Un long moment passa, depuis le retour de Ruby chez elle. La saison des feuilles vertes venait d’arriver, avec ses rayons de soleil, ses nuits paisibles, son ciel dégagé… Notre chatte domestique, commençait à accepter le fait de rester enfermée. Ses journées se résumaient à manger, dormir, jouer à la baballe et se faire câliner par ses maîtres. Souvent, elle somnolait dans son panier et repensait au chats sauvages, et surtout au grand matou blanc.

Un soir, Ruby qui avalait ses croquettes farineuses, ne tarda pas. Elle rejoignit son panier, le ventre pendant à cause de cette nourriture et s’allongea pour entamer une longue toilette. Quand ses maisonniers éteignirent leurs lumières artificielles et montèrent à l’étage, elle ferma ses paupières et fut emportée dans un sommeil profond. Alors que la pleine lune scintillait au milieu du ciel obscurci, la chatte rouvrit ses yeux bleus en fronçant la truffe. Ses poils doublèrent de volume lorsqu’elle reconnue l’odeur asphyxiante de son rêve. Ruby resta figée l’espace d’un instant ; je dois encore rêver, ça ne peut pas être vrai ! Pourtant, une fumée noire, plus vraie que jamais, apparue du fond d’un couloir. Elle envahissait petit à petit le nid de bipèdes. La jeune femelle se mit à tousser mais accourut pour tenter d’ouvrir la porte fenêtre, en vain. Pétrifiée de peur, elle hurla et trembla en voyant des flammes tournoyer et grignoter de l’espace. Une chaleur étouffante s’installa rapidement tandis que le feu grandissait. Ruby était coincée, impuissante… L’incendie allait se propager à l’étage, alors dans un élan, elle cavala jusqu’à l’escalier en bois. Elle le monta en toussant de plus belle, éblouie par l’incandescence des flammes et du sombre brouillard.

La courageuse féline s’appuya ensuite sur la porte qui donnait dans la chambre de ses maîtres. Elle émit des miaulements de détresse, gratta férocement. Ouvrez ! Vous allez mourir sinon ! Fulmina t-elle. Aucune réponse vint, Ruby décida donc de frapper la porte avec l’aide de ses pattes arrière. La fumée qui s’accentuait et le feu qui montait dangereusement vers l’étage l’inquiéta davantage ainsi que sa respiration qui devenait difficile. Sa force diminua également peu à peu et sa vision se brouillait. Exténuée, elle claudiqua pour se mettre à l’abri derrière un couloir. C’est à ce moment-là qu’une poutre enflammée se décrocha de l’escalier et tomba devant la chambre des maisonniers. NAN PAS ÇA !!! Cria Ruby, traumatisée. Elle entendit le couple taper pour essayer de se libérer, mais n’avait plus la force d’aider. En larme, elle ferma les yeux, tombant dans l’inconscience.

« Réveille-toi ! Faut pas rester là ! ». Ruby perçue une voix paniqué, elle rouvrit ses paupières et distingua un chat immaculé de blanc. Elle crut un instant qu’il s’agissait du guerrier de la forêt ; Tornade Blanche. Il la secouait dans tous les sens, tandis que l’incendie ravageait maintenant la toiture du nid de bipède. Épouvantée, la chatte se remit sur ses pattes en tremblant et s’appuya contre le matou. Ils descendirent l’escalier grinçant, sous les flammes et traversèrent la pièce principale. Malgré sa vue troublée, Ruby discerna la porte-fenêtre. Un gros trou avec du verre par terre leur permis de rejoindre l’extérieur.

Une fois à l’abri, allongée dans l’herbe de son jardin, elle reprit conscience et regarda avec horreur, son foyer brûler. Le chat qui l’avait sauvé, restait près d’elle et fit signe à un autre félin de venir, c’était Tommy. « Je ne sais pas comment vous remercier… Lança la rescapée, prise ensuite par une nouvelle quinte de toux.

- Je ne pouvais pas laisser la demi-sœur de ma compagne mourir de cette façon, répondit son sauveur. Je m’appelle Oliver.

- Merci beaucoup, mais… Mais comment as-tu pu venir me trouver ?

