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Chapitre 45 : "Je ne peux pas la supporter"

Cœur de Pierre

Cela fait maintenant quelques jours que Nuage d'Espoir est revenue et que Rosée du Matin, Nuage de Pluie et Pie Voleuse ont rejoint notre Clan. Comme convenu, les apprentis ont installés la litière de Pie Voleuse dans la tanière des anciens. Juste à côté de la mienne. Malheureusement...

Je ne peux pas la supporter. Quand elle dort, elle ronfle comme un sanglier juste à côté de mon oreille et, quand elle est réveillé, elle se plaint pour un oui ou pour un non ou elle se moque de Orage du Crépuscule et moi. Elle nous a même trouvé un surnom chacun : "le boiteux" pour Orage du Crépuscule et "gros tas" pour moi.

Je déteste qu'on me dise que je suis gros. Parce que, en réalité, ce n'est que du muscle !

Les deux seules chattes qui avaient le droit de dire que j'étais gros, c'était Nuage d'Espoir quand elle était encore chaton et Cœur Roux, parce que j'étais amoureux d'elle. Je pousse un profond soupire en pensant à mon ancienne compagne. Elle m'observe au Clan de l'Au-Delà à présent...

- Eh ! À quoi tu penses, gros tas, pour soupirer comme ça ?

Tout mon corps se crispe à l'entente de la voix de Pie Voleuse. Elle est entré dans la tanière depuis combien de temps au juste ?

- Quand je suis entré, tu avais le regard dans le vide et puis tu t'es mis à soupirer comme si tu avais un long monologue intérieur et que tu t'exaspérais toi-même...

Je sers les crocs. Ce n'est pas dans mes habitudes de m'énerver contre les autres mais là, c'est trop !

- Tu ferais mieux de t'occuper de tes affaires pour une fois...

Elle me coupe :

- Sinon quoi, gros tas ?

En disant ça, elle passe juste à côté de moi pour aller s'allonger sur sa litière qui est bien trop près de la mienne à mon goût.

Je grogne, ne pouvant plus me retenir :

- Je te préviens, la prochaine fois que tu m'appelles comme ça, tu auras affaire à mes griffes.

Je vois les moustaches de la vieille chatte frémir, comme si elle allait éclater de rire dans l'instant. Mais, elle n'en fait rien. Heureusement pour elle...

À la place, elle se rapproche un peu plus de moi et se racle la gorge pour parler :

- D'accord. Rappelles moi comment tu t'appelles déjà ?

Elle n'a même pas prit la peine de retenir nos prénoms...

- Cœur de Pierre.

À l'entente de mon ton froid, elle lève les yeux au ciel.

- Ne sois pas susceptible... Je l'avoue, je me fais vieille ! Ces temps-ci, j'ai des problèmes de mémoire...

Elle semble sérieuse, pour une fois... Je tourne ma tête vers elle, elle a le regard perdu dans le vide. Elle continue :

- Je perds la mémoire à court terme. Je me rappelle toujours aussi bien des années que j'ai passé à essayer de m'en sortir dans les rues mais, par exemple, hier matin, quand je me suis réveillé à tes côtés, dans cette tanière, je me suis demandé où j'étais, qui tu étais et qu'est-ce que je faisais là...

À cet instant, c'est vrai, elle me fait de la peine. Je comprends mieux pourquoi elle donne des surnoms sur le physique maintenant... Et je me sens tellement bête de m'être mis en colère !

J'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. Elle ignore mon malaise et continue, d'une petite voix :

- Donc, ne t'énerves plus contre moi s'il te plaît. Je ne suis pas venue ici pour me faire des ennemis...

J'allais répondre mais, avant que je n'ai pu dire quoi que ce soit, Nuage d'Espoir entre dans la tanière, un mulot tout maigre dans la gueule. Elle le dépose devant moi avec un air désolé.

- Désolée, il ne reste plus que ce mulot rachitique... La saison des Grands Froids a commencée, les proies se terrent dans leur terrier...

- Ne t'excuses pas Nuage d'Espoir ! Où est ton père ? Je suppose qu'il faut aussi qu'on partage cette proie avec lui ?

La jeune chatte blanche aux taches grises secoue la tête avec un léger sourire.

- Pas la peine. Il passe la journée avec maman.

Je souris à mon tour. Depuis le retour de leur fille, ces deux-là sont redevenus inséparables... Cela ne m'étonnerait même pas que notre meneuse nous annonce bientôt qu'elle attend des chatons !

Nuage d'Espoir nous fait un signe de la queue avant de sortir de notre tanière.

Je me tourne vers Pie Voleuse avec un sourire pour lui montrer que je ne suis plus du tout hostile envers elle. Elle me rend mon sourire avec un léger ronron qui me réchauffe le cœur. 

- Partageons donc ce mulot !

- Avec plaisir, Cœur de Pierre !

Je mords un bout du mulot et ai du mal à l'avaler tellement il est sec. On dirait qu'il traine dans la pile de gibier depuis des lunes et qu'il s'est vidé de son sang...

Je vois Pie Voleuse faire une grimace en tirant la langue.

- Des années à trainer dans la rue et je n'ai pourtant jamais mangé quelque chose d'aussi répugnant !

- Il faut un début à tout !

Elle rit en reprenant un morceau de viande. Elle le mâchouille longuement avant de l'avaler avec difficulté. Elle tire à nouveau la langue et repousse le mulot à moitié mangé vers moi.

- Je ne peux pas manger ça, je vais finir par m'étouffer !

- Ahah ! Bienvenue dans les Clans en tout cas !

On éclate de rire. Son rire ressemble à un cri de pie, ce qui me fait encore plus rire. Elle porte bien son nouveau prénom !

Après quelques instants de rire, je me calme et ma camarade fait de même. Je reprends peu à peu mon souffle et déclare :

- Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant ris avec quelqu'un !

- Moi de même ! Ça fait un bien fou, n'est-ce pas ?

- Ah, ça oui !

Le silence s'abat sur notre tanière et je me sens soudainement gêné. Et dire qu'il y a quelques minutes à peine je la détestais... Je ne comprends même pas comment j'ai pu la détester à ce point. D'habitude, j'apprends à connaître les chats avant de me faire un avis... J'aurais dû faire pareil avec Pie Voleuse...

- Je suis désolé de m'être énervé contre toi tout à l'heure... Ce n'est pas mon genre d'habitude.

Elle a un petit rire avant de répliquer :

- Ce n'est pas grave. J'ai un don naturel pour énerver les autres !

- Ça, je l'avais remarqué !

Elle me met une tape amicale derrière la tête en  rigolant :

- Eh ! Je ne te le permets pas, gros tas !

Et, pour une fois, l'entendre m'appeler de cette manière ne m'énerve absolument pas. Au contraire, je me mets même à ronronner sans m'en rendre compte...

Pie Voleuse non plus ne s'en rend pas compte car elle s'est endormi.

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