III. Atmosphère artistique
Vint le jour de mon anniversaire. Je me réveillai impatiente et excitée, ce matin-là, et mes parents firent durer le suspense en me disant de bien m'habiller et de préparer mes affaires pour la journée.
Sans me laisser deviner quoi que ce soit, mes parents m'emmenèrent à la gare, et m'empêchèrent de voir la destination de notre train. Les trois heures du trajet passèrent au rythme de Can You Feel My Heart de Bring Me The Horizon et de Smells Like Teen Spirits de Nirvana, et en regardant des champs, et des champs, et ... encore des champs. Ce paysage uniforme ne m'aida pas à deviner ma destination jusqu'à ce que retentisse la mélodie de la SNCF, suivie d'un court message : « Le train est bien arrivé à destination de Paris, gare de Lyon. Veuillez descendre des wagons. »
Un sentiment à la fois léger et puissant m'envahit, comme une bouteille de soda que l'on venait de secouer. Je n'en revenais pas. Si aujourd'hui j'étais à Paris, j'irais à coup sûr voir l'Opéra si célèbre de la capitale. Mes parents savaient combien j'avais envie de le visiter, depuis que j'étais musicienne. Mais je pourrais bien sûr visiter la ville, ses recoins, ses monuments...
Toute la journée, nous nous étions baladés, tantôt dans le jardin des Tuileries, tantôt sur les Champs-Élysées, tantôt dans des petites rues inconnues du grand public. J'avais adoré cette journée mais n'attendais plus qu'une chose : voir l'Opéra.
Justement, il était dix-neuf heures trente et nous sortions du restaurant. Nous marchions tranquillement dans la rue quand soudain ledit bâtiment apparut sous nos yeux. Sa façade majestueuse se présentait à nous, et j'admirai ses couleurs bleues et or, sculptées tout en délicatesse.
Nous entrâmes et je fus émerveillée devant tant de beauté. Tout était splendide dans un style baroque. Une douce odeur à la fois florale et fruitée traînait dans le hall, ajoutée à celle caractéristique des instruments. L'ensemble m'envoûtait. En faisant la queue pour rentrer, je découvris nos billets.
Ce soir, nous allions assister à un quintette à cordes. Deux morceaux seraient interprétés : le Quintette n°1 en si bémol majeur, K.174 de Mozart, et le Quintette n°2 en sol majeur, op.111 de Johannes Brahms.
Autour de moi, il n'y avait que des amateurs de musique classique, et j'adorais l'ambiance à la fois chaleureuse et imposante créée. Peut-être que je jouerai ici, plus tard et que ces mêmes personnes viendraient m'écouter jouer un morceau de Bach, ou un concerto de Mozart ? J'étais déjà bien partie, en jouant à l'Opéra de Lyon. Dans quelques années, en progressant bien, j'atteindrais sûrement le niveau nécessaire pour me produire sur cette scène, ou même dans le reste du monde, qui sait ? Je ne devais pas être trop ambitieuse au risque d'être déçue, mais je pouvais commencer à effleurer du bout des doigts mon rêve de gamine.
Depuis que j'étais toute petite, et que j'avais découvert la harpe et la musique, j'avais l'impression que ma vie était toute tracée. J'avais toujours voulu devenir harpiste prodige, et me produire dans le monde entier. Je pris cette résolution du haut de mes cinq ans, la première fois que je touchai l'instrument, après avoir entendu le Canon de Pachelbel. Ce n'était bien sûr pas une vraie harpe, j'aurais été beaucoup trop petite pour en jouer, mais un modèle miniature fait pour apprendre. Il en émanait les mêmes odeurs de bois poli que la harpe sur laquelle je jouais depuis maintenant trois ans, et je la gardais précieusement dans un coin du bureau pour l'admirer comme une statue.
À la rentrée suivante, je pris des cours de solfège et de harpe, et j'étais une élève modèle. Comme le voulait le système en France, je passai mon examen de premier cycle en quatrième année et l'obtint haut la main. À ma huitième année, je passai mon Brevet d'Éducation Musicale, appelé plus couramment B.E.M. Cette année, je concourais à l'examen de troisième cycle, mon Certificat d'Études Musicales, le C.E.M. À partir de là, je pourrais, avec mon bac en poche, devenir harpiste professionnelle et me produire sur scène en tant qu'artiste auto-rémunérée. Mon rêve de mes cinq ans se réaliserait alors, rien que d'y repenser, j'avais l'impression d'avoir des étoiles dans les yeux.
Nous entrâmes dans la salle doucement, et je fus surprise de voir que mes parents avaient choisi une place à l'avant, dans le parterre, d'où on voyait parfaitement la scène, mais aussi l'architecture impressionnante de l'Opéra de Paris. J'avais passé le temps que tout le monde s'installe la tête en l'air, à admirer le plafond et ses splendides peintures, malgré le ridicule de la situation. Comme dans chaque salle de concert, l'atmosphère était particulière, à la fois douce et respectueuse. Quand le silence se fit, je regardai enfin la scène.
Le quintette commença son premier morceau, l'acoustique était tellement bonne que je percevais le moindre crissement de l'archet contre les cordes des violons. L'odeur du bois verni se répandait dans toute la salle. C'était tellement beau que j'avais envie de pleurer. La musique prenait vie sous mes yeux, dans mes oreilles, dans ma tête. Je pouvais presque voir des spirales de notes se diffuser dans toute la salle et nous parvenir. La moindre note sonnait comme un chant d'oiseau, la moindre mélodie était un chant délicat, coulant d'une source pure. La conversation entre les violons était riche, leur façon de s'exprimer mélodieuse et élégante, leurs arguments convaincants. Ils accordèrent leurs sons, tout était magnifique dans un lieu splendide. L'odeur de la musique me montait à la tête.
Les deux morceaux passèrent trop vite, pourtant le concert avait duré plus de deux heures. La musique plein la tête, je me rendis compte assez tard que nous devions prendre le train de nuit et que ma journée d'anniversaire était quasiment finie.
Arrivés à la gare, nous prîmes la voiture, et nous roulâmes en direction de la maison. Tous fatigués mais heureux de la journée, nous avançâmes tranquillement le long de la route.
Tout était parfait. Tellement parfait que j'avais l'impression que quelque chose clochait. Une expression sereine – quoiqu'un peu fatiguée – traînait sur le visage de mes parents, qui discutaient de tout et de rien.
Pour passer le temps, je détaillai le siège devant moi, puis, lassée, regardai les étoiles apparentes dans le ciel d'un noir d'encre.
Mue par une impression étrange, je me détachai de ma contemplation du ciel, et vis, trop près de notre voiture, les phares d'un véhicule. Il se dirigeait droit sur nous.
Je fermai les yeux quelques instants avant qu'une violente secousse accompagnée d'un craquement sonore nous fassent sursauter. Notre automobile vola brutalement dans les airs, et se retourna, faisant résonner de multiples brisures de verre. L'odeur chimique de l'essence envahit l'air, et je ne tentai même pas de bouger. Je ne sentais plus mon bras droit, et un violent coup m'avait sonnée.
La pluie passa à travers la vitre désormais brisée au-dessus de moi, et dissipa les vapeurs de l'essence.
Je sombrai dans un sommeil ouateux et agité.
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