Mon Père
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Chaque jour, on voyait l'arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l'ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. L'année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu'il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l'augmentation insolente de notre fortune.
En traversant le chantier qu'était devenu notre hôtel particulier, je m'attendais presque à voir mon père examiner ses comptes dans une salle à ciel ouvert. Mais comme j'aurais pu m'en douter, aucun ouvrier n'avait été assez fou pour toucher à la salle où était enfermé les documents sur lequel reposaient notre famille. Il était dit que la pièce sombre resterait jusqu'à la fin des temps le coeur de la bâtisse, comme l'antre d'un monstre fantastique. Le visage de mon géniteur en cet instant faisant tout pour y ressembler.
Lorsqu'il me vit entrer, il ne m'accueillit pas. Habitué à ce genre de comportement, je m'installai sur une des deux chaises fort inconfortable qui se trouvait en face de se table de travail, une spécificité qu'il utilisait avec un certain talent pour mener à bien des négociations. Essayez de négocier une augmentation de salaire quand au bout de dix minutes votre dos vous fait mal ! Autant dire que le voir continuer sa tâche en cours était une frustration qu'il utilisait pour me signifier son mécontentement.
Après une éternité, qui ne devait sans doute durer qu'une demi-heure en dehors de cette pièce, il termina son mémoire et sortit une lettre qu'il relut avec application. Je frémis en voyant le cachet du couvent des Soeurs Servantes. Enfin, il reposa la missive, joignit les mains et me regarda fixement :
"Fils, votre travail au sein de notre compagnie est excellent."
Je ne sus que répondre, n'ayant pas prévu cette éventualité. S'attendant à une réponse, ou prenant plaisir à installer un instant de malaise, il fit tout pour ne pas casser ce silence, du moins pendant une bonne minute. Voyant que j'étais toujours muet, il continua :
"Vous m'avez toujours demandé de plus vous associer à mes affaires. Et comme je ne suis pas un ingrat, et que vous avez fait vos preuves, je vous offre le poste de second."
J'allais le remercier quand il ajouta : "En ce sens, votre première mission sera de partir vérifier la tenue de nos comptoirs en Nekhou, un voyage qui ne vous prendra que six courts mois." Et pour la première fois depuis le début de l'entretien, je le vis sourire. Surtout quand il ajouta : "le prochain convoi part cet après-midi, je crains que ce soit trop court pour que vous ne puissiez dire au-revoir à votre bien aimée."
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