mêmes yeux. Comment n'avait-elle pu le remarquer plus tôt ?
Il y avait d'autres choses. De minuscules détails qui la frappèrent dans une succession brutale et vertigineuse. La ligne de leurs mâchoires. La courbe de leurs pommettes. La forme de leurs mains. Lizzie serra les poings et tourna la tête pour se concentrer sur le rideau qui masquait la fenêtre, un simple morceau de tissu noir à la trame élimée. Ambroise était Ambroise et personne d'autre. Elle pouvait y arriver ; elle pouvait le voir comme il avait toujours été, comme elle l'avait toujours vu. Ambroise Auguste.
— Ne t'es-tu jamais demandé, Lizzie, comment j'avais pu en arriver là ? Un simple orphelin de la Pension... J'étais naïf. Et ambitieux. Et je n'ai pas vu, pas compris. Tout ce que je suis, tout ce que j'ai fait... Je le lui dois.
— Vous voulez dire... qu'il savait ? Depuis le début ?
Ambroise contemplait ses mains, et la chevalière qui y scintillait. Un sourire amer se dessina sur ses lèvres.
— Il l'a toujours su. Et je n'ai aucun mérite. Dans tout cela.
La voix d'Ambroise se brisa. Lizzie secoua la tête, incapable de trouver quoi répondre.
Lizzie se demanda si Ambroise percevait la ressemblance ; si c'était Ascelin de Glaves qu'il voyait lui aussi lorsqu'il se dévisageait dans un miroir, ou si elle était la seule à l'avoir remarqué. Elle garda le silence. La dernière chose qu'elle souhaitait, c'était qu'Ambroise détourne son regard d'elle pour ne pas la faire souffrir — car c'était ce qu'il ferait ; dans cette compassion étrange et distordue qu'il avait pour elle, c'était ce qu'il ferait. Lizzie se racla la gorge, mais cela ne suffit pas à effacer l'éraillement de sa voix, coincée dans sa gorge nouée.
— C'était votre père, et je l'ai tué.
Ambroise laissa planer quelques secondes de silence, la scrutant sans réagir.
— C'était mon père, et tu l'as tué. En effet.
— Me haïssez-vous pour cela ? Est-ce pour cela que vous me punissez ainsi ?
Ambroise la fixa un instant.
— Élisabeth, comment peux-tu un seul instant... Comment pourrais-je te haïr ?
— Mais...
— Lizzie.
Son prénom sur ses lèvres, deux syllabes brutes et impérieuses, l'arrêta dans son élan. Ambroise attrapa ses mains.
— Tu m'as dit... quelque chose sur ce pont. T'en souviens-tu ?
Lizzie s'empourpra.
Je t'aime. Elle lui avait dit Je t'aime. Elle acquiesça.
— Et je t'ai répondu.
Lizzie écarquilla les yeux. Elle ne les avait pas rêvés, ces trois mots qu'il avait prononcés.
— Je crois, poursuivit-il, avoir été assez clair sur ce que je ressentais à ton égard.
Il fronça les sourcils.
— Ou peut-être pas.
Ambroise se pencha vers elle. Le cœur de Lizzie rata un battement. Ses yeux... Ses yeux la fixaient, et elle ne pouvait s'en détacher. Se détourner de ce qui y brillait – une émotion pure et douce qui fit éclater une myriade d'étoiles dans son ventre.
— Il y a longtemps, chuchota-t-il, je t'ai fait une promesse. Et je compte la garder. Si tu m'y autorises.
Pendant qu'il parlait, son pouce errait sur sa main, traçant des arabesques sur sa peau. Une caresse tendre, qui faisait naître en elle une sensation insaisissable. Lizzie essaya de se concentrer, mais elle ne pouvait plus réfléchir, tout obnubilée qu'elle était par le contact de ses doigts contre sa chair qui effleuraient ses phalanges, puis le dos de sa main. Ses doigts glissèrent vers son poignet, où elle sentit battre follement son propre pouls. Elle ne voulait pas qu'il s'arrête. Elle savait juste qu'elle était, envers et contre tout, heureuse qu'Ambroise soit là.
Lizzie déglutit et se força à croiser le regard d'Ambroise. Cela n'arrangea rien. Elle se noyait toute entière dans les profondeurs abyssales et bleues qui la dévisageaient.
— De quelle... promesse... parlez-vous ?
— Celle d'être à tes côtés.
Le cœur de Lizzie se tordit un peu. La caresse d'Ambroise cessa, comme s'il avait perçu la brève hésitation de l'organe qui battait dans sa poitrine.
