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Chapitre 16 - Le jour sombre

« Nous viendrons en votre sombre royaume,
C'est là la destinée des hommes.
Mais laissez-nous connaître encore
Un jour la lumière de la vie. »

Prière à Mercyng



— Vous vous êtes habillée en noir, fit Jan lorsqu'elle entra ce matin-là dans la salle à manger.

C'était le jour de Mercyng. Un jour sombre. Un jour de deuil. Bien sûre qu'elle s'était habillée en noir. Avait-elle commis un impair ? Elle fouilla dans sa mémoire, sans réussir à se souvenir des coutumes du Pays d'en Haut ou de Wallend.

— C'est la célébration de Mercyng, aujourd'hui. C'est... c'est la tradition, dans mon royaume.

— Ici aussi.

Lizzie fronça les sourcils. Il portait un gilet pourpre, qui rehaussait l'éclat immaculé de sa chemise.

— Alors pourquoi n'êtes-vous pas vêtu de noir ?

Les mâchoires de Jan s'étaient crispées avan même qu'elle ne termine sa question.

— Si vous souhaitez vous rendre à la kirk, ce sera sans moi. Je n'ai personne à pleurer.

— Pas même votre mère ?

Elle se mordit la langue, se demandant ce qui avait bien pu lui prendre. C'était un sujet bien trop intime pour qu'elle puisse l'aborder avec lui.

— Ma mère était útlende. Il serait mal vu de porter son deuil en public.

C'était affreux, et Lizzie sentit son estomac se nouer.

Chaque année, elle avait porté le deuil de ses parents, à l'instar de tous les orphelins de la Pension. Il lui était impensable de ne pas le faire.

— Vous pourriez le porter en privé, suggéra-t-elle.

La douleur qui brilla dans le regard de Jan disparut bien vite, et ses traits composèrent un air neutre. Il avait l'habitude de faire comme si de rien n'était, comprit Lizzie. L'habitude de masquer sa souffrance. Et lorsque le jeune homme parla, sa voix était calme.

— Quelle importance ? Elle est morte, et les portes du royaume de Mercyng ne se sont pas ouvertes pour elle.

— Pourquoi...

— Elle était une Útlenda. L'héptarchie divine ne signifiait rien pour elle.

— Mercyng accueille tous les hommes au royaume sombre.

Jan eut un sourire. Cette fois, il ne put dissimuler l'amertume qui y jouait.

— Croyez-vous ? Nos dieux ne se sont jamais préoccupés du sort du peuple de ma mère.

— Sohl et Lewyven ont créés les hommes. Ne me faites pas croire que...

— Le moment est mal choisi pour un débat théologique, madame.

Il avait raison, et Lizzie détourna le regard, confuse.

Jan croisa les mains sous son menton.

— Ma mère rendait visite à sa famille, fit-il brutalement. Loin au nord, dans un village qui se situait alors à l'extrême limite des terres connues. Je l'accompagnais, comme chaque année. Nous y allions lors de la saison chaude, lorsque les cieux étaient cléments. Mon père ne tenait pas à ce que je demeure dans les terres sauvages en plein hiver. Nous y restions plusieurs mois. Cette fois-ci, la guerre entre Wallend et Nærmark touchait à sa fin, une trêve devait être signée. Mais les combats ont repris, et au nom d'alliances inégalitaires, le Wallend a sollicité le renfort des Útlends. Les hommes du village sont partis combattre. Ils ont décimés les soldats du Nærmark.

Jan leva les yeux.

— Et le Nærmark s'est vengé. Une nuit, ils ont pris d'assaut le village, et ils ont massacré le clan de ma mère. Les hommes, les femmes et les enfants. Tous, jusqu'au dernier. Tout était en flammes. Il y avait du sang...

Il marqua une pause dans son récit, le regard perdu vers la fenêtre, les sourcils froncés. Il tritura la manche de sa chemise, visiblement mal à l'aise.

Lizzie, elle, sentait son cœur battre à grands coups douloureux dans sa poitrine. Elle n'osait plus bouger.

— Mais vous avez survécu, chuchota-t-elle.

Il darda, un instant, son regard sur elle. Ce fut si vif qu'elle en eut le souffle coupé — un fragment de ce qui ressemblait à de la culpabilité.

