VENDREDI 20 / 10 HEURES 30
Louis aurait dû préciser un détail avant d'accepter la partie de Monopoly : il était mauvais perdant. Au début, pourtant ça avait bien commencé, Ninon faisait la banque pour des soucis pratiques, afin d'éviter qu'il ne touche les billets. Il se mouchait souvent, il avait d'abord entassé quelques papiers usagés à côté de lui, avant de voir sa colocataire reluquer avec méfiance la pile grandissante. Louis était allé chercher la corbeille dans sa chambre, et depuis, il jetait machinalement tous ses mouchoirs dedans. Ninon tirait les dés pour lui, et faisait avancer son pion. C'était bonne enfant, il s'amusait presque, lui qui n'avait jamais grand fan des jeux de plateaux.
Mais bientôt, Ninon s'était mis à tout rafler, à faire construire à tire-larigot partout et surtout n'importe quoi. Les dettes de Louis s'accumulaient, il avait fait deux séjours en prison et avait réussi à gratter une pitoyable maison qui ne rapportait rien du tout. Il perdait patience, elle le faisait exprès. Il regardait bien quand elle lançait le dé, elle avait un mouvement particulier, qu'elle ne faisait pas quand c'était son propre tour. Elle truquait le jeu pour gagner, il ne supportait pas. Louis avait contenu sa frustration longtemps, avant d'exploser, quand Ninon le dépouilla de ses dernières économies.
─ C'est bon, j'arrête, tu triches.
Ninon haussa les sourcils.
─ Quoi ? Mais je triche pas du tout.
─ Bien sûr que si, je te vois, tu fais un petit mouvement du poignet quand tu lances le dé pour moi, tu le fais exprès !
Au début, Ninon rit, pensant peut-être qu'il plaisantait. Mais Louis était sérieux, il n'aimait pas les injustices, surtout quand elles le touchaient personnellement. Le Monopoly était un jeu stupide, de toute manière. Il ne l'avait jamais aimé, il avait juste accepté pour lui faire plaisir. Il s'était levé de sa chaise, était allé aux toilettes pour décompresser. Quand il réapparut dans le salon, Ninon avait les bras croisés, sur sa chaise, et l'observait, amusée. Ça énervait encore plus Louis.
─ Eh, me regarde pas comme ça, la prévint-il.
─ Oh ! C'est bon, c'est un jeu.
─ Ouais, mais tu triches.
─ Mais n'importe quoi ! Comment tu veux que je triche en lançant un dé ? Je suis pas assez douée pour savoir quel chiffre faire juste avec le mouvement du poignet.
─ Non, mais, c'est sûr que tu triches.
Il n'en démordait pas. Il ne pouvait pas être aussi mauvais. Il y avait forcément un truc. Ninon l'avait énervée, alors Louis se réfugia dans sa chambre, histoire de se changer les idées. Il s'affala sur son lit, cala son oreiller dans son dos et se moucha. Au moment de vouloir jeter le papier dans la corbeille sous le bureau, il réalisa qu'elle était resté dans le salon. Il soupira, et déposa le mouchoir sur sa table de nuit. Lui s'en fichait des microbes, il était déjà malade, de toute manière.
Ninon ne fut pas longue à frapper à la porte de sa chambre. Il l'ignora.
─ Je peux entrer ? insista-t-elle.
Il marmonna une parole inaudible, même lui ne savait pas s'il s'agissait d'un oui ou d'un non. Ninon trancha à sa place, elle entra. Entrer était le mot-clé, ici. D'habitude, si elle voulait lui parlait, elle restait sur le pas de la porte, répugnée par la saleté ou voulant respecter son intimité, l'un de deux. Cette fois-ci, elle fit les quelques pas qui la séparait du lit, et s'assit sur le bout du matelas, les yeux sur le mouchoir sur le guéridon. Elle releva vite le regard sur Louis, il gardait son air renfrogné.
─ Désolée d'avoir gagné, s'excusa Ninon avant de rire.