— C'est impossible, balbutia-t-elle.
Ambroise pencha la tête. Lizzie peinait à rassembler ses propres pensées.
— Vous avez un domaine à administrer, maintenant. Vous ne pouvez pas rester avec moi.
— Ma place est ici. Pas sur des terres qui me sont inconnues.
— Et où sont-elles, ces terres ? demanda-t-elle pour éviter de songer à la sensation chaude et douce qui naissait lentement tout contre son cœur.
— Sur la côte est, à trois ou quatre jours de Caelian. Je ne m'y rendrai que si nécessaire.
— Mais vous aurez certainement des obligations...
— De Glaves a fort bien réussi à assurer la gestion de ses terres depuis le Pays d'en Haut. De même que la plupart des nobles depuis la Cour. Je ne te cacherai pas qu'il me faudra certainement m'absenter quelque temps, le temps de... régler la situation. Mais une fois cela fait, je te promets que je ne te quitterai plus. Du moins, seulement si tu... si tu veux de moi.
Lizzie avait le vertige.
— Bien sûr que je veux de vous.
Ambroise lui sourit. Un de ces trop rares sourires qui faisaient battre son cœur plus vite et plus fort, et qui rendaient le moindre moins sombre.
— Tu fais de moi le plus heureux des hommes.
Elle lui sourit en retour.
Le claquement des sabots et le roulis du carrosse décéléra. Ambroise sortit une missive de sa veste, entrouvrit à peine le rideau pour la glisser à l'extérieur. Un rayon de soleil se glissa dans l'habitacle, faisant étinceler sa chevalière.
— Tout est en ordre, entendit-elle une voix prononcer.
Et leur voiture s'ébranla à nouveau.
Lizzie supposait qu'ils venaient de franchir les grilles du Palais. Ce qui signifiait... Ses yeux s'embuèrent avant même qu'elle ne puisse achever sa pensée. Elle était prisonnière.
Et, ainsi plongé dans la pénombre de la voiture, avec pour seule lueur la lumière vacillante de la lampe à cræft, coupée de l'extérieur par les épais rideaux de velours, il lui sembla qu'on l'emmurait vivante.
La main d'Ambroise prit la sienne.
Elle se concentra sur ses inspirations et ses expirations. Autour d'elle, elle imaginait sans les voir les arbres qui défilaient. Ils allaient bientôt rejoindre le canal, et les bosquets émaillés de statues et de fontaines. Elle pouvait déjà par intermittence percevoir la rumeur de l'eau qui s'écoulait dans les bassins, et l'odeur de la terre gorgée de pluie. Un monde familier. Oublié. Une prison dorée.
— Lizzie. Avant que nous arrivions...
Ambroise produisit une seconde lettre de son pourpoint et la lui tendit.
La missive était frappée du sceau royal, et Lizzie se figea.
— Qu'est-ce ?
Il y eut un silence.
— La seconde partie de ta sentence.
— Pa... pardon ?
Des larmes brouillaient sa vue, à présent. Comment pouvait-il lui faire cela ? Comment pouvait-il la punir encore et encore ? Il venait de lui dire qu'il l'aimait !
— Lis-la.
— Ne croyez-vous pas que j'ai été assez châtiée, Ambroise ?
— Lis-la, Élisabeth. S'il te plait.
Lizzie ouvrit le pli d'un geste brusque. La missive ne contenait que quelques lignes. Elle ne contenait aucune adresse, et était signée de Fort-Rijkdom et datée d'il y a un mois. Si Lizzie avait perdu le fil des jours, elle était certaine que la lettre avait été rédigée lorsqu'elle se trouvait emprisonnée à la garde.
Monsieur,
Suite à votre requête, il a été décidé par nous, Lancelin Ier, par la grâce des dieux Roi d'Ardrasie, de reconsidérer la sentence d'Élisabeth Prudence, reconnue coupable de meurtres et de crimes de lèse-majesté.
Élisabeth Prudence demeurera recluse au sein de la Pension Royale jusqu'à temps que ses fautes soient expiées. Afin de purger sa peine, nous ordonnons qu'elle serve au sein du cabinet du secret du Roi.
Lizzie releva les yeux, estomaquée.
— Suite à votre requête ?
— J'ai pensé que...
— Vous avez demandé cela ?
— Ne comprends-tu pas ? Ceci, dit-il en lui montrant la lettre, est ton sauf-conduit vers la liberté.
