Lento
Dix-huit heures précises, comme tous les soirs. Les aiguilles fines de la grande horloge dans le hall sont en une ligne verticale unique découpant le cadran en deux hémisphères, la nuit tombe peu à peu en ce mois de novembre. L'hiver sera bientôt là, apportant avec lui la neige, mais pour l'heure, une pluie battante frappe les marches du conservatoire, dont l'un des bâtiments possède une forme de piano, noir et blanc, tandis que l'autre est un sublime violon translucide. Le vent souffle, joue dans les feuillages se parant de vert, de rouge et d'or, qui tourbillonnent ensuite jusqu'au sol, nuancés de brun. Seuls les sapins, ça et là, n'ont pas changé, gardant leur vert sombre, vert brillant, en une parure simple et immuable. Les lumières brillent d'une chaude lueur dorée, à l'intérieur de cet écrin de verdure.
C'est un cadre rassurant, pour l'adolescent qui pousse la porte de métal et de verre, essuie soigneusement ses bottes, puis s'avance. Ça et là, les murs aux couleurs pastels ou neutres sont décorés de panneaux de bois où s'accrochent des projets, des affiches pour les concerts étudiants, les pièces de théâtre, des frises chronologiques de la musique ou les horaires pour les répétitions de l'orchestre. Le sol, blanc et noir, dessine des motifs de claviers, de partitions, revêt un tapis de tissu grenat traçant un chemin au milieu de ce lieu en forme de piano. La secrétaire, derrière son bureau, sourit au jeune homme, le salue comme un habitué, puis le laisse avancer à sa guise. Il est, comme les autres venant ici depuis bientôt quatre ans, comme chez lui en ce lieu.
Ses pas le mènent, comme chaque fois, vers le violon translucide qui forme l'autre part de l'école, et il passe une main fine dans ses mèches de jais, s'arrêtant un instant sur le pont en forme d'archet à la fois transparent et couleur d'argent reliant les deux instruments pour admirer cet endroit. Les lumières semblent concurrencer les étoiles, les couleurs, dans la pénombre du crépuscule, se ravivent en un ultime défi à la nuit, sous les nuées prenant des nuances d'orange, de rose et de violet très doux, et la musique s'élève des différentes salles, ajoutant à la féérie du lieu. Dans le dos de Thomas, l'étui de son violon exerce un poids léger, familier, et il esquisse un sourire avant de reprendre son chemin jusqu'à la salle d'orchestre.
Elle est là, comme chaque fois, debout devant la baie vitrée, de dos dans la pénombre que seules deux bougies éclairaient. Sa silhouette fine, vêtue d'une robe blanche, réplique d'un costume de comédie musicale, se détache sur le ciel nocturne, et elle étend le bras, gracieuse, pour terminer une note jusqu'à la pointe de son archet, ses mèches brunes encadrant élégamment son visage. Le jeune homme, au dehors, pose doucement son instrument, puis s'avance pour l'observer, par l'un des murs translucides, n'osant s'approcher et rompre sa quiétude. Elle est seule, différente et belle, tourbillonnant tout en attaquant un autre mouvement, et il n'a aucun droit de lui voler ces moments... Alors il reste là, une main posée sur le verre embué par sa respiration, un demi-sourire aux lèvres, contemplant sans un mot la jeune fille au violon, la petite musicienne, douce et pétillante, l'Oiseau de Feu, et murmure, sans personne pour l'entendre, comme un secret aux premières étoiles qui scintillent sur la voûte étoilée :
« Je t'aime, Rose. »
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