- C’est grâce à Tommy ! C’est le premier à m’avoir averti qu’il y avait un problème. Nous nous sommes rendus chez toi et comme tout était fermé, avec son aide, j’ai réussi à briser la vitre » expliqua le mâle blanc posément. Ruby remarqua qu’il s’était même blessé à la patte pour venir la secourir. Elle le remercia une nouvelle fois en lui faisant une léchouille et couva son demi-frère d’un regard tendre. Cependant, son cœur se serra quand elle se rappela des cris effrayés que poussaient ses maîtres avant qu’elle s’évanouisse.

« Mes maisonniers sont morts… articula alors notre femelle au pelage gris clair.

- Ne pense pas à ça, tu es en vie et c’est le plus important. Maintenant il faut te reposer, pour cela tu peux compter sur Tommy. Il est seul dans son nid, apparemment ses bipèdes ne reviendrons pas tout de suite, épilogua Oliver.

- D’accord, merci beaucoup » termina par dire Ruby, vainement rassurée.

Deux jours plus tard, alors que notre femelle aux yeux bleus dormait en compagnie de son demi-frère sur un canapé, un sursaut la réveilla. « Ça va ? » demanda le matou, inquiet. Ruby avait les griffes sorties et sa fourrure avait doublé de volume. « Oui oui ça va, j’ai fait un cauchemar c’est tout ! Elle s’étonna du ton sec qu’elle employait.

- D’accord, désolé… Tommy semblait si triste pour sa demi-sœur. Je pense que mes maisonniers reviendront très bientôt, tu sais où aller après ?

- Non pas vraiment » répondit-elle d’une voix enrouée.

Le jour était maintenant bien levé et voyant que Ruby regardait dans le vide, assise par terre en train de se remémorer encore et encore les images de l’incendie, Tommy lui proposa de l’emmener dans son endroit secret. Elle le suivit, d’un pas traînant. Ils longèrent un couloir qui donnait sur un grand escalier en bois massif ; qui empruntèrent. Devant eux, une sorte de plateforme étroite permettait de monter encore d’un étage. « C’est une échelle, annonça le propriétaire des lieux. On va devoir l’escalader, pour cela il faut que tu mettes tes pattes arrières sur un barreau et qu’avec tes pattes avant, tu t’accroches sur la barre d’au-dessus. Après il te reste qu’à refaire ce mouvement jusqu’en haut ». Ruby hocha la tête, et s’agrippa à l’échelle en première.

Quand les deux félins atteignirent l’étage, elle découvrit un gigantesque grenier. Des toiles d’araignées jonchaient chaque recoin et une ouverture laissait entrer un filet de lumière. Tommy lui demanda de le suivre jusqu’à un échafaudage qui permettait d’accéder au trou dans le toit. La chatte retrouva un peu de vivacité en sautant sur la structure, elle était contente de penser à autre chose. Ils étaient devant l’ouverture quand le matou au pelage marron foncé lui dit tout sourire : « À toi l’honneur ». Ruby hésita quelques secondes mais plongea ensuite, aveuglement vers la sortie. Elle fut agréablement surprise en voyant la magnifique vue qui s’étendait sur l’horizon. Par la suite, quand Tommy la rejoignit, ils montèrent au sommet du toit du nid et se posèrent sur la surface plate d’une cheminée. Elle voyait la ville de bipèdes ainsi que la forêt, la lande et les Hautes Pierres au loin. Mais son visage joyeux s’éteignit lorsqu’elle repéra en contrebas son foyer en ruine, encore fumant. C’est alors que son demi-frère, lui fit comprendre qu’il fallait désormais redescendre. A posteriori, quand ils venaient de quitter l’échelle, Tommy fit de gros yeux, les oreilles tendues. Ruby n’avait pourtant rien entendue, elle lui demanda : « qu’est ce qu’il y a ?

- J’entends le monstre de mes maisonniers, ils rentrent ! Dépêche toi de passer par ma chatière et rejoint Princesse, elle est déjà au courant des événements.

- D’accord, j’y cours ! Merci en tout cas, merci pour tout » répondit-elle en bondissant déjà dans les escaliers. Notre femelle se retrouva prestement dans le jardin, elle s’engouffra ensuite sous un grillage, traversa un petit chemin du tonnerre et ralentit le pas en voyant la maison de sa demi-sœur.

Ruby sauta sur la clôture, et s’assit en équilibre pour que Princesse puisse la voir de l’intérieur de son nid. Celle-ci ne mit pas longtemps avant de pointer le bout de son museau, elle semblait anxieuse. Les deux chattes se saluèrent, la jeune reine lui fit même plusieurs léchouilles et formula d’une voix douce : « Je suis sincèrement désolée ma chère, tu es ma sœur, on partage le même père. J’espère que ça s’est bien passé avec Tommy.

- Il n’y a pas eu de problèmes, mais je suis tout de même perdue…

- C’est normal, seul le temps pourra cicatriser ton traumatisme. Tu pourras toujours te confier, je ne te jugerai pour rien au monde. Ajouta Princesse, en couvant Ruby d’un regard tendre.

- Dans ce cas, il faut que je te parle… » renchérit la chatte aux yeux bleus.

Elle commença par lui faire part de son ennui lorsqu’elle vivait enfermée chez ses maisonniers. Ensuite elle continua en lui parlant de son envie de liberté, d’extérieur et de la fois où elle avait rencontré des chats sauvages. Sa demi-sœur l’écoutait qu’à moitié, comme si elle savait déjà. Princesse lui proposa enfin : « J’avais en grande partie deviné, l’attirance que tu as pour le monde du dehors. Elle inspira profondément et poursuivit. Ce qu’il t’est arrivé est malheureux, même tragique et je ne vois pas comment tu pourrais retourner vivre auprès des bipèdes. Selon moi, tu devrais aller rejoindre mon frère dans la forêt. Il pourrait faire de toi une chatte de caractère, une guerrière. Mais bien évidemment c’est à toi de décider du chemin à prendre ».
Les yeux de Ruby s’illuminèrent soudain, elle s’imaginait déjà courir en pleine forêt traquer des proies, grimper aux arbres, renifler les parfums des fleurs et des plantes. J’aimerai tellement, pensa t-elle à voix haute.

« Dans ce cas, il faut que tu ailles à la frontière du Clan du Tonnerre, reste discrète et polie. Quand tu croiseras un de leur membre, demande à voir Cœur de Feu. Déclara Princesse avant de poser sa patte droite sur son front. Là-bas, tu retrouveras mon chaton, Petit Nuage.

- Je vais faire de mon mieux, je te promets que je viendrai te voir, sœurette ! »

Sur ce, Ruby se frotta contre elle et recula pour s’éloigner vers la clôture. Elle y sauta par-dessus et rejoignit l’orée de la forêt, silencieusement.

Dressée devant les arbres aux feuilles d’un vert profond, elle passa de l’autre côté du marquage du Clan du Tonnerre, au même endroit que la dernière fois. Un rongeur lui passa devant, mais par respect, elle ne le pourchassa pas, préférant attendre patiemment qu’un guerrier tombe sur elle.

Le soleil commençait à baisser lorsque des fougères se mirent à s’agiter, trois félins apparurent. Ils devaient être en train de chasser. L’un deux, d’un pelage tacheté, croisa le regard de Ruby et s’écria : « INTRUS !!! ». Les deux autres matous repérèrent et se précipitèrent sur la chatte domestique qui tentait de garder son calme, assise non loin d’une souche. Ils l’entourèrent et feulèrent, les griffes sorties. Un des guerriers, plutôt massif, au poil gris et long leur ordonna d’arrêter et leur cria : « Vous ne voyez pas qu’elle est inoffensive ! Je pourrais sentir sa peur à l’autre bout de notre territoire ». Il tourna ensuite sa tête vers elle et dit plus calmement :

« Que viens-tu faire ici ? J’ai l’impression d’avoir déjà flairé ton odeur.

- Désolée, fit-elle d’abord. Je ne veux pas d’ennuis, je souhaite parler à Cœur de Feu.

- Cœur de Feu, comment le connais-tu ?

- C’est mon demi-frère, c’est compliqué à expliquer mais j’ai perdu ma vie de chatte domestique… Mon nid a pris feu récemment et mes maisonniers sont sans doute morts dans l’incendie. Je n’ai pas envie de revivre ça ! Je préfère vivre libre, à l’état sauvage ». Les trois guerriers échangèrent des regards choqués. Le mâle gris mit un certain temps avant de pouvoir répondre :
« C’est donc cela que nous sentions l’autre jour… Je suis sincèrement peiné.

Tu voudrais donc rejoindre notre clan ?

- Oui, ça serait formidable, assura Ruby.

- Très bien, je vais voir ce que je peux faire. Vif-Argent, retourne au camp et va prévenir Étoile Bleue ainsi que Cœur de Feu ! ».