─ C'est pas drôle, maugréa-t-il.
─ C'est un peu drôle.
─ C'est pas drôle.
Il était moins convaincant dans sa dernière affirmation, retenant un sourire. Ninon capta le moment de faiblesse.
─ On va dire que c'est parce que t'étais malade, proposa-t-elle en guise de compromis.
─ Ah, bah, c'est sûr, sinon j'aurais gagné.
Elle hocha la tête. Louis souffla, et le silence qui suivit lui parut durer une éternité. Elle était assise juste là, à côté de ses jambes étendues, devant lui, plus proche qu'elle ne l'avait jamais été. Elle avait bravé sa peur de la contamination pour le trouver dans sa chambre. Les mains de Louis étaient glacées, le sang n'y circulait plus car son cerveau pompait toute son énergie à réguler ses émotions. Par la fenêtre, le soleil faisait miroiter les couleurs de la pièce, rendant le bleu de ses draps plus profond et celui des yeux de Ninon plus clair. Louis repensa à la nuit passée, à sa conversation avec Malik et toutes les fois où Lola lui avait assuré qu'il finirait par trouver la bonne.
Il s'était demandé à quoi, elle ressemblerait, cette fameuse « bonne ». Plus jeune, il avait pensé à tort qu'elle serait la plus belle, la plus douce, la plus gentille. Avec les années et les déceptions amoureuses, il réalisait que la « bonne » n'avait rien de tout ça. La « bonne » fille, ce serait celle à qui il pourrait se confier sans pudeur, qui accepterait ses défauts, ses qualités et ses mauvaises manies, qu'il verrait tous les jours sans jamais se lasser. Il s'était défait de tous les préjugés superficiels que les adultes versaient aux enfants, les coquillages qu'on conseillait de ramasser pour son amoureuse et les bagues qu'on était censé offrir à la Saint-Valentin. La « bonne » ne serait jamais superlative, elle se découvrirait dans les moments de vides, les interstices de la vie auxquels on ne pensait pas, le quotidien banal.
Sans trop savoir pourquoi, son estomac se noua, et Louis était persuadé que la bonne se trouvait en face de lui. Ninon n'avait rien de somptueux ou magnétique en elle, il ne l'avait jamais vue apprêtée. Alors si on pouvait tomber amoureux d'une fille dans toute sa nature, sans voir la face qu'elle offrait au monde, c'était qu'on avait trouvé la bonne personne. Malik avait peut-être un peu raison, il devait se sentir seul pour craquer en une semaine, mais devait-on lui jeter la pierre pour autant ?
Le garçon agit vite, une paire de seconde après ce fameux hochement de tête, animé par une force sentimentale puissante. Il se pencha, et voulut l'embrasser, pensant voir dans le sourire de sa colocataire l'accord, la preuve évidente de la réciprocité de ses sentiments. Le visage de Louis s'approcha avec danger vers celui de Ninon, et confiant comme il l'était, il tomba de haut quand elle le repoussa violemment, plaquant ses mains contre son torse. C'était la première fois qu'elle le touchait volontairement.
─ Qu'est-ce que tu fous ? s'étrangla-t-elle.
Elle se leva aussitôt du lit, comme s'il était désormais souillé. Louis bégaya.
─ Je... je sais pas... Je pensais que...
Ninon non plus, n'avait plus les mots. Elle le fixait effarée, les yeux ronds comme des billes, secouant frénétiquement la tête. Une décharge de gêne secoua Louis, paralysé dans son lit, effrayé de la réaction de Ninon, et honteux de son geste. Qu'est-ce qu'il lui avait pris ? Pourquoi avait-il pensé que c'était une bonne idée ? Il était cramoisi quand Ninon fila, refermant la porte derrière elle.
Le jeune homme resta ainsi, sur son lit, sans bouger. Quand au bout d'interminables seconde, il s'anima enfin, ce fut pour se frapper le front avec sa paume. Débile qu'il était !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro