Chapitre 1
La neige tombait doucement sur la ville endormie. Le clocher venait de sonner deux heures du matin et, hormis les voitures et les étudiants ivres sortis de boîtes de nuit, les rues étaient presque désertes. La place Darcy semblait morte, avec son arche pourtant toujours illuminée et ses bars encore actifs à cette heure tardive. Malgré ce semblant d'animation, la ville était silencieuse.
La place Darcy était la place principale de Dijon. Située entre la gare et le centre-ville, elle était le lieu de rendez-vous de tous les couples et amis, jeunes et vieux. Les nombreux bancs qui y étaient installés, entourés de verdure, ainsi que les somptueux immeubles blancs qui l'encadraient, contribuaient à son succès.
Non loin du jardin Darcy, situé tout près de la place, se trouvait la rue de l'Egalité, encore moins animée que la place principale. Les immeubles qui l'encadraient étaient hauts, mais étroits, avec de larges fenêtres donnant sur la rue. A cette heure tardive, une seule d'entre elles était éclairée, au deuxième étage du numéro 44.
Ryan Amarro ne dormait pas. Il était seul dans son appartement, assis au salon, dans son canapé qu'il ne quittait presque plus jamais. Son regard était perdu dans le vide, il contemplait son salon sans le voir. Le sol était couvert d'une moquette bleu foncé, le grand canapé dans lequel il était installé était en cuir vert pâle. En face se trouvait, contre le mur, un meuble en bois foncé contenant des livres, et sur lequel étaient posées une Livebox et une télévision. A droite de ce meuble, une grande bibliothèque remplie de livres allant du XVIIe au XXe siècle. A gauche, devant d'immenses fenêtres, une grande table en bois était couverte de feuilles et de livres ouverts, tandis qu'à ses pieds et près du canapé trônaient des bouteilles vides. Il régnait dans cet espace une odeur d'alcool et de renfermé à laquelle Ryan s'était habitué. Devant lui se trouvait une table basse en bois bleu-gris. Et sur cette table, une enveloppe. Ouverte. Avec une lettre dépliée à côté. Une lettre de licenciement, reçue le matin même. Depuis la réception de cette lettre, Ryan était resté sans bouger, assommé par son contenu. Les mots étaient français, mais ils n'avaient pour lui aucun sens. Il avait posé la feuille sur la table près d'une bouteille d'alcool et s'était contenté de boire en essayant d'oublier ce qu'il avait lu. En vain. Les mots dansaient devant ses yeux, inlassablement. C'était fini. Sa carrière était terminée. Il avait l'impression d'étouffer. C'était comme si les mots imprimés sur la feuille commençaient seulement de s'acheminer vers son esprit. A présent qu'ils y étaient logés, ils le torturaient doucement. Il se mit à grelotter, à claquer des dents, mais il ne pouvait se résoudre à monter le chauffage ni à aller se chercher une veste. Il était comme pétrifié. A cause d'une seule feuille de papier, toute sa vie s'écroulait d'un seul coup.
Il ne parvenait plus à lever les yeux vers sa bibliothèque. Les livres, autrefois ses meilleurs amis, ceux sans qui il ne pouvait pas vivre, lui devenaient soudain insupportables à regarder. Il ne pourrait plus jamais en lire un seul, en toucher un seul. A présent qu'il n'était plus professeur de français, à présent que la sentence était tombée, les livres sur lesquels il avait fait reposer tous ses espoirs lui devenaient inutiles.
Seul le son du silence résonnait autour de lui. C'était comme si aucun de ses voisins n'était là. Comme si les voitures et les passants avaient déserté la ville. Comme si le monde était mort autour de lui. Il était seul avec son échec et sa douleur. Seul avec ses pensées négatives. Comment avait-il pu en arriver là ? Il ne le comprenait pas lui-même. Il se sentait sali, trahi, abandonné. Son licenciement était la goutte d'eau. Il finit son verre, s'en servit un deuxième, un troisième, un quatrième. Puis, sans cesser de trembler, il prit la couverture de laine rouge et noire posée nonchalamment sur l'accoudoir du canapé, la déplia et se blottit dessous. Ainsi recroquevillé, il ferma les yeux. Il ne voulait plus penser à ce qui s'était produit.
Malheureusement pour lui, son esprit n'était pas de cet avis. Ryan se réveilla en sursaut au moment où quatre coups résonnaient au clocher. Il grelottait, le visage trempé de sueur. Son cœur cognait sa poitrine, sa respiration était haletante et son tee-shirt lui collait à la peau. Il venait de revivre son procès en rêve et il lui fallut un moment pour comprendre qu'il n'était pas au tribunal, mais bien chez lui. Il déglutit. Elle. C'était Elle la responsable. Tout était Sa faute, depuis le début. Elle avait brisé sa vie et ruiné sa carrière. Le jour de son procès, Ryan s'était promis de ne plus jamais s'occuper d'Elle. Là se trouvait le seul point positif de son licenciement : à présent, il ne serait plus jamais en contact avec Elle. Cette pensée le rasséréna et il réussit enfin à trouver le sommeil. Il ignorait encore à ce moment-là à quel point il se trompait...
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