« Quoi ! S’étrangla la meneuse, mais pourquoi nos ancêtres prévoit autant dans le futur ?

- Je ne sais pas, répondit Croc Jaune, désabusée mais certaine qu’il fallait suivre la volonté du Clan des Étoiles.

- Je ne peux pas m’y opposer… Si Œil du Fleuve doit partir, et bien qu’elle le fasse. C’est une guerrière douée, je sais qu’elle y arrivera ! ».

Étoile Bleue se tourna vers l’intéressée, ses yeux limpides montrèrent un véritable soutien. Elle lui dit qu’il fallait faire une assemblée, sans révéler trop de choses. Les trois femelles sortirent de la tanière en direction du promontoire. Ce fut la première fois que la chatte au pelage gris clair monta dessus. « Que tous ceux qui sont en âge de chasser se réunissent pour une assemblée de clan ! ». Les mentors qui revenaient des entraînements avec leurs apprentis s’installèrent en bas du rocher. D’autres guerriers, dont Tornade Blanche et Plume Grise en firent autant tandis que les anciens approchaient plus lentement. Les reines pointèrent le museau hors de la pouponnière pour observer de loin, elles étaient trop occupées à gronder les chatons.

Une fois que tout le monde fut prêt, la meneuse clama : « Chats du Clan du Tonnerre ! J’ai une annonce importante à vous faire. Œil du Fleuve doit s’en aller, elle doit réaliser une quête, sa vie n’est pas ici avec nous ». Des cris de protestations éclatèrent, Griffe de Tigre semblait indigné. Dans la masse de félins, Éclair Noir se leva et feula : « sale traîtresse ! Tu fuis tes responsabilités, voilà la vérité ! Elle se rend compte seulement maintenant que la vie sauvage ne lui convient pas. Redeviens une chatte do…

- Ça suffit ! Tu dis n’importe quoi, si Œil du Fleuve part c’est qu’il y a une bonne raison. Hurla Tornade Blanche, pour la défendre.

- Espèce de cerveau mou ! Je vais t’arracher la fourrure ! ».

L’assemblée était en train de dégénérer, les deux mâles allaient se battre. Œil du Fleuve assistait à la scène, impuissante tandis qu’Étoile Bleue essayait de calmer la situation en vain. Fort heureusement, Cœur de Feu s’interposa, il mit fin à l’altercation en lâchant : « laissez notre cheffe terminer cette assemblée dans le calme ! Il toisa ensuite du regard Griffe de Tigre, ce n’est pas à moi de faire ça, mais visiblement notre lieutenant préfère rester passif ». Celui-ci allait riposter quand leur meneuse poursuivit enfin : « je ne veux plus rien entendre, témoignez du respect envers Œil du Fleuve. Sans elle, Demi-Queue serait peut-être mort, sans elle, le renard aurait pu attaquer le camp, sans elle, la chasse aurait été plus dure. L’assemblée est terminée ! ».

À midi, la guerrière aux rayures noires partagea pour la dernière fois, un repas avec son demi-frère et ses camarades. Elle prit le temps de discuter avec Tornade Blanche, il voulait davantage d’explications. Œil du Fleuve l’emmena à l’abri des regards, ils traversèrent les sous-bois et trouvèrent les rochers du soleil. Elle s’allongea avec lui sur une pierre chaude, et observa l’écoulement de la rivière en disant :
« je dois accomplir une mission, le Clan des Étoiles m’envoie réaliser une longue quête… Elle hésita avant de continuer. Je suis triste de partir, de te quitter enfin de vous quitter tous.

- Tu es forte et courageuse ! Je le vois depuis le début. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus, tout ce qui compte pour moi, c’est que tu t’épanouisses et que tu ailles bien ». Voyant que la femelle ne savait que dire il ajouta : « je sais que tu ressens quelque chose pour moi. Dans une autre vie, si je t’avais rencontré avant, j’aurais voulu être ton compagnon.

- C’est vrai ? Se demanda t-elle, les yeux brillants.

- Oui c’est vrai, stupide boule de poil ! Répondit Tornade Blanche en frottant sa tête contre celle d’Œil du Fleuve qui ronronnait de bonheur. Les deux matous profitèrent des rayons du soleil avant de repartir en direction du camp.

