Une vague de panique la gagne, elle se débat, oubliant qu'elle se trouve à plusieurs mètres de haut.

— Eh, arrête ! s'exclame l'ange.

— Lâche-moi !

Elle continue d'essayer de se dégager, déséquilibrant l'ange qui perd rapidement de l'altitude. Il tente de ralentir sa descente mais la créature qui lui griffe le torse l'empêche de se stabiliser. Ils heurtent tous les deux le sol et roulent sur plusieurs mètres.

La harpie se redresse sur le champ. Les genoux fléchis, les griffes ancrées dans la terre, elle est prête à se défendre.

—  Oh, doucement ! tente-t-il de l'apaiser.

Le garçon recule, puis lève les bras pour lui montrer qu'il ne lui veut aucun mal. Il se relève doucement, sous le regard méfiant de la harpie. Ses plumes sont tachées par la boue, de même que son visage. Son tee-shirt à moitié déchiré pend à son épaule droite. Tout à coup, il ne ressemble plus beaucoup à un ange.

—  Qu'est-ce que tu fais ici ? siffle l'enfant harpie.

Il la guette avec appréhension.

— Je t'ai sauvée la vie.

—  Les anges n'ont rien à faire ici.

Il laisse retomber ses bras des deux côtés de son corps.

—  J'ai ressenti ta détresse. Je suis venu t'aider.

La harpie grogne.

—  Je n'avais pas besoin de ton aide, rétorque-t-elle. Retourne d'où tu viens si tu ne veux pas que je t'y force.

L'ange rit, laissant entrevoir des dents immaculées. Son rire cristallin surprend la fille.

—  Comme si tu le pouvais, se moque-t-il.

Énervée, elle bondit sur l'ange et le plaque au sol. Elle veut lui donner un coup de griffes, mais le garçon la renverse et plaque ses poignets au sol. Elle a beau essayer, elle ne parvient pas à se libérer.

— Ta mère ne t'a pas appris que les anges étaient plus forts que les harpies ?

Si. Elle le lui a répété des dizaines de fois. « Méfie-toi des anges, ils sont dangereux. »

Et soudain, elle a peur.

Elle tressaille.

—  Tu vas me tuer ? articule-t-elle.

L'ange arque un sourcil et la fixe avec surprise.

— Pourquoi je t'aurais sauvée si je voulais ta mort ?

—  Parce-que les anges sont cruels.

Il affiche un air interloqué. Puis relâche son emprise sur la fille et recule.

— Qui t'a dit ça ?

La harpie s'assoit avec prudence.

— Ma mère.

Il incline la tête avec étonnement.

— Elle ment, les anges sont les créatures les plus nobles qu'il existe.

Le vent continue de souffler. Des feuilles tourbillonnent autour des deux enfants. La fille ne répond pas. Elle observe la créature dont sa mère la mainte fois mis en garde, la créature dont on se sert pour effrayer les autres enfants de son espèce, la créature qu'on lui a appris à haïr et à craindre en même temps.

L'ange ne semble pourtant pas si dangereux que ça. Il est jeune, comme elle. Et tout aussi curieux.

— Comment tu t'appelles ? lui demande-t-il.

—  Seph.

— Moi c'est Êli, se présente le garçon.

Les deux créatures qui se font face semblent totalement opposées.

L'une est sauvage, l'autre se tient droit comme un i.

Les deux se scrutent, s'interrogent, se jaugent.

— J'ai déjà entendu parler de ton espèce, commence l'ange. On dit que vous êtes des créatures du mal, c'est vrai ?

Seph ne comprend pas. Alors elle se contente de hausser les épaules.

Puis, d'un geste de la main, elle repousse une mèche de cheveux trempée de son visage et lève la tête vers le ciel, cherchant des yeux la branche de laquelle elle a chuté.

La pluie continue de tomber à torrent. Elle ne semble pas prête de cesser.

Soudain, une forme vive passe au-dessus d'elle, une vingtaine de mètres plus haut.

L'ange l'a vue aussi, mais n'est pas sûr de ce que c'est. Les yeux ambrés de Seph percent l'obscurité de la forêt, détaillent sans difficulté tous les petits détails que l'ange ne perçoit pas. Elle reconnaît tout de suite sa mère.

Un sourire illumine son visage. Êli comprend alors qu'une autre harpie est dans les parages. Une adulte.