— Mon sauf-conduit ? Je refuse de n'être encore qu'un pion entre les mains du Roi !
— Le Roi ne t'oubliera pas et c'est tout ce qui importe. Et un jour, Lizzie, je te promets que tu seras libre.
Lizzie garda le silence. Elle ne pouvait qu'admettre qu'il avait peut-être raison. Et tout au fond d'elle, ce qui restait d'espoir tressaillit.
— Le cabinet noir. C'est ainsi que Belvild appelait le Secret du Roi.
— C'est un surnom peu flatteur.
— Vous ne m'en avez jamais parlé.
— Je t'ai dit avoir des liens avec les renseignements ardrasiens. Ma position même, ajouta-t-il en la désignant, impliquait de rejoindre le Secret du Roi. Pour pouvoir te protéger.
— Et m'entraîner. N'est-ce pas ? Les secrets que vous me demandiez de voler, à la Cour. Les personnes que vous me demandiez d'éliminer. Les ordres provenaient du cabinet noir.
— Oui.
— Vous auriez dû me le dire.
Ambroise poussa un soupir.
— Écoute moi bien, Élisabeth. Ce que je vais te révéler est un secret d'État et je ne me répéterai pas. Le cabinet du Roi ne répond qu'à lui, et est constitué d'agents de la couronne disséminés dans toutes les cours royales. Des nobles comme De Glaves, qui contribuent à étendre l'influence de l'Ardrasie et à protéger notre royaume des menaces extérieures. Comprends-tu ?
— Oui.
— Au sein de ce cabinet, seules une poignée de personnes étaient au fait de ton rôle.
— Et De Glaves, dites-vous, en faisait partie ?
Ambroise hocha la tête.
— Mais il a trahi le Roi.
— Élisabeth, ne dis pas de...
— Il a trahi, coupa-t-elle. Il me l'a avoué, Léopold a infiltré le camp de Belvild sous ses ordres et l'a informé du plan de l'Ardrasie.
— Cela ne signifie pas qu'il a trahi. Au contraire.
— De Glaves a appris mon existence à Belvild.
— Afin que Belvild t'approche.
— Afin que Belvild me fasse tuer le Roi ! Afin que De Glaves obtienne Fort-Rijkdom pour lui seul !
— Élisabeth, il n'est pas bon de croire à ses propres mensonges.
La voix d'Ambroise avait résonné, glaciale entre eux.
— Mais cela pourrait être vrai, contra-t-elle.
— Tu n'as aucune preuve.
Non. Elle n'en avait aucune.
Et, après tout, De Glaves l'avait condamnée à mourir, en se rétractant de son ordre de tuer Andries Jorgen. Peut-être avait-il fait marche arrière, lorsque les choses s'étaient envenimées — sacrifier son pion et redéfinir son plan. Mais cela, elle était la seule à le savoir.
— L'essentiel est que le Roi doute, répondit-elle. Qu'il doute de la bonne foi d'Ascelin de Glaves. Et qu'il ne sache pas si je lui ai en effet sauvé la vie ou non. Et il doute, n'est-il pas ?
— Oui, il doute. Mais cela n'a pas d'importance. De Glaves est mort, et les réponses à ces questions se sont envolées avec lui.
Lizzie se rencogna contre son siège.
Elle en avait assez de tout cela. Des hypothèses sans réponses. Des certitudes qui s'effondraient et des doutes qui pesaient sur son esprit. Et à propos de doutes...
— Et Fort-Rijkdom... L'Ardrasie l'a perdue ?
— Oui.
Le ton d'Ambroise était si neutre que Lizzie tressaillit.
— Qui est au pouvoir ?
— Nous le saurons bientôt. Les habitants se sont soulevés en même temps que les indépendantistes, mais les hommes de confiance de Belvild ont eu le temps d'être... appréhendés. Je ne suis pas certain que quiconque soit aux commandes.
Lizzie acquiesça. C'était peut-être mieux ainsi : une ville libre. C'était, elle le savait, ce que Jan aurait voulu. Mais une cité sans pouvoir était un territoire si fragile, en vérité.
— Les Bas-Royaumes vont vouloir la récupérer, n'est-ce pas ?
— C'est probable.
— À moins qu'un gouvernement indépendantiste ne se mette en place. Et que des alliances ne soient conclues.
Ambroise hocha la tête.