En début d’après-midi, la chatte gris clair quitta le Clan du Tonnerre. De nombreux félins s’amassèrent au niveau du tunnel végétal pour lui dire une dernière fois au revoir. Il y avait Demi-Queue, qui lui fit une léchouille affectueuse, Nuage Cendré qui reprenait des forces ou encore Plume Grise, Tornade Blanche, Poil de Souris et bien sûr, Croc Jaune qui lui souhaita bonne chance en lui donnant une herbe fortifiante.

Étoile Bleue, se glissa entre les pelages de ses camarades, toucha le museau d’Œil du Fleuve et proclama d’une voix assurée : « que le Clan des Étoiles illumine ton chemin ! Nous nous reverrons peut-être un jour ». Cœur de Feu accompagna sa demi-sœur jusqu’à la frontière, celle-ci le remercia chaleureusement. Ils s’enfoncèrent dans les sous-bois, passèrent le Grand Sycomore et les Rochers aux Serpents avant d’atteindre le marquage au niveau des Grands Pins. La ville des bipèdes se trouvait de l’autre côté. Œil du Fleuve se tourna vers le rouquin : « avant de partir, il faut que j’aille voir Princesse. Tu veux bien venir avec moi ?

- Je ne peux pas, il faut que je rentre au camp. Sache que je suis très heureux de t’avoir connu, tu portes l’espoir en toi. Je ne t’oublierai jamais, c’est promis.

- Ça me touche beaucoup » répondit-elle émue. Elle se colla contre la fourrure roux flamme de Cœur de Feu et inhala son odeur qui lui manquerait grandement. La femelle se força ensuite à traverser la frontière. Elle se dirigea vers la cabane à couper le bois, laissant le valeureux guerrier essayer de camoufler sa tristesse.

A posteriori, Œil du Fleuve se retrouva dans une petite ruelle qui menait vers le nid de sa demi-sœur aux yeux verts. Comme pour habitude, elle sauta par-dessus la clôture en bois qui protégeait le jardin. Princesse prenait le soleil, étalée sur l’herbe tendre. Elle cracha de peur en voyant arriver la chatte sauvage mais fut vite soulagée en la reconnaissant : « Ruby, c’est toi ?

- Je m’appelle Œil du Fleuve désormais, mais oui c’est moi, tu m’as manqué.

- Tu es donc devenue une véritable guerrière, félicitation !

- En effet, j’ai appris beaucoup au sein du Clan du Tonnerre… Je dois maintenant partir réaliser une quête loin d’ici, je ne pense pas que nous nous reverrons malheureusement ».

Voyant la mine déconfite de son amie, la féline vint lui faire une accolade réconfortante. Elle lui adressa une dernière salutation et quitta le jardin sans se retourner. Elle retraversa le quartier de bipède en évitant de passer devant son ancien foyer en ruine et longea le nid de Tommy. Il y avait un monstre géant tapi au niveau de l’entrée. Des sortes de boîtes marrons, empilées les unes sur les autres l’entourait. Œil du Fleuve fut interpellée par un miaulement, le chat domestique venait dans sa direction. Il échangèrent quelques nouvelles quand le matou lui annonça : « je veux venir avec toi !

- C’est impossible, tu ne supporterais pas le voyage, rétorqua t-elle.

- Je ne suis pas un chat paresseux comme le bon vieux Ficelle et puis… Il marqua une pause. Mes maisonniers déménagent, j’ai pas envie de me retrouver avec des inconnus loin d’ici. Si je pars avec toi, au moins je serai avec quelqu’un que je connais.

- Je comprends ton ressenti Tommy, mais ce voyage risque d’être long et périlleux. Je ne sais même pas ce qui m’attend là-bas.

- Je t’en supplie, ooh Œil du Fleuve, accepterais-tu ma présence ? Adjura le mâle marron tigré aux pattes blanches.

- Je ne peux pas accepter, je suis sincèrement désolée. Je n’ai pas envie qu’il t’arrive un malheur pendant le périple, je m’en voudrais trop. Et puis ce monde n’est pas fait pour toi Tommy, mais sache que je ne te remercierais jamais assez pour m’avoir accueilli lorsque j’étais dans le mal ». Le chat domestique baissa la tête, les oreilles rabattues en arrière. Il lui souhaita bon courage et se détourna pour retourner vers son nid. Œil du Fleuve dut se retenir de le rappeler, elle avait mal au cœur mais se devait d’être forte. Le soleil commençait à descendre, il fallait qu’elle s’éloigne de la ville de bipèdes pour trouver un abri.