— J'ai eu la vie sauve. Je les ai supplié, je me suis tenu à genoux devant eux. Je ne parlais que wallend, à l'époque, et j'étais à moitié útlend. Ils auraient dû me tuer pour cela. Mais ma peau était plus pâle que celle des Útlends, et j'ai hurlé mon nom et celui de mon père. Je leur ai promis de l'or, plus qu'ils n'en verraient jamais en tant que soldats. (Il eut un rictus.) Ils m'ont mis debout et reconduit à Fort-Rijkdom. Et j'ai laissé là le corps de ma mère, gisant dans la poussière. Ils n'ont même pas brûlé ni enterré les cadavres, et je doute que quiconque aie prit le temps de le faire.

Un silence. Une seconde de souffrance pure qui entailla le cœur de Lizzie.

— Alors, vous voyez. Même si cela avait signifié quelque chose pour elle... Son âme erre probablement quelque part en ce monde, et prier Mercyng ne sert à rien.

Les jambes de Lizzie tremblaient. Lentement, comme par peur de déranger la lourde chape qui venait de s'écraser sur la pièce, elle s'attabla. Sa gorge était nouée, et elle dût réunir toute sa volonté pour parler.

— Les corps de mes parents ont été entassés avec d'autres cadavres dans une fosse commune et brûlés loin de la ville.

Jan hocha la tête, les lèvres serrées.

— De quoi sont-ils morts ?

— La Peste. Tous les deux.

La Peste n'avait frappé que son royaume. Un signe des dieux, alors qu'il se murmurait que le Roi, sans héritier, avait été assassiné par la branche cadette de la famille royale, qui avait alors pris place sur le trône. La peste n'avait cessé que deux ans plus tard, lorsque l'usurpateur avait cédé le sceptre du pouvoir à son fils, Lancelin. C'était ce nouveau roi qui avait décrété l'envoi de jeunes femmes pour peupler les colonies. C'était lui qui avait glissé à l'oreille d'Ambroise l'ordre qui avait fait de Lizzie une tueuse. Il était ambitieux, et on le disait colérique et manipulateur, mais il avait fait davantage pour l'Ardrasie en dix années que toutes les têtes couronnées qui s'étaient succédées depuis des siècles.

Lizzie n'en menait pas large. Elle n'avait jamais eu l'intention de parler de ses parents au jeune homme. Elle n'avait pas eu l'intention de lui révéler quoi que ce fut sur elle, en vérité. Elle le contempla, depuis l'autre bout de la table. Il était aussi mal à l'aise qu'elle.

— J'en suis navré.

— C'était il y a longtemps.

Le silence s'étirait, et l'air paraissait s'être changé en plomb. D'autres images — des images de charniers, des bubons noirs qui suintaient sur des visages tordus des derniers râles de souffrance — flottaient dans l'esprit de Lizzie. C'était il y a longtemps, oui ; la fosse commune était loin, par-delà la mer. Elle n'était même pas allée se recueillir à son endroit avant de partir. Son ventre se contracta.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas vous causer de la peine.

Elle tenta de juguler les larmes qui montaient à ses yeux.

— Ce n'est rien.

Ce n'était pas rien. Ils le savaient tous les deux.

Elle se leva, incapable de toucher à la nourriture. Sa gorge était trop serrée.

Elle s'éclipsa dans le couloir, marcha jusqu'au vestibule. Elle ne pouvait plus respirer. Il lui semblait que le sol tanguait sous ses pas, et elle courut presque jusqu'à la porte d'entrée qu'elle ouvrit d'un coup sec. L'air glacial la saisit toute entière pendant qu'elle dévalait les marches du perron, un vent froid giflant ses joues brûlantes.

Sur la route qui longeait le canal, des fiacres passaient à toute allure. De rares piétons avançaient à petits pas pressés, les visages enfouis dans les pelisses. Personne ne faisait attention à elle, et elle se laissa aller à ses larmes silencieuses.

La kirk la plus proche n'était pas loin. Récemment construite à l'extrémité est de Gulden Stadsdeel et financée par les riches habitants du quartier, la pierre encore immaculée croulait sous les sculptures. Quelques passants discutaient à voix basse sur la petite place qui la jouxtait, ceinte d'une fontaine ornée d'un groupes en bronze représentant des saints.

Lizzie traversa la placette, tête baissée, et s'engouffra à l'intérieur de l'église. L'édifice était bas, mais majestueux. Des arcades somptueusement ornées s'élançaient vers les voûtes dorées qui illuminaient l'intérieur. Les pans des nefs étaient revêtus d'une fresque en mosaïque savamment éclairée par des lampes à cræft, dévoilant des scènes mythologiques. Les visages des dieux demeuraient vides de tous traits.

Il faisait à peine plus chaud qu'à l'extérieur, et Lizzie s'approcha en frissonnant des premières rangées. Un brasero avait été allumé devant l'autel, non pas pour prodiguer de la chaleur mais pour y brûler des vœux à l'intention de Mercyng. Le bâtiment était désert ; il était encore tôt.

Elle s'assit, les mains jointes, et tâcha de juguler sa respiration encore tremblante. Il lui semblait que la marque qui ornait son omoplate s'échauffait. C'était une brûlure douce, presque rassurante, comme une main posée à cet endroit.

Mercyng était son dieu ; il veillait sur elle tant qu'elle remplissait son devoir. Il veillait aussi certainement sur ses parents dans le royaume sombre. Un jour, elle les rejoindrait elle-même.

Elle leva les yeux vers l'autel, ceint de sept statues sans visages. La sculpture représentant Mercyng, tout en pierre noire, tenait un sceptre dont la forme rappelait celle d'une épée. L'exacte copie du tatouage qui était inscrit sur son dos.

Un frisson dévala sa colonne vertébrale. Il lui semblait que la statue sans yeux la regardait de son visage aveugle. Et tandis qu'elle le fixait, le cœur palpitant à toute vitesse dans sa poitrine, des pas résonnèrent dans son dos.

Wes hāl, freyja.

Lizzie sursauta en entendant la voix cristalline qui venait de résonner dans l'église. Son regard quitta la statue, pour se poser sur un petit garçon au visage émacié. Il s'assit à côté d'elle. Elle lui adressa un sourire. Elle se demanda s'il avait lui aussi perdu ses parents.

Wes hāl, répondit-elle dans un nærmark approximatif.

Doucement, il posa une enveloppe entre eux. Il ne croisa pas une seule fois son regard, son minois tourné vers le chœur de l'église. Sa poitrine se soulevait vite, et une veine palpitait follement sur sa tempe. Lizzie, elle, n'osait pas s'en aller. Son regard était fixé au papier posé sur le banc, la couleur crème se découpant sur le bois sombre. Il était frappé d'un sceau noir, où se dessinait les reliefs du sceptre caractéristique.

Mais elle doutait qu'il s'agisse-là d'une des missives portées vers l'au-delà que l'on avait l'habitude de brûler pour Mercyng. Elle détailla le gamin du coin de l'œil. Un enfant des rues, chétif, aux traits pâles et aux yeux qui avaient pleuré trop de larmes pour une vie entière — elle connaissait ce regard-là. Il parut prier quelques minutes, avant de se lever, rajustant son manteau — flambant neuf — de ses petites mains maigres.

Il remonta la nef d'un pas tranquille. Lorsque les portes de l'église se furent refermées, Lizzie s'autorisa à souffler. Elle reporta son regard sur l'enveloppe que l'enfant avait laissée sur le banc, d'une blancheur éclatante qui tranchait sur le bois sombre. Elle s'en saisit.

Elle hésita un instant à l'ouvrir en ce lieu saint, mais après tout, aujourd'hui était le jour de Mercyng, et cette lettre le servait.

Elle décacheta le pli, et fit glisser doucement le carton qui s'y trouvait.

Un nom gravé à l'encre de sang, dans une écriture serrée et vive.

Ulrik Redstig.

Et en dessous, une indication :

Assassiné. Du sang ; pas de témoins.

La respiration de Lizzie se coupa dans sa poitrine.

Un nouveau nom. Une nouvelle victime.

Enfin. Déjà.

La peur menaçait de la submerger, faisant tambouriner son cœur dans sa poitrine. Une chaleur plus vive courut le long de son omoplate. Elle ne trouva pas la force de croiser le visage vide de la statue.

Elle s'approcha du brasero qui flambait devant l'autel, et jeta l'enveloppe et les mots qu'elle contenait au feu, regardant le papier se racornir et se consumer, regardant partir en fumée toute preuve du crime qu'elle allait commettre, regardant crépiter l'encre rouge au contact des flammes. Un avant-goût du sang qu'elle offrirait à Mercyng.

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