Lizzie pria tous les dieux pour qu'il en fut ainsi. Mais elle ne se faisait pas d'illusion. Il n'y avait personne, à Fort-Rijkdom, qui pouvait tenir tête aux nations des Bas-Royaumes. Mais l'avenir de Fort-Rijkdom ne reposait plus entre ses mains. Non. Entre ses doigts, elle n'avait plus que son propre futur. Et un certain soulagement descendit sur elle à cette pensée.
— Que devrais-je faire ? Au sein du Secret du Roi ?
— Espionner.
— Et tuer ?
— Je croyais que tu ne voulais plus tuer.
— Je ne le veux plus. Jurez-moi que je n'aurai plus à le faire.
— Je te le jure.
— Mais si on me le demande ?
Ambroise la fixa d'un air grave.
— Je serai là.
Le cœur de Lizzie sombra dans la poitrine.
— Et où devrais-je espionner ? À la Cour ?
— Oui. Je doute que Sa Majesté t'autorise, pour l'heure, à t'aventurer au-delà des grilles du domaine royal.
— Pour l'heure ?
— Sois patiente.
Mais elle n'eut pas le temps de répliquer. La diligence venait de s'immobiliser à nouveau.
Elle jeta un coup d'œil interrogateur à Ambroise.
— Nous sommes arrivés.
Lizzie écarta le rideau. Ils se trouvaient devant la caserne de la maison militaire du Roi. Les abords du long bâtiment de briques rouges étaient déserts. Lizzie renvoya à Ambroise un regard surpris.
— Que faisons-nous ici ? Je croyais que nous devions nous rendre à la Pension.
— Certes, mais rien ne presse. Tu dois te reposer avant, et il y a des choses dont nous devons discuter.
— Comme quoi ?
— Ce que nous dirons à madame Constance, entre autres.
— Vous ne comptez pas lui dire la vérité ?
— La vérité ? Pour lui dire... quoi ? Que j'ai fait de toi une meurtrière ? Grands dieux, elle me tuerait.
Le ventre de Lizzie s'était noué. Encore des mensonges.
Cependant, elle n'était pas mécontente d'avoir un peu de répit avant de gagner la Pension – les murs entre lesquels elle était vouée à passer sa vie enfermée. Avant d'affronter madame Constance et de mentir encore.
Elle désigna les murs rougeâtres de la caserne.
— Je croyais que j'avais interdiction de quitter l'enceinte de la Pension.
Sa voix trembla un peu à ces mots.
— Tant que tu es avec moi, je ne pense pas que le Roi ait de fortes objections à ce que tu te rendes... un peu plus loin. Surtout si tu te trouves dans un bâtiment empli des hommes d'armes les plus aguerris du royaume.
Lizzie sourit, mais le cœur n'y était pas. Elle appréciait ses efforts pour rendre la situation plus supportable, cependant l'idée de passer sa vie chaperonnée par Ambroise l'horrifiait — et ce peu importait les sentiments qu'elle éprouvait à son égard. Elle s'était jurée de ne plus dépendre de personne. De ne plus laisser quiconque choisir pour elle. Et voilà qu'elle se trouvait enchaînée à Ambroise et à la Pension, en disgrâce et sans perspective d'avenir.
Elle était tombée bien bas, plus bas qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer.
Eh bien, elle se battrait.
Elle se relèverait.
Elle gagnerait sa liberté, elle l'arracherait s'il le fallait.
Au moins, songea-t-elle en contemplant Ambroise et la lettre qu'il tenait toujours entre ses doigts, elle avait un allié. Un être qui tenait à elle et qui connaissait la vérité.
— Et puis, ajouta Ambroise, il n'est pas question que tu te présentes à madame Constance dans cette tenue.
Lizzie baissa les yeux sur sa robe déchiquetée et maculée. Maintenant qu'elle y prêtait attention, elle remarqua ses ongles noircis de crasse, et ses cheveux qui se balançaient à la périphérie de son champ de vision, sales et emmêlés. Sa seule consolation résidait dans le fait qu'Ambroise était lui aussi en piteux état. Après des semaines passées enfermée dans la terreur de son esprit, revenir à des considérations aussi bassement matérielles lui créa un vertige certain. Il était loin, le temps où elle revêtait des robes somptueuses et des parures de pierres précieuses, le temps où elle croisait la silhouette d'Ambroise engoncée dans son uniforme parfaitement ajusté dans le miroir.
Ambroise ouvrit la portière et en sortit. Il lui tendit la main.
— Allons-y. Rendons-nous présentable.
Lizzie le gratifia d'un rictus.
— Certainement, votre seigneurie.
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