Postérieurement, en longeant un chemin du tonnerre, elle tomba sur un petit pont en bois. Le cours d’eau du Clan de la Rivière passait en dessous. Notre guerrière le traversa assurément et remarqua au loin le nid de bipède vu dans sa vision. Elle s’en approchait discrètement lorsqu’un rugissement retentit, un monstre fonçait droit sur Œil du Fleuve. Elle eut juste le temps de s’écarter en bondissant dans un fossé. La bête aux pattes rondes laissa passer un souffle puant derrière lui avant de s’éloigner. La chatte toussa, écœurée par la fumée noire qui sortait par l’arrière du monstre.

Après s’être remise, elle continua de cheminer vers le nid. En s’approchant, des cris de bipèdes se firent entendre. Elle contourna les murs en pierre de la structure et vit un grand jardin entouré de buissons. Plusieurs toiles multicolores tapissaient le sol, des bipèdes avec leurs petits jouaient avec.

Œil du Fleuve quitta cet endroit mystérieux et ferma les yeux pour essayer de se souvenir de la direction à suivre. Elle se souvint alors qu’il fallait aller tout droit après le nid vers le chemin argenté. Le crépuscule s’annonçait, son ventre gargouillait, il fallait chasser. La femelle gagna une forêt de sapins, des aiguilles parsemaient la terre, faisant une litière confortable. Les dernières lueurs du jour avaient du mal à pénétrer le feuillage des persistants.

Elle adopta les enseignements de chasse du Clan du Tonnerre et repéra un écureuil, cramponné sur un tronc. Œil du Fleuve posa délicatement ses coussinets sur le sol pour éviter de faire fuir sa proie. Elle progressa jusqu’à n’être plus qu’à trois longueurs de renard du rongeur, cachée au dos d’un autre tronc. Elle se propulsa ensuite dans les airs pour atterrir sur l’écorce de l’arbre voisin.

La petite bête chicota et voulu s’enfuir en hauteur mais la chatte l’attrapa en plantant ses griffes dans sa fourrure. Elle le jeta par terre et lui brisa la nuque, le goût du sang lui monta à la gueule. Ne voyant presque plus rien, elle chercha un endroit convenable ou passer la nuit, emportant le gibier avec elle. Œil du Fleuve trouva un terrier vide, aucune odeur inconnue y flottait. À l’intérieur, il y avait de la mousse séchée et des bouts de bois, rien d’inquiétant. La guerrière mangea l’écureuil et enterra le reste de la carcasse, pour éviter d’attirer quelqu’un. Elle rassembla ensuite les morceaux de mousse pour en faire sa litière et s’installa en baillant, le sommeil lui vint facilement.

Le lendemain matin, alors que l’aube venait tout juste de survenir, la féline gris clair se réveilla. Malgré la saison des feuilles vertes, les matins étaient froids et ses camarades de clan ne pouvaient pas la réchauffer. Elle quitta le terrier et chercha un point d’eau, sa gorge était sèche. Par chance, un ruisseau qui dévalait une pente lui permit de s’hydrater. Œil du Fleuve porta ses pas dans la forêt de sapins. Une mauvaise impression absorba ses pensées, elle sentait une présence. Des craquements lui confirmèrent son pressentiment. Tout à coup, la pinède parue effrayante. Des nuages couvraient le ciel, ce qui accentua l’obscurité présente. « Qui est là ? » mendia t-elle.

Aucune réponse parvint, la femelle continua alors d’avancer, toujours préoccupée. Un bruit fulgurant dressa ses poils sur son échine, elle n’eut même pas le temps de se retourner qu’un poids la cloua au sol. Ce fut une véritable surprise lorsqu’elle reconnut l’individu poilu. « Tommy ? Mais qu’est ce que tu viens faire ici ?

- J’ai suivi ta trace c’est tout, tu ne peux plus m’interdire de venir maintenant.

- Des abeilles te bourdonnent dans le crâne ou quoi ! Décidément tu es vraiment obstiné…

- Je sais et j’en suis fier. Je te promets que je ne vais pas te causer de soucis ! Certifia t-il.

- Je l’espère… » Riposta la guerrière, sachant très bien qu’elle devrait lui apprendre à chasser. Cela ralentirait considérablement son voyage. Par le Clan des Étoiles ! Pourquoi mon demi-frère est aussi têtu ? Au moins, je ne suis plus